Hadewijch d'Anvers

Hadewijch d'Anvers
Poème de Hadewijch (manuscrit médiéval)

Hadewijch d'Anvers (ou Hadewych[1]) était une mystique et poétesse flamande du XIIIe siècle. Les écrits delle qui sont parvenus jusquà nous, relativement abondants, datant des environs de 1240, comprennent un Livre de visions, des poèmes strophiques et un recueil de correspondances, et font souvent voir en Hadewijch un précurseur de lœuvre de Jan van Ruusbroec. Lon sait delle très peu de choses avec certitude, et lon en est presque toujours réduit aux conjectures. Selon toute vraisemblance, elle était une béguine, peut-être originaire dAnvers, sans doute de bonne famille, et active dans le duché de Brabant. Son mysticisme, réfractaire aux spéculations métaphysiques complexes, exempt dintellectualisme, et sembarrassant peu détablir un système de degrés dans la réunion avec Dieu, est avant tout dordre affectif, lexpérience mystique se réalisant en effet à travers la Minne, terme polysémique désignant à la fois lAmour envers Dieu et la charité envers le prochain, et par limitation du Christ. Ses poésies mystiques, teintées dhermétisme, apparaissent par leurs thèmes et leur structure comme une transposition religieuse de la poésie courtoise romane.

Sommaire

Biographie

À défaut déléments biographiques suffisants, il est impossible de reconstruire sa vie dune façon un tant soit peu fiable, ni même dinférer ses dates de naissance et de mort. Cependant, sa correspondance, dont quelques passages contiennent des allusions aux circonstances de sa vie ainsi que de celle de ses correspondants, permet de se faire une certaine idée du contexte social dans lequel situer la poétesse et son cercle de proches. Les recherches sont rendues d'autant plus difficiles que Hadewijch semble cacher son écriture. On ne lui connaît aucun guide spirituel qui l'aurait prise sous sa protection et aurait transmis quelques informations à son sujet.

Hadewijch vécut au XIIIe siècle ; la mention faite par elle, dans une de ses visions (Vis.VI, 2.33), quelle avait 19 ans au moment de cette vision, et celle faite dans une autre vision (Vis. I, 310) quelle était alors encore jeune, ne permettent pas dêtre renseigné plus avant sur la chronologie de sa vie. Le collationnement de sa liste des parfaits sur les événements historiques de son époque permit à lhistorien de la littérature flamande médiévale Jozef van Mierlo dinduire que ladite liste devait avoir été écrite entre 1238 et 1244. La plupart des spécialistes saccordent à dire que lapogée de la production littéraire de Hadewijch est à situer au milieu du XIIIe siècle, et que sa vie a sétendre de 1210 environ à 1260 environ. Toutefois, un autre auteur incline à situer Hadewijch fin XIIIe et début XIVe[2].

Lieux dorigine et de séjour

Le nom de Hadewijch dAnvers, par lequel il est dusage de la désigner, ne permet nullement de conclure quelle fût originaire dAnvers, cette précision adjointe à son prénom étant apocryphe ; en effet, un seul des manuscrits porte sur la page de garde la mention, ajoutée beaucoup plus tardivement, « de la bienheureuse Hadewijch dAnvers » ; au demeurant, Hadewijch na jamais été canonisée par lÉglise catholique.

