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La Grande Transformation
La Grande transformation Auteur Karl Polanyi Genre Économie, Histoire Pays d'origine États-Unis Date de parution 1944 La Grande Transformation est le livre phare de l'économiste hongrois Karl Polanyi.
Sommaire
Écrit en 1944, il est actuellement de plus en plus perçu, à travers les études économistes, comme une approche encore non épuisée ni même désavouée, quant à la conception et la raison de la logique économique de l'Occident. Son analyse s'insère depuis les prémices de « modernisation » agricole anglo-saxonne du XVe siècle, vers la compréhension de la société à l'avènement de la Seconde Guerre mondiale.
La démarche de Karl Polanyi est novatrice : elle associe l'histoire et l'anthropologie pour démontrer, c'est le cœur de la thèse, que l'économie de marché est une construction socio-historique et non un trait de la nature. Son socialisme humaniste se situe à l'opposé de tout déterminisme et évolutionnisme.
Résumé
Deuxième Partie
Chapitre 3
Ce chapitre introduit l’analyse du marché autorégulateur qui sera faite dans les chapitres suivants pour expliquer le paradoxe de la Révolution industrielle en Angleterre : alors que la production de biens augmentait, les conditions de vie de la majorité se dégradaient. L’analyse économique classique, en avançant les lois sur les salaires ou sur les populations, n’a pas su expliquer ce phénomène, car elle cherchait des causes économiques à un phénomène social. C’était aussi le cas pour le mouvement des enclosures sous les Tudor et les premiers Stuart : l’opposition aux enclosures est analysée par les économistes classiques comme un échec, puisque finalement ce sont les clôtureurs qui eurent gain de cause. En fait la finalité de cette opposition était avant tout de retarder le changement pour permettre à la société de s’adapter. Dans le cas de la Révolution industrielle, ce livre va s’attacher à montrer dans les prochains chapitres qu'un changement fut provoqué par l’usage de machines dans une société commerciale, ce qui nécessitait à terme l’apparition d’un marché autorégulateur. Le marché autorégulateur, en englobant tous les facteurs de production, y compris le travail, la terre et la monnaie, assujettissait de fait l’essence même de la société à ses lois. Il créait par là même les mécanismes de dislocation de la société et des relations entre les hommes.
Chapitre 4
Ce chapitre décrit différents types de systèmes économiques que l’on peut trouver dans différentes sociétés humaines. Il réfute en particulier la thèse d’Adam Smith selon laquelle l’homme aurait une propension naturelle au troc et à l’échange, et que l’économie de marché serait par conséquent l’inévitable système économique de toutes les sociétés humaines. Comme l’ont montré en particulier les travaux de l’anthropologue et sociologue allemand Richard Thurnwald, il existe d’autres modèles d’organisation économique : la symétrie et la centralité en sont deux exemples. Le principe de comportement associé à la symétrie est la réciprocité : le donneur attend un juste retour dans un futur indéfini. Cette attente est basée sur la confiance et les conséquences sociales (celui qui reçoit sans jamais donner en retour s’exposerait à terme à ne plus rien recevoir et être mis au ban de la société). Le principe de comportement associé à la centralité est la redistribution. La redistribution implique l’existence d’un centre politique (par exemple un pouvoir basé sur la parenté, tel que le chef d’une tribu, ou encore le seigneur dans un pouvoir féodal), qui reçoit et redistribue les biens en fonction de règles établies. Il existe un troisième modèle, qui est l’autarcie, ou le groupe clos, dont le principe de comportement est l’administration domestique. Le groupe peut être une famille, un clan ou une ethnie. La production et l’emmagasinement se font par et pour le groupe. Dans les trois cas, le système économique est enchâssé dans le mode de fonctionnement de la société, et ne nécessite pas d’organisation marchande (ni de monnaie). La production et la distribution ne sont pas motivées par le gain. Même si des marchés existent ici ou là, le modèle du marché, et le principe de comportement associé (troc ou paiement), ne sont donc pas naturellement présents dans les sociétés humaines.
