Alain Lacoursière

Alain Lacoursière

Alain Lacoursière (17 avril 1960 à Saint-Casimir, Québec, Canada) est un policier canadien (québécois) qui s'est spécialisé dans les « crimes liés à l'art » au Canada[1]. Il est surnommé « le Columbo de l'art », car il a recours à des méthodes inhabituelles pour résoudre certaines affaires criminelles, dont le recours aux médias[2]. Son insubordination régulière et son intérêt affirmé pour l'art, tous deux peu commun parmi les policiers, lui ont valu d'être régulièrement traité en paria par ses collègues, même s'il a connu un succès notable dans ses enquêtes[3]. Il a pris sa retraite de la police en 2010 et continue à s'intéresser aux œuvres d'art.

Sommaire

Biographie

Jeunesse

Alain Lacoursière, l'aîné d'une famille de trois enfants, est né le 17 avril 1960 à Saint-Casimir, Québec au Canada. Sa mère tient la maison, alors que son père est propriétaire d'un magasin d'appareils électroniques et de meubles. À l'âge de 13 ans, Alain travaille pour le compte de son père : il y est vendeur, transporte de la marchandise par camion et s'occupe de monter des systèmes audio utilisés lors de discours ou de conférences[4].

Un important vol non résolu

Le 4 septembre 1972, un homme masqué sauta sur le toit du Musée des beaux-arts de Montréal, qui était en réfection. Il tendit ensuite une « longue échelle » qui traînait près d'une verrière à deux complices. Les trois descendirent dans le bâtiment en passant par une verrière. Après avoir capturé plusieurs gardiens, les trois hommes regroupèrent « 35 des plus beaux tableaux du musée ». En transportant leur butin dans une camionnette du musée, l'un des hommes déclencha accidentellement une alarme. Les bandits enfuis, les responsables firent le bilan : 18 tableaux étaient disparus ainsi que 37 bijoux anciens. Le prix de ces objets fut évalué à 2 millions CA$ à l'époque. En 2010, c'est encore le plus important vol d'oeuvres d'art jamais accompli au Canada, et il n'est toujours pas résolu[5].

À l'école, il rejette l'autorité et se bagarre régulièrement, ce qui lui vaut plusieurs punitions. Pendant sa troisième secondaire, il apprend les rudiments de la peinture, choisissant des thèmes qui choquent le religieux qui lui enseigne[6]. Plus tard, Lacoursière fonde un club de motards près de chez lui[7] et fréquente les bars même s'il est mineur. À cause des activités à son club, il est en contact avec les gangs de motards criminalisés de la région et consomme de la drogue[8]. À la fin des années 1970, plusieurs de ses amis suivent une formation dans le but de devenir policiers, sa famille est lié à quelques policiers et lui est attiré par les enquêtes et les criminels, raisons qui l'incitent à suivre une formation pour devenir policier. En janvier 1985, la police de Montréal l'embauche[9].

À l'emploi de la police de Montréal

« Avec son physique plutôt frêle, ses airs d'artiste et sa crinière en broussaille », il est affecté aux escouades spéciales du centre-ville. Il est agent double pendant deux ans, recueillant des preuves contre des criminels en fréquentant les « débits de boisson »[7].

Habitué à s'opposer à l'autorité, Lacoursière prend régulièrement des initiatives qui importunent ses supérieurs. Par exemple, en 1991, il y a régulièrement des bagarres qui se déclenchent sur le boulevard Saint-Laurent à Montréal au moment où les bars ferment à h du matin. Pour calmer les esprits, Lacoursière propose d'interdire la circulation automobile sur cette rue pendant une heure. Un supérieur s'oppose, car « [les] citoyens qui respectent la loi ont le droit de se déplacer librement ! » Lacoursière reçoit suffisamment d'appuis pour faire appliquer son idée. « En quelques semaines, le problème [est] réglé » et les policiers cessent de fermer la rue[10]. En novembre 1991, il est superviseur à l'escouade de la moralité de la police de Montréal, qui intervient aussi à Saint-Léonard. À cette époque, cette ville voit prospérer plusieurs bars clandestins, car « la réglementation de Saint-Léonard ne [permet] pas aux autorités de fermer pour de bon les commerces illicites après deux condamnations ». Après un échange verbal avec un mafioso au Palais de justice de Montréal, il déclare à un journaliste de TQS que la mafia locale contrôle la vie politique de Saint-Léonard. Le maire de l'époque, Frank Zampino, menace de poursuivre la police de Montréal pour diffamation. Lacoursière refusant de s'excuser, c'est l'un de ses supérieurs qui le fera[11].