Le constat que cétaient surtout des couvents bruxellois ou situés dans les environs de Bruxelles qui étaient détenteurs des copies les plus anciennes de ses œuvres peut faire supposer quelle séjourna au moins quelque temps dans la ville de Bruxelles. La variété de moyen néerlandais dans laquelle sont rédigés ses écrits est incontestablement brabançonne ; cependant, attendu quil était de pratique courante chez les copistes dadapter les manuscrits quils copiaient à la variété dialectale du lectorat local, et attendu par ailleurs quaucun manuscrit autographe na été conservé, tous les manuscrits aujourd'hui disponibles étant des copies des siècles postérieurs, la variété de néerlandais utilisé nautorise à tirer aucune conclusion définitive sur le lieu dorigine de Hadewijch ni sur ses lieux de résidence. De surcroît, plus dun manuscrit a été conservé dun même texte, les différences dialectales entre les versions sont trop importantes que pour permettre de les localiser avec quelque précision. Le fait que la plupart des manuscrits aient été retrouvés dans la partie méridionale de ce qui était alors le Brabant pourrait bien sexpliquer par la faveur supposée dont jouissait lœuvre de Hadewijch auprès de Ruusbroec et de ses compagnons. Néanmoins la plupart des spécialistes conviennent, sur la foi dindications indirectes contenues dans ses lettres et dans sa liste des parfaits, quelle devait avoir vécu dans plusieurs villes du Brabant dalors et devait pas mal se déplacer.

Statut social et environnement culturel

Hadewijch était sans nul doute originaire dun milieu privilégié, peut-être de la haute noblesse, car elle semble bien connaître le latin, ce qui n'était pas habituel chez les filles de la bourgeoisie ou de la petite noblesse. Elle sétait familiarisée autant avec les textes de théologie rédigés en latin quavec la tradition, principalement française, de chansons courtoises. Les voyages quelle entreprit peuvent indiquer une certaine aisance matérielle.

Hadewijch faisait preuve dune grande indépendance desprit, et il semble quelle fût très au fait de ce qui se publiait à son époque. Limage que se dégage delle est celle dune personne très consciente delle-même, habituée, dans sa pensée et dans ses actes, à saffirmer et à faire ses choix personnels en totale indépendance.

Hadewijch et le mouvement béguinal

Très probablement, Hadewijch, trop affranchie, ne faisait partie daucun ordre religieux. La thèse quelle ait été une béguine est contestée par certaines spécialistes (p.ex. par N. de Paepe), mais soutenue par dautres, qui estiment fort vraisemblable quelle ait au contraire joué un rôle central dans les débuts du mouvement béguinal, cela donc à une époque toutes les béguines ne vivaient pas en commun dans des maisons collectives ou dans des béguinages ; Hadewijch a donc pu vivre tantôt sous un même toit avec dautres femmes partageant la même spiritualité, tantôt avoir vécu seule. Parmi les noms recensés dans sa liste des parfaits figure celui dune béguine condamnée à mort par un inquisiteur, ce qui peut sinterpréter comme une prise de position en faveur de la lutte démancipation des béguines au début du XIIIe siècle et contre lInquisition catholique. Cependant, les persécutions et les manifestations dhostilité dont elle fait état çà et , si elles sexpliquent dans le contexte de lépoque, nont pas pu être reliées de manière irréfutable à des incidents particuliers identifiables ou reconstituables. La possibilité, autrefois évoquée, quelle fût lhérétique bruxelloise Heylewige Bloemarts, dite la Bloemardinne, personnage charismatique et flamboyant dont la vie est bien documentée, est aujourd'hui exclue par la plupart des spécialistes, cette identification ne reposant, selon eux, que sur une similitude phonétique des deux prénoms. Toutefois, lhypothèse Bloemardinne, selon laquelle les deux Hedwige étaient une seule et même personne, garde des défenseurs ; en tous cas, cette hypothèse implique de situer la vie de Hadewijch au moins un demi-siècle plus tard et ferait de Hadewijch une contemporaine, et une adversaire, de Ruusbroeck[3].

Aussi, lorsque Hadewijch sadressait dans sa correspondance à ses amies, y a-t-il des raisons dadmettre quelle le faisait à de précoces communautés de femmes pieuses, hors du cadre dune congrégation religieuse. Les manières utilisées pour sadresser à ces amies suggèrent que Hadewijch a pu jouer un rôle dirigeant au sein dune ou de plusieurs de ces communautés.