Chapitre 5
Ce chapitre aborde l’origine et l’évolution du modèle économique du marché et de ses principes de comportements économiques associés, le troc, le paiement en nature et l’échange. La théorie économique classique suppose la propension de l’homme au troc pour expliquer l’origine des marchés locaux, puis du commerce, du commerce extérieur et enfin de l’économie de marché. Au contraire, le commerce extérieur, ou commerce au long cours, trouve essentiellement son origine dans la distribution géographique des biens. Le commerce extérieur était avant tout le transport de ces biens d’une région à l’autre. Dans ses formes primitives, il était bien souvent davantage lié au modèle de réciprocité qu’au modèle du marché, et l’apparition d’un lieu spécifique pour l’échange (le port, la foire) n’était pas systématique. Ce type de commerce était avant tout complémentaire (il fournissait simplement des biens là où ils n´étaient pas présents) et n’était donc pas concurrentiel. De même, les marchés locaux étaient avant tout des marchés de voisinage, entre la ville et la campagne alentours, complémentaires et non concurrentiels. Dans une société régie par les modèles de la réciprocité, de la redistribution, de l’autarcie, ou d’une combinaison des trois, l’apparition ou non de ces marchés locaux n’était que de peu d’importance car non indispensable à la subsistance de chacun. L’organisation de la société visait même à limiter l’influence des marchés locaux sur le modèle dominant de la société grâce à des réglementations contraignantes. Jusqu’au XVe siècle, l’organisation des villes médiévales séparait complètement marchés extérieurs et marchés locaux : les bourgeois tentaient d’exclure le marchand étranger et son commerce capitaliste de gros des marchés locaux où il serait rentré en concurrence avec eux. Cela équivalait à empêcher la création d’un marché intérieur national concurrentiel. Au XVIe siècle, le mercantilisme des États-nations naissants va s’opposer à ces restrictions locales. Toutes les ressources nationales devaient être mobilisées vers le même objectif : la puissance de l’État. Cette politique nationale de commercialisation, en s’attaquant aux particularismes et privilèges locaux, allait créer le marché intérieur ou national. Cependant, le mercantilisme, s’il permit de soustraire les marchés locaux des réglementations coutumières des villes, n’en continua pas moins à régir le marché national par des lois et des décrets. À cet égard, ce nouveau type d’organisation économique, au même titre que celui de l’époque féodale avec les marchés locaux et extérieurs, restait subordonné à l’organisation sociale.
Chapitre 6
À l’époque féodale, la production destinée à l’exportation, essentiellement de draps, était organisée dans les villes, par de riches bourgeois. À l’époque mercantile, la production était organisée par le marchand capitaliste qui fournissait les matières premières (la laine) à des travailleurs à domicile, ne se limitant plus à la ville. Tant que la production ne nécessitait pas d’autre investissement que la matière première, le marchand pouvait organiser la production sans grand risque. Une baisse de la production (généralement due à un arrêt dans l’approvisionnement des matière premières) était plus préjudiciable à l’ouvrier qu’au marchand, tandis qu’une hausse de la production représentait un gain supérieur pour le marchand. L’introduction progressive de machines simples (métier à tisser, qui pouvait être propriété de l’ouvrier ou du marchand) permit d’augmenter la production, mais ne modifia pas fondamentalement la donne. Par contre, l’introduction au XIXe siècle de machines complexes dans le cadre de la fabrique changea radicalement le rapport entre commerce et production. L’investissement nécessaire pour ces machines ne permettait plus de prendre des risques et n’était envisageable que si la production pouvait être garantie en continu. Dans une société commerciale complexe, cela supposait que l’on puisse se procurer de manière continue les éléments nécessaires à la production, entre autres et en particulier le travail, la terre et la monnaie, qui sont trois éléments indispensables à la production industrielle. Cela signifiait concrètement qu’il fallait organiser des marchés pour tous les éléments nécessaires à la production, y compris des marchés pour pouvoir acheter le travail (dont le prix s’appelle salaire), la terre (dont le prix s’appelle loyer) et la monnaie (dont le prix s’appelle taux d’intérêt), comme n’importe quelle autre marchandise. Il importait également que l’État ne puisse pas intervenir sur ces marchés, les marchandises (y compris travail, terre et monnaie) devant trouver à se vendre et s’acheter au prix d’équilibre. En résumé, la production est dirigée par le marché autorégulateur, système économique qui n’est régulé que par les seuls marchés. Or le travail (fourni par un être humain), la terre (fournie par la nature), et de manière moins évidente, la monnaie, ne sont pas des marchandises comme les autres : elles ne sont pas produites pour être vendues sur des marchés, et leur utilisation ne peut pas être celle de n’importe quelle autre marchandise. Le fait de soumettre à la loi du marché autorégulateur le travail (donc l’homme) et la terre (donc la nature) revenait à soumettre la société entière à la loi du marché : le XIXe siècle fut le siècle de la naissance du marché autorégulateur, et par conséquence de la transformation de la société en société de marché.