En 1991, Lacoursière fréquente régulièrement Paolo Cotroni, fils du parrain de la mafia montréalaise Frank Cotroni. Ses collègues n'apprécient pas, mais Lacoursière maintient ce genre de relations, car il « [veut] montrer qu'il [peut] continuer à parler à l'ennemi tout en s'attaquant à ses activités illicites »[12]. En juillet 1992, profitant de son passage près de la résidence de Paolo Cotroni, Lacoursière demande à visiter la maison. Alors qu'il est sur place, il reçoit un message sur téléavertisseur de rappeler une policière. Utilisant le téléphone de Cotroni, il apprend en langage codé qu'une opération de descente sera lancée dans la nuit contre l'un des bars contrôlés par Frank Cotroni. Cet appel lui apportera plusieurs soucis, car la police de Montréal a mis sur écoute la ligne téléphonique de Paolo Cotroni. Après un an de procédures internes, elle le suspend de ses fonctions pendant une journée. Pour Lacoursière, « [le] lien de confiance [est] rompu » et il ne veut plus travailler à l'escouade de la moralité. À la fin 1992, il est muté à sa demande au quartier Côte-des-Neiges, près de l'Université de Montréal où il pourra continuer à étudier l'art[13]. Après neuf ans d'études, il obtient son baccalauréat en histoire de l'art en 1998[7].

Le Penseur d'Auguste Rodin. Photographie prise au Musée Rodin en février 2005

En 1989, il visite d'« innombrables musées de [ Paris] », dont le musée Rodin à trois reprises. De retour à Montréal, il suit des cours sur l'art à l'Université de Montréal : « Sa passion a explosé : il a acheté tous les livres d'art qu'il pouvait, s'est abonné à tous les musées d'art québécois »[14]. Il est toujours rebelle face à ses supérieurs. Par exemple, en 1993, il téléphone à la journaliste Nathalie Petrowski, alors à l'emploi de La Presse à Montréal, et se présente sous le nom d'Antoine. Lacoursière et dénonce (1) la « répression bête prônée par la plupart des policiers » du Service de police de la ville de Montréal (SPVM), (2) la réaction de ses supérieurs lors de sa sortie publique contre les élus de Saint-Léonard en novembre 1991 et (3) les petites arrestations qui permettent aux policiers d'accumuler des heures supplémentaires. Petrowski le qualifie de « flic de l'année ». Le SPVM lance une enquête interne pour prouver qu'il est Antoine, mais elle n'aboutit pas[15].

En 1993, il devient l'ami de Serge Lemoyne, peintre qui choque par ses habillements et ses comportements. Lemoyne se plaint que son propriétaire lui a volé des peintures, ce qui est en partie vrai, car il avait offert de payer son loyer avec des peintures, mais le propriétaire en avait emportés plus qu'entendu. Malgré les démarches de Lacoursière, les toiles ne seront jamais retournées. Par la suite, il aidera Lemoyne pendant plusieurs années, jusqu'à ce que l'artiste décède d'un cancer en 1998[16].

En 1993, Lacoursière crée une « petite banque de données » sur les crimes liés à l'art. La même année, grâce à sa banque de données, il découvre un tapis persan mis en vente aux enchères à Montréal qui appartient à un marchand de tapis de New York. Le jour de l'arrestation des voleurs, Lacoursière remet, de façon illégale, le tapis au gérant du magasin new-yorkais. Il sait de façon quasi certaine que les criminels seront remis en liberté, car le marchand de tapis de New York ne veut pas témoigner en personne à Montréal. Il sait également que les deux criminels, des Polonais, ne sont pas citoyens canadiens et ont foulé illégalement le sol américain pour réaliser leur vol. Il y a donc très peu de chance qu'ils se plaignent[17].

