Déesse mère

Déesse mère
Vénus de Willendorf, Paléolithique supérieur, vers 24 000–22 000 av. J.-C.
Madre Mediterranea (Sardaigne, 3,500 av. J.C.

Les expressions modernes « déesse mère » ou « grande déesse » font référence à divers cultes qui auraient été rendus à une « mère universelle » du Paléolithique à aujourd’hui[1].

Ces expressions renvoient à un culte primitif de la fertilité qui aurait été universellement pratiqué à la fin de la Préhistoire. Ce culte, dans lequel la figure de la femme tenait une grande place et revêtait une dimension sacrée, consistait essentiellement en une vénération de la Terre, de la fertilité et de la fécondité.

Certains mouvements panthéistes ou néopaganistes, voire féministes, présentent la déesse mère comme une divinité précédant historiquement les dieux masculins des religions abrahamiques.

Sommaire

Origines archéologiques

Statue menhir, la Dame de Saint-Sernin, au musée Fenaille de Rodez

Marija Gimbutas, à la suite de fouilles archéologiques effectuée dans le sud–est de l’Europe méditerranéenne au milieu du XXe siècle, présente sa théorie de l’existence d’une civilisation pré-indo-européenne qu'elle appelle « culture préhistorique de la déesse », et qui aurait existé de l'Aurignacien (début du Paléolithique supérieur) jusque vers 3 000 ans avant J.-C., quand le patriarcat se serait peu à peu institué. Marija Gimbutas appelle cette culture « matrilocale »[2]. Elle fonde ses recherches sur les campagnes archéologiques qu'elle a dirigées quinze années durant en Europe, principalement dans les Balkans et le long du Danube.

Diverses figures du Paléolithique

Les fouilles archéologiques ont révélé la présence de figures féminines aux caractères sexuels hypertrophiés appelées Vénus paléolithiques, la plus connue étant la Vénus de Willendorf. Des archéologues ont interprété ces statues comme des déesses[3], mais plusieurs dizaines de milliers d'années séparent ces statues des cultes connus livrés aux déesses sumériennes, grecques, celtiques, nordiques ou hindous.

Les formes de la grande déesse dans divers cultes anciens

Égypte

Une divinité féminine est représentée entre deux lionnes dans les peintures les plus anciennes de la culture de Naqada dans la période prédynastique égyptienne.

Isis, nourrissant son fils au sein, a été vénérée jusqu'au VIe siècle et plus récemment réintroduite dans les cultes des mouvements de la déesse.

Anatolie

Le site néolithique de Çatalhöyük (7 500 ans avant J.-C.) a révélé de nombreux indices du culte d'une déesse mère. Les fouilles ont révélé que le nombre de déesses dépassait largement celui des divinités masculines qui avaient même fini par disparaître tout à fait avec le temps[4].

Le bassin méditerranéen

Déesse-Mère, terre cuite, M.A.N..

Durant l'Antiquité dans le bassin méditerranéen, diverses déesses ont été vénérées de manière plus prononcée que les autres, notamment via les cultes à mystères voués à Isis, Cybèle (ou Magna Mater), Déméter, Perséphone, celui plus « rural » de Diane, ou encore la Gaïa grecque. Vénus, dans la mythologie romaine, était ainsi mère du peuple romain. Elle était appelée Venus Gemetrix, « la mère Vénus », sous le règne de Jules César. Magna Dea, « la grande déesse », était l'expression latine désignant les déesses de l'empire romain.

La civilisation minoenne avait une déesse que les grecs appelaient Potnia Theron, « la maîtresse des animaux », dont la plupart des attributs furent plus tard transférés à Artémis.

Peuples germaniques et cultes nordiques

Au Ier siècle av. J.-C., Tacite rapporte l'existence chez les peuples germaniques de rituels centrés sur une divinité féminine, Nerthus, qu'il appelle Terra Mater.

Il existait également une incantation chrétienne connue sous le nom de Æcerbót et durant laquelle, tout en invoquant le Dieu chrétien, les participants à la procession invoquaient également eorþan modor (la Terre-Mère) et folde, fira modor (La Terre, mère de tous les hommes) qui fut identifiée comme une ancienne divinité païenne[5].

Frigg a été désignée comme la femme d'Odin. Dans la poésie islandaise, l'expression « femme d'Odin » désigne la Terre[6]. Frigg apparaît clairement comme une grande déesse dans le mythe de Baldur.

Hindouisme

Dans l'hindouisme, la vénération des grandes déesses remonte à la période védique. Notamment dans le Rig Veda qui nomme la puissance féminine Mahimata (Rig Veda 1.164.33), un terme qui se traduit par « Terre Mère ». Dans certains textes, la grande déesse est appelée Viraj, la mère universelle, ou Aditi, la mère des dieux ou encore Ambhrini, celle qui est née de l'océan primordial. Durga représente la nature protectrice de la maternité. Yaganmatri est un autre nom qui signifie « Mère de l'univers » en sanskrit. De nos jours, Devi a de multiples formes. Les multiples divinités indiennes sont toutes considérées comme des facettes de la mère universelle.

L'énergie féminine, la Shakti, est considérée dans certaines écoles philosophiques (comme dans le Devi Mahamatya) comme la force motrice de l'univers.

Turcs sibériens

Umai (l'utérus ou la matrice en mongol), qui s'appelle également Ymai or Mai, est la déesse-mère. Elle est décrite comme portant 60 tresses en or qui représentent les rayons du soleil.

