Vailland : L'homme nouveau

Vailland : L'homme nouveau

L'Homme nouveau (cycle de romans)

Vailland : L'Homme nouveau

Illustration de Vailland : L'Homme nouveau

Le bolchevik : l'homme nouveau


Auteur Roger Vailland
Genre Roman
Pays d'origine France France
Éditeur éditions Corrêa
Date de parution 1950-55
Série Vailland entre 1950 et 1955
Chronologie
Les Mauvais Coups
La Loi

Roger Vailland, un des meilleurs romanciers français des années cinquante, publie entre les années 1950-1955, quatre romans importants qui ont en commun de poser le problème de l'engagement de l'individu dans un projet collectif. C'est la période il milite avec les communistes comme compagnon de route puis à l'intérieur du parti après son adhésion, très souvent il sera sur le terrain avec les militants, sa vie personnelle sera, une nouvelle fois depuis la période de la Résistance, en phase avec un projet collectif.

Il est heureux, milite et écrit des récits de voyages, des essais et surtout des romans qui sont à l'image de sa vie mais représentent aussi, malgré leur caractère engagé, 'partisan', même s'il se veut aussi écrivain au service du peuple, [1] des œuvres majeures dans la littérature française de l'époque. L'écriture chez lui commence souvent de la même façon, telle qu'il le précise dans la revue Arts du 26 février 1964 : « Jai commencé davoir envie décrire un roman et je suis devenu, comme dhabitude, extrêmement attentif à tout ce qui mentoure. Pour moi, cest toujours le premier symptôme. » Ce bonheur, il le définit d'une phrase dans une œuvre posthume, Les hommes nus : « Eygurande est heureux; ce matin il a été tout entier les gestes qu'il accomplissait. »

En 1945, il écrit dans son roman Drôle de jeu : « Nous allons changer la face du monde, ouvrir le cocon frémit déjà LHomme Nouveau. » (Le livre de poche, p158)|

Article principal : Roger Vailland.

Sommaire

Présentation générale

Pendant cette période, Roger Vailland a écrit quatre romans qui seront ensuite présentés de façon plus détaillée. On peut noter dans la chronologie un trou entre la publication des deux premiers en 1950-1951- et des deux suivants en 1954-1955. Pendant cette période 'intermédiaire', Vailland écrit certes, non des romans mais une pièce de théâtre et deux essais mais il voyage beaucoup, en particulier en Égypte et en Indonésie d' il tirera des récits. (voir ci-dessous)

  • 1950 : Bon pied, bon œil, Éditions Corrêa, Paris, 1950, 240 p lon retrouve après la guerre Rodrigue et Marat, les deux héros deDrôle de jeu’.
  • 1951 : Un jeune homme seul, Roman, Éditions Corrêa, Paris,1951, 253 p, Bernard Grasset, Cahiers rouges, œuvre en deux parties mettant en scène Eugène-Marie Favard jeune homme qui étouffe dans un milieu bourgeois et lhomme mûr confronté pendant la guerre à sa solitude et à sa libération par le sacrifice.
  • 1954 : Beau masque, Éditions Gallimard, Paris, 1954, 335 p, Bernard Grasset, Cahiers rouges", la vie des ouvriers dune usine de la vallée de lAlbarine, le destin de Beau asque et de Pierrette Amable dans la grève et la lutte qui les oppose à la direction de lusine.
  • 1955 : 325 000 franczs, Éditions Corrêa, Paris, 1955, 264 p, Éditions LGF, 1963, le destin de Bernard Busard qui tente de sortir tout seul de sa condition ouvrière.

