Jörg Friedrich

Jörg Friedrich

Jörg Friedrich ( en 1944 à Kitzbühel) est un écrivain et historien allemand, auteur de divers ouvrages traitant de sujets historiques. Ses centres dintérêt sont la période nationale-socialiste et la Deuxième Guerre mondiale, et le processus de mise au clair de ce passé (allem. Aufarbeitung[1]) pendant laprès-guerre. Il a en outre traité, à travers de nombreuses publications parues dans la presse, du thème des crimes dÉtat et de gouvernement.

Mais Friedrich sest surtout rendu célèbre par son livre Der Brand (2002 ; trad fr. lIncendie), consacré aux bombardements alliés sur les villes allemandes pendant la Deuxième Guerre mondiale ; la thèse que défend le livre, et qui suscita la controverse, est que ces bombardements, visant des cibles civiles, constitue un meurtre de masse, exécuté avec méthode et largement sans objet.

Sommaire

Vie et carrière

à Kitzbühel en 1944, il passa cependant son enfance à Essen. Pendant ses années détudiant, il adhéra au trotskisme et fut un opposant à la guerre du Vietnam. Il travailla ensuite comme historien indépendant, faisant des recherches sur la justice allemande daprès-guerre et sur les procès de Nuremberg, et publiant les résultats de ses travaux dans des ouvrages pour la plupart controversés et dont quelques-uns, traduits en français, anglais, portugais, espagnol etc., se sont vendus à des centaines de milliers dexemplaires. Il entretient des relations avec les milieux politiques et militaires allemands, et sest lié damitié avec lancien chancelier allemand Helmut Kohl. Il a publié des entretiens avec Rudolf Bahro et Raul Hilberg, à loccasion de la parution de leurs livres.

Outre la publication de livres, Friedrich déploie également une activité journalistique, sur différents plans, et ne se prive pas de prendre position sur des questions actuelles liées au droit de la guerre, notamment à propos des guerres dans les Balkans des années 1990. De même, à la fin des années 1990, Friedrich fut un de ceux qui critiquèrent les expositions itinérantes, connues sous le nom de Wehrmachtsausstellungen, tenues entre 1995 et 1999 et consacrées aux crimes de la Wehrmacht. Il réalisa de nombreuses émissions de radio, en particulier pour le compte de la station berlinoise SFB, et, en collaboration avec lécrivain, journaliste, cinéaste et historien Alexander Kluge, plusieurs émissions de télévision traitant de questions liées à la Seconde Guerre mondiale, au droit de la guerre, auxs crimes nazis et aux bombardements aériens contre lAllemagne.

Son ouvrage Das Gesetz des Krieges valut à Friedrich de se voir décerner un doctorat honoris causa de luniversité dAmsterdam.

Friedrich vit aujourd'hui comme auteur indépendant à Berlin.

Ouvrages

Jörg Friedrich se fit connaître par ses livres Freispruch für die Nazi-Justiz (litt. Acquittement pour la justice nazie) et Die Kalte Amnestie (lit. la Froide Amistie), qui mettaient en lumière léchec de la dénazification des élites judiciaires en Allemagne et critiquaient linsuffisance des poursuites pénales engagées en République fédérale contre les crimes nazis, en particulier ceux commis dans le camp de concentration de Majdanek. Auparavant, il avait collaboré, à la maison dédition Olle & Wolter, à la première édition en langue allemande de louvrage de Raul Hilberg, la Destruction des Juifs dEurope, et réalisé plusieurs émissons de radio sur et avec Hilberg.

Freispruch für die Nazi-Justiz (1982)

Dans ce premier ouvrage, paru en 1982, considéré désormais comme le livre de référence sur la juridiction nazie, ainsi que dans le suivant, publié en 1984 sous le titre de Kalte Amnestie, Friedrich sest penché sur le traitement juridiciaire dont ont fait lobjet les crimes nazis en Allemagne fédérale, en particulier à la lumière du procès sur le camp de Majdanek. Dans ces deux livres, il adopte une attitude assez critique envers la manière, à ses yeux insuffisante, dont les crimes nazis ont été poursuivis. Lamorce de la réflexion de Friedrich est un questionnement ainsi formulé : Lorsque lon va de plus en plus loin, finit-on par se heurter à une limite le droit cesse et commence à régner le crime ? La réponse de lauteur se laisse appréhender par lextrait suivant tiré de lédition mise à jour et augmentée de juillet 1998, à la page 642 et suivantes :

