Isabella de Moerloose

Isabella de Moerloose
Isabella de Moerloose
Frontispice de Vrede tractaet, gegeven van den hemel door vrouwen zaet (en français, littéralement, Traité de paix, offert par le ciel par la semence féminine), autobiographie d'Isabella de Moerloose imprimée par Laurens Gunter à Amsterdam en 1695
Frontispice de Vrede tractaet, gegeven van den hemel door vrouwen zaet (en français, littéralement, Traité de paix, offert par le ciel par la semence féminine), autobiographie d'Isabella de Moerloose imprimée par Laurens Gunter à Amsterdam en 1695

Naissance 1660/'61 ( ? )
Gand ( ? )
Flag - Low Countries - XVth Century.png  Pays-Bas espagnols
Décès après 1712
( ? )
Provinces-Unies Provinces-Unies
Langue d'écriture Néerlandais
Mouvement Baroque
Genres Autobiographie
Prose

Isabella de Moerloose, née à Gand ( ? ), dans les Pays-Bas espagnols, en 1660 ou 1661, morte après 1712, vraisemblablement dans la République des Sept Pays-Bas-Unis est l'autrice néerlandophone d'une autobiographie.

Sommaire

Biographie

Gand

On ne connaît pas ses parents. De Moerloose se serait mariée vers 1690 à Goes avec Laurentius Hoogentoorn (vers 1638-1692), un prédicant. Le couple n'eut jamais d'enfants[1].

On ne connaît ni la date du jour de naissance ni celle du jour de baptême d'Isabella[1], et le nom de famille est incertain, le nom De Moerloose ayant été proposé en 1983 par H. Roodenburg, qui s'était fondé, à tort ou à raison, sur la façon dont Isabella s'est présentée elle-même sur la page de titre de son autobiographie Vrede tractaet, gegeven van den hemel door vrouwen zaet[1] (Histoire paisible d'une femme religieuse)[2] de 1695, comme « de moederloose weduwe » (la veuve sans mère) et sur le fait que De Moerloose (littéralement « sans mère ») était à l'époque, dans les Pays-Bas méridionaux, un nom existant qui l'est encore en Flandre de nos jours. Si plusieurs études indiquent qu'Isabella serait née à Gand, vraisemblablement en 1661, les recherches dans les archives de la ville n'apportent aucun élément qui puisse confirmer cette assertion, et il n'est donc pas exclu qu'Isabella soit née ailleurs, et que ses parents ne se soient installés à Gand que par après[3].

Le peu qu'on connaît de sa vie est, en grande partie, tiré de ce livre. Quoi qu'il en soit, elle a appris, au moins, à bien lire et écrire. Ses parents tenaient un magasin à Gand, où Isabella, comme fille issue d'un milieu catholique romain alla à l'école de couvent, où elle apprit également le français. Plus tard, elle entra dans un couvent, qu'elle quitta, toutefois, sans avoir fait le vœu[3].

Selon ses propres dires, Isabella n'avait pas eu une enfance facile[1]. Née « avec le casque » (le sac amniotique était sans doute encore attaché à la tête à sa naissance[3],[2]), sa mère superstitieuse la considéra comme « singulière » (wonderlijk). Surtout lorsque, vers la deuxième année de sa vie, est né un frère, ou une sœur, elle dut se comporter de telle sorte que sa mère se sentit renforcée dans sa conviction qu'Isabella n'était pas un enfant ordinaire[4]. Qu'un jour, sa mère, dans sa colère, l'avait frappé durement fut, dans la perception d'Isabella, un acte aux conséquences de grande portée. Sa mère, probablement croyant que le diable avait pris possession d'Isabella, voulut le chasser, mais cela ne changea rien à l'effet produit par le coup. Isabella commença à la prendre en aversion (« sy [wiert] my een grouwel » ; « […] elle devint une horreur pour moi […] ») [5]. Plus tard, elle travailla comme aide pour une institutrice ; estimant que celle-ci frappait trop les enfants, elle se brouillait avec elle[6]. Isabella s'est opposée, toute sa vie durant, au châtiment corporel des enfants[1].

