- Reting Rinpoché
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Reting Rinpoché (tibétain : རྭ་སྒྲེང་རིན་པོ་ཆེ ; wylie : rwa-sgreng rin-po-che, pinyin tibétain : Razheng) est le titre du lama principal du monastère de Reting, ancien siège de l’école kadampa devenu monastère gelugpa, situé au Tibet central, dans la vallée Reting Tsampo au nord de Lhassa. La fonction se transmet par réincarnation. Les Reting Rinpoché ont parfois aidé à reconnaître le nouveau dalaï-lama. Ce fut le cas du 5e, et c’est peut-être la raison pour laquelle les autorités chinoises ont voulu désigner elles-mêmes le 7e Reting Rinpoché[1].
Le 1er Reting Rinpoché, Jigten Ngawang Chokten, fut l'enseignant en lettres classiques du 7e dalaï-lama ; le 4e Reting, Ngawang Lobsang, fut l'enseignant en lettres classiques du 9e panchen lama.
Sommaire
Le 5e Reting Rinpoché
Thupten Jampel Tishey Gyantsen (1911-1947), habituellement appelé Gyaltsap (Gyetsap) Rinpoché, est né à Dagpo de parents de condition modeste.
Dès son jeune âge, il montra des signes de sagesse et fut identifié comme étant la 5e incarnation de Reting Rinpoché[2]. Il étudia au monastère de Séra, dont il obtint le diplôme de Géshé[3].
En 1934, un an après la mort du 13e dalaï-lama, il fut nommé régent et fut chargé du gouvernement du Tibet pendant 7 ans[4]. Pendant son inter-règne, il fit bâtir le gros-œuvre du stupa du 13e dalaï-lama[5].
En 1934, une mission chinoise envoyée pour présenter des condoléances, fut autorisée à visiter Lhassa[6].
Reting Rinpoché autorisa des officiels chinois à installer une station de radio permanente à Lhassa où une mission chinoise comportant quelques officiels se constitua[7].
Selon le sociologue chinois Rong Ma, le régent possédait l'une des trois plus grandes sociétés commerciales du Tibet, la société Retingsang, qui contrôlait, conjointement avec la société Heng-Sheng-Gong, une société Han établie dans le Yunnan, le commerce du thé entre le Sichuan et le Tibet, soit 10 000 ballots de thé annuellement[8].
En 1935, il se rendit en compagnie de différents dignitaires sur les rives du lac sacré de Lhamo-Latso, le lac des visions, non loin du monastère Chokhorgyal, à la recherche des signes de la réincarnation du dalaï-lama[9]. Il vit à la surface de l’eau trois syllabes : Ah, Ka et Ma. Il vit aussi apparaître un monastère aux toits de tuiles dorées et vertes ainsi qu’une petite ferme aux ardoises bleu turquoise. Deux ans plus tard, Kwetsang Rinpoché, un lama du monastère de Séra, découvrira, au nord-est de la province du Qinghai (l'Amdo), le monastère de Kumbum avec ses toitures dorées et vertes, puis un peu plus loin, dans un hameau voisin du nom de Taktser, une ferme couverte de tuiles turquoises et présentant des gouttières taillées dans le bois de genévrier. Ces deux bâtiments correspondent à la vision de Reting Rinpoché.
En 1936, Reting Rinpoché exprima par deux fois le désir de démissionner de sa fonction de régent. On le persuada de rester en fonctions, en l’assurant qu’on ne discuterait pas ses ordres[9].
En 1936, il présida une cérémonie de consécration à la réouverture du monastère de Samye qui venait de subir des réparations importantes[9].
En 1939, le chef de l’expédition allemande au Tibet, Ernst Schäfer, rencontra le régent. Comme le rapporte la tibétologue Isrun Engelhardt, de l'Université de Bonn, cette rencontre mena à des conceptions erronées[Lesquelles ?][10]. Selon le philosophe et essayiste italien Claudio Mutti, « Pour Himmler, il importait d'établir le contact avec l'abbé Reting, devenu régent du pays en 1934, un an après la mort du treizième Dalaï-lama »[11].
En février 1941, il démissionna et se retira au monastère de Réting[12].