Ouvrages écrits pendant la période 1950-1955 :

  • 1951 : Boroboudour, récit de son voyage en Indonésie, Éditions Corrêa
  • 1952 : Le Colonel Foster plaidera coupable, pièce en cinq actes, les Éditeurs réunis, Paris, 1952, Grasset, 1973
  • 1952 : Choses vues en Égypte, récit de son voyage en Égypte, Éditions Défense de la Paix, Gallimard, 1981 [2]
  • 1953 : Expérience du drame, Essai, Éditions Corrêa Buchet-Chastel
  • 1953 : Laclos par lui-même, Essai biographique, Éditions du Seuil

(voir aussi la rubrique : Le parcours de Vailland en 1950-55)

Vailland : sa vie et ses romans de 1950 à 1955

Cet homme nouveau dont parle Roger Vaillandquil appelle souvent le BOLCHEVIK- naît avec la fin de la guerre, après la publication de Drôle de jeu. Pour Vailland, sa lutte dans la Résistance représente une renaissance, Marat pseudonyme d'un révolutionnaire qui œuvre à une nouvelle révolution, à travers François Lamballe, ce double qui symbolise son passé, un passé dont il se débarrasse enfin comme de vieux oripeaux.

Après la guerre, Vailland liquide son passé, quitte Sceaux ses amis De Meyenbourg lui ont offert lhospitalité jusquen décembre 1950, divorce davec sa première femme Andrée Blavette, qu'il appelle Boule,[3] rompt avec ses anciens amis et le milieu parisien, se libère de lemprise de la drogue. Cest un homme neuf, unhomme nouveauqui sinstalle dans un coin de campagne du département de lAin, aux Allymes, sur les hauteurs dAmbérieu-en-Bugey, dans un maison prêtée par un ami, avec sa nouvelle compagne quil allait bientôt épouser, Elisabeth Naldi quil surnomme Lisina, [4]. Rupture totale. Il fallait cette métamorphose, véritable catharsis, pour que naisse 'lhomme nouveau'.

De Bon pied, bon œil à Un jeune homme seul

Bon pied Bon œil : mes adieux à la culture bourgeoise, écrit Roger Vailland dans ses Écrits intimes le 24 mars 1950.
Dans son œuvre, lhomme nouveau émerge dès son troisième roman Bon pied, bon œil Marat-Lamballe, le héros de Drôle de jeu sefface peu à peu, rejeté par lévolution, à contre sens de lHistoire en marche, au profit deRodrigue’, jeune communiste dynamique et dévoué qui prend de plus en plus dimportance dans le parti. Il est emprisonné, inculpé abusivement pour atteinte à la sûreté de létat mais il sen sort et profite de son séjour en prison pour étudier lhistoire, pour parfaire sa culture. Ses liens avec sa compagne Antoinette se distendent, elle sefface peu à peu de sa vie tandis quil trouve lamour avec son avocate. Il a de la chance, il marche dans le sens de lHistoire. Cest la figure charismatique de lhomme nouveau qui représente lavenir face à Marat et à Antoinette sur laquelle le sort semble sacharner. Rodrigue a tout pour lui, travailleur acharné et conquérant, toujours disponible, il a vraimentbon pied et bon œil’, contrairement à Marat qui boîte depuis un accident et à Antoinette, son ancienne compagne qui rejoindra finalement Marat dans son repaire, borgne depuis une séance musclée dans un poste de police. Marat finira par se retirer de la vie politique, de la vie parisienne, partir dans sa maison lozérienne dans la solitude des hauts plateaux de lAubrac pour aller à la pêche taquiner la truite.

Il agit en fait comme Roger Vailland qui quittera aussi tout ce qui faisait sa vie avant la guerre pour aller sinstaller dans un petit hameau du Bugey dans le département de lAin avec sa future femme Élisabeth Naldi, dite Lisina.