Tous les meurtres et homicides, commis sous le couvert des lois sur latteinte à la capacité de défense ('Wehrkraftzersetzung'), sur la désertion ('Fahnenflucht'), sur lintelligence avec lennemi ('Feindbegünstigung'), sur les délits relatifs à locculation des lumières et sur les délits découte de radios étrangères ('Rundfunkverbrechen'), sur la profanation raciale ('Rassenschande'), sur le parasitisme social ('Volksschädlinge'), relevaient de la terreur pure et simple. Les armes dont ce sert cette terreur, savoir les articles de loi concernés, allaient demblée à lencontre du droit.
Les criminels estimaient, de leur vivant, agir en conformité avec le droit alors en vigueur. Après que ce droit eut cessé dêtre en vigueur, il servit de justificatif pendant encore cinquante ans. Ce non-droit couvrit ses serviteurs jusque dans leur tombe, du moins dans son interprétation contemporaine. LÉtat de droit fit de même que lÉtat de non-droit, pliant la jurisprudence en fonction de ses propres besoins. Ce nest quaprès coup, une fois accompli cet acte, que lÉtat de droit reconnaît cavalièrement quil y a eu outrage. La Cour fédérale allemande est, elle aussi, mal à laise dans son histoire, et son amnésie sélective de la justice nazie la tourmente. Les effets juridiques qui ont frappé celle-ci, est-il écrit dans le jugement de cette cour du 16 novembre 1995, ont dans lensemble manqué leur cible. En dautres termes, la culpabilité dextermination de masse aurait été méconnue par deux générations de juges fédéraux ! Car, si linterprétation quen a faite le Bundestag est correcte, les quelque 400 000 sentences qui ont été prononcées, toutes dignominieux actes de persécution, dont 30 000 dans un franc dessein dextermination, étaient donc des non jugements : Lennemi de la nation doit être supprimé, cet aveu pourtant est bien gravé dans linstrument exécutoire, le verdict. Il suffisait, à quiconque avait le souci de châtier, de savoir lire. Mais avant quelle ne vienne à apparaître comme une défaillance historique, lentrave à la justice avait statut de pressante nécessité réconciliatrice, dimpératif de lÉtat de droit, et de bienfait. Ce ne fut que par après que lÉtat, lorsqueut cessé de lui incomber la mission dœuvrer pour le droit, alla se répandre en remords.
Afin quà lavenir la cible ne soit plus jamais manquée de pareille façon, le paragraphe relatif au détournement de droit ('Rechtsbeugungsparagraph') fut révisé dès 1974. Lintentionnalité cesse dêtre une caractéristique nécessaire de lacte criminel. Nest plus désormais coupable de détournement de droit seulement celui qui le veut et le sait, mais aussi celui qui a pouvoir de le faire et le fait. Voilà qui, en tout cas, ne porte pas atteinte à lÉtat de droit. Celui-ci, à de certains moments, a légalisé toute linjustice commise, jusques et y compris linjustice judiciaire. Cest à loccasion de sa décision relative aux assassins judiciaires de lÉtat SED que la Cour fédérale évoqua sa défaillance. Pour ceux-ci continue en outre, en vertu de larticle 103 de la loi fondamentale allemande interdisant la rétroactivité, de sappliquer sans restriction le §244 du ci-devant code pénal de la RDA, lequel paragraphe requiert nécessairement lexistence dune intention de maljugement et offre ainsi aux larbins judiciaires le même privilège de non-responsabilité ('Haftungsprivileg') que les articles 1952 et suivants. Comme par le passé, quelques-uns ont, certes, été condamnés, parce quils avaient agi avec plus de despotisme que le despote lui-même et avaient, dans leur excès de zèle, détourné le droit que celui-ci avait institué.