Un voleur cultivé et soigneux

Tamas Pikethy est amateur d'art : non seulement il a suivi des cours universitaires dans le domaine, mais en prison il est « boulimique des livres d'art ». Pour découvrir les oeuvres d'arts les plus précieuses des riches propriétaires de Westmount et d'Outremont, il travaille pour le compte d'un traiteur et profite des visites libres des résidences mises en vente. Il se fait également passer pour un camelot qui livre des circulaires publicitaires. Circulant de soir et habillé de tissus sombres, il peut facilement observer l'intérieur éclairé des résidences depuis les alentours. Ensuite, il s'assure que les propriétaires respectent une routine. C'est pourquoi il « livre » par exemple le vendredi soir des circulaires. Le dimanche, il vérifie qu'ils sont toujours à l'extérieur. Après quelques semaines, lorsqu'il est convaincu que les propriétaires sont régulièrement absents la même journée de la semaine, il s'introduit de nuit sur les lieux avec un complice. Une fois la sélection effectuée et les oeuvres embarquées dans une camionnette, les deux attendent jusqu'au matin que la circulation automobile atteigne une certaine intensité avant de s'éloigner. En 2010, Pikethy serait « le plus important cambrioleur d'oeuvres d'art de l'histoire du Québec »[18].

Dans les années 1990, le SPVM met en place un escouade pour lutter contre les crimes liés à l'art. À cette époque, plusieurs résidences luxueuses de Westmount et d'Outremont sont en effet le théâtre de vols d'œuvres d'art. Par exemple, sur l'avenue Maplewood à Outremont en août 1992, des voleurs s'emparent d'une peinture de Jean-Baptiste Corot valant « 600 000 CA$ », de « 20 tableaux et 15 bronzes de Suzor-Côté », qui ne seront jamais retrouvés[19]. En octobre 1993, un enquêteur de l'escouade demande à Lacoursière de l'aider à évaluer et identifier les objets volés par Tamas Pikethy, un natif d'Europe centrale. Après plusieurs années de travail, l'escouade parviendra à faire condamner Pikethy pour certains vols, mais en 2010, elle ignore toujours où se trouve la plupart des objets volés par Pikethy et ses complices[20].

Dans les années 1990, le marché de l'art est peu réglementé au Québec, ce qui permet à différentes fraudes de se réaliser. Par exemple, en novembre 1994, des policiers de la Sûreté du Québec (SQ) font plusieurs perquisitions, dont une au domicile de la chanteuse Michèle Richard. Son conjoint, Yves Demers, et deux autres hommes sont en effet impliqués dans une « "fraude artistique" sans précédent dans les annales du crime québécois ». Le trio sollicite des professionnels à la recherche d'abris fiscaux. Le trio propose à chacun d'acheter des tableaux d'artistes canadiens, dont une partie de la valeur est déductible d'impôt. Quelque temps après que la vente est réalisée, le trio relance chaque acheteur pour lui dire qu'il peut réaliser un profit « de quelque 30 [%] », car un acheteur potentiel s'est manifesté. Souvent, le premier acheteur accepte, heureux de réaliser aussi rapidement un profit. Le trio lui propose alors d'acheter un tableau de plus grande valeur avec l'argent de la vente. Ces achats et ventes multiples entre plusieurs acheteurs qui ne se connaissent pas permet au trio de faire augmenter de façon graduelle le prix d'un même tableau. Lorsqu'un acheteur demande d'avoir la toile en mains propres, le trio peut invoquer qu'elle est exposée ou qu'elle est lithographiée. Après quelques mois, le trio coupe les communications avec l'acheteur, qui perd son argent. Pour évaluer l'ampleur de la fraude, mise à jour dans la région de la ville de Québec, la SQ fait appel aux services de Lacoursière, qui travaille à Montréal. La fraude aurait touché « au moins 2000 victimes » et le trio aurait « jonglé » avec 500 toiles[21].