La gare d'Ambérieu

Dans le roman suivant, Un jeune homme seul, un homme Eugène-Marie Favard atteint sa rédemption dans la mort en retrouvant son honneur et en rejoignant la communauté des hommes et de la Résistance dans son sacrifice. Cest aussi lhistoire dune prise de conscience dun homme dont la jeunesse marquée par une mentalité étriquée dun milieu petit bourgeois, ressemble fort celle qua vécue Vailland pendant sa jeunesse rémoise. Au mariage de son oncle, le jeune Favard, élève de seconde en 1923, découvre le fossé qui sépare la vie à Reims, milieu compassé dans une maison particulière et la vie à Paris chez sa grand-mère, qui sépare aussi la façon de vivre et les mentalités. On dit parfois que Vailland est entré en politique comme sa sœur voulait entrer dans les ordres. Na-t-il pas parlé aux Allymes de 'couvent laïc' ? Pendant la guerre, en 1943, il est ingénieur aux chemins de fer, chef de dépôt à Sainte-Marie-des-Anges, - la gare d'Ambérieu-en-Bugey- habite une joli maison mais porte toujours le poids de son isolement. Favard va supporter la défaite et loccupation comme une malédiction, une punition quil faut bien accepter. Quand il prendra conscience de linanité de son comportement, de son aliénation, confronté à la police de Vichy qui enquête sur lun de ses amis saboteur, il trouvera sa rédemption, mènera un combat personnel pour rejoindre dans la mort le combat collectif. Roman largement autobiographique donc, également dans la seconde partie le chef de dépôt Eugène-Marie Favard, sengage dans la Résistance et choisit lhéroïsme pour se sauver du désespoir et de l'alcool.

Le parcours de Vailland en 1950-55

La villa Malaparte

À cette époque, Vailland a une vie fort agitée :

- En 1950 Vailland séjourne chez Curzio Malaparte en Italie, sur lîle de Capri. Il achève son roman Bon pied, bon œil, et un essai sur le Vatican, Le Saint Empire, qui ne sera publié à titre posthume quen 1978. - En 1951, il voyage en Indonésie puis à son retour, au printemps 1951, sinstalle aux Allymes, hameau de lAin dans le Bugey avec Elisabeth Naldi, à la Grange aux loups, puis écrit un nouveau roman Un jeune homme seul et retrace son voyage en Indonésie dans Boroboudour, Bali, Java et autres îles.

- En 1952, il est en Égypte pour un voyage mouvementé puis en Italie il écrit sa pièce Le colonel Foster plaidera coupable.

- En 1953, il écrit deux essais, Expérience du drame et Laclos par lui-même.

- En 1954, il épouse enfin Elisabeth Naldi après son divorce et ils sinstallent à Meillonnas dans le Revermont, vers Bourg-en-Bresse. Il publie son roman Beau masque, écrit un spectacle présenté au Vélodrome d'Hiver pour les cinquante ans du journal, Batailles pour lHumanité et un scénario à partir du live de Maupassant Bel ami, dont le film réalisé par Louis Daquin est interdit et ne sera diffusé quen 1957, dans une version épurée.

- En 1955, il part en reportages dans les pays de lEurope de lEst puis à son retour écrit 325.000 francs.


Voilà des années bien remplies, qui sont aussi marquée par son adhésion officielle au Parti Communiste, quil envoya directement à Jacques Duclos alors emprisonné. Le détonateur, cest la pièce de théâtre quil écrit alors en réaction contre limpérialisme américain et la guerre de Corée : Le colonel Foster plaidera coupable quil écrit dans la foulée, sous le coup de la fureur et de lindignation lors dun séjour sur lîle de Capri il est hébergé par lécrivain Malaparte. En pleine guerre de Corée, sa pièce colle à lactualité : elle se passe dans ce pays en guerre des individus qui nauraient jamais se rencontrer finissent par se rencontrer : Jimmy qui meurt au combat sans trop savoir pourquoi, sans bien savoir ce quil était venu faire dans ce foutu pays, Marsan un communiste condamné à mort et qui veut envers et contre tout, croire encore au bonheur, et le colonel Foster traversé par des pensées contradictoires, dont le cœur se révulse à lidée de cautionner des crimes de guerre. Sa pièce antimilitariste, jouée le 16 mai 1952 au théâtre de lAmbigu est interdite par arrêté préfectoral dès sa première représentation. Vailland en est ulcéré et conforté dans sa lutte contre une quatrième république décidément trop pusillanime et trop soumise aux Américains.

