Citation Apocryphe

Citation Apocryphe

Citation apocryphe

Une citation apocryphe est une citation, souvent célèbre, attribuée à une personne qui n’a pourtant jamais tenu les propos rapportés, ou alors sous une forme différente. Il peut s’agir de modifications légères, qui donnent toutefois un aspect plus impressionnant aux propos. Dans la plupart des cas, il s’agit de pure invention.

Sommaire

Origine des citations apocryphes

Les citations peuvent être modifiées d'une manière qui ne nuit pas particulièrement au sens, mais permet de mieux les comprendre hors contexte, ou simplement plus courte, et plus faciles à retenir. Par exemple, dans le film Star Wars, épisode V : L'Empire contre-attaque, la phrase « Luke, je suis ton père », forme apocryphe, est plus porteuse de sens que la véritable forme « Non, je suis ton père », l'origine du « Non » étant incompréhensible sans se référer à la réplique précédente (cette déformation de la citation est valable aussi bien en français qu'en anglais). De Roméo et Juliette, la version retenue est « A rose by any other name smells just as sweet », alors que le texte exact est « What's in a name? That which we call a rose by any other word would smell as sweet. » Dans ce cas, il s'agit surtout de simplifier. En particulier, le sens de la phrase de Juliette n'est pas trahi : elle dit dans les deux cas que le nom qu'on donne n'affecte pas la nature de l'objet.

Les raccourcis sont souvent plus tendancieux pour les phrases politiques. La phrase attribuée à Karl Marx « La religion est l'opium du peuple. » est un véritable slogan. Or, le texte « La religion […] est l'opium du peuple. » comportait une argumentation mesurée, et la forme courte ne respecte donc pas nécessairement la volonté de l'auteur.

Les citations faussement attribuées sont un problème différent. Dans certains cas, la phrase restitue tout de même relativement fidèlement l'idée de l'auteur supposé. Le sociologue Robert Merton remarqua que certaines situations s'expliquent par ce qu'il appela l'« effet Matthieu », en référence à la phrase de l'Évangile selon saint Matthieu « À celui qui a, il sera beaucoup donné et il vivra dans l’abondance, mais à celui qui n’a rien, il sera tout pris, même ce qu’il possédait. » Quand la phrase est suffisamment percutante pour rester célèbre, mais que l'auteur ne l'est pas assez pour être retenu, on attribue la phrase à une personne plus célèbre, mais dont les propres idées et le ton correspondent suffisamment pour que cela semble réaliste. N. David Mermin explique que l'effet Matthieu a amené à attribuer à Richard Feynman sa boutade à propos de la physique quantique : « Shut up and calculate »[1].

Citations inventées

  • Voltaire : « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai pour que vous ayez le droit de le dire. »

À croire certains commentateurs (Norbert Guterman, A Book of French Quotations, 1963), cette citation reposerait sur une lettre du 6 février 1770 à un abbé Le Riche où Voltaire dirait : « Monsieur l'abbé, je déteste ce que vous écrivez, mais je donnerai ma vie pour que vous puissiez continuer à écrire. » En fait, cette lettre existe mais la phrase n'y figure pas, ni même l'idée. On la considère alors comme pseudo-citation ayant sa source dans le passage suivant :

« J’aimais l’auteur du livre de l’Esprit [Helvétius]. Cet homme valait mieux que tous ses ennemis ensemble ; mais je n’ai jamais approuvé ni les erreurs de son livre, ni les vérités triviales qu’il débite avec emphase. J’ai pris son parti hautement, quand des hommes absurdes l’ont condamné pour ces vérités mêmes. » (Questions sur l’Encyclopédie, article « Homme »).

Elle a été employée pour la première fois en 1906 dans The friends of Voltaire, livre anglais d’Evelyn Beatrice Hall écrivant sous le pseudonyme de S. G. Tallentyre, pour résumer la position de Voltaire : « I disapprove of what you say, but I will defend to the death your right to say it », car elle correspondait à l'idée que Hall se faisait de Voltaire.

Galilée n’a pas défié ainsi le Saint-Office (ce qui, dans les circonstances extrêmement tendues qui venaient de l'opposer à l'Église, aurait été du suicide), et accepta de se renier. Cette légende a été publiée en 1761 dans Querelles Littéraires[2], un siècle après sa mort.

  • Albert Einstein : « L’astrologie est une science en soi, illuminatrice. J’ai beaucoup appris grâce à elle et je lui dois beaucoup. Les connaissances géophysiques mettent en relief le pouvoir des étoiles et des planètes sur le destin terrestre. À son tour, en un certain sens, l’astrologie le renforce. C’est pourquoi c’est une espèce d’élixir de vie pour l’humanité. »

Citée par Élizabeth Teissier, vraisemblablement un mauvais argument d'autorité puisque, en réalité, Einstein avait un avis très négatif envers l’astrologie.

