Suette

Suette

La suette est une ancienne maladie infectieuse épidémique caractérisée par une fièvre importante, une transpiration profuse et une mortalité élevée.

On en distingue deux variétés :

Cette maladie appartient à l'histoire de la médecine : en effet aucun nouveau cas n'a été enregistré depuis le milieu du XVIe siècle pour la suette anglaise, et le début du XXe siècle pour la forme miliaire. Son agent causal reste par conséquent hypothétique. Certains arguments cliniques et épidémiologiques suggèrent le diagnostic rétrospectif d'une infection à hantavirus.

Sommaire

La suette anglaise

Il s'agit d'une maladie mystérieuse et hautement virulente qui a frappé l'Angleterre, puis l'Europe sous forme d'épidémies récurrentes. La première épidémie eut lieu en 1485 et la dernière en 1551 après quoi la maladie semble avoir complètement disparu. Les épidémies ont eu lieu surtout durant l'été et au début de l'automne et ont concerné une population de sujets adultes masculins. Le début des symptômes était soudain et spectaculaire et la mort survenait en quelques heures. L'étiologie en reste inconnue.

Cette maladie infectieuse ne doit pas être confondue avec l'hyperhidrose, un symptôme consistant en une sudation excessive et parfois improprement appelé « suette » (sweating disease) par les Anglo-saxons.

Historique

L'épidémie de 1485

La suette attira l'attention des médecins au tout début du règne d'Henri VII d'Angleterre. Elle était connue, en effet, quelques jours après le débarquement d'Henri à Milford Haven le 7 août 1485, car on possède des preuves formelles qu'on en parlait avant la bataille de Bosworth Field le 22 août. L'épidémie éclata à Londres peu après l'entrée d'Henri VII dans la capitale le 28 août, et y fit plusieurs milliers de morts, jusqu'à son extinction vers la fin du mois d'octobre de la même année[1]. Parmi les victimes figuraient deux lord-maires de Londres, six aldermen et trois shérifs[2]. Cette maladie inquiétante fut bientôt connue sous le nom de suette. Elle était bien identifiée comme distincte de la peste, de la fièvre pestilentielle ou d'autres maladies épidémiques déjà connues, non seulement par son symptôme caractéristique, l'hypersudation, mais aussi par sa progression foudroyante vers l'issue fatale.

La suette atteignit probablement l'Irlande en 1492, date à laquelle les annales d'Ulster[3] enregistrent le décès de James Fleming, baron de Slane, de la pláigh allais « récemment venue en Irlande ». Les Annales de Connacht[4] ont également enregistré ce décès, et les Annales des Quatre Maîtres[5] signalent « une peste inhabituelle » à Meath, « d'une durée de 24 heures » ; et que quiconque y survivait au delà de ce délai guérissait. Elle n'attaquait pas les nourrissons ni les jeunes enfants. Il faut noter cependant que Freeman, dans une annotation de bas de page des Annales de Connacht, récuse la possibilité que cette peste ait été la suette, malgré la ressemblance des noms, mais évoque plutôt une « fièvre de la faim à rechutes », peut-être le typhus.

Les épidémies de 1507 et 1517

La suette ne fit plus parler d'elle de 1492 à 1507, année durant laquelle une seconde épidémie survint, de bien moindre gravité que la première. Dix ans plus tard, en 1517, éclata la troisième épidémie qui fut beaucoup plus sévère. Elle eut un taux de mortalité important à Oxford, Cambridge et dans d'autres villes, allant jusqu'à tuer la moitié de la population de certaines d'entre elles. La maladie ne s'étendit pas ailleurs qu'en Angleterre, à l'exception des villes de Calais et Anvers où l'on observa quelques cas.

L'épidémie de 1528

Page de titre d'un traité publié à Marbourg en 1529 par Euricius Cordus (de), consacré au traitement de la suette anglaise (« Englisch Schweiß »).
Eyn Regiment, wie ma sich vor der Newen Plage/ Der Englisch schweiß genant/ bewaren/ Un so man damit ergriffen wirt/ darin halten sol.