Das Gesetz des Krieges (1993)

En 1993 parut louvrage Das Gesetz des Krieges (litt. la Loi de la guerre), dans lequel Friedrich a entrepris dexaminer, en sappuyant sur les actes du procès instruit contre le haut commandement de la Wehrmacht, la question de la responsabilité de larmée allemande lors de la campagne de Russie. Il y montre que le haut commandement de la Wehrmacht était non seulement au courant du massacre des Juifs dUnion soviétique, mais quil y prenait également part, de multiples manières, pas uniquement en raison de la veulerie ou de laveuglement idéologique de tel ou tel général, mais de manière systématique, à travers la « chaîne de commandement » : les Einsatzgruppen étaient logistiquement rattachés à la Wehrwacht et faisaient à celle-ci régulièrement rapport sur leurs activités. Friedrich ne sest pas tant appliqué à apporter la preuve de cet état de choses que de savoir pourquoi le haut commandement de la Wehrmacht a pu tolérer et appuyer ces massacres et pourquoi des généraux qui passaient pour détester les nazis ne se sont pas à cet égard comportés mieux que ceux des généraux qui étaient des nazis déclarés. Sa réponse est : il est inexact de dire que les militaires auraient, par pur délire racial, relégué à larrière-plan les nécessités militaires ; ils jugeaient au contraire utile le massacre des Juifs, par-delà leur idéologie personnelle.

Les réflexions de Friedrich à propos de la genèse et des motivations des crimes de guerre dépassent le cas de la seule Wehrmacht et de la Deuxième Guerre mondiale ; elles cherchent aussi à cerner les dilemmes fondamentaux dont se trouve grevé tout effort de subordonner la guerre au droit.

Cet ouvrage fut critiqué dans les comptes rendus de presse en raison dimprécisions, de faiblesses méthodologiques ainsi que de particularités de langage et de pensée. Mieux vaut sans doute le prendre comme un essai débordant de ses limites génériques que comme un ouvrage dhistoriographie ordinaire, attendu que le propos nen est pas tant dexposer et de démontrer des faits que de tenter de les pénétrer intellectuellement.

Pour ce livre, lauteur se vit décerner un doctorat honoris causa de luniversité dAmsterdam de même que le prix annuel de lannée 1995 de la Fondation pour la recherche sur le génocide de luniversité de Leyde[2].

Der Brand (2002) / Brandstätten (édition illustrée, 2003)

Dans son livre suivant, Der Brand. Deutschland im Bombenkrieg 1940-1945 (trad. Fr. lIncendie. LAllemagne sous les bombes, 1940-1945), Friedrich prit pour sujet les bombardements alliés contre lAllemagne durant la Deuxième Guerre mondiale. Après avoir consacré un ensemble de chapitres à l'évolution et au perfectionnement des bombes incendiaires, aux stratégies mises en œuvre pour maximiser leur action destructrice au sol (en particulier, les efforts soutenus du haut-commandement pour trouver le mélange dexplosifs et de matières incendiaires le plus propre à créer un champ dincendie continu, et dobtenir ainsi un effet de souffle plus dévastateur et plus meurtrier encore), l'expérience traumatisante vécue par la population réfugiée dans les bunkers et les caves, la mort provoquée par l'élévation subite de la température et par les gaz incendiaires, mais aussi la disparition irrévocable d'un héritage culturel d'une incommensurable richesse et dune partie de la mémoire allemande consignée dans les archives, Friedrich dresse un inventaire implacable des plus de 1000 villes et villages bombardés, les évoquant un à un, et donnant pour chacun un historique des attaques aériennes subies, le nombre des victimes et le taux de destruction.

La stratégie de la terreur pratiquée par les Alliés tua au total plus dun demi million de civils, dont 76 000 enfants. Ces attaques procédaient, affirme Friedrich, dune doctrine militaire ne faisant aucun cas de la personne humaine. Le cas précis du bombardement de la ville de Kiel, dans le nord de lAllemagne, par laviation américaine en décembre 1943, prouve sans doute mieux que tous les autres que les bombardements visant des civils étaient prémédités ; cette ville en effet, bâtie de part et dautre dun estuaire (Kieler Förde), lequel était aisément visible davion, même de nuit, comprenait à lest dudit estuaire une zone de chantiers navals et dindustries, et à louest la ville ancienne et des zones strictement résidentielles ; or cest la zone résidentielle qui fut la proie des bombes incendiaires en décembre 1943[3]. Dès lors quun des objectifs des bombardements était dabréger la guerre en mettant à genoux la population allemande, lincitant ainsi à se rebeller contre ses dirigeants, la population civile allemande tout entière pouvait alors faire figure dobjectif militaire. Du reste, selon l'auteur, les bombardements de villes allemandes étaient devenues, au plus tard à lautomne 1944, dénuées de toute utilité militaire.