  • Général Pierre Cambronne sur le champ de bataille de Waterloo : « La garde [napoléonienne] meurt, mais ne se rend pas », démentie d'ailleurs par l'intéressé lui-même « puisque je ne suis pas mort et que je me suis rendu ». Victor Hugo affirmera dans Les Misérables qu'il a simplement répondu « merde ».
  • Henri IV, roi de France lorsqu'il accepte de renoncer à la foi réformée pour entrer dans Paris : « Paris vaut bien une messe ! ». La phrase tire vraisemblablement son origine des propos prêtés au « duc de Rosny » (Sully) dans Les Caquets de l'accouchée (récit anonyme de 1622) : « Comme disoit un jour le duc de Rosny au feu roy Henry le Grand, que Dieu absolve, lors qu'il luy demandoit pourquoy il n'alloit pas à la messe aussi bien que lui : Sire, sire, la couronne vaut bien une messe ; aussi une espée de connestable donnée à un vieil routier de guerre merite bien de desguiser pour un temps sa conscience et de feindre d'estre grand catholique[3] ».
  • « Lafayette nous voici ! » par le général en chef des armées américaines à l'arrivée de ses troupes en France, durant la Première Guerre mondiale. Cette citation a été inventée par Gaston Riou, qui n'avait pu assister au discours et l'avait donc inventée pour son article.
  • André Malraux : « le XXIe siècle sera spirituel ou ne sera pas ».
  • Elvis Presley : « Je n'ai besoin des Noirs que pour acheter mes disques et cirer mes pompes ». Il n'y a aucune preuve qu'il ait dit ça, et tous ses proches reconnaissaient au contraire sa tolérance envers les gens.
  • Georges Sand et Alfred de Musset : des poèmes célèbres censés être issus de la correspondance de Georges Sand sont romantiques lus en entier, érotiques en lisant une ligne sur deux[4] ou un mot par ligne[5]. En fait, il s'agit de faux[6], mais s'ils circulent très fréquemment sur internet, ils sont bien plus anciens.

Auteur modifié

En fait, les pamphlétaires lui ont attribué une citation des Confessions de Jean-Jacques Rousseau, publiées en 1778 : « Je me rappelai le pis-aller d’une grande princesse à qui l’on disait que les paysans n’avaient pas de pain, et qui répondit : Qu’ils mangent de la brioche. J’achetai de la brioche. » (Livre sixième : 1736).

  • Hermann Göring : « Quand j'entends le mot "culture", je sors mon revolver » (en allemand : Wenn ich "Kultur" höre, nehme ich meine Pistole).

Cette phrase vient d'une pièce de théâtre allemande jouée en 1933, Schlageter, de Hanns Johst[7],[8], et était devenue une plaisanterie récurrente en Allemagne[9]. Baldur von Schirach, qui l'a effectivement prononcée[10], est souvent tenu pour en être l'auteur. Encore attribuée à Joseph Goebbels.

Cette phrase présente en fait les trois types des citations apocryphes, puisqu'elle est :

  • inventée : les chroniqueurs contemporains ne la mentionnent pas, et c'est seulement la chronique de Césaire de Heisterbach, rédigée entre 1219 et 1223, qui le premier en parle. La chronologie des évènements au cours de la prise de Béziers rend cette citation improbable. Mais il faut reconnaitre que des déclarations d'Arnaud Amaury antérieures à la prise de la ville ne sont pas éloignées de cette citation[11].
  • auteur modifié, car Césaire de Heisterbach la place dans la bouche d'Arnaud Amaury le légat du pape pour la croisade des Albigeois. Simon de Montfort n'étant à ce moment qu'un obscur participant de la croisade des Albigeois, il parait étonnant que les croisés lui aient demandé son avis.
  • propos modifié, car les paroles que Césaire prête à Arnaud Amaury sont : « Massacrez-les, car le Seigneur connaît les siens »[12].
  • Victor Hugo : «  Gal, amant de la reine, alla, tour magnanime,

Galamment de l'arène à la Tour Magne à Nîmes.  » Cette holorime est souvent attribuée à Victor Hugo alors qu'elle est l'œuvre de Marc Monnier.

Propos modifiés ou tronqués

  • Mirabeau : « Allez dire à ceux qui vous envoient que nous sommes ici par la volonté du peuple et que nous ne quitterons nos places que par la force des baïonnettes ! »

La phrase exacte est plus probablement : « Cependant, pour éviter tout équivoque et tout délai, je déclare que si l’on vous a chargés de nous faire sortir d’ici, vous devez demander des ordres pour employer la force ; car nous ne quitterons nos places que par la puissance des baïonnettes. », mais la version emphatique est la plus connue[13].