Pensée

Hadewijch, à la différence de Ruysbroek, ne développe pas de doctrine mystique complexe, de théorie très charpentée et systématisée, et cest en vain quon chercherait chez elle les constructions métaphysiques ruusbroeckiennes, ses subdivisions de lâme avec leurs facultés respectives, les différentes unités contenues dans lHomme, les degrés successifs dunification avec Dieu etc. Tout artifice intellectuel, toute terminologie technique est étranger aux écrits de Hadewijch.

Certains érudits distinguent dans sa pensée deux périodes : une première période caractérisée par une « mystique affective ou nuptiale », et une seconde période de « mystique essentielle » ou « spéculative », se manifeste un mysticisme plus apparenté à celui de Maître Eckhart.

Mise en contexte

La démarche de Hadewijch sinscrit dans la ligne des ordres mendiants, pour lesquels la pauvreté est la première des vertus chrétiennes. Leurs adeptes aspirent à imiter lexemple du Christ de la manière la plus totale, et à vivre en tout point comme le Christ et ses apôtres, sans possession personnelle aucune et en dehors de toute hiérarchie institutionnalisée. Ils estiment que telle attitude ne peut être mise en œuvre au-dedans des structures officielles de lÉglise, en raison des richesses et de la propension à la rigidité des institutions ecclésiastiques et de leurs titulaires. Leur propos est alors de diffuser eux-mêmes le message du Christ. Les femmes jouèrent un rôle prépondérant dans ce courant de pensée. La conception et la pratique de la foi sappuient sur laffectif et sur lexpérience personnelle. Lattention se porte en priorité sur les faits et gestes du Christ et sur ses aspects humains.

Le mouvement donna lieu à la fondation de nouveaux ordres monastiques (norbertins et cisterciens dabord, dominicains et franciscains ensuite), dont les membres font vœu de pauvreté. Ils tendent à sécarter de la norme officielle par une attitude indépendante et par lidée que la vie ne doit pas être gouvernée par les prescriptions de lÉglise mais être déterminée par des rencontres intérieures avec Dieu.

Voie mystique

Le mysticisme permet à lHomme de faire dès ici bas lexpérience de Dieu et de le rencontrer dune façon qui, dans la doctrine catholique, nest en principe envisageable quaprès la mort. Le but et laboutissement de la piété, laquelle se réalise par la connaissance de soi, lascèse et la chasteté, est lunion mystique. Le chemin qui conduit à la fusion avec Dieu le Père, à la fois proche et éloigné, est limitation du fils de Dieu ; celui-ci, objet de lélan damour (Minne), est regardé en effet comme lincarnation du mystère divin. Hadewijch appréhende lunion mystique de manière sensuelle, comme une expérience personnelle, lors de laquelle la femme joue un rôle passif, étant entendu bien sûr que le véritable Amour (verus amor) ne saurait être quamour spirituel. Si le cheminement mystique de Hadewijch est essentiellement affectif, exempt de toute théorie élaborée, certains érudits ont néanmoins voulu, à partir de ses poèmes, y déceler certaines phases spécifiques et opérer un classement de ces poèmes suivant leur degré dapproche de Dieu ou tonalité (tour à tour affective, nuptiale, unitive, essentielle).

Pour Hadewijch, les œuvres, c'est-à-dire les activités concrètes (soins aux indigents, prière, etc.) et le repos, c'est-à-dire sabîmer dans lAmour divin, doivent séquilibrer ; qui sépuise dans les œuvres risque de perdre la perspective de lAmour divin ; à linverse, qui ne fait que se reposer est égoïste, ne recherche que la satisfaction personnelle, et ne remplit donc pas les conditions de lAmour divin, attendu que le Christ, par son exemple vivant, a appelé à la charité et à la commisération humaines. La figure du Christ apparaît dans lœuvre de Hadewijch sous diverses formes : comme un enfant, un homme adulte, comme Dieu et donc but ultime du désir humain, mais aussi comme homme souffrant, dont la vie doit nous être un exemple impérieuxen effet, qui ne suit lHomme souffrant ne pourra trouver Dieu.