En juillet 1995, pour défendre son chat et son chien, Lacoursière tire deux balles de son revolver de service en direction d'un raton laveur. Il subit à nouveau une enquête interne du SPVM, qui le suspend pendant une semaine. Le ministère de l'Environnement du Québec lance aussi une enquête pour déterminer si Lacoursière a contrevenu à la loi sur les animaux sauvages, mais abandonne après une semaine de travaux. Le service des enquêtes internes du SPVM tente de faire accuser criminellement Lacoursière, mais les avocats de la Couronne affirment que les preuves sont insuffisantes pour le faire condamner. Ces expériences « [laissent] un goût amer à Lacoursière, qui n'a pas apprécié être discrédité de la sorte par certains de ses collègues »[22].

« À la manière de »

Au Canada, comme dans plusieurs autres pays, il n'est pas illégal de peindre « à la manière de... » ou « dans le style de... ». Ces peintures peuvent être vendues même si « elles sont « signées » du nom de l'artiste dont elles sont « inspirées » », du moment qu'elles ne sont pas présentées comme des oeuvres authentiques[23].

En juin 1997, Lacoursière est muté au centre d'enquêtes du centre-ville. Son patron, Denis Bergeron, lui demande de s'occuper des crimes liés à l'art, ce qui rend Lacoursière « agréablement surpris par cette proposition inattendue ». Cependant, au printemps 1998, un nouveau patron l'oblige à procéder à une évaluation de chaque affaire avant de lancer une enquête et celui-ci ne considère pas les crimes liés à l'art comme importants. Malgré l'opposition de son patron, Lacoursière mène plusieurs enquêtes sur ces crimes[24]. Au printemps 1999, Serge Randez, « grand patron de la section des enquêtes sur les fraudes financières », demande à Lacoursière de se joindre à son équipe. Randez détient une importante collection d'armes blanches, visite régulièrement les musées et n'est pas effrayé par les policiers insubordonnés, du moment qu'ils obtiennent des résultats[25].

En décembre 1997, Lacoursière reçoit un appel d'un galeriste qui se plaint de deux hommes « à l'air louche » qui lui proposent plusieurs tableaux. Il intervient à la galerie d'art et met des toiles dans le coffre de son automobile. Poursuivi par les deux hommes, Lacoursière leur tend un piège, ce qui mène à leur arrestation. Par contre, Lacoursière ne peut prouver qu'il y a recel ou vol, car il ne peut identifier le propriétaire des tableaux qu'il a en main. Le lendemain soir, il apprend qu'ils appartiennent au musée du Collège de Lévis. Les tableaux avaient été volés quatre mois plus tôt lors d'une exposition temporaire. En fouillant dans le passé des deux hommes emprisonnés, Lacoursière déduit que les deux ont perpétré un vol de tableaux en avril 1997. Après s'être entendus avec les deux, Lacoursière les fait libérer et ils lui remettront quelques semaines plus tard les toiles volées[26].