Selon Kashopa, en 1944, les factions monacales et laïques de l'ancien régent Reting Rinpoché lancèrent des rumeurs dans les trois monastères principaux, Sera, Drepung et Ganden, accusant de conceptions hostiles à la religion bouddhiste du Tibet l'école britannique ouverte cette année par son successeur, le régent Taktra Rinpoché[13].
Reting Rinpoché souhaita visiter l'Inde en pèlerinage[9]. Il n’en eut pas le temps, se retrouvant accusé de conspiration et de tentative d’assassinat contre Taktra Rinpoché (qui fut son successeur de 1941 à 1950)[14]. Il fut enfermé le 18 avril 1947 dans la prison de Sharchen Chog à Lhassa où il mourut le 8 mai[15].
Selon certaines sources[16], sa mort ne serait pas naturelle. Des rumeurs d’empoisonnement ou d’émasculation se sont répandues[17]. Cependant, son exécution ne fut pas légale, il s'agissait d'un meurtre[18].
D'après Hisao Kimura, un agent secret japonais au Tibet entre 1945 et 1950, qui tient l'information d'un geolier, celui-ci serait mort dans d'atroces souffrances : on l'aurait frappé sur les testicules, préalablement attachées, jusqu'à ce que mort s'ensuive[19].
À ce sujet, l'historien Melvyn C. Goldstein rapporte les propos de Tsepon W. D. Shakabpa qui déclara que de nombreuses personnes disaient qu'il avait été tué de cette manière, mais qu'il y eut une enquête diligentée par l'Assemblée tibétaine. Le comité dont il était membre, comprenait aussi Tsarong, Khenchen Lobsang Tashi, Gyetakba, ainsi que d'autres personnes représentant les monastères de Reting et de Séra. « Tsarong déclara à l'Assemblée qu'il n'y avait aucun indice que Réting ait été étranglé et qu'il n'y avait ni blessure, ni quoi que ce soit »[20].
Lhalu Tsewang Dorje et Surkhang Wangchen Gelek, deux ministres tibétains, ont joué un rôle actif dans l'arrestation de l'ancien régent après que ce dernier eut été inculpé pour tentative d'assassinat sur la personne de Taktra[21]. Anna Louise Strong rapporte que vers 1959, lors d'une réunion de masse à Lhassa – Lhalu y a été accusé d'être responsable de la mort de Reting et du « bouddha vivant » Geda[22].
En 1947, lors de la répression gouvernementale contre les partisans de Reting, le monastère de Séra fut bombardé par les mortiers de l'armée tibétaine et pris d’assaut, ce qui coûta la vie à 200 moines. Les bâtiments furent entièrement pillés par les soldats, si bien que pendant des semaines des objets précieux réapparurent dans les boutiques de Lhassa [23].,[24],[25].
Le 6e Reting Rinpoché
Tenzin Jigme (1948-1997), né à Lhassa, fut identifié comme réincarnation du 5e Reting Rinpoché en 1951. Il fut intronisé au monastère de Reting en 1955. Il fut le premier personnage religieux à occuper un poste au Comité du Tibet de l'Association des bouddhistes de Chine en 1956, à l'âge de 8 ans[26]. Il fut persécuté pendant la révolution culturelle (1966-1976), où il subit des séances de « dénonciation publique » et fut emprisonné pendant un an. Réhabilité à la fin des années 1970, il fut nommé à divers postes officiels[27]. Comme le 10e Panchen Lama, il se maria et mena une vie laïque. Il est décédé le 13 février 1997[26],[28].
Controverse concernant le 7e Reting Rinpoché
Après le décès du 6e Reting Rinpoché, le gouvernement chinois sélectionna une vingtaine d'enfants et choisit Soinam Puncog (Sonam Phuntsok en tibétain), né dans la région de Lhari le 13 juillet 1997[26]. Il fut reconnu comme étant le 7e Reting Rinpoché par les autorités chinoises en 2000, juste après la fuite du 17e Karmapa, Orgyen Trinley Dorje. Pékin semble vouloir l'utiliser pour la reconnaissance du futur dalaï-lama, tout comme le 5e Reting Rinpoché avait participé à la reconnaissance de l'actuel dalaï-lama. « La Chine s'efforce par tous les moyens possibles d'accroître son contrôle sur les activités religieuses au Tibet et notamment sur les réincarnations », commente à ce propos Richard Oppenheimer, du Tibet Information Network (Londres)[28].