Cette année-là, la maladie refit son apparition pour la quatrième fois et frappa avec une grande sévérité. Elle se manifesta d'abord à Londres à la fin du mois de mai et s'étendit rapidement sur toute l'Angleterre, en épargnant l'extrême Nord du pays, l'Écosse et l'Irlande. À Londres, la mortalité fut très élevée ; la cour fut décimée et Henri VIII se vit contraint de fuir la ville et de changer souvent de résidence. On pense qu'Anne Boleyn pourrait avoir contracté la maladie et y avoir survécu. Le fait le plus remarquable concernant cette épidémie est qu'elle se répandit sur l'Europe, ayant fait soudainement son apparition à Hambourg et s'étant propagée si rapidement qu'elle tua un millier de personnes en l'espace de quelques semaines. La terrible suette poursuivit ainsi sa marche destructrice vers l'Est de l'Europe se répandant à la manière du choléra avec une mortalité effroyable. Elle atteignit la Suisse en décembre, puis plus au nord le Danemark, la Suède et la Norvège, et à l'est la Lituanie, la Pologne et la Russie. Elle émergea aussi dans les contrées appartenant aujourd'hui à la Belgique et aux Pays-Bas, probablement en provenance directe d'Angleterre car elle apparut simultanément dans les ports d'Anvers et d'Amsterdam au matin du 27 septembre. Elle ne se manifesta en revanche jamais en France ou en Italie, mais elle est notée dans le duché de Lorraine où le dernier cas est signalé en 1557[6].

Dans tous les endroits qu'elle infecta, la maladie n'eut qu'une durée très brève, généralement pas plus de deux jours. À la fin de l'année, la suette avait entièrement disparu, sauf en Suisse orientale où elle dura jusqu'à l'année suivante. Après quoi elle ne réapparut plus sur le continent européen.

La dernière épidémie de 1551

Portrait de Henry Brandon, 2ème duc de Suffolk (1535-1551), par Hans Holbein le Jeune.

La dernière grande vague de la maladie survint en Angleterre en 1551. Un médecin éminent, John Caius, en fut à l'époque un témoin direct et rédigea un compte rendu intitulé : A Boke or Counseill Against the Disease Commonly Called the Sweate, or Sweatyng Sicknesse. Parmi les victimes de cette épidémie figurèrent les jeunes Henry et Charles Brandon, ducs de Suffolk tous les deux foudroyés à une heure d'intervalle le 14 juillet 1551.

Portrait de Charles Brandon, 3ème duc Suffolk (1537-1551), par Hans Holbein le Jeune.

La maladie ne fut plus jamais observée en Angleterre après l'an 1578.

Symptômes

Les symptômes décrits par Caius et par d'autres médecins sont les suivants. La maladie commençait très soudainement par un sentiment d'appréhension, suivi par des frissons (parfois très violents), des vertiges, des maux de tête et de fortes douleurs de la nuque des épaules et des membres accompagnées d'une grande fatigue. Après cette phase froide, qui pouvait durer d'une demi-heure à trois heures, survenait la phase chaude avec les sueurs. La transpiration caractéristique se déclenchait brusquement sans cause apparente. En même temps que celle-ci, ou après qu'elle eut abondamment coulé, il y avait une sensation de chaleur, des maux de tête, un délire, une accélération du pouls et une soif intense. Les palpitations et la douleur dans la région du cœur étaient fréquents. Aucune éruption cutanée ne fut jamais notée par les observateurs y compris par Caius. Aux stades terminaux, on pouvait constater un épuisement général avec collapsus, où une tendance irrésistible au sommeil, que l'on pensait fatale si l'on permettait aux patients d'y céder. Un premier accès ne garantissait pas l'immunité et certains souffrirent de plusieurs attaques avant de succomber.

La suette miliaire

Connue aussi sous le nom de « suette des Picards[7],  » ou « suette de Picardie » (Picardy sweat), elle survint en France entre 1718 et 1906. Cette variété était moins souvent fatale que la suette anglaise et s'accompagnait d'une éruption cutanée, absente dans les épidémies de suette observées jusqu'alors.

En tout, 194 épidémies ont été dénombrées[8]. Les mieux étudiées ont été les suivantes :

On peut trouver une description plus complète de la suette des Picards dans un ouvrage publié en 1935 par Hans Zinsser[13].