La phrase est exacte mot à mot, mais la tradition retient qu'elle a été prononcée de manière emphatique, ce qui est faux. La réplique complète donnait « Vous n’avez pas, monsieur Mitterrand, le monopole du cœur, vous ne l’avez pas. », puis plus bas « Vous n’avez pas le monopole du cœur. »[14]

En réalité, la phrase exacte énoncée par Sheridan était: « Les seuls bons Indiens que j'aie jamais vus étaient morts. », en réponse au chef comanche Tosawi qui s'était présenté à lui en disant « Tosawi, bon Indien. » Sheridan, cependant, nia l'avoir jamais énoncée.

Cette phrase est souvent utilisée dans un contexte de racisme anti-amérindien et a été attribuée à tort à plusieurs personnalités de la Conquête de l'Ouest, dont George Armstrong Custer et Buffalo Bill.

  • Neil Armstrong : « C'est un petit pas pour l'homme, mais un grand bond pour l'humanité. »

Armstrong avait en fait dit: « C'est un petit échelon pour un homme, mais un grand bond pour l'humanité. » Armstrong se tenait sur le dernier échelon (step en anglais, le même mot que pas) de l'échelle du module lunaire. Il devait se lancer dans le vide et chuter sur 50 cm avant de toucher le sol lunaire. Ce qui était un petit échelon pour un homme, mais ce bond de 50 cm était un bond de géant (a giant leap) pour l'humanité. La réception par radio avait déformé les propos.

Cette phrase est en fait une paraphrase de Lionel Paoli, journaliste à Nice-matin. La citation originale est: « Des enfants, on en ramasse à la pelle dans ce pays (le Niger) -est-ce un pays ou un cimetière ?- où le taux de fécondité des femmes est le plus élevé du monde, neuf enfants en moyenne par couple. Un carnage. Les coupables sont facilement identifiables, ils signent leurs crimes en copulant à tout va, la mort est au bout de leur bite, ils peuvent continuer parce que ça les amuse, personne n’osera leur reprocher cela, qui est aussi un crime contre l’humanité : faire des enfants, le seul crime impuni. On enverra même de l’argent pour qu’ils puissent continuer à répandre, à semer la mort . »

Cette phrase est symbolique de l'anticléricalisme de l'idéologie communiste. Elle est pourtant très incomplète, et la version complète est beaucoup moins anticléricale, présentant même la religion comme nécessaire. Elle est tirée de la Critique de "La philosophie du droit" de Hegel, coécrit avec Friedrich Engels : « La religion est le soupir de la créature opprimée, l'âme d'un monde sans cœur, comme elle est l'esprit des sociétés d'où l'esprit est exclu. Elle est l'opium du peuple. » (En allemand : « Die Religion ist der Seufzer der bedrängten Kreatur, das Gemüt einer herzlosen Welt, wie sie der Geist geistloser Zustände ist. Sie ist das Opium des Volkes. »)

De personnages fictifs

La phrase exacte est « Non, je suis ton père. », avec intonation sur le verbe. La version modifiée est bien plus utilisée dans les clins d'œil à l'univers de Star Wars, l'originale étant incompréhensible hors contexte (Luke venait d'accuser Vador d'avoir tué son père).

La citation est à l'origine Star Trek : La série animée, où est dit « Scotty, beam me up. » La même réapparait dans Star Trek IV : Retour sur Terre.

Sherlock Holmes disait de temps en temps « Élémentaire » et appelait Watson « Mon cher Watson », mais la phrase exacte « Élémentaire, mon cher Watson » n'apparaît pas parmi les 60 histoires écrites par Sir Arthur Conan Doyle. Elle n'est apparue pour la première fois qu'à la fin du film Le Retour de Sherlock Holmes sorti en 1929.

  • Tarzan: « Moi, Tarzan. Toi, Jane. »

Tarzan n'a jamais dit cette réplique exacte. L'origine vient d'une interview avec Johnny Weissmuller (le plus célèbre acteur à jouer le personnage), où il a employé cette phrase pour décrire le genre de dialogue qu'il devait réciter dans le film Tarzan, l'homme singe: une scène y semble avoir inspiré cette réplique, où Tarzan désigne Jane et lui-même de manière répétée en disant leurs noms respectifs, mais sans le "Moi" ou le "Toi".

Cette phrase existe dans le roman, mais n'est prononcée qu'une seule fois. L'idée fausse concerne son utilisation, car on s'en souvient comme si elle était utilisée à toute occasion.

  • Benjamin Parker  : « Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités. », dans la première bande dessinée de Spider-Man.

Dans le numéro Amazing Fantasy où le personnage de Spider-Man est créé, cette phrase n'est pas prononcée par l'oncle du héros, mais fait partie de la narration. Ce n'est que dans des flash-backs que cette phrase est attribuée à "oncle Ben", ainsi que dans des adaptations, par exemple le film.

Notes et références

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