À Dharamsala, en Inde, le gouvernement tibétain en exil a indiqué en 2000 que Reting Rinpoché ne s'était pas encore réincarné[29]. Selon Tashi Wangdi, ministre des affaires religieuses et culturelles, « Le système de réincarnation est unique au bouddhisme tibétain et il y a une procédure établie qui n'a pas été suivie dans ce cas ». Il a ajouté qu'il s'agissait d'une « nomination politique », et expliqué que « Si quelqu'un est nommé politiquement, il n'aura aucune influence sur le peuple car celui-ci ne l'acceptera pas. C'est un exercice inutile. Le choix d'une réincarnation doit être fait avec l'approbation finale des lamas de haut rang, et dans le cas d'importants lamas tels que celui-là, par Sa Sainteté le Dalaï Lama »[30].
En mai 2000, 8 moines du monastère de Reting qui avaient protesté contre la sélection du 7e Reting Rinpoché, avaient été arrêtés et mis en détention par les autorités chinoises[27].
Références
- (en) Control of Tibet a Question of Faith, World Tibet Network News, 19 janvier 2000.
- (en) The Fifth Reting Hutuktu Thubden Jampal Yeshe Tenpai Gyaltsen (1912-1947), sur le site HH RETING HUTUKTU : « Already when he was at a very young age, Gyalwa Thudben Gyatso [...] [i.e. the 13th Dalai Lama] had ascertained and resolved that he was the Tulku of the previous incarnation Ngawang Lobsang Yeshe Tenpai Gyaltsen [...] and installed him on the throne of his seat. »
- « Then he entered the Serje [...] Monastic College, where he brought his studies and contemplation of the textual tradition of the five groupings of the word of the Buddha [...] to full completion and was awarded the title of Lharampa Geshe. » The Fifth Reting Hutuktu Thubden Jampal Yeshe Tenpai Gyaltsen (1912-1947) :
- « At the age of 23, in the Wood-Dog year of the 16th cycle, which is the Western year 1934, he became the acting regent of the Kashag [...] government and was in charge of the administration of Tibet for seven years. » The Fifth Reting Hutuktu Thubden Jampal Yeshe Tenpai Gyaltsen (1912-1947) :
- « During that time he constructed both the base and the main structure of the wish-granting auspicious golden memorial stupa [...] of the 13th Dalai Lama Thubden Gyatso [...]. » The Fifth Reting Hutuktu Thubden Jampal Yeshe Tenpai Gyaltsen (1912-1947) :
- (en) Robert Barnett, Lhasa: Streets with Memories, Columbia University Press, 2006, (ISBN 9780231136808), p. 21.
- Thomas Laird, avec le Dalaï-Lama, Christophe Mercier Une histoire du Tibet : Conversations avec le Dalaï Lama, de, Plon, 2007, (ISBN 2259198910), p. 293
- (en) Rong Ma, Population and Society in Tibet, Hong Kong University Press, 2010, 350 p., p. 143 : « Retingsang was a company owned by regent Reting Rempoche, one of the three largest trading companies in Tibet (Goldstein, 1989a:331). For decades it and a Han company, Heng-Sheng-Gong (from Yunnan Province), together controlled the tea trade between Sichuan and Tibet, managing to move some 10,000 packages annually (Chen Xunzhou et al, 1988:53). »
- (en) Pitt Rivers Museum: tibet.prm.ox.ac.uk: 5. Reting Rinpoche
- ISBN 3883757187), p. 188 Isrun Engelhardt, The Ernst-Schaefer-Tibet-Expedition (1938-1939) : new light on the political history of Tibet in the first half of the 20th century in McKay Alex (ed.), Tibet and Her Neighbours : A History 2003, Edition Hansjörg Mayer (London), (
- Claudio Mutti, Les SS au Tibet, article publié sur le site Claudiomutti.com, 10 octobre 2005.
- « At the age of 30, in the Iron-Snake year of the 16th cycle, which is the Western year 1941, on the first day of the first Tibetan lunar month he took leave as acting regent and stayed in retreat at Reting Monastery. » The Fifth Reting Hutuktu Thubden Jampal Yeshe Tenpai Gyaltsen (1912-1947)] :
- Claude Arpi, Long and dark shall be the night : the Karma of Tibet, Éditions Auroville Press, Auroville, 2002.