Vailland se rend aussi en Égypte en vue décrire des reportages et un livre sur la situation du pays politiquement instable et enjeu de pouvoir entre lEst et lOuest. Il veut en avoir le cœur net sans toutefois être dupe, écrivant à sa femme Elisabeth le 18 août 1952 : « Jen ai marre quon me raconte des histoires politiques sur un pays qui nest pas le mien et dans lequel je nai pas de rôle actif à jouer. »

Il arrive dans un pays en plein effervescence. Le roi Farouk vient dêtre renversé mais rien nest joué et chacun pense au devenir du canal de Suez. Vailland est rapidement pris dans ce tourbillon, prend des risques, mis aux arrêts, jeté dans un camion enchaîné à un fellah et finissant sur le ciment nu dune prison. Il garde de lÉgypte des images décrivain sur la beauté du pays, écrivant dans son récit : «  …vert tendre des jeunes rizières, jaune lumineux des grosses fleurs de coton, vert profond des champs de canne à sucre, » mais aussi une vision de journaliste sur la situation locale, « La vallée du Nil est le plus riche jardin du monde et le fellah le plus misérable jardinier. »

Entre voyages, reportages et écriture de romans, Vailland traque toujours lhomme nouveau, soucieux de saméliorer pour lui ressembler, sapprocher de son idéal, mais il noublie pas lhomme de qualité, et même à cette époque, poursuit sa réflexion à travers son essai Laclos par lui-même, il présente Les liaisons dangereuses à travers litinéraire biographique de Choderlos de Laclos.

De Beau masque à 325.000 francs

Beau Masque

Chutes de l'Albarine

Après son voyage en Indonésie, il emménage au printemps 1951 avec Elisabeth Naldi quil a rencontrée à la fin de lannée 1949, à La Grange aux Loups dans une maison du hameau des Allymes sur les hauteurs dAmbérieu-en-Bugey, loin du milieu parisien. Aux Allymes, il découvre la vie quotidienne des paysans du village et des ouvriers de la vallée de lAlbarine, il milite, fréquente les cheminots dAmbérieu-en-Bugey, milieu de cheminots qui sert de cadre à la première parie de son roman Un jeune homme seul, suit les meetings et les campagnes électorales avec son ami, le député ,communiste Henri Bourbon, se lance dans une série de reportages sur lindustrie textile à Saint-Rambert-en-Bugey et la vallée de lAlbarine, d naîtra Beau masque et la figure de la femme nouvelle, Pierrette Amable, sans doute le plus représentatif des romans quil écrit à cette époque.


Beau masque [5] passe pour être le credo de Roger Vailland, lœuvre la plus représentative de cette période, une œuvre écrite dans le feu de laction après une série de reportages dans ce coin du Bugey il réside alors. On peut compulser les articles publiés dans plusieurs journaux, [6] découvrir les protagonistes de son roman, retrouver son héroïne Pierrette Amable sous les traits de Marie-Louise Mercandino, la vallée de lAlbarine vouée au textile, la lutte magnifique des ouvriers et des ouvrières de Saint-Rambert-en-Bugey. Brusquement, Vailland abandonne ses reportages, sisole comme il le fait souvent quand il tient son sujet, quand il est capable de visualiser parfaitement les scènes quil va ensuite retranscrire. Quelque part dans l'est de la France, un italien séduisant, qui sappelle en réalité Belmaschio mais dont on a francisé le nom en Beau Masque, qui na fui lItalie à cause dennuis avec la police qui lui reproche davoir liquidé deux collabos pendant la guerre et davoir été linstigateur dune grève, est devenu ramasseur de lait pour la coopérative du Clusot. Pierrette Amable est ouvrière dans une usine de filature et simplique totalement dans laction syndicale au détriment de sa vie privée. Depuis la séparation davec son mari, elle a confié la garde de son enfant à une parente. Deux hommes vont prendre une grande importance dans sa vie : d'abord un camionneur, émigré italien surnommé Beau Masque , puis dans un bal organisé par le parti communiste, elle rencontre Philippe Letourneau, le directeur de l'usine, jeune fils à papa dont les parents possèdent lentreprise. Amour impossible avec Philippe, le directeur dusine et Pierrette, louvrière déléguée syndicale. C'est son aventure amoureuse avec Beau Masque est contrariée par des difficultés économiques, une vague de licenciements qui va déclencher une grande grève et mener jusquau drame final et à la mort de Beau Masque.