Les souffrances endurées par les populations allemandes étant le point aveugle de la mémoire du XXe siècle, lauteur estime avoir comblé, avec ce livre, une lacune de lhistoriographie de la Seconde Guerre mondiale ; il se voit, ainsi quil le déclara au quotidien britannique ''The Guardian'' en octobre 2003, comme un révisionniste de lHistoire[4].

Si Friedrich reconnaît que lAllemagne fut la première à bombarder des civils, à savoir par ses attaques aériennes sur Londres, il laisse entendre cependant que cette première attaque fut « accidentelle », pointant ainsi de fait la Grande-Bretagne comme le premier pays ayant « délibérément » bombardé des cibles non militaires[5]. Cependant, Friedrich laisse opportunément hors considération certains bombardements allemands, moins connus certes, comme celui de la ville polonaise de Wieluń, dans les toutes premières heures de la guerre et antérieur à toute attaque contre lAllemagne, par air ou par terre. Mais Friedrich souligne que la technique visant à provoquer des tempêtes de feu, technique faisant se succéder bombes explosives et incendiaires, fut conçue et mise au point par les Allemands et mise en œuvre pour la première fois lors de bombardements de villes anglaises, tels que le Blitz de Coventry le 14 novembre 1940 et le deuxième grand incendie de Londres dans la nuit du 29 au 30 décembre 1940.

Réactions en Allemagne

La parution de Der Brand en 2002 déclencha en Allemagne une vaste polémique[6]. Il fut notamment reproché à Jörg Friedrich de ne pas avoir explicitement placé les attaques aériennes alliées dans leur contexte, à savoir celui dune guerre déclenchée par lAllemagne. Il omet danalyser les considérations qui ont sous-tendu la guerre de bombardement, dont lobjectif premier nétait nullement, dans le chef des Américains et des britanniques, de tuer gratuitement des populations civiles. Certes, il réussit à décrire avec un relief saisissant les particularités des attaques aériennes, et il possède une manière vivante et frappante dexposer des aspects techniques complexes, tels que le choix des cibles et les appareils utilisés pour leur localisation. Mais sa fiabilité et son objectivité sont desservies par une tendance à trop dramatiser et par un ton trop familier. Le livre contient par ailleurs un certain nombre dinexactitudes et des obscurités[7]. Il lui fut reproché en outre davoir puisé ses informations dans dautres publications sans toutes les citer et sans en donner les références.

Au-delà du ton et des figures de style utilisées çà et , comme lironie ou lantiphrase, voire le sarcasme[8], qui saccordent mal à un ouvrage dhistorien, certains termes utilisés par lauteur ont pu laisser perplexes les commentateurs tant britanniques quallemands : ainsi, les pilotes des bombardiers alliés sont appelés par Friedrich des Einsatzgruppen, les caves qui brûlaient suite aux bombardements sont comparés à des « fours crématoires » [9], les victimes des bombardements sont dites « gazées »[10], et parle d’« autodafé de livres » lorsque des bibliothèques deviennent également la proie des flammes lors de ces bombardements. Cest ce choix de termes qui, selon les critiques majoritairement de gauche, a contribué à préparer le terrain à lapparition du concept de Bombenholocaust, dholocauste par les bombes, souvent brandi désormais, notamment par le groupe NPD au parlement régional de Saxe en février 2005, et par lextrême-droite allemande en général. Aussi bien, quelques-unes des apparitions publiques de Jörg Friedrich après la parution de ce livre furent accompagnées de protestations véhémentes de la part de personnes appartenant à lextrême-gauche.

Hans-Ulrich Wehler parle du « besoin de répétition, qui finit par lasser », de « lincertitude du jugement historique », de la « propension à sortir de la réserve et à émotionnaliser » et dun « langage peu discipliné »[11]. Néanmoins, Friedrich fut sollicité à participer, au travers dun court article sur Babi Yar, à lEnzyklopädie des Holocaust ; cet article ne correspondrait pas à létat actuel de la recherche et fut qualifié dinsatisfaisant dans les articles de presse.