- (en) The New York Times: nytimes.com: The Dragon in the Land of Snows: A History of Modern Tibet Since 1947 by Tsering Shakya (Tibet and its Neighbours).
- (en) tibet.prm.ox.ac.uk: Reting monastery (1950).
- (en) Notice biographique de Lungshar Kusho, père de Lungshar Orgyen Namdol ; Biographie du 5e Reting Rinpoche.
- Louis de Broissia et Claude Huriet, Ramsay, 1999, (ISBN 2-84114-283-3) (au sujet de Gendhun Choekyi Nyima). Gilles Van Grasdorff (en collaboration avec Edgar Tag), Panchen Lama, otage de Pékin, préface de
- ISBN 2259198910) Une histoire du Tibet : Conversations avec le Dalaï Lama, de Thomas Laird, Dalaï-Lama, Christophe Mercier, Plon, 2007, (
- (en) Hisao Kimura, Japanese agent in Tibet: my ten years of travel in disguise, p. 202 : « One of these, with whom I was to share a few cups, was a jailor who told me a horrifying story of the death of Reting Rimpoché: that his testicles were bound and beaten until he died of pain. »
- (en) Melvyn C. Goldstein, A history of modern Tibet, 1913-1951: the demise of the Lamaist state, p. 511- 512 : « Shakabpa, a member of the committee, recalled: I was involved in it [the assembly investigation of the death] and I didn't at all think he was killed at that time. Many people say he was killed by squeezing the testicles but as far as we are concerned we took care to investigate. We sent a group to check Reting's body. This committee included Tsarong, Khenchen Lobsang Tashi, Gyetakba, together with others representing Reting Labrang and Sera Che. When they returned from this examination, Tsarong told the assembly that there was no evidence that Reting had been strangled and there were no wounds or anything. »
- Tsepon W. D. Shakabpa, Derek F. Maher, One hundred thousand moons, Volume 1, p. 900
- (en) Anna Louise Strong, When Serfs Stood Up in Tibet, New World Press, Beijing, 1960, chap. VIII Lhalu's Serfs Accuse : « Recent accusations made before a mass meeting of ten thousand people in Lhasa had implicated him in the murder of Rabchen, the Dalai Lama's first regent, and of the progressive Living Buddha Geda, both of whom opposed secession and had been killed for this not long before the liberation. Evidence of Lhalu's participation had been filed with the courts and would be considered later ».
- (en) Heinrich Harrer, Seven Years in Tibet, translated from the German by Richard Graves; with an introduction by Peter Fleming; foreword by the Dalai Lama, E. P. Dutton, 1954, (ISBN 0874778883) : « It was not until the government bombarded the town and monastery of Sera with howitzers and knocked down a few houses that the resistance ceased.(...) The monastery was thoroughly ransacked by the soldiers, and for many weeks afterward gold cups, brocades, and other valuable objects kept turning up in the bazaars ».
- (en) Sanderson Beck, Tibet, Nepal, and Ceylon 1800-1950 : « The Tibetan army attacked the Che College again on April 27 and took it over, killing about two hundred monks while 15 soldiers died ».
- (en) Dagzha Comes to Power and the Razheng Event.
- Tibet, self, and the Tibetan diaspora: voices of difference ; PIATS 2000, International Association for Tibetan Studies. Seminar. Christiaan Klieger,
- (en) Reting monks detained following protest over reincarnation (TIN).
- (en) tibet.ca: Beijing Discovers Another "Living Buddha" (AFP).
- (en) China's Lama not true reincarnation, say exile Tibetans (AP).
- (en) Tibetans denounce China's ordainment of two-year-old "living Buddha"(AFP).
Voir aussi
- Biographie du 5e Reting Rinpoche
- Gilles Van Grasdorff, Panchen Lama, otage de Pékin, Ramsay, 1999, (ISBN 2-84114-283-3).
- Roland Barraux - "Histoire des Dalaï Lamas - Quatorze reflets sur le Lac des Visions" - Edition Albin Michel 1993. Réedité en 2002, Albin Michel, (ISBN 2226133178).
- Michael Harris Goodman, Le Dernier Dalaï-lama ? Biographie et témoignages, Éditions Claire Lumière, 1993, (ISBN 2905998261).
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