La dynamique et la cohérence de groupe des membres du cercle autour de Hadewijch visent lédification mutuelle et la consolidation de la foi, sur la voie de limitation religieuse du Christ. Les écrits de Hadewijch, mais aussi de Béatrice de Nazareth, sadressent à son propre cercle et sont destinés à expliciter et à clarifier les processus agissant lors de lascension intérieure vers Dieu et à mettre en garde contre les périls possibles.

Minne

La minne, vocable devenu aujourd'hui archaïque et littéraire, désignait en moyen néerlandais lamour de façon générale ; en lespèce, il faut entendre par minne, mot polysémique chez Hadewijch, lAmour de lHomme envers Dieu, mais également celui qui est lobjet de cet Amour, à savoir: Dieu dabord, et aussi le prochain. Chez Hadewijch, le concept de minne se trouve souvent personnifié, suivant lhabitude médiévale de rendre palpable et concret ce qui est suprapersonnel ou relève du spirituel et de linvisible.

Les différents sens que peut prendre chez Hadewijch le mot de minne sont les suivants : 1) lAmour réciproque des trois personnes divines ; 2) lAmour divin abstrait ; 3) le même que le précédent, mais incarné en la personne du Christ ; 4) lAmour de lHomme envers Dieu ; 5) ce même Amour, conçu comme une abstraction ; 6) lâme aimante elle-même.

La doctrine de Hadewijch se résume en définitive à limpératif suivant : il faut vivre tout entier pour la minne, ne rien ménager, ne rien se réserver, suivre en tout les désirs et le bon vouloir de la minne, en totale soumission, quoi quelle nous donne à souffrir, quelque lourdes que puissent peser ses fardeaux. Cependant, le rôle que Hadewijch assigne par ailleurs à la raison nous indique le peu de place que cet enseignement accorde aux plaisirs des sens ou aux divagations hérétiques ; la raison en effet ne saurait tolérer la basse volupté, elle doit guider et éclairer lâme aimante, la purifier, lui faire voir ses manquements, léquiper et lorner, pour la rendre digne de la minne.

On peut recenser les allégories et images utilisées par Hadewijch dans ses écrits, plus particulièrement dans sa poésie, pour illustrer sa doctrine mystique et représenter concrètement lAmour céleste ; ce sont principalement : image de lamour (sans autre précisionp.ex. entre un homme et une femmecependant exempt de toute volupté) ; allégorie de la lutte (il faut oser se mesurer avec la minne, la vaincre, mais pour être, dans le même temps, vaincu par elle, car la vaincre, cest permettre quelle prenne possession de vous, et voilà pourquoi lamant mystique fait figure de chevalier, prêt au service courtois, affrontant périls et obstacles) ; allégorie du désert et de la mer, quil sagit de traverser, du paysage de monts et de vallées (les monts figurant la consolation, les vallées laffliction), du gouffre de désolation, dans les profondeurs duquel il faudra descendre, de lexil, auquel la minne condamne ses amants ; lallégorie de la minne à la tête dune école, elle forme ses maîtres, elle enseigne sa parole et sa sagesse, laquelle cependant est incompréhensible et fait se fourvoyer lesprit humain ; limage de la faim que nous procure la minne, qui nous consomme tandis que nous la consommons, lamour céleste étant à la fois nourrir et consommer ; les images de déchaînement des éléments, de tempête, de chaleur et de froid ; la métaphore du guérisseur, qui guérit les blessures que lui-même inflige; etc.

Œuvres

On a gardé de Hadewijch 45 Poèmes strophiques, 14 Visions, 31 Lettres et 16 Lettres rimées. Ces écrits, qui ne seront connus que bien après sa mort, font partieà côté des Sept manières d'aimer saintement de Béatrice de Nazarethdes plus anciens textes de la littérature néerlandaise médiévale ; ses poèmes, dune beauté et dune virtuosité rares, constituent la poésie mystique en langue vernaculaire la plus ancienne connue dans la tradition européenne.