Chapitre 7
Les lois élisabéthaines sur les pauvres (Elizabethan Poor Law) de 1601, qui regroupaient un ensemble de lois antérieures sur l’assistance aux pauvres, et en particulier ses amendements de 1662 avec la loi du domicile (Act of settlement), allaient à l'encontre de la création d'un marché du travail. En effet, la loi du domicile obligeait chaque paroisse à certifier qu’elle prendrait en charge les frais de rapatriement de ses résidents désirant s’établir dans une autre paroisse, au cas où ils viendraient à nécessiter l’aide pour les pauvres. En pratique, les paroisses refusaient souvent de délivrer ce certificat, ce qui dissuadait les gens de se déplacer. Un marché du travail où la main-d’œuvre doit être mobile ne pouvait se créer dans ces conditions.
La loi du domicile fut amendée en 1795, mais la loi de Speenhamland apparut la même année. Elle visait à atténuer les effets des variations des prix des grains dues aux blocus de la guerre avec la France en instaurant un système de compléments de salaire. Dans ce système, les revenus étaient constants quel que soit le salaire payé, puisque la paroisse complétait le salaire selon un barème indexé sur le prix des grains. Les employeurs n’avaient donc pas intérêt à proposer des salaires élevés et les employés à augmenter leur productivité. En quelques années, la productivité et les salaires baissèrent au point que la différence entre le travailleur et l’indigent obligé de travailler dans un asile de pauvres (workhouse) disparut pratiquement. Le travail se réduisit à un semblant d’activité, tandis que le salaire était presque intégralement payé par la paroisse. Des hordes entières de paysans chassés de leurs terres par une nouvelle vague d’enclosures perdirent tout amour propre au point de préférer recevoir l’aide pour les pauvres que de travailler pour un salaire équivalent : le résultat de Speenhamland fut une paupérisation des masses qui finit par mettre en danger la capacité productive nécessaire à la société industrielle naissante.
En 1834, tout le monde était convaincu que Speenhamland avait été une erreur tragique et qu’il fallait à tout prix éliminer l’aide au salaire (Poor Law Amendment Act), mais à cette époque précapitaliste, personne ne savait expliquer le paradoxe de l’augmentation de la production et des richesses à l’échelle de l’Angleterre et la paupérisation croissante des masses. On découvrait la complexité de la société industrielle moderne, mais les lois qui la gouvernaient échappaient à la compréhension des contemporains. Les conséquences sociales dramatiques de Speenhamland eurent une influence décisive sur la façon dont les intellectuels de l’époque tentèrent l’analyse du capitalisme et fondèrent les théories économiques classiques. David Ricardo inféra de l’augmentation de la pauvreté simultanément avec l’augmentation des richesses l’existence d’une « loi d’airain sur les salaires », Thomas Malthus sa loi sur la population, John Stuart Mill la théorie de l’utilitarisme. Personne ne vit que le paradoxe résultait de l’absence de marché concurrentiel du travail dans une société de marché, ni que l’abolition de Speenhamland en 1834 allait marquer véritablement le départ du capitalisme industriel en tant que modèle de société.
Chapitre 8
Le Statut des Artisans (Statute of Artificers) et la loi sur les pauvres (Poor laws) formaient le code du travail de l’époque mercantile en Angleterre. Le Statut des Artisans fixait les règles concernant l’obligation du travail, l’apprentissage et les salaires. La loi sur les pauvres obligeait les paroisses à mettre au travail les indigents en vue de gagner leur subsistance, mais aussi leur permettaient de lever des impôts pour maintenir un asile pour les pauvres, de s’occuper des infirmes, des vieillards, etc. Dans les faits, toutes les paroisses ne s’acquittaient pas de leur responsabilité comme elles auraient dû, et le risque que certaines paroisses bien administrées attirent un nombre croissant d’indigents amena le vote de la loi sur le domicile (Act of settlement).
Tout au long du 18e siècle, le commerce anglais avec le reste du monde allait augmenter de manière continue mais avec des fluctuations marquées. La hausse de la production manufacturière, puis industrielle à la fin du siècle, nécessitait de plus en plus de main d’œuvre en ville, provoquant hausse des salaires et exode rural (facilité par les enclosures). À l’inverse, les fluctuations brusques et importantes du commerce provoquaient hausse du chômage et retour des travailleurs des villes vers leur campagne d’origine. Mais le travailleur de la fabrique, qu’il ne soit plus capable de cultiver la terre, que les salaires offerts à la campagne soient trop faibles par rapport aux salaires en ville, ou que leurs terres aient été absorbées par l’enclosure, ne pouvait souvent plus subvenir à ses besoins. Les fluctuations du commerce créaient du chômage plus vite que le commerce ne créait des emplois, car elles étaient accentuées par la loi du domicile qui empêchait les travailleurs de trouver un travail là où ou il se trouvait.