Réactions anglo-saxonnes

Une traduction anglaise, The Fire, fut publiée en 2006 chez Columbia University Press, et fut de façon générale bien accueillie par la critique anglo-saxonne, quoique le haut commandement allié fût mis en cause explicitement dans louvrage. Le New York Times par exemple dit du livre quil « décrit, ville après ville, avec grand détail, avec une précision soutenue et dans un style très littéraire, ce qui se passait dans les villes pendant que les Alliés larguaient 80 millions de bombes incendiaires sur lAllemagne... Il y a, dans lécriture et les commentaires de Friedrich, une acuité, une charge émotionnelle. »

La critique anglo-saxonne, à linstar des commentateurs allemands, na pas été sans relever que Friedrich tendait à mettre, par les termes choisis, les attaques aériennes contre lallemagne sur un même plan que lholocauste. De nombreuses recensions de son ouvrage ont souligné les impropriétés de langage, en particulier lutilisation du terme Einsatzgruppen pour désigner les escadrons de bombardiers, et de four crématoire lorsquil évoque les abris aériens des villes bombardées dans lesquels les Allemands périssent sous leffet de la chaleur. Cela valut à Friedrich laccusation dinconsidération patente et le soupçon de vouloir amener le lecteur à établir un parallèle intempestif avec "la déshumanisation des Juifs par les nazis"[12]. Dan Diner dénonce dans le livre « une tendance à la déshistorisation de la souffrance au profit dune anthropologisation de celle-ci », de sorte que la cause ayant originellement donné lieu à la souffrance se trouve refoulée[13]. Limportant historien britannique spécialiste de la guerre aérienne, Richard Overy, souligna néanmoins à ce sujet que « si lon choisit comme aune de mesure les thèses concernant lholocauste, lesquelles thèses voient ce génocide sous le point de vue de lépoque actuelle, c'est-à-dire mettent en relief labstraction de lacte de tuer, la bureaucratisation de la destruction, la planification administrative et la mise à exécution des meurtres, le comportement des responsables derrière leur table de bureau, donc au regard de la distance entre les auteurs et les victimes, alors lon retrouve tout cela aussi comme caractéristiques en ce qui concerne la guerre de bombardement » (entretien dans Junge Freiheit du 20 avril 2007). Richard Overy ajoute : « Friedrich sacrifie çà et la méticulosité scientifique sur lautel du message quil se propose de faire passer. Néanmoins, il sagit dun livre fort et saisissant, à lécriture poignante. Cest un ouvrage important, qui a ses mérites, et propre à ouvrir les yeux de beaucoup ». Cependant, Friedrich revendique expressément sa qualité dhistorien objectif[14], se défendant de prononcer quelque jugement sur la moralité des bombardements alliés[15].

En tant quhistorien ayant écrit avec force sur les horreurs commises par lÉtat allemand sous les nazis, il lui fut fait crédit, par la critique anglo-saxonne, dêtre sans complaisance aucune vis-à-vis de lAllemagne nazie. Ainsi Douglas Peifer écrira-t-il dans sa recension de louvrage que ses précédents travaux traitant des crimes de la Wehrmacht et de la justice nazie lui permettent daborder le sujet sans risquer une disqualification automatique comme apologiste dextrême-droite[16]. Ce nonobstant, deux tentatives dexplication ont, schématiquement, été faites dans la presse anglo-saxonne concernant les récents livres de Friedrich et les sujets quil a choisi dy aborder. La première consiste à supposer dans le chef de Friedrich de forts sentiments anti-guerre et sa volonté, face à la guerre en Irak et à dautres conflits dans le monde, à joindre sa voix au concert anti-guerre général en Allemagne, et de critiquer implicitement la stratégie dattaques contre des cibles non militaires en Irak. Friedrich lui-même a rejeté cette explication et affirmé être désolé que lIncendie ait alimenté lopposition pacifiste contre la participation de lAllemagne à la guerre en Irak[17]. La seconde explication donnée est que Friedrich, quoique sincèrement anti-nazi, a en lespèce œuvré en tant que patriote allemand et s'est ingénié à placer dans une perspective raisonnable les crimes de certains dirigeants allemands pendant la Deuxième Guerre mondiale et à les présenter comme étant, tout compte fait, peu différents, voire non pires, que maintes atrocités commises par dautres pays impliqués dans le conflit.

