Vêpres siciliennes

Vêpres siciliennes
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Les Vêpres siciliennes (1846), par Francesco Hayez.

Les « Vêpres siciliennes » désignent un soulèvement et une révolte populaire de l'île de Sicile contre la domination féodale du roi français Charles d'Anjou, survenu à Palerme et Corleone, le 31 mars 1282, mardi de Pâques. À la suite de ce soulèvement et du massacre des Français, les Siciliens se libèrent du joug angevin en passant sous la protection du roi d'Aragon Pierre III[1]. L'événement est donc à la fois un moment clef de l'histoire nationale sicilienne et un tournant géopolitique.

Sommaire

Contexte

Le contexte italien est celui de la lutte entre les partisans du pape et de l'empereur : les partis des guelfes (pour le pape) et des gibelins (pour l'empereur) se cristallisent à cette occasion.

La situation sicilienne était complexe depuis la mort en 1250 de l'empereur Frédéric II de Hohenstaufen, roi de Sicile et ennemi déclaré de la papauté. Son fils Conrad IV lui succède mais meurt en 1254. Le pape Innocent IV, suzerain nominal de Sicile, veut profiter de la minorité de son fils Conradin pour évincer les Hohenstaufen d'Italie. Le régent de Conradin, Manfred de Hohenstaufen, fils bâtard de Frédéric II, se proclame roi en 1258 au détriment de son neveu. Il est alors excommunié et privé de son royaume par le pape, qui cherche un nouveau prétendant à faire valoir pour abattre la « race de vipères » que représente pour le pouvoir pontifical la famille de Hohenstaufen. En 1266 c'est le comte Charles d'Anjou, frère de Louis IX dit saint Louis qui est investi par le pape du royaume de Sicile. Il envahit le sud de la péninsule italienne et tue Manfred à la bataille de Bénévent le 26 février 1266. Il doit faire face par la suite aux attaques de Conradin, dorénavant assez âgé pour faire valoir ses droits. Toutefois ce dernier est vaincu et fait prisonnier en 1268 à la suite de la bataille de Tagliacozzo. Le 29 octobre, après un procès pour trahison, il est décapité à Naples.

Dès lors, fort de l'appui du pape et de ses victoires militaires, Charles d'Anjou nourrit des projets plus vastes de croisade : il prend le titre de roi de Jérusalem (1277), fait occuper Saint-Jean-d'Acre, et veut contraindre les Byzantins à l'union religieuse. Pour cela, il prépare une expédition contre l'Empire byzantin pour le printemps 1283 et masse sa flotte à Messine.

La mort du dernier des Hohenstaufen et les exactions des seigneurs français de la suite de Charles d'Anjou, peu au fait des institutions particulières de la Sicile, entraînent dans l'aristocratie et les classes urbaines siciliennes un rejet des Français qui se traduit par la préparation d'une révolte. L'un des souverains les plus intéressés par la Sicile est alors le roi Pierre III d'Aragon, qui avait épousé en 1262 Constance de Sicile, fille de Manfred. S'il n'encourage pas la révolte, il est probable qu'il ne fait rien pour l'empêcher. L'empereur byzantin Michel VIII Paléologue, inquiet des visées sur l'Orient qu'entretient Charles d'Anjou, est également contacté par des émissaires siciliens. Début 1282 une flotte de cent quatre-vingt vaisseaux part de Collioure et de Valence[2]. Elle est destinée à punir l'émir de Tunis du non-versement de son tribut à l'Aragon, mais il est probable que le roi Pierre ait également un projet sicilien[3].

Le soulèvement et l'intervention aragonaise

Le soulèvement des « Vêpres siciliennes » débute le 30 mars 1282 à Palerme et à Messine. En ce lundi de Pâques à l’heure des vêpres, au son des cloches, c’est un massacre des troupes de Charles d’Anjou à Palerme et de la plupart des Français.

À en suivre les chroniques du temps, le 31 mars, mardi de Pâques, on assiste à un pèlerinage habituel des familles palermitaines de la porte Sainte-Agathe à l'église du Saint-Esprit (Santo Spirito) hors les murs ; on constate la présence oppressive des soldats français. Le prétexte à l'embrasement n'est pas clair : l'indélicate recherche d'armes sur les jeunes gens et sur les femmes – certaines chroniques évoquent l'offense particulière faite à une jeune fille sur son intimité – ou une pierre lancée par des enfants insultés par les Français ? Dans tous les cas l'étincelle est une atteinte à l'honneur. La réaction se fait violente, les Français ainsi que le personnel administratif amalfitain, sont alors traqués et massacrés. Les artisans palermitains mettent en place une éphémère commune avant d'être rejoints par les habitants de Corleone. Le 30 août 1282, l’héritier le plus proche de Manfred met fin à la République fédérale. Pendant quatre mois, la république avait connu une liberté aussi extraordinaire que sanglante. Seulement le Château de Sperlinga n’a pas participé à la rébellion de 1282 contre les soldats de Charles d’Anjou. Les documents historiques témoignent de la présence de soldats « angevins » dans le château et que les habitants fournissaient de la nourriture pendant le long siège qui a duré presque 13 mois. La légende populaire raconte que les siciliens révoltés obligeaient les étrangers à prononcer le mot « cicero » (pois-chiche) pour découvrir s’il s’agissait d’un Français. Ce mot sicilien était en peu difficile à prononcer pour les Français du Moyen Âge et peut-être pour les Français du XXIe siècle. Sur l’arc en ogive de la première chambre du château on peut apercevoir la devise gravée sur deux pierres qui résume les faits de l’aide du village aux angevins: Quod Siculis Placuit Sola Sperlinga Negavit.(Ce que les Siciliens ont aimé, seulement Sperlinga l’a nié). Finalement ces soldats guidés par Petro de Lemannon ont eu la vie sauve et ils arrivèrent en Calabre où Charles d'Anjou les attendait leur donnant des fiefs.

