Théologie de la substitution

Théologie de la substitution

La théologie de la substitution, ou théorie de la substitution, ou supersessionisme est une doctrine selon laquelle le christianisme se serait substitué au judaïsme dans le dessein de Dieu.

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Sommaire

Origine

Au milieu du IIe siècle, Justin de Naplouse (100-114 – 162-168), dans le Dialogue avec Tryphon, un dialogue où il défend le christianisme contre un interlocuteur juif fictif, affirme pour la première fois que l’Église est le « véritable Israël » (cf. § 135).

On considère quelquefois que cet ouvrage apologétique chrétien est le premier écrit qui a été interprété comme la rupture entre les juifs et les chrétiens[1].

Pour sa part, au IIe siècle, Marcion préconisait de rejeter en bloc l'influence judaïque sur la foi chrétienne. Le marcionisme a été condamné en 144.

La théologie de la substitution prit une place énorme chez les Pères de l'Église : considérant qu’Israël ne s’était pas converti, puisqu'il n’avait pas reconnu le Messie, ils affirmaient que son rôle était terminé, et que les chrétiens devaient le remplacer.

Cette doctrine fut développée par plusieurs auteurs, parmi lesquels :

  • Tertullien (né vers 150-160 et mort vers 230-240) à Carthage. Dans son Adversus Judaeos, Tertullien emploie métaphoriquement Gn 25 23, et fait de l'aîné des jumeaux Esaü l'incarnation des Juifs et du cadet Jacob celle les chrétiens, le « moindre » (Jacob) devant supplanter son aîné[2],[3].

Position des Églises

Église catholique

Dans le catholicisme, la paternité de la théologie de la substitution est généralement attribuée à Paul de Tarse, sur la base d'une sur-interprétation[4] de l'épître aux Galates 6:15-16:

« La circoncision n'est rien, ni l'incirconcision ; il s'agit d'être une créature nouvelle ; et à tous ceux qui suivront cette règle, paix et miséricorde, ainsi qu'à l'Israël de Dieu ».

Selon Mgr Francis Deniau, évêque de Nevers, et président du Comité épiscopal pour les relations avec le judaïsme, on a souvent, mais abusivement, opposé cette expression à 1 Corinthiens 10, 18, qui parle de l’"Israël selon la chair", en l'interprétant comme le peuple juif, alors que les chrétiens seraient l'Israël de Dieu, le "véritable Israël"[5].

Le concile de Florence au XVe siècle a réaffirmé la théologie de la substitution.

L'encyclique Mystici Corporis Christi du pape Pie XII (29 juin 1943) indique : « La mort du Rédempteur a fait succéder le Nouveau Testament à l'Ancienne Loi abolie. »

L'allocution adressée par le pape Jean-Paul II aux dirigeants des communautés juives d'Allemagne (Mayence, 17 novembre 1980) évoque le « peuple de Dieu de l'ancienne Alliance, qui n'a jamais été révoquée par Dieu ».

Lors du concile Vatican II, la section 4 de la déclaration Nostra Aetate définit la position de l'Église catholique par rapport au judaïsme. En voici un extrait :

« L'Église du Christ, en effet, reconnaît que les prémices de sa foi et de son élection se trouvent, selon le mystère divin du salut, dans les Patriarches, Moïse et les prophètes. Elle confesse que tous les fidèles du Christ, fils d'Abraham selon la foi [6], sont inclus dans la vocation de ce patriarche et que le salut de l'Église est mystérieusement préfiguré dans la sortie du peuple élu hors de la terre de servitude. C'est pourquoi l'Église ne peut oublier qu'elle a reçu la révélation de l'Ancien Testament par ce peuple avec lequel Dieu, dans sa miséricorde indicible, a daigné conclure l'antique Alliance, et qu'elle se nourrit de la racine de l'olivier franc sur lequel ont été greffés les rameaux de l'olivier sauvage que sont les Gentils[7]. L'Église croit, en effet, que le Christ, notre paix, a réconcilié les Juifs et les Gentils par sa croix et en lui-même des deux a fait un seul[8]. »

Commentaire

Monseigneur Francis Deniau, évêque de Nevers, et président du Comité épiscopal pour les relations avec le judaïsme, a déclaré en 2004 :

« Aujourd'hui, l'Église a répudié toute "théologie de la substitution" et reconnaît l'élection actuelle du peuple juif, "le peuple de Dieu de l'Ancienne Alliance qui n'a jamais été révoquée" selon l'expression du pape Jean-Paul II devant la communauté juive de Mayence le 17 novembre 1980. »

Mais les Actes du IIe concile œcuménique du Vatican, réaffirment-ils la doctrine de la substitution ? Ainsi, il est écrit dans la déclaration Nostra Ætate, 4 :