Lettres

Un recueil de 31 de ses lettres nous est parvenu par le biais de plusieurs manuscrits. La nature de ces textes laisse à penser quil sagit dun assemblage délibérée, de lettres entières ou dextraits de lettres, qui ont été réunies et ordonnées, et peut-être révisées, par un compilateur postérieur, ou par Hadewijch elle-même. Au demeurant, cela nexclut nullement que ces lettres remontent à des lettres réellement rédigées comme telles puis envoyées à des correspondants par Hadewijch, comme lattestent les nombreux passages se référant à quelque événement trivial ou à des faits du quotidien, interdisant de voir dans ces textes de purs traités théoriques destinés à un public général. Rien nindique que lordre de ces lettres soit celui chronologique ; le recueil ne mentionne en effet aucune date, et les diverses tentatives de dater ces lettres restent tributaires de conjectures plus ou moins bien étayées et dinférences littéraires. Des recherches philologiques récentes, menées en particulier par Jo Reynaert de luniversité de Gand et par Wybren Scheepsma de luniversité de Leyde, ont même jeté le doute sur lauthenticité de certaines lettres, notamment les lettres 10 et 28, lesquelles ne seraient pas de la main de Hadewijch. Il y a donc lieu de considérer la paternité de ces textes avec une certaine circonspection.

Pour certaines de ces missives, il semble établi quelles nont pas été inclues dans leur intégralité, comme lindique p.ex. lomission de la formule dappel. Les lettres semblent sadresser à plusieurs personnes différentes, et en une occurrence seulement, le correspondant se trouve cité nommément. Néanmoins, le contenu permet de déduire que les destinataires étaient toutes des femmes, désireuses de donner une plus grande profondeur religieuse à leur existence, que relie le même besoin dexercer la charité à travers diverses œuvres pratiques.

Un principe dordonnancement du recueil peut être dégagé, à savoir que les textes plus axés sur la théorie mystique alternent avec des épîtres plus brèves et plus directes comportant des conseils pratiques, témoignages damitié, transmissions de salutations etc. Les lettres plus théoriques, dont la lecture apparaît du reste assez malaisée, se font de plus en plus détaillées à mesure que lon sapproche de la fin du recueil ; en effet, les lettres situées plus à larrière reprennent, avec plus dampleur et en les approfondissant, des thèmes déjà abordés précédemment. Ainsi les idées sélèvent-elles progressivement dans des sphères de plus en plus hautes, ce qui laisse supposer que ces extraits de lettres aient été agencées de manière délibérée, agencement peut-être attribuable à Hadewijch elle-même.

La thématique abordée dans ces correspondances concerne e.a. lantagonisme, très actuel à lépoque de Hadewijch, entre la conception rationnaliste de la théologie (représentée par Pierre Abélard) et une approche plus affective (incarnée par Bernard de Clairvaux). Pour Hadewijch, raison et amour sont susceptibles de se rencontrer et de se concilier lAmour trouve à se réaliser en œuvres pratiques ; cest du reste aussi que se situe, chez Hadewijch, le point de départ et lamorce de lexpérience mystique. Un autre sujet évoqué est la fermeté intérieure et sa préservation face à ladversité et à la persécution.

Lettres rimées

Parmi les lettres à rimes plates, dites aussi Mengeldichten, seules les seize premières sont considérées comme étant incontestablement authentiques.

Ces lettres rimées reprennent essentiellement les thèmes des autres lettres, mais sous une forme plus simple et plus schématique. Elles sont assez éloignées des systèmes prosodiques complexes qui caractérisent les poèmes strophiques. Lon suppose quelles ont été écrites par Hadewijch à lintention de ses contemporains pour leur permettre de se familiariser, sous un format facilement mémorisable, avec les points essentiels de sa doctrine.