La première confrontation d'Isabella avec le clergé eut lieu vers l'âge de seize ans : quand un prêtre la confessa à la demande de sa mère, elle raconta que, après avoir quitté l'école, elle n'avait plus lu un livre. Elle crut que « la nature est un livre assez grand pour la lecture, et l'expérience est un maître suffisamment important pour acquérir de la connaissance » (« […] dat de natuur een groot boek genoeg is, om in te lezen, en d'ervarendheid grote leermeester genoeg, om kennisse door te krijgen […] »). En outre, elle en fut convaincue que Dieu voulut l'employer pour libérer le monde de l'esclavage du diable, et comme instrument de son amour, et à la ruine de tous ses ennemis et des nôtres (« […] gebruiken zou tot verlossing der wereld uit de slavernije des duivels, en tot een instrument van Zijne liefde, en tot ruïne van alle Zijne en onze vijanden […] »). Cette image de soi, en tant qu'élu et instrument de Dieu, pourrait expliquer le titre de son livre : dans le livre de la Genèse, le Christ est la « semence féminine » promise (étant le fils d'un être humain) qui délivrera le monde du péché. Ainsi, Isabella s'est montrée, dès un jeune âge, en quête en matière de foi, et elle continuera à l'être[1].

Des démêlés avec le clergé de Gand, qui risquaient de mener à une procédure devant un tribunal ecclésiastique, et, selon son propre témoignage, la volonté d'en épargner sa mère la honte, ont amené Isabella de Moerloose à disparaître[1].

Zélande

Isabella atterrit à Middelbourg en Zélande, où elle habita un certain temps dans la maison d'un échevin non identifié. En 1684 ou 1685, elle s'installa à Heinkenszand, un village au sud de Goes, où elle fut employée comme gouvernante[7] des deux enfants, Francina et Adelaer[8], du pasteur et veuf âgé Laurentius Hoogentoorn. Isabella n'eut à peine 24 ans, tandis que Laurentius en aurait compté plus que soixante, ses enfants étant âgés de quatorze à dix-huit ans[9]. Le 15 octobre 1689, Isabella fut confirmée dans l'Église réformée[10]. Vraisemblablement, elle se maria peu après avec Hoogentoorn, qui, toutefois, mourut déjà le 2 février 1692[1].

Après la mort de son mari, Isabella ouvrit une boutique de linge à Goes. Ce fut vers la même époque qu'elle commençait à s'intéresser à la doctrine mennonite, dans un effort d'apaiser l'âme qui l'aurait tant inquiétée durant la vie de son mari, qu'elle en avait été indisposée (« of ik mijn gemoed daar niet geruster en zou vinden, dat mij menigmaal zo ontsteld hadde in mijn mans leven dat ik er kwalijk van werd »). Il semble que, à la longue, les mennonites ne lui eussent point plu, car elle essayera par la suite d'entrer en contact avec la colonie des Labadistes de Wiuwert[11]. Elle s'est même rendue en Frise, mais en vain, car la colonie avait été abandonnée entre-temps[12].

Vrede tractaet : rédaction, publication et punition

C’est en 1692 qu'à Goes, Isabella entama son livre. Il est possible qu’elle ait parlé partout de quoi il s'agissait, c’est-à-dire : sa vie et, surtout, ses croyances religieuses peu orthodoxes. Elle n'était pas quelqu'un qu'on pourrait faire taire. Quoi qu'il en soit, des rumeurs arrivèrent à l'oreille du « classis »[1], le consistoire de ministres[7], de Zuid-Beveland, qui essaya, par la suite, de la bâillonner ; en vain pourtant. Ce qui força le « classis » de porter plainte contre elle. Pour empirer les choses, on trouva alors chez elle, à la maison, des lettres adressées à Jean de Labadie, dans lesquelles elle fulminait contre les ministres[1]. Les prédicants rapportèrent que, invitée à commenter ses « écrits confus » (« [...] haere confuse schriften [...] ») le 4 novembre 1692, elle aurait craché de sa bouche tant de choses blasphémateurs, que cela provoqua tant d'altération, de mécontentement et de dégoût, que l'on ne voulut plus y prêter l'oreille (« [...] sulke godslaterlycke dingen uyt haaren mond braeckte, dat sulcx met de grootste alteratie, misnoegen en afgrijsingen niet langer konde gehoort werden [...] ») : elle aurait, entre autres, prétendu que les figures bibliques d'Abraham, d'Isaac et de Jacob avaient fait une alliance avec le diable, puisqu'il est impossible à Dieu de conclure une alliance avec ses serfs, et que, pour cela, Jéhovah devait être un diable, d'autant plus que les circonstances, tels que les cauchemars et les rêves, appartiennent au monde des diables. Ces formulations, reprises dans le procès-verbal de l'interrogatoire, réapparaissent, et presque littéralement, dans le rapport qu'Isabella en avait fait dans son autobiographie[13]. Le 19 avril 1694, elle fut bannie de Hollande, de Zélande et de Frise occidentale[7]. Elle quitta donc la Zélande, avec le manuscrit de son livre en main[1].