Encore que des autorités juives, avec leurs partisans, aient poussé à la mort du Christ, ce qui a été commis durant sa passion ne peut être imputé ni indistinctement à tous les Juifs vivant alors, ni aux Juifs de notre temps. S'il est vrai que l'Église est le Nouveau Peuple de Dieu, les Juifs ne doivent pas, pour autant, être présentés comme réprouvés par Dieu ni maudits, comme si cela découlait de la Sainte Écriture. Que tous donc aient soin, dans la catéchèse et la prédication de la parole de Dieu, de n'enseigner quoi que ce soit qui ne soit conforme à la vérité de l'Évangile et à l'esprit du Christ.
En outre, l'Église qui réprouve toutes les persécutions contre tous les hommes, quels qu'ils soient, ne pouvant oublier le patrimoine qu'elle a en commun avec les Juifs, et poussée, non pas par des motifs politiques, mais par la charité religieuse de l'Évangile, déplore les haines, les persécutions et toutes les manifestations d'antisémitisme, qui, quels que soient leur époque et leurs auteurs, ont été dirigées contre les Juifs.

L'expression "Nouveau Peuple" de Dieu, exprimerait, d'après certains exégètes[9], l'intériorisation qu'a faite l'Eglise de la théologie de la substitution, ou, pour d'autres[10], pourrait à l'inverse permettre des approches théologiques non « totalitaires ». On trouve, la même conception dans la constitution conciliaire dogmatique Lumen Gentium (sur l'Église), du 21 novembre 1964,  :

L'Israël selon la chair, cheminant dans la solitude, prend déjà le nom d'Eglise de Dieu (II Esdr. 13, 1; cf. Nombr. 20, 4; Deut. 23, 1 et suiv.); de même le nouvel Israël, celui de l'ère présente en quête de la cité future et qui ne finit pas (cf. Hébr. 13, 14), s'appelle également l'Eglise du Christ (cf. Mt. 16, 18). Car le Christ lui-même l'a acquise au prix de son sang (cf. Act. 20, 28), remplie de son Esprit et pourvue de moyens aptes à procurer une union visible et sociale. Dieu a convoqué ta communauté de ceux qui regardent avec foi Jésus, auteur du salut, principe d'unité et de paix, et il en a fait l'Eglise, afin qu'elle soit pour tous et pour chacun le sacrement visible de cette unité salvifique. Cette Eglise qui doit s'étendre à toute la terre et entrer dans l'histoire humaine, domine en même temps les époques et les frontières des peuples. Au milieu des embûches et des tribulations qu'elle rencontre, elle est soutenue, dans sa marche, par le secours de la grâce divine que lui a promise le Seigneur, afin que, dans la condition de l'humaine faiblesse, elle ne laisse pas d'être parfaitement fidèle, mais demeure la digne épouse de son Seigneur et se renouvelle sans cesse elle-même, sous l'action de l'Esprit-Saint; jusqu'à ce que, par la croix, elle parvienne à la lumière qui ne connaît pas de déclin.

Églises protestantes libérales

La plupart des Églises se réclamant du protestantisme libéral se sont affranchies du supersessionisme depuis le XIXe siècle.

D'autres théologies sont souvent avancées, telles que :

Notes et références

  1. Bernard Lazare, L'Antisémitisme, son histoire et ses causes, 1903.
  2. Daniel Boyarin, Mourir pour Dieu, Bayard 2004, p.14. En note de cette page, D.Boyarin réintroduit une « paternité » paulinienne à la théologie de la substitution: d'après lui, Tertullien adopterait la même démarche typologique que Saint Paul, relativement à Agar et Sara en Ga 4 21-31.
  3. (en) Geoffrey D. Dunn, Tertullian's Aduersus Iudaeos: a rhetorical analysis, éd. CUA Press, 2008, p.  108-109, extrait en ligne
  4. M.Macina, La substitution dans la littérature patristique, la liturgie et des documents-clé de l’Église catholique, article cité infra
  5. Mgr Francis Deniau, Actualité des dons de Dieu au peuple juif , 2004, Lire en ligne
  6. Gal.,3,7
  7. Rom.,11,17-24
  8. Eph.. 2, 14-16
  9. Ainsi, voir M. Macina, La substitution dans la littérature patristique, la liturgie et des documents-clé de l’Église catholique
  10. Dominique Cerbelaud, Questions à la théologie chrétienne après la Shoah, Théologiques, vol.11, n°1-2, pp.271-283 Lire en ligne

Voir aussi

Articles connexes

Bibliographie

  • Marcel Simon, Verus Israël : Les relations entre chrétiens et juifs dans l'empire romain (135-425), Boccard, 2e édition, 1983, ISBN 978-2701800035
  • Le déchirement. Juifs et chrétiens au premier siècle. Ekkehard W. Stegemann. 1996. Le sujet de l'épître aux Romains et Romains 9,11. Pages 113-125.
  • Revue SENS, n° 290, septembre 2004, pp. 441/452. Article de monseigneur Francis Deniau, à la suite de l'émission sur l'origine du christianisme.

Liens externes


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