Causes

Il s'agit de l'aspect le plus mystérieux de la maladie. Des commentateurs anciens et modernes ont incriminé les conditions de saleté qui prévalaient à l'époque et les eaux usées pourraient avoir abrité la source de l'infection. Le fait que la première vague de suette surgisse à la fin de la guerre des Deux-Roses indique qu'elle pourrait avoir été transportée de France par les mercenaires français qu'Henri VII employa pour conquérir le trône d'Angleterre, car ils paraissaient immunisés. La maladie semble avoir été plus virulente chez les riches que chez les pauvres et ceci peut expliquer qu'elle attira plus l'attention que d'autres maladies de la même époque.

La fièvre récurrente a été proposée comme cause possible. Cette maladie transmise par les tiques et les poux, survient plus fréquemment durant les mois d'été, comme le fit à l'origine la suette. Toutefois, la fièvre récurrente est caractérisée par une croûte noire au site de la morsure de la tique, suivie d'une éruption cutanée, un signe relativement évident que les observateurs n'ont jamais relevé, ce qui rend l'identification de la maladie douteuse.

Plus récemment, des virus du groupe des hantavirus sont apparus comme des candidats sérieux au rôle d'agents possibles de la maladie[14].

Cependant, certains caractères cliniques des épidémies à hantavirus ne semblent pas cadrer avec la progression de la suette ; plus spécifiquement on n'a que rarement observé une transmission interhumaine des hantavirus, alors que l'on pense que c'est ce mode de transmission qui prévaut dans la suette[15]. Bien que les épidémies de syndrome pulmonaire à Hantavirus aient un tableau clinique très similaire à celui décrit dans la suette, nombre de questions non résolues laissent encore la porte ouverte à d'autres théories concernant l'étiologie.

Liens externes

Références

  1. (en) Entick John, A new and accurate history and survey of London, Westminster, Southwark, and places adjacent, Londres, 1766, p. 434, vol. 1 
  2. (en) Walter Harrison, A new and universal history, description and survey of the cities of London and Westminster, the borough of Southwark, Londres, 1775, p. 127 
  3. Annals of Ulster vol.iii, ed. B. MacCarthy, Dublin, 185, pp 358f
  4. Annals of Connacht, ed. A.M.Freeman, Dublin, 1944, pp 594f
  5. Annals of the Four Masters, vol.iii, ed. J. O'Donovan, Dublin, 1856, pp 1194f
  6. Philippe Martin, Une guerre de Trente Ans en Lorraine 1631-1661. Éditions Serpenoise, BP 70090, 57004 Metz cedex 1. 2002. (ISBN 2-87692-550-8), page 19.
  7. Michael W. Devereaux: The English Sweating Sickness. In: Southern Medical Journal, November 1968, Volume 61, Issue 11, ppg 1191-1194 (online)
  8. Llywelyn Roberts: Sweating Sickness and Picardy Sweat. In: British Medical Journal, August 11 1945; 2(4414): 196 (online)
  9. Histoire de l'épidémie de suette miliaire qui a régné en 1821 dans les départements de l’Oise et de Seine-et-Oise, Paris, Baillière, 1822
  10. Loreau Alphonse, Simples causeries sur une grave question, de la suette du Poitou, considérée d'une manière générale, 1846
  11. Docteur Lebled: Mémoire sur l'épidémie de rougeole et de suette miliaire, qui a sévi dans la commune de Rochecorbon pendant les mois de février, mars, avril et mai, lu à la Société médicale du Département d'Indre-et-Loire, dans sa séance du 7 mai 1857 (online)
  12. Dartigolles Jean-Marie-Robert. Contribution à l'étude de la suette miliaire. Épidémie de 1906 (Charente et Charente inférieure)
  13. (en) Hans Zinsser, Rats, lice, and history, New Brunswick, New Jersey, Transaction Publishers, 2008, ee éd. (ISBN 978-1-4128-0672-5) [lire en ligne (page consultée le 27.04.2011)], p. 101 
  14. (en) M. Taviner, G. Thwaites, V. Gant, "The English sweating sickness, 1485-1551: a viral pulmonary disease?", Med Hist., Jan. 1998, 42(1):96–98.
  15. E. Bridson, "English 'sweate' (Sudor Anglicus) and Hantavirus pulmonary syndrome", The British Journal of Biomedical Science, 2001 http://www.findarticles.com/p/articles/mi_qa3874/is_200101/ai_n8939673

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