Brandstätten (2003)

LIncendie fut complété en octobre 2003 dun volume dillustrations Brandstätten. Der Anblick des Bombenkriegs (Foyers dincendie. Aspect de la guerre de bombardement. Disponible en Allemagne uniquement). Cest lancien chancelier allemand Helmut Kohl qui réussit à convaincre Friedrich de publier un recueil de photographies montrant Dresde bombardée[18]. Cependant, une condition était attachée à cette publication : des photographiers équivalentes de victimes polonaises et britanniques devaient être montrées en même temps. Il échoua cependant à remplir cette condition, expliquant que les archives du gouvernement britannique ne lautorisaient pas à publier de telles photographies. En réalité, nombre des photographies du Blitz de Londres appartiennent à des collections privées telles que celle de George Rodger ou de Magnum Photos.

Yalu. An den Ufern des dritten Weltkrieges (2007)

Le plus récent ouvrage de J. Friedrichs (litt. Sur les Rives de la troisième guerre mondiale), paru en octobre 2007, donne à voir, dune manière qui est propre à son auteur de traiter et denvisager lHistoire, un scénario politique qui jusque- navait pas été révélé au public : la signification de la guerre de Corée (1950-1953) comme prélude à la troisième guerre mondiale.

La Corée du Nord peut, dans linterprétation de Friedrich, être compris comme champ de bataille avancé de ce qui est en fait une guerre sino-américaine. Dès le début des années 1950, larmée de lair américaine disposait dune flotte davions porteurs darmes nucléaires. Pour forcer la victoire dans la guerre de Corée, les gouvernants américains étaient disposés à détruire par le feu nucléaire tout un ensemble de cibles situées dans la zone côtière de la République populaire de Chine. LUnion soviétique détenait, déjà à cette époque, larme atomique, mais ne disposait pas encore de systèmes vecteurs globaux pour porter une attaque directe sur lAmérique du Nord. Les chances quauraient eues les troupes de lONU placées sous lautorité des États-Unis de lemporter dans une guerre au sol contre une Armée rouge chinoise forte de quelque 500 000 hommes, à laquelle lURSS fournissait des armements, étaient quasi inexistantes en Corée. Les plans, concrètement élaborés, visant à un bombardement de la Chine sur de vastes surfaces continues par des armes nucléaires sous la direction du général américain Douglas MacArthur, cependant avortèrent, suite à lintervention diplomatique massive des Européens, qui appréhendaient une riposte militaire de Stalin. Les dirigeants chinois, mis au courant des plans militaires américains, étaient quant à eux disposés à sacrifier leurs populations (urbaines). Friedrich évoque le chiffre de 20 à 30 millions, selon ses propres estimations, de Chinois tués en cas dattaque nucléaire de grande envergure. En Europe occidentale, les horreurs de la Deuxième Guerre mondiale étaient encore fraîchement présentes dans toutes les mémoires, lon craignait dêtre submergé, dans la contre-attaque qui suivrait, par les blindés russes. Les forces américaines stationnées en Europe se fussent, dans une telle hypothèse, retirées derrière les Pyrénées et eussent abandonné lEurope centrale et occidentale. Les craintes dune troisième guerre mondiale, nourries aussi par les expériences vécues avec les bombes atomiques larguées sur Hiroshima et Nagasaki par les Américains en août 1945, et par la possibilité de ce que Friedrich appelle la vindicte de lhomme blanc, décrié comme pilleur, spoliateur, agresseur etc. dans lensemble de lAsie, vinrent à se cristalliser symboliquement sur le fleuve Yalu comme ligne de démarcation entre la République populaire de Chine et la Corée du Nord. En aucun cas, les troupes de lONU nétaient autorisées à franchir cette frontière en direction de la Chine.