Poèmes strophiques

Les 45 Poèmes strophiques sont largement redevables à la poésie courtoise, à laquelle ils empruntent thèmes et techniques formelles, et à lamour courtois, qui est ici en quelque sorte métamorphosé en amour mystique. Linfluence de la littérature courtoise se manifeste en particulier par la structure récurrente de ces poèmes, dans lesquels en effet se reconnaissent aisément un prologue, propre à cerner un état dâme ou une atmosphère générale, en liaison avec une évocation de la nature, et un épilogue, comportant une morale, un conseil, une prière ou une résolution ; entre les deux sintercalent, dans un rapport symétrique, une strophe et une contre-strophe de longueur sensiblement égale, dont le thème central est lamour mystique, quasi toujours inassouvi. Tous ces poèmes, avec leur profusion dimages et dallégories, traitent du sentiment dabandon consécutif à la non apparition de Dieu, sentiment qui surgit inévitablement dans la vie de toute mystique.

Si la chanson courtoise traditionnelle adopte généralement le point de vue dun chevalier recherchant la faveur dune noble dame, lobjet de la ferveur est chez Hadewijch le Minne, à savoir Dieu ayant pris figure plus ou moins humaine, c'est-à-dire en règle générale le Christ, tandis que le soupirant est le je de la première personne, c'est-à-dire Hadewijch elle-même, qui est présentée dans ces poèmes, avec insistance, comme une âme élue. Répondant à un but clairement didactique, ces poèmes soulignent avec force que les sentiments personnels de la mystique doivent être subordonnés aux impératifs de la minne et que les souffrances doivent etre acceptées et assumées comme faisant partie intégrante de laspiration mystique. Les idées et concepts abstraits y sont rares, et plutôt élémentaires.

Les travaux de Frank Willaert ont démontré que les poèmes strophiques peuvent se chanter, et quil est même assez aisé, pour beaucoup dentre eux, de déterminer avec une certaine précision quelle mode de chant Hadewijch avait en vue en composant ses poèmes.

Les Visions

Les Visions de Hadewijch se caractérisent, outre par de nombreuses créations lexicales, par un langage fort imagé et par une symbolique qui ne sont pas sans rappeler lunivers visionnaire de lApocalypse de saint Jean. Ils dépeignent lascension mystique, c'est-à-dire en l'espèce lunification avec le Christ, , du reste, lauteur fait montre dune forte personnalité à légo très marquéHadewijch sy figure elle-même comme lélue de Dieu, allant (dans la cinquième vision) jusquà invoquer saint Jean comme garant de ses propres facultés visionnaires. Apparaissant parfois étonnamment sensuelles, et présentées par lauteur comme des expériences réellement vécues dont lauthenticité ne fait aucun doute, les Visions sadressent vraisemblablement au cercle de ses amies et semblent devoir sinterpréter comme des écrits didactiques et exhortatifs, montrant ce que Dieu peut et veut faire de lHomme, mais aussi destinés à légitimer le message et le magistère de leur auteur.

Liste des parfaits

La Liste des parfaits est un ajout aux Visions. Elle se trouve par ailleurs annexée également à un manuscrit plus tardif des Poèmes strophiques. Les 56 noms quelle comprend indiquent que son cercle de relations sétendait bien au-delà du seul Brabant, et ce jusquen Angleterre, en Saxe et en Bohême. Si des saints, tels que Bernard de Clairvaux, y figurent, il ne sagit aucunement dune liste officielle de personnalités canonisées ou reconnues par lÉglise catholique ; y sont en effet recensées également des personnes contemporaines inconnues, y compris une béguine condamnée à mort par lInquisition, mais qui aux yeux de Hadewijch ont tous valeur exemplaire, parfois donc en dépit des positions officielles de lÉglise.