En 1996, l'auteur Claude Robinson avait entamé des procédures judiciaires contre Cinar, qui sera « [condamnée] pour plagiat » en 2009 par un juge de la Cour supérieure du Québec[27]. Robinson doit en partie son succès à Lacoursière. À la demande de l'avocat de Robinson en mai 1999, Lacoursière enquête sur les crédits d'impôt dont a profité Cinar. Le gouvernement du Canada soutient le milieu du cinéma canadien par le biais d'un programme de crédits d'impôt. Par exemple, en 1999, il a versé 1,3 milliard CA$ dans le cadre de ce programme. Cinar a pour sa part reçu 75 millions CA$ en se servant régulièrement de prête-noms, ce qui est illégal dans le cadre du programme. Pendant que Lacoursière mène son enquête, des journalistes publient et diffusent plusieurs reportages qui mettent en doute l'honnetêté de Cinar. C'est le début du scandale Cinar. Lacoursière sait que la Gendarmerie royale du Canada (GRC) lui demandera de remettre les informations qu'il a accumulées, car un tel délit est couvert par une loi fédérale. Une journée avant la rencontre avec des membres de la GRC, il photocopie le dossier et cache les originaux dans l'un « des bureaux de la police de Montréal ». Les policiers de la GRC exigent d'avoir les originaux en mains propres, mais Lacoursière refuse (en 2010, le dossier est toujours caché), craignant que des informations soient détruites ou cachées. Le 7 mars 2000, un comité de vérification publie un rapport qui montre que la direction de Cinar a « transféré 122 millions de dollars américains au Bahamas à l'insu du conseil d'administration ». Entre décembre 2000 et mars 2002, Cinar verse différents montants pour régler des litiges. En 2010, aucune accusation n'a encore été portée contre le couple Charest-Weinberg[28],[29].

Au début de janvier 2002, aidé d'un complice, un prétendu médecin s'empare, dans une galerie d'art, d'une toile de Jean-Paul Riopelle évaluée à 300 000 CA$. En février, les policiers du SPVM, qui n'ont toujours aucune piste, font diffuser une photo du « médecin » sur la chaîne de télévision TVA. Ils reçoivent plusieurs appels, dont un qui oriente Lacoursière vers Charles Abitbol, un homme qui a « fait de la prison dans six pays d'Europe et aux États-Unis pour des vols d'œuvres d'art ». Le lourd passé d'Abitbol n'est pas un motif suffisant pour procéder à son arrestation. Jouant d'audace, Lacoursière arrête Abitbol quelques jours plus tard sans mandat de perquisition. Alors qu'ils roulent vers la prison du centre-ville, Abitbol affirme souffrir de claustrophobie. Tablant sur cette peur, Lacoursière le fait enfermer dans une cellule. Un peu plus tard, il apprend que la toile a été remise au propriétaire d'une lunetterie, où Lacoursière se rend immédiatement et procède à son arrestation devant les employées. Dans la voiture de patrouille, Lacoursière, bluffant et bousculant le commerçant, apprend que la toile se trouve chez sa mère, une « octogénaire clouée dans un fauteuil roulant ». Abitbol sera condamné à faire de la prison, alors que le receleur ne sera pas accusé faute de preuves[30].

À l'été 2002, un employé de la société d'État Loto-Québec informe le SPVM que la collection des œuvres d'art de la société contient plusieurs tableaux volés et au moins un faux. Lacoursière est aussitôt mandaté pour enquêter. Sur place, il juge qu'aucun tableau n'est volé, mais sait d'expérience que plusieurs sont régulièrement copiés. Il conseille alors de faire expertiser les tableaux. En février 2003, un reportage de Radio-Canada rapporte que « la société avait payé beaucoup trop cher certains des tableaux ». Elle avait décidé de ne plus recourir aux services d'un « conservateur d'expérience », préférant faire affaire exclusivement avec un galeriste qui ne propose que des tableaux de sa galerie d'art. De plus, il s'occupe de la collection de la Société des alcools du Québec (SAQ). Les deux étant d'importantes sociétés d'État détenues par le gouvernement du Québec, cette affaire aura des répercussions politiques. Le 13 février 2003, le PDG de Loto-Québec, Gaétan Frigon, qui avait « court-circuité le processus d'acquisitions d'oeuvres d'art », démissionne pour « une affaire de conflits d'intérêts financiers ». Après quelques mois de sagas judiciaires, cette affaire cesse de faire la manchette[31].

Membre de la Sûreté du Québec

Logo de la Sûreté du Québec.