Christianisme

Le culte de la déesse mère avec l'enfant dans ses bras fleurit en Égypte jusqu'à l'apparition du christianisme. Si l'Évangile s'était tout de suite imposé dans la masse du peuple, il aurait probablement renversé le culte de cette déesse. Aussi, selon quelques analystes, la déesse babylonienne, loin d'être mise de côté en beaucoup de cas, ne fit que changer de nom. Pour Alexandre Hislop, elle fut appelée la vierge Marie, et fut adorée avec son fils avec les mêmes sentiments idolâtres qu'elle l'était auparavant par les païens[7]. Cette vision n'est en aucun celle de l'Église catholique romaine ni ne correspond par ailleurs avec les figures coraniques de Marie (Myriam) et de Jésus (Issa). Cependant, il est probable que dans l'évolution du christianisme, cette figure féminine va peu à peu prendre place dans le culte et les croyances. Bien qu'elle ne soit pas réellement vénérée comme une déesse mère, certains chrétiens voient en Marie la « mère de Dieu » comme en témoigne le terme « Théotokos », terme défini par le premier concile de Nicée et qui s'appuie sur l'enfantement divin (fêté à l'Annonciation et à Noël) plutôt que sur une croyance en la génération du divin (pour les croyants chrétiens et musulmans, Dieu précède Marie).

La figure sainte Marie-Madeleine (la prostituée « sacrée ») que des légendes successives vont assimiler à la prostituée de l'Évangile de Luc, peut être considérée comme l'une de ces figures, bien qu'aucun document n'atteste ce point de vue.

L'Église catholique romaine et l'Église orthodoxe rapprochent la femme décrite dans l'Apocalypse (12) de la Vierge Marie parce qu'il est dit dans le verset 5 que cette femme a donné « naissance à un fils, un garçon, destiné à diriger toutes les nations avec un bâton de fer ». Jean 19:26-27 est également parfois cité comme rapportant une des paroles du Christ qui la présente comme la mère de tous les chrétiens par l'expression « voici ta mère ». Elle ne doit cependant pas être confondue, par conséquent, avec la vision païenne de la Déesse mère.

Il existe chez les Mormons une croyance en une Mère Céleste, épouse et équivalent féminin du Père Céleste. Cette croyance n'est cependant pas mise en avant et il n'y a pas de culte officiel[8].

La « Grand-Mère du Chim'quière » (du cimetière, en guernesiais), à l'entrée du cimetière de Saint-Martin (Guernesey)

Résurgence contemporaine du culte d'une déesse

Le culte de la déesse mère est revenu sur le devant de la scène au XXe siècle, dans le cadre du mouvement néo-paganiste initié par Gérald Gardner, qui en a fait un des piliers de la nouvelle "religion" qu'il élabora et présenta comme la continuation de ce qu'il dénomme l'« Ancienne Religion » : la Wicca. Elle représente alors la Terre et le principe de vie et d'amour entre toutes les formes de vie. Ce culte soutient généralement des revendications écologistes et féministes. La résurgence contemporaine de ce culte a principalement eu lieu en Amérique du Nord, avec l'objectif de restaurer l'aspect féminin du divin[9] .

Les théories Gaïa provenant de l'Hypothèse Gaïa proposée par James Lovelock stipulent que la planète est une conscience non pensante qui a su se réguler à travers les âges géologiques, afin de permettre l'apparition puis le maintien de la vie.

Une statue d'Isis nourrissant au sein Horus, musée du Louvre

Références

  1. Shahrukh Husain, La Grande Déesse-Mère, Evergreen, 2001[réf. incomplète]
  2. Le langage de la déesse de Marijas Gimbutas, Editions Des femmes,
  3. Voir les conclusions des archéologues sur la découverte de la Vénus de Masovice en 2007
  4. James Mellaart, Catal Huyuk: A Neolithic Town in Anatolia, McGraw-Hill
  5. Hilda Ellis Davidson, Roles of the Northern Goddess (1997)
  6. Rudolf Simek, Dictionary of Northern Mythology (1984)
  7. Alexandre Hislop, Les deux Babylones, page 65
  8. Joseph F. Smith, Man: Origin and Destiny, pp. 348–355, 1909.
  9. « The Goddess Movement in the U.S.A. A Religion for Women Only », Archiv für Religionspsychologie, 1988, vol. 18, pp. 258-266.

Bibliographie

  • Françoise Gange, Avant les dieux, la mère universelle, Alphée, 2006
  • Françoise Gange, Les Dieux menteurs, la Renaissance du livre, 2002
  • Adele Getty, La Déesse, mère de la nature vivante, Seuil, 1992.
  • Marija Gimbutas, Le Langage de la Déesse, éditions des femmes, 2005.
  • Robert Graves, La Déesse blanche, Le Rocher, 1979.
  • Alexander Hislop, Les deux Babylones, Fischbacher, 1853.
  • Shahrukh Husain, La Grande Déesse-Mère, Evergreen, 2001.
  • Jean Markale, La Grande Déesse, mythes et sanctuaires, Albin Michel, 1997.
  • Pierre Meyer, Mystère et beauté, la Grande Déesse, éditions Pierre Meyer et Novit.
  • Starhawk, The Spiral Dance, a Rebirth of the Ancient Religion of the Great Goddess, HarperSanFrancisco, 1979 ; 1999.
  • Jean Varenne, Célébration de la Grande Déesse " Mahatmya Devi ", éditons Les Belles Lettres.

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