Cet ouvrage montre clairement comment, par quels calculs politiques, les nouvelles grandes puissances (États-Unis, Union soviétique et aussi la Chine) firent au début de la seconde moitié du XXe siècle dune grande partie du globe léchiquier de leurs appétits de puissance. Avec un manque de scrupules inimaginable, lon était disposé à sacrifier des populations innombrables. La Chine communiste, soutenue et assistée par lURSS, après être entrée dans la guerre, la traîna délibérément en longueur afin de former et daguerrir sa jeune armée dans les conditions dune guerre moderne, tandis que les États-Unis, avec la bénédiction des Nations unies, effectuaient des bombardements insensés en Corée du Nord, dans lesquels périrent des centaines de milliers de Nord-Coréens, infligeant ainsi des souffrances à la population locale, en quelque sorte par procuration, afin de contraindre la Chine et lURSS à des concessions. De surcroît, les États-Unis, qui détenaient alors le quasi-monopole de larme nucléaire, brandissaient de façon répétée la menace dune destruction nucléaire de plusieurs millions de personnes en Chine (en se réservant aussi de raser des métropoles et centres industriels russes). La menace qui pesait sur elle poussa finalement la Chine, laquelle avait néanmoins acquis un immense prestige, à accepter la négociation et à signer larmistice. Friedrich rappelle que ce système expérimental, en forme dépée de Damoclès, de la dissuasion nucléaire, existe encore aujourd'hui ; il sinterroge sur la justification et la légitimation rationnelle du terrorisme dÉtat en temps de guerre.

Distinctions

  • Prix de la fondation Erich-und-Erna-Kronauer 2010.

Bibliographie

Ouvrages publiés par lauteur

Articles sur lauteur

  • Munzinger-Archiv, Internationales Biographisches Archiv 16/2003 du 7 avril 2003 (Auszug)
  • Blank, Ralf: Jörg Friedrich. Der Brand. Deutschland im Bombenkrieg. Eine kritische Auseinandersetzung, in: Militärgeschichtliche Zeitschrift 63 (2004), H. 1, S. 175-186.
  • Schneider, Wolfgang: Die Schuld des Glücklichen. Der Berliner Historiker Jörg Friedrich, in: Börsenblatt. Wochenmagazin für den deutschen Buchhandel, Heft 47 (2007), S. 24-26
  • Steckert, Ralf: Begeisterndes Leid. Zur medialen Inszenierung des "Brands" und seiner geschichtspolitischen Wirkung im Vorfeld des 2.Irakkriegs, in: Köhler, Th./ Hieber, L. (Hrsg.), Kultur - Bildung - Gesellschaft, Bd. 3, ibidem-Verlag, Stuttgart, 2008.

Liens

  • Portail DNB 120047829
  • Sur le site Perlentaucher: [19]
  • Themenportal Bombenkrieg sur historicum.net
  • Strategie von unten, 11. August 2002 - Alexander Kluge im Gespräch mit Jörg Friedrich über den Luftkrieg
  • Die Heldenschändung. Churchill ist der größte Kindermörder der Geschichte.“ Wie der deutsche Historiker Jörg Friedrich in London Tabus bricht.“ Tagesspiegel, 3 février 2007
  • Entretien avec J. Friedrich: Kurz vor dem dritten Weltkrieg (Untertitel: Der Koreakrieg als Brennpunkt der Geschichte.) sur Radiofeuielleton von DeutschlandRadio Kultur à l'occasion de la parution de Yalu. An den Ufern des dritten Weltkrieges, le 22 novembre 2007
  • Une recension par Jörg Friedrich à propos de Der Junge Stalin de Simon Sebag Montefiore
Recensions

À propos de Der Brand:

À propos de Brandstätten:

À propos de Yalu. An den Ufern des dritten Weltkrieges:

Notes et références

  1. Nous peinons à traduire ce terme. Le verbe aufarbeiten signifie remettre à neuf, mettre à jour, mais aussi assimiler, réviser, refaçonner, régénérer.
  2. http://www.buchinformationen.de/autor.php?id=472
  3. Der Brand, p. 190 etss.
  4. http://www.guardian.co.uk/world/2003/oct/21/artsandhumanities.germany
  5. Der Brand, p. 171. Friedrich fait même remonter le concept de bombardement stratégique à Churchill lui-même, lorsque celui-ci était ministre de la Défense, en 1919 (Der Brand, p. 64).
  6. Sur le site Perlentaucher Der Brand. Deutschland im Bombenkrieg 1940-1945
  7. http://www.faz.net/s/Rub1DA1FB848C1E44858CB87A0FE6AD1B68/Doc~EFF5328B1623D4E7FB88A603B75D64DA1~ATpl~Ecommon~Scontent.html
  8. Ainsi p. 285 : Auf Anhieb konnten gewaltige Brände gezündet werden, die dreitausend Bauten zerstörten, 294 Personen töteten und eine Galerie kriegswichtiger Gebäude beschädigten: Dom, Rathaus, Theater, Polizeipräsidium, Hauptpostamt, Gefängnis usw. (Aussitôt, de terribles incendies purent être allumés, qui détruisirent trois mille édifices, tuèrent 294 personnes, et endommagèrent toute une galerie de bâtiments dimportance militaire : la cathédrale, lhôtel de ville, le théâtre, lhôtel de police, le bureau central de la poste, la prison etc.)
  9. Keller arbeiteten wie Krematorien (p. 110 ; Les caves agissaient comlme des crématoires) ; Der Keller nahm nach einer Zeit die äußere Hitze auf und arbeitete wie ein Krematorium (p.194 ; La cave, après un certain temps, se remplissait de la chaleur du dehors et agissait comme un crématoire) ; So machten denn Enge, Hitzespeicherung, Sauerstoffverlust, Brandgaszufuhr und Zügigkeit die Kellerzone, das nächste Fluchtziel, auch zu einem Krematorium (p.388 ; Ainsi, lexiguïté, laccumulation de chaleur, la pénurie doxygène, larrivée de gaz de combustion et le courant dair transformaient aussi la zone des caves, le prochain refuge, en crématoire).
  10. Die Behausungen der Generationen fallen nicht nur entzwei, sondern werden dabei Gesteinsmassen, die erschlagen, Glutöfen, die ersticken, Verliese, die vergasen (p.519 ; Les logis des générations non seulement se trouvent ainsi pourfendus, mais encore se changent en masses de pierraille qui frappent à mort, en fournaises qui asphyxient, en cachots qui gazent).
  11. Lothar Kettensacker: Ein Volk von Opfern? - Die neue Debatte um den Bombenkrieg, Berlin 2003, p. 140-144.
  12. Air War,Literature and Compassion, Iain Bamforth, Quadrant, Volume XLVIII Number 1 - Janvier-février 2004, récupéré le 21 janvier 2005 à partir de http://www.quadrant.org.au/php/archive_details_list.php?article_id=592
  13. Anthropologisierung des Leidens. Entretien avec lhistorien Dan Diner, phase 2 09/2003 .:Phase 2 - Zeitschrift gegen die Realität:. (Nadir.org)
  14. Germans Revisit War's Agony, Ending a Taboo, Richard Bernstein, The New York Times, 15 mars 2003, récupérée le 31 janvier 2005 sur http://tbrnews.org/Archives/a248.htm
  15. Foes of war find ally in book on WWII air raids, Stevenson Swanson, Chicago Tribune, 7 mars 2003, récupéré le 16 janvier 2005 à partir de http://www.chicagotribune.com/news/nationworld/chi-0303070303mar07,1,20636.story?ctrack=1&cset=true
  16. Review: Der Brand: Deutschland im Bombenkrieg, 1940/1945 Douglas Peifer, Air Command and Staff College, Air and Space Power Chronicles, Spring 2004, p.121/124, récupéré de http://www.airpower.maxwell.af.mil/airchronicles/apj/apj04/spr04/spr04.pdf (PDF) et également http://www.ess.uwe.ac.uk/genocide/reviewsw159.htm
  17. Foes of war find ally in book on WWII air raids, Stevenson Swanson, Chicago Tribune, 7 mars 2003, récupérée le 16 janvier 2005 sur http://www.chicagotribune.com/news/nationworld/chi-0303070303mar07,1,20636.story?ctrack=1&cset=true (idem que référence précédente)
  18. Horrific fire-bombing images published, Ray Furlong, BBC News, 22 octobre 2003, récupérée le 2 février 2005 depuis http://news.bbc.co.uk/2/hi/europe/3211690.stm
  19. Jörg Friedrich - Der Brand

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