325.000 francs

Ville d'Oyonnax

Il sintéresse aussi aux évolutions de la région, au rapide développement dOyonnax [7] et les difficultés de la condition ouvrière, d va naître 325.000 francs, qui clôturera cette époque de sa vie et manquera de peu le prix Goncourt. Mais ce ne sera pour Vailland que partie remise. Henri Bourbon, son ami député communiste, rappelait ainsi la naissance de 325.000 francs : « J'allais à Oyonnax avec ma femme voir les gosses. Dans la semaine précédente, on nous avait signalé que les accidents dus aux cadences de travail devenaient de plus en plus nombreux et qu'il fallait qu'on fasse quelque chose pour en finir [...] Alors j'ai dit aux camarades : Je vois bien Roger descendre à Oyonnax une huitaine de jours, faire un reportage -dessus. » Ce roman naquit ainsi de la même façon que Beau masque.
Dans ce roman, Bernard Busard est un ouvrier, un travailleur compétent et acharné, prêt à tout pourse faire une place au soleil’, un individualiste au regard fixé sur ses objectifs. Il a déjà prouvé dans les courses cyclistes locales auxquelles il participe, son abnégation, sa pugnacité, son courage aussi quand il tombe et remonte sur son vélo, encore marqué dans sa chair par sa chute, même si le succès nest pas au rendez-vous. [8]

Busard le cycliste

Morel, le directeur de l'équipe et Marie-Jeanne son amie, une jeune lingère qui refuse dépouser un ouvrier comme Bernard, ne croient pas vraiment en lui. Il nen demande pourtant pas beaucoup : pouvoir acquérir un petit bistrot bien placé lui suffirait, réunir l'argent nécessaire et quitter Bionnas, cette ville poussée trop vite, s'installer au bord de la Nationale 7, axe routier qui est le symbole du sud, des vacances, de la libération. Son rêve : devenir son propre patron, se libérer de sa condition ouvrière et épouser Marie-Jeanne. Pour leur prouver sa valeur et démontrer quil nappartient pas à la race des vaincus, il décide de défier le sort et sa condition : fabriquer en série un modèle de carrosse en plastique pendant six mois avec une presse à injecter de l'usine Plastoform. Un véritable marathon des temps modernes. Pour arriver à ses fins et faire sa demande officielle à son amie, il devra travailler avec un associé en continu sur une presse à emboutir, produire et produire tant quil naura pas gagné largent nécessaire pour réaliser son rêve. Têtu, tendu vers son objectif, il nécoutera personne : ni Chatelard, le vieux délégué syndical qui voit bien le piège et lui reproche son individualisme, ni Juliette, jeune femme entretenue par le patron de l'usine, qui tente de le mettre en garde : « Tu ne vois donc pas qu'ils vont t'avoir? » Mais rien ny fait, Busard est tout entier dans son univers, imperméable aux autres. On retrouve dans ce roman toute latmosphère dOyonnax, une petite ville du haut Bugey qui a grandi trop vite, transformant les paysans et leurs fils sans culture ouvrière dans cette zone rurale reculée du département de lAin, en ouvriers employés dans les usines de matière plastique.

Bien sûr, il échouera dans sa tentative de libération individuelle, il sera patron de bistrot manchot, chouchouté par son épouse. Défaite ou en tout cas victoire à la Pyrrhus quil paiera au prix fort, meurtri dans sa chair. La réalité est bien différente de son rêve : le petit bistrot nest quun « cube de béton blanc, à côté d'un poste à essence équipé de six pompes automatiques, éclairé aux néons toute la nuit. » Comme Milan, le héros de son deuxième roman Les mauvais coups ou Duc, le héros libertin et souverain de La Fête, Bernard Busard porte aussi un nom de rapace, mais ici le bel oiseau qui rêvait de senvoler vers des terres de liberté finira manchot, amputé dune aile, destiné à passer le reste de sa vie dans son snack-bar le long de la route nationale. La machine qui fabrique à la chaîne les petits carrosses en plastique fabriquait auparavant des corbillards. Curieuse reconversion et symbole symptomatique pour Vailland.