Une révolte anti-française ? le cri des révoltés est bien « Mort aux Français ». Ce cri sera repris par la formule en Italien ancien : Morta Alla Francia Italia Aviva (A mort la France vive l'Italie) , qui est probablemant à l'origine du mot MAFIA . Les sources présentent les vêpres tantôt comme un complot – ainsi l'Anonyme de Messine, La conspiration de Jean Prochyta et ses références au soutien occulte de Pierre III d’Aragon et de Giovanni da Procida, médecin et jurisconsulte en exil depuis 1275 – tantôt comme un mouvement populaire – Crònica de Ramon Muntaner. Quelle que soit la réalité de ses complots – il apparaît certain que Procida, alors chancelier de la couronne d'Aragon, ait noué des contacts avec les Gibelins de Sicile – le mouvement fut récupéré par Pierre III d'Aragon, massivement soutenu par l'aristocratie et la bourgeoisie catalane[2].

Pierre III d'Aragon débarque à Trapani, ms Biblioteca Vaticana.

La flotte aragono-catalane débarque à Palerme et chasse les troupes fidèles à Charles d'Anjou en dehors de l'île. Peu de français échappent au massacre, parmi lequel Guillaume III des Porcellets, chambellan de Charles d'Anjou et membre de l'illustre Maison de Provence des Porcellets, en considération de sa droiture et de sa vertu. Les émissaires siciliens apportent au roi Pierre la couronne de l'île au nom de sa femme. Il est proclamé roi le 4 septembre. Toutefois son armée n'arrive pas à mettre le pied dans la partie continentale du royaume de Sicile ; c'est le début de la division entre les royaumes de Naples et de Sicile, dont les rois prétendent tous deux au même titre de « roi de Sicile ». Le pape Martin IV, furieux de voir un héritier des Hohenstaufen remettre le pied en Italie, excommunie le roi Pierre et donne son royaume d'Aragon, dont il est également le suzerain, à Charles de Valois, fils de Philippe le Hardi, roi de France, ce qui donne lieu à la croisade d'Aragon.

Portée historique et postérité littéraire

De 1282 à 1372, puis jusqu'en 1422, la Sicile devait connaître un cycle de conflit qui épuisa la monarchie et renforça l'influence des familles gibelines. La guerre entre la maison de Barcelone et la maison capétienne commence et dure vingt ans, jusqu'à la Paix de Caltabellotta (1302) où le roi de Sicile Frédéric III reconnaît les possessions angevines en Italie du sud. Mais la paix ne fut guère solide qu'en 1373 (traité d'Aversa) : les Angevins reconnaissent la possession des Aragons sur la Sicile.

Au-delà, comme a pu le souligner Henri Bresc, les Vêpres peuvent être lues comme une l'« affirmation tumultueuse de la sicilianité », la « première expression unitaire d'une population unie politiquement et bientôt culturellement ».

Littérature

Frappant les imaginations, l'événement devait être mobilisé par Dante - Paradis, VIIIe chant.
Inspirer à Casimir Delavigne une tragédie en cinq actes en 1819[4].
Etre la source d'un roman historique d'Étienne de Lamothe-Langon.

Musique

En 1821 (Jean de Procida ou les vêpres siciliennes) et en 1855, Verdi y consacra un opéra intitulée Les Vêpres siciliennes[5].

Notes et références

  1. (fr)Les Vêpres siciliennes sur www.histoire-pour-tous.fr. Consulté le 18 septembre 2010.
  2. a et b (fr)Les Vêpres Siciliennes - La croisade contre les catalans (1285) sur histoireduroussillon.free.fr. Consulté le 18 septembre 2010.
  3. (fr) voir Sur les événements des 30 et 31 mars 1282 sur www.herodote.net
  4. (fr)Les vêpres Siciliennes: tragédie en cinq actes et en vers Par Casimir Delavigne (Lecture en ligne) sur books.google.fr. Consulté le 18 septembre 2010.
  5. (fr)Les vêpres siciliennes: opéra en cinq actes Par Eugène Scribe,Charles Duveyrier (extrait) sur books.google.fr. Consulté le 18 septembre 2010.

Bibliographie

  • Henri Bresc et Geneviève Bresc-Bautier (sous la direction de), Palerme, 1070-1492. Mosaïque de peuples, nation rebelle: la naissance violente de l'identité sicilienne, Autrement, 1993.
  • Isabelle Heullant-Donat, Jean-Pierre Delumeau, L'Italie au Moyen Âge, Paris, Hachette, Carré histoire, 2000. (ISBN 2010195914)
  • Steven Runciman, Les Vêpres siciliennes Les Belles Lettres, 2008 (ISBN 978-2-251-38090-2)

Voir aussi

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