Langue

Comme indiqué ci-haut, les écrits de Hadewijch appartiennent, avec ceux de Béatrice de Nazareth, aux textes littéraires les plus anciens rédigés en langue néerlandaise, et il est remarquable par ailleurs quil sagisse de deux femmes. Au Moyen Âge, la culture intellectuelle, essentiellement religieuse, utilisait le latin comme véhicule ; la culture profane, restée orale, utilise le vernaculaire. À partir du XIIe siècle, les élites non ecclésiastiques eurent également recours à lécriture, mais en vernaculaire, dabord pour rédiger des chartes ou des documents officiels, ensuite progressivement pour les productions littéraires. La maîtrise de lécriture littéraire est alors le fait de femmes de la noblesse ; celles-ci ne maîtrisent le latin que de façon passive et sont donc amenées à faire appel à la langue vulgaire.

Lhermétisme de Hadewijch est dune part à mettre en rapport avec lancienneté de ses écrits, et constitue donc un problème relevant de la philologie du moyen néerlandais, mais procède dautre part de la mise en œuvre délibérée par Hadewijch de moyens stylistiques singuliers en vue dexprimer un Inexprimable visionnaire lié à un mysticisme dexpérience.

La profusion des images mise à part, Hadewijch (et aussi Béatrice) sont à lorigine dun néerlandais dun genre nouveau. Dans leur tentative dexprimer lIndicible, elles font foisonner leur langage de néologismes, de séries de variations à partir de mots de base, de paradoxes et doxymores, de métaphores de toutes sortes. Le langage de Hadewijch fut lamorce de toute une tradition, marqua la langue de Ruusbroec, et par son biais, de la Dévotion moderne ; ce langage, qui dut demblée, semble-t-il, apparaître adéquat, ne fut plus fondamentalement modifié ensuite.

Rayonnement

Mysticisme médiéval

La pensée de Hadewijch, dont le mysticisme dexpérience sapparente aux expériences de la mystique allemande Mathilde de Magdebourg, parvint jusquà Jan van Ruusbroec, qui eut connaissance des écrits de Hadewijch dès sa période bruxelloise, à Jan van Leeuwen, à Hendrik Mande, et pénétra ainsi la Dévotion moderne (ou Devotio moderna, mouvement spirituel du XIVe, mettant laccent sur la méditation et sur la pratique religieuse personnelle dans la sphère privée). Un peu paradoxalement, linfluence de Hadewijch sur Ruusbroec semble perceptible davantage dans ses traités mystiques hautement spéculatifs tels que Dat rijcke der ghelieven (le Royaume des amants) et dans De chierheit der gheestelijker brulocht (Sur lOrnement des noces spirituelles) que dans son Boecsken der verclaringhe (Livre de la Transfiguration). Hadewijch aussi bien que Ruusbroec font partie de ce quil est convenu dappeler le mysticisme brabançon.

Recherches modernes et traductions

Cest au XXe siècle que les qualités littéraires des écrits de Hadewijch commencèrent à être reconnues. Les premiers commentateurs et spécialistes des études hadewijchiennes au XXe siècle furent des ecclésiastiques, au premier rang desquels le père jésuite Jozef Van Mierlo ; celui-ci, professeur à luniversité de Louvain, donna une édition complète annotée des œuvres de Hadewijch. Dans la deuxième moitié du siècle parurent, à côté de transcriptions en néerlandais moderne, des traductions vers le français, lallemand, langlais et dautres langues.

Œuvres en traduction française

  • Hadewijch d'Anvers, Poèmes des Béguines, traduits du moyen-néerlandais, Seuil, 1954
  • Les Lettres (1220-1240: la perle de l'école rhéno-flamande, Sarment, 2002
  • Les Visions, traduit par Georgette Epiney-Burgard, Genève, Ad Solem, 2000
  • Amour est tout : poèmes strophiques, Téqui, 1984
  • Écrits mystiques des Béguines, Seuil, 1994
  • Le pavement de saphir, trad. André Gozier, L'Harmattan, 2010, 202 p.
  • Lettres spirituelles. Sept degrés d'amour, Editions ad Solem, 1990, 314 p.