Dans ces deux romans, le narrateur ressemble beaucoup à Vailland: dans Beau Masque, il se nomme Roger, est écrivain et journaliste ; dans 325 000 francs, cest un féru de courses cyclistes et sa femme est italienne, comme Roger Vailland grand amateur de courses cyclistes, qui a publié plusieurs articles sur le sujet et parlé de son goût pour le vélo dans un court essai De Lamateur[9] dont la seconde femme Elisabeth Naldi est italienne.

Le déclin de l'homme nouveau

Destalinisation

La défaite, le sacrifice des héros, leur mort enfin, que ce soit Eugène-Marie Favard dans Un jeune homme seul ou Beau masque, apparaît à la fin comme une victoire collective, des lendemains qui chantent, même si Pierrette Amable sait que cette victoire est éphémère, alors que la victoire de Bernard Busard est trop chèrement payée, une simple victoire damour-propre qui sanalyse comme une défaite collective des ouvriers des usines de matière plastique. Il nest quun électron libre qui na aucune valeur dexemple, alors que les autres, Rodrigue, Eugène-Marie Favard, Pierrette Amable sont les maillons nécessaires dorganisations qui, à longue échéance, seront victorieuses.

Roger Vailland et sa femme Elisabeth considèrent cette période pourtant difficile pour eux sur le plan matériel comme la plus heureuse de leur vie. Leurs conditions matérielles vont saméliorer et en 1954, Roger et Elisabeth se marient puis à lautomne sinstallent à Meillonnas, un village à quelque vingt kilomètres de Bourg-en-Bresse. Mais brusquement, les nuages vont samonceler et balayer le bel optimisme de Vailland. Les événements lui imposent de tout remettre en cause, de remiser au placard lhomme nouveau en attendant des jours meilleurs. Il reprend la recherche commencée dix ans plus tôt, au lendemain de la guerre [10] dans les courts essais écrits après la publication de Drôle de jeu, quil réunira bien plus tard en 1962 dans un essai sous le titre Le regard froid, de ce quil appelle lhomme de qualité.

Ainsi à partir de 1956 et de la publication de son Éloge du cardinal de Bernis, [11] lhomme de qualité succède au Bolchevik, à lhomme nouveau. Cest sans doute cette dissociation entre ces deux thèmes essentiels de son œuvre quil aura beaucoup de mal à surmonter. Cest sa vie qui donne à Vailland son inspiration, il y puise largement pour se projeter dans ses romans, une vie qui doit se trouver en phase avec lHistoire. Il est des écrivains dont la biographie et lœuvre sont intimement liées. Que vienne le temps des ruptures et cest lhomme qui se trouve remis en cause, en porte à faux avec lHistoire. Ce nest pas le printemps de Prague qui va tuer lhomme nouveau mais le XXème congrès du PCUSle parti communiste soviétique- la statue du commandeur Joseph Staline déboulonnée, ses crimes dénoncés et lhomme voué aux gémonies, puis peu de temps après les chars soviétiques à Budapest, larmée russe venant embrasser le peuple frère pour mieux létrangler. Une sale année 1956 qui allait poursuivre Roger Vailland encore longtemps.

Du roman au théâtre

L'exemple de 325.000 francs

Trente ans après sa publication sous forme de roman-feuilleton, 325.000 francs est adapté au théâtre. Lors de sa publication, il a été considéré comme un roman symbole, objet de nombreux débats, sur les questions importantes qu'il soulevait et qui agitaient l'époque. Il s'agit avant tout, au-delà de sa dimension militante, du parcours initiatique d'un homme à travers sa passion pour le cyclisme, sa relation aux autres, au travail et à l'amour.