Au printemps 2003, probablement à cause de la couverture médiatique de l'affaire à Loto-Québec, le « numéro deux de la police de Montréal » offre à Lacoursière de servir à la Sûreté du Québec (SQ). Lacoursière refuse dans un premier temps, car le salaire est plus élevé au SPVM et les policiers montréalais travaillent quatre heures de moins par semaine en moyenne. Le supérieur lui apprend qu'il sera employé « avec les avantages de Montréal, sans les inconvénients ». Il accepte l'offre tout en supposant que les responsables de la SQ veulent observer ses gestes pour éviter des remous politiques, ce qu'un ancien membre de la haute direction confirmera plus tard : « le cabinet du premier ministre [du Québec] avait téléphoné à la SQ pour se plaindre de ce policier montréalais qui osait se mêler [des affaires] des sociétés d'État ». Les gens de la SQ avaient répondu que Lacoursière est « celui que tout le monde appelle lorsqu'il est question d'œuvres d'art »[32].

Pendant ses premiers mois à la SQ, Lacoursière est jumelé à Jean-François Talbot, qui fait régulièrement rapport des activités de son collègue à la direction. Quelques mois plus tard, Talbot est convaincu que Lacoursière est un policier qui n'a pas « d'intentions inavouables ». Ils deviennent alors d'« excellents collègues de travail ». Talbot, un ancien avocat, et Lacoursière sont amenés à participer à des conférences internationales de l'UNESCO et deviennent membres du Conseil international des musées. À cette époque et à « leur grand étonnement », ils sont les seuls policiers à être membres de cette organisation, probablement parce que les crimes liés à l'art sont relativement peu importants aux yeux des polices du monde[33].

Au début 2003, un galeriste se plaint à Lacoursière qu'un homme tente de vendre des faux de Jean-Paul Riopelle. Lacoursière connaît l'homme, car il a déjà été arrêté pour un crime lié à l'art. Agissant en dehors des procédures établies par le SPVM, Lacoursière fait dessiner son portrait-robot à partir d'une photo d'identité judiciaire. Ensuite, il envoie un courriel à plusieurs personnes, dont le galeriste et l'homme. Ce qu'ignorent les deux, il n'y a que ceux-ci qui reçoivent le portrait-robot. Le lendemain, craignant d'être reconnu par l'une des personnes de la liste de diffusion, l'homme appelle Lacoursière et s'entend pour lui faire parvenir les toiles. Cet épisode donnera l'idée à Lacoursière de rédiger des courriels qui énumèrent les œuvres d'art récemment volées ainsi que les faux en circulation. Ainsi, les professionnels du milieu ne pourront plus invoquer l'ignorance lorsqu'ils subiront un procès, par exemple[34]. Parrainé par la SQ, c'est en 2005 que le système de diffusion voit le jour sous le nom d'« Art Alerte »[note 1],[35]. En 2010, il rejoint plus de « 100 000 intervenants du milieu de l'art partout dans le monde »[36].

Tableau de Suzor-Côté : La Fin de l'hiver tel qu'exposée au Musée des beaux-arts de Rio de Janeiro.

En décembre 2007, Lacoursière reçoit un appel d'un employé du Art Loss Register (ALR) qui l'informe qu'une toile de Suzor-Côté évalué à 100 000 CAD a été proposée à un marchand d'art. Selon les registres de l'ALR, la toile avait été volée 17 ans plus tôt à l'Université McGill. Cependant, après analyse, l'expert amené par Lacoursière affirme qu'elle est de Rodolphe Duguay, un élève de Suzor-Côté : la valeur de la toile est subitement divisée par deux. Elle sera remise à l'université McGill, qui tentera de la vendre plus tard comme une toile de Suzor-Côté, sans succès[37].

Retraite

Lacoursière a travaillé pour le compte de la SQ de mai 2003 à août 2008[38]. Il a pris sa retraite de la police en 2010 à l'âge de 50 ans, après 28 ans de service. Depuis, il est évaluateur et courtier d'œuvres d'art. Son ancien partenaire Talbot fait partie du « groupe de répression des crimes liés aux œuvres d'art » de la GRC. À cause du peu d'intérêt des policiers pour les œuvres d'art, la relève est difficile à trouver[39]. En 2011, Lacoursière est toujours membre du Conseil international des musées de l'Unesco. « Son témoignage est à l'origine de la télésérie Art sous enquête »[1]. Animée par Lacoursière et scénarisée par Hélène de Billy et Yves Thériault[40], elle est diffusée en janvier, février et mars 2011 sur Télé-Québec[41],[42].