Elle présenta son ouvrage, en version manuscrite, à différents imprimeurs, dont un Juif[14] et un imprimeur de Nimègue ; ce dernier, après avoir accepté sous condition de l'imprimer explicitement pour le compte d'Isabella, tout en omettant son propre nom de la page de titre, se fit intimider, vraisemblablement par un ministre. Bien que l'on fût réticent à donner son livre au public, elle trouva finalement, dans la personne de Laurens Gunter à Amsterdam, un imprimeur prêt à prendre le risque, mais à la même condition que celle imposée par l'imprimeur de Nimègue : que son nom n'apparaisse pas sur la page de titre[7]. Ainsi, en 1695, son Vrede tractaet[1], comptant 669 pages[3], fut « imprimé pour [le compte de] l'auteur » de qui le nom figure sur la page de titre : « Isabella, de moederloze weduwe van domini Laurentius Hoogentoorn, in zijn leven predikant in Zuid-Beveland » (Isabella, veuve sans mère du ministre Laurentius Hoogentoorn, dans sa vie prédicant dans le Zuid-Beveland)[1].

Isabella, portant atteinte aux dispositions du verdict du tribunal de Goes, s'installa à Amstelveen, où elle ouvrit une école à la Jan Hanzenpad. En 1699, elle entra en conflit avec le consistoire d'Amsterdam qui lui avait reproché d'enseigner à ses élèves « des choses très impies et détestables ». De nouveau se retrouvant devant la cour, cette fois-ci à Amsterdam, elle se fit condamner à une peine de prison au spinhuis. Le 23 octobre 1699, elle fut enfermée dans le département « secret ». Elle y demeurera jusqu'en 1706, sans contact avec le monde extérieur, les visiteurs n'y étant pas admis. Probablement, elle eut très peu de contacts avec ses codétenus. La même année, elle fut déclarée folle et transférée à l'asile, le dolhuis. Six ans plus tard - la cinquantaine entamée - il lui fut permis de quitter l'asile parce que sa santé mentale se serait améliorée. Ce qui est advenu à Isabella après sa libération, est inconnu[1],[7].

Vrede tractaet : le contenu

La vie d'Isabella a, largement, été déterminée par ses opinions religieuses peu orthodoxes, qui, à plusieurs reprises, ont été à l'origine de conflits avec les autorités ecclésiastiques et laïques. Ses pérégrinations à travers le monde de la foi ont été succinctement décrites par le classis de Goes : « d'abord vous étiez papiste [...], puis vous avez été réformée, puis arminienne et par la suite athée, et ensuite à nouveau réformée et maintenant mennonite ». En bref, Isabella ne put se retrouver dans aucune dénomination. Ses croyances religieuses, comme elles les défend dans la Vrede tractaet, semblent comme un mélange des idées de Faustus Socinus, le père du socinianisme, Baruch de Spinoza, Pontiaan van Hattem, Balthazar Bekker et Jean de Labadie, culminant dans un type de foi personnel et idiosyncrasique[1]. Le tout était si peu commun que Jacob Campo Weyerman plaçait, en 1721, ce qu’il appelait un « livre insensé de mademoiselle Hoogentoorn » sur une ligne avec des traités de libres-penseurs réputés comme Adriaan Koerbagh, Lucilio Vanini, baron de LaHontan, et John Toland, qu'il désignait de « pourris de l'intérieur, dorés de l'extérieur »[12].

Le Vrede tractaet se présente pourtant comme plus qu'un curieux pamphlet religieux[1], même si le lecteur ne peut pas s'empêcher de penser que l'auteur a rédigé tout à la hâte : souvent, elle passe d'un sujet à l'autre, tandis qu'elle ne se sert que peu de paragraphes et ponctuations. Dans son livre, elle raconte d'ailleurs qu'elle a encore remis jusqu'au dernier moment de nouvelles feuilles de papier écrites à son imprimeur[3]. Il s'agit également, à certains égards, d'une autobiographie singulièrement franche. Isabella touchait à des sujets que, en général, on ne traitait pas, jadis, comme la sexualité[1], la menstruation (constituant également un grand tabou à l'époque, en particulier pour les élites)[15], les châtiments corporels des enfants et la polygamie (dont elle semble avoir été un partisan réfléchi)[1]. Ainsi, elle raconte comment son mariage était resté sans enfants : parce que son mari avait, délibérément, pratiqué le coït interrompu[16]. Le livre n'a pas seulement été conçu comme une autojustification[3] ou une exercice introspective, mais comprend également des conseils « dus » à des congénères, avec sa vie conjugale comme source d'inspiration [1].

La forte orientation autobiographique de la Vrede tractaet en fait un ouvrage exceptionnel pour l'époque : en tant que genre, l'autobiographie très personnelle, intime et introspective n'apparaîtra, pour de bon, qu'à la fin du XVIIIe siècle[1].

Lien externe

Sources

Références


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Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Isabella de Moerloose de Wikipédia en français (auteurs)

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