L'adapter pose une question de décalage historique, celui de la transposition de l'œuvre dans un autre contexte, sans tomber dans le théâtre-récit largement répandu dans les années quatre vingt. Sur les 18 tableaux définis dans l'adaptation, seuls le premier et le dernier se présentent sous forme de récits, le corps de la pièce étant dialogué en scènes dans une transcription la plus proche possible des dialogues du roman. L'action se déroule essentiellement dans quatre décors différents :
- le bar 'le petit Toulon';
- la chambre de Marie-Jeanne, future femme de Busard;
- l'atelier;
- le foyer des Busard.

Trois scènes inédites ont été ajoutées suivant les notes de Vailland et des références puisées dans Beau Masque et Drôle de jeu. Il a fallu aussi donner plus d'importance à des personnages secondaires dans le roman pour rééquilibrer l'ensemble de la pièce et construire des rôles plus intéressants. C'est justement cette possibilité d'incarnation dramatique que donne le théâtre, qui permet de retranscrire toute l'intensité qui se dégage du roman, le combat de Bernard Busard avec sa machine, ce pari insensé qu'il s'est lancé à lui-même.

Notes et références

  • 325.000 francs : le drame d'un homme qui voulait s'en tirer tout seul, Roger Vailland, interview de l'Humanité du 27 octobre 1964
  • Cyclisme, défense de l'amateur, Roger Vailland, Les Nouvelles littéraires du 5 décembre 1957
  • Carnet de route de la campagne électorale dans l'Ain, Roger Vailland, article paru dans l'Humanité dimanche de janvier 1956
  • Interview express sur Beau Masque, Roger Vailland, Les Lettres françaises du 28 octobre 1954
  • Quatre questions sur Beau Masque, article paru dans l'Humanité du 7 féfvrier 1955
  1. voir Jean-Pierre Tusseau, Roger Vailland : un écrivain au service du peuple, Nouvelles éditions Debresse, 1976
  2. voir Roger Vailland en Egypte, Francis Pornon, Cahiers Roger Vailland n°19, Le temps des cerises, 2003
  3. voir son deuxième roman Les Mauvais Coups
  4. voir son livre autobiographique Drôle de vie, paru chez Jean-Claude Lattès
  5. Pour la genèse de Beau masque, voir la série d'articles parue dans le journal Les Allobroges du 12/04/ au 03/05/1953 intitulée Le nouveau seigneur de l'Albarine
  6. voir les deux tomes de sa Chronique, ensemble d'articles qu'il écrit de 1928 à 1964
  7. voir la revue Visages de l'Ain, Oyonnax, Meillonnas, 1965
  8. voir Les cahiers Roger Vailland n°23 : un art nommé sport
  9. Éssai intégré dans son recueil d'essais Le regard froid
  10. voir par exemple Esquisse pour le portrait d'un vrai libertin
  11. Essai intégré dans son recueil d'essais Le regard froid puis chez Grasset

Voir aussi

  • Michel Picard, Libertinage et tragique dans l'œuvre de Roger Vailland, Éditions Hachette, 1972
  • Situation de Roger Vailland, articles sur 325.000 francs et ses romans engagés, Les cahiers Roger Vailland no 12, Le temps des cerises, 1999
  • Mathilde Fleuy-Mohler, Les corps dans 325.000 francs et Beau masque, site Roger Vailland, 2005
  • Jean Laurenti, présentation de 325.000 francs, Le matricule des anges, littérature contemporaine, 2003
  • Roman 20/50, revue d'étude sur les romans du 20e siècle : Roger Vailland, étude de Drôle de jeu, 325.000 francs et La truite , sous la direction de Marie-Thérèse Eychart, no 35, juin 2003

  • Jean Mailland, Un jeune homme seul, Les cahiers Roger Vailland no 13, Le temps des cerises, 2000
  • Antoine Vincent, La ligne de fuite d'un homme seul, Les cahiers Roger Vailland no 22, Le temps des cerises, 2004
  • David Nott, Représentation de la mère dans Un jeune homme seul, site Roger Vailland, 2006
  • Critique des romans, Roger Vailland et les lecteurs de son temps (1945-1955), Les cahiers Roger Vailland no 24-25, Le temps des cerises

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