Au début du XXIe siècle, « [le] Canada est la plaque tournante du trafic d'oeuvres d'art entre les États-Unis et l'Europe, et Montréal est au coeur de ce type de crime »[7]. Depuis que Lacoursière et ses prédécesseurs s'intéressent aux crimes liés à l'art, le taux de résolution au Québec est passé d'environ 2 % à 15 %. « Ailleurs dans le monde, ce taux dépasse rarement 10 [%] ». Par exemple, entre 2004 et 2009, la Sûreté du Québec a saisi 150 œuvres d'une valeur totale de 2 millions CAD[43].

Notes et références

Notes

  1. Plus d'informations sur « Art Alerte » : Les crimes liés au marché de l'art, Sûreté du Québec, 2008. Consulté le 1er mai 2011

Références

  1. a et b Larocque 2010 en quatrième de couverture
  2. Nathalie Petrowski, « Alain Lacoursière: pour l'amour de l'art », dans Cyberpresse, 27 novembre 2010 [texte intégral (page consultée le 28 avril 2011)] 
  3. Larocque 2010, p. 11
  4. Larocque 2010, p. 29
  5. Larocque 2010, p. 95-96
  6. Larocque 2010, p. 30-32
  7. a, b, c et d (en) André Cédilot, « Alain Lacoursière: «le Columbo de l'art» », dans Cyberpresse, 4 octobre 2008 [texte intégral (page consultée le 19 mai 2011)] 
  8. Larocque 2010, p. 33-37
  9. Larocque 2010, p. 37-40
  10. Larocque 2010, p. 43-44
  11. Larocque 2010, p. 47-48
  12. Larocque 2010, p. 53
  13. Larocque 2010, p. 55-59
  14. Larocque 2010, p. 61
  15. Larocque 2010, p. 63-65
  16. Larocque 2010, p. 64-72
  17. Larocque 2010, p. 73-76
  18. Larocque 2010, p. 78-81
  19. Larocque 2010, p. 76-77
  20. Larocque 2010, p. 77-81
  21. Larocque 2010, p. 109-111
  22. Larocque 2010, p. 83-87
  23. Larocque 2010, p. 125
  24. Larocque 2010, p. 89-90
  25. Larocque 2010, p. 90-91
  26. Larocque 2010, p. 15-25
  27. Alec Castonguay, « Cinar et ses complices sont condamnés à verser 5,2 millions au créateur plagié », dans Le Devoir, 27 août 2009 [texte intégral (page consultée le 27 août 2009)] 
  28. Larocque 2010, p. 145-158
  29. Radio-Canada, « Cinar récupère ses millions aux Bahamas », dans Radio-Canada, 29 mars 2000 [texte intégral (page consultée le 8 mai 2011)] 
  30. Larocque 2010, p. 265-270
  31. Larocque 2010, p. 227-237
  32. Larocque 2010, p. 237-239
  33. Larocque 2010, p. 240-241
  34. Larocque 2010, p. 243-248
  35. « Art Alerte, un nouveau-né québécois très prometteur », dans Radio-Canada, 24 janvier 2006 [texte intégral (page consultée le 1er mai 2011)] 
  36. Larocque 2010, p. 248
  37. Larocque 2010, p. 253-255
  38. Larocque 2010, p. 239
  39. Larocque 2010, p. 275-276
  40. Télé-Québec, « Infos de production », Télé-Québec, 2011. Consulté le 2 mai 2011
  41. Télé-Québec, « Présentation de l'émission », Télé-Québec, 2011. Consulté le 2 mai 2011
  42. Télé-Québec, « Tous les épisodes », Télé-Québec, 2011. Consulté le 2 mai 2011
  43. Larocque 2010, p. 275

Annexes

Bibliographie

Liens externes


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