Bibliographie

  • Joseph van Mierlo: Hadewijch, une mystique flamande du XIIIe siècle, in Revue d'Ascétique et Mystique, vol. 5, 1924, pp.269-289 et 380-404.
  • (nl) Hadewijch, à la DBNL (digitale bibliotheek voor Nederlandse letteren) Introductions (surtout en néerlandais) aux diverses éditions de ses écrits, en néerlandais moyen
  • Columba Hart (éditeur et traducteur), préface de Paul Mommaers, Hadewijch, The Complete Works, Paulist Press, 1980 (ISBN 0-8091-2297-9)
  • (nl) Nederlandse literatuur, een geschiedenis, sous la dir. de M. A. Schenkeveld-Van der Dussen, éd. Martinus Nijhoff, Groningue 1993 (pages 18-22) (ISBN 90-6890-393-4)
  • Marieke J. E. H. T. van Baest (essai et traduction anglaise), préface de Edward Schillebeeckx, Poetry of Hadewijch, Peeters, 1998 (ISBN 90-429-0667-7)
  • Mommaers, Paul - Elisabeth M. Dutton (traduction anglaise), Hadewijch : Writer - Beguine - Love Mystic, Peeters, 2005 (ISBN 90-429-1392-4)
  • Hadewijch dAnvers ou la voie glorieuse, Jacqueline Kelen, Albin Michel, 2011, 266 pp.

Liens externes

Notes et références

  1. La prononciation de ce nom peut poser quelques problèmes au locuteur francophone. Le h à linitiale doit sentendre nettement (fricative glottale sourde), comme en allemand ou en anglais. Le a est une voyelle longue, et sonne comme un a fermé (ou antérieur), c'est-à-dire comme dans le mot français tache (et non comme le a de tâche). La première syllabe est donc longue, et porte laccent tonique. La voyelle de la deuxième syllabe est un e dit muet, mais se prononce en toute circonstance ; le mot Hadewijch compte donc un nombre constant de trois syllabes pleines. La lettre w se prononce sensiblement (mais pas exactement) comme le w anglais. La combinaison ij, qui est fixe et constitue un graphème en néerlandais (et même une touche à part sur les claviers hollandais, mais non belges) se prononce approximativement comme la combinaison eil en français (comme dans réveil), à condition de sappliquer à prononcer le è (premier constituant de la diphtongue) comme une voyelle longue et à ne pas trop insister sur la semi-voyelle qui lui fait suite ; beaucoup de Flamands le prononcent du reste comme une monophtongue allongée : ê. Le graphème ch final représente une fricative palatale non voisée et se prononce grosso modo comme la jota espagnole ou le ch allemand, ou plus précisément : les locuteurs hollandais le prononceront comme le Ach-Laut allemand (darticulation vélaire ou uvulaire, à la sonorité plus rugueuse, figuré par χ) et les Flamands plutôt comme un Ich-Laut (palatal, figuré par un ç). Dans la transcription de lAPI, cela donne : /’ha:dǝwεiχ/ (Hollande) ou /’ha:dǝwε:ç/ (Flandre).
  2. Scheepsma, Wybren, ‘Hadewijch und die 'Limburgse sermoenen: Überlegungen zu Datierung, Identität und Authentizität.’ In : Deutsche Mystik im abendländischen Zusammenhang: neu erschlossene Texte, neue methodische Ansätze, neue theoretische Konzepte. Éd. par Walter Haug et Wolfram Schneider-Lastin. Tübingen 2000, 653-682.
  3. E.a. Thèse de licence de Jelle Aantjes, Hadewijch of Heilwig? Een bachelor-eindscriptie naar aanleiding van de Bloemaerdinne-hypothese in een artikel van Wybren Scheepsma (univ. dUtrecht, juillet 2008). Cf. également http://users.telenet.be/gaston.d.haese/hadewych_bloemardine.html.

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