En 1795, la loi du domicile fut amendée pour satisfaire aux besoins de l’industrie naissante. Les propriétaires terriens durent alors trouver un moyen d’empêcher la raréfaction de la main d’œuvre rurale, le nivellement des salaires avec ceux de la ville, et d’une manière plus générale le déracinement de tout le peuple rural et le démantèlement des campagnes. La loi de Speenhamland fut créée dans cet objectif. Les résultats furent désastreux : le système des allocations, en subventionnant les employeurs sur les fonds publics, firent baisser les salaires au dessous du niveau de subsistance. Les travailleurs cherchant du travail à un salaire leur permettant de vivre ne trouvait pas d’employeur et devaient se résigner à tomber au niveau des autres indigents. À la longue, cela finit par démoraliser toute une population qui finissait par trouver plus avantageux de séjourner à l’asile que de travailler. Cela finit par affecter la productivité du travail en général, et les employeurs devaient embaucher plus de travailleurs que nécessaire pour un travail donné. Les salaires normaux finirent par être affectés à la baisse, alimentant encore la spirale de paupérisation des masses et accentuant encore l’effroyable misère d’un nombre toujours croissant.
En 1832, une nouvelle classe accédait au pouvoir suite au Reform Act, et abolissait le système de Speenhamland deux ans plus tard, soutenue par les ouvriers : il semblait clair pour tout le monde qu’un vice caché de loi sur les pauvres nécessitait son abrogation pour pouvoir faire le bonheur du plus grand nombre, même si cela revenait à abroger ´Le droit de vivre', comme on appelait aussi la loi de Speenhamland. Ce fut ainsi que naquit l’économie de marché.
Chapitre 9
D’où viennent les pauvres ? C’est à partir du milieu du XVIe siècle que commença à se poser cette question avec l’apparition des pauvres en tant que catégorie à part entière de la population (non rattachée à un seigneur féodal), suivie des premières lois contre le vagabondage, puis au XVIIe siècle la loi sur le domicile. Les premières réponses au problème du paupérisme furent apportées par la communauté quaker, persécutée à cette époque, en particulier Lawson qui proposait la création de Bourse du travail dès 1660, et surtout John Bellers qui proposa en 1695 la création de Colleges of Industry : il s’agissait de faire en sorte que les travailleurs se passent d’employeur et échangent leur travail, commercialisant éventuellement les surplus pour aider d’autres pauvres. Cette idée fut à la base de toutes les tentatives ultérieures pour résoudre le problème du paupérisme, et de l’histoire sociale de notre époque.
En 1782, la loi Gilbert instaurait le principe des roundsmen, où les propriétaires de terre (payant les impôts à la paroisse) pouvaient employer des pauvres payés par la paroisse.
En 1794, Jeremy Bentham proposait d’appliquer son modèle de prison panoptique à la construction d’usines dans lesquelles travailleraient des pauvres assistés. Ses Industry Houses devaient être contrôlées par une société par actions et utiliser le travail de tous les chômeurs pour générer un profit redistribué aux actionnaires.
En 1819, Robert Owen reprenait les idées de Bellers, en essayant de recréer des Colleges of Industry, qui échouèrent, puis en 1832 en créant une bourse du travail équitable basée sur l’échange de travail, qui devait réunir tous les métiers dans un seul projet coopératif dont le produit devait être redistribués entre les membres.
En 1848, Pierre-Joseph Proudhon reprenait l’idée avec sa Banque d’Echange, Charles Fourier avec son Phalanstère, puis par la suite Louis Blanc et ses Ateliers nationaux, ou encore Ferdinand Lassalle et ses projets coopératifs, finalement critiqués par Karl Marx et son collectivisme d’État.
Aucun de ces projets, similaires mais dont les différences annonçaient capitalisme, syndicalisme, mouvement coopératif, anarchisme, socialisme, et communisme à venir, ne résolut pourtant le problème du paupérisme, sans que l'on sache pourquoi. Plus d’un siècle auparavant, Daniel Defoe avait apporté une réponse dans un pamphlet publié en 1704, à l’époque de Bellers : si les pauvres sont secourus, personne ne voudra travailler pour un salaire, et le surplus de marchandises créé par une organisation publique provoquera la ruine d’autres organisations privées. Quelques années plus tard, Bernard Mandeville écrivait sa Fable des Abeilles décrivant une société qui ne prospère que grâce aux vices de ses membres. En cette fin du 18e siècle, la richesse et le paupérisme apparaissent comme paradoxaux et ne sont toujours pas complètement compris. Malheureusement, David Ricardo et Adam Smith élaborèrent leurs théories économiques en se basant sur les faits de cette époque transitoire.
Bibliographie
- Jérôme Maucourant, Avez-vous lu Polanyi ?, Paris, La Dispute, 2005.
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