Requiem (Fauré)

Requiem (Fauré)
une copie du manuscrit ; mesures 4-7 de l'Introït et du Kyrie.

Œuvre universelle, l'une des plus connues du compositeur, la messe de Requiem en ré mineur, op. 48 de Gabriel Fauré, jouit d’une remarquable diffusion internationale au concert et à l’enregistrement. L'histoire de sa composition s'étend de 1887 à 1900. Elle fut créée le 16 janvier 1888 au cours de funérailles dans l'église de la Madeleine. La pièce la plus connue est l'air pour soprano Pie Jesu, pouvant être chanté par un garçon ou une femme. On doit à Camille Saint-Saëns, maître de Fauré à l'école Niedermeyer, une formule qui n'est évidemment pas à prendre au sens propre : « Ton Pie Jesu est le SEUL Pie Jesu, comme l’Ave verum de Mozart est le SEUL Ave verum. »[1]. Inutile de préciser que l'histoire compte bien d'autres mises en musique de ces textes liturgiques.

Tout au long du XXe siècle, le Requiem de Fauré a beaucoup inspiré les compositeurs français, à l'exemple du Requiem, pour soli, chœur et orchestre (1937-38) de Joseph-Guy Ropartz et du Requiem, op. 9 pour soli, chœurs, orchestre et orgue (1947) de Maurice Duruflé, fondés sur la même structure liturgique et d'inspiration musicale voisine.

Sommaire

Histoire

Le Requiem a été composé sans intention particulière, selon les mots mêmes de Fauré : « Mon Requiem a été composé pour rien… pour le plaisir, si j’ose dire ! Il a été exécuté pour la première fois à la Madeleine, à l’occasion des obsèques d’un paroissien quelconque. »[2] Il ajoute : « peut-être ai-je aussi, d’instinct, cherché à sortir du convenu, voilà si longtemps que j’accompagne à l’orgue des services d’enterrement ! J’en ai par-dessus la tête. J’ai voulu faire autre chose. »[3] Fauré en avait simplement assez de jouer toujours la même musique aux funérailles célébrées en l'église parisienne de la Madeleine, où il avait souvent remplacé Camille Saint-Saëns, organiste titulaire, dès 1874, et où il était devenu maître de chapelle en 1877. On ne peut toutefois exclure que des considérations personnelles aient influencé la composition de l’œuvre qui débute après la mort de son père en 1885 et s’achève peu après celle de sa mère, la veille du nouvel an 1888, soit un peu plus de deux semaines avant la première audition de l'ouvrage, le 16 janvier 1888. Le Requiem pourrait alors être considéré comme une expression de la tragédie personnelle de Fauré, même s'il faut noter que ce musicien d'église et organiste n'était pas "pas croyant, mais pas sceptique", selon son fils Philippe Fauré-Frémiet. Eugène Berteaux ajoute que pour Fauré "le mot Dieu n'était que le gigantesque synonyme du mot Amour". Cela "semble aller à l'encontre de la réputation d'irréligiosité qui a longtemps accompagné le compositeur "[4].

Fauré déclara plus tard à propos de ce Requiem : « Mon Requiem, on a dit qu’il n’exprimait pas l’effroi de la mort, quelqu’un l’a appelé une berceuse de la mort. Mais c’est ainsi que je sens la mort : comme une délivrance heureuse, une aspiration au bonheur d’au-delà, plutôt que comme un passage douloureux...  »[5] Du point de vue de la composition musicale, « la simplicité et la "modestie" de cette œuvre célèbre ont marqué le renouveau de la musique religieuse en France bien plus que les modèles historiques de la Renaissance ou des XVIIe et XVIIIe siècles ». Marc Honegger fait aussi remarquer que le sentiment religieux de Fauré est plus présent qu'on ne le pense habituellement : « Ses dernières compositions introduisent dans la musique une expression recueillie, mystérieuse, qui confine au sentiment religieux et témoigne d'une haute philosophie de la vie »[6].

D'octobre 1887 à janvier 1888, Fauré compose une première version de l'œuvre qu'il présente à son ami Paul Poujaud comme un "petit Requiem"[7]. Cette première mouture est composée de l'Introït, du Kyrie, du Pie Jesu, de l'Agnus Dei et du In paradisum. Cette version originelle fut jouée pour la première fois le 16 janvier 1888, à l’église de la Madeleine. C'était pour la cérémonie de bout-de-l'an d'un architecte célèbre de l'époque, Joseph-Michel Le Soufaché. Le soprano solo était le futur compositeur Louis Aubert, né en 1877.

Il manque encore l’Offertoire, dont un premier extrait, le solo de baryton Hostias est terminé au printemps 1889. Il manque également le Libera me, achevé sans doute au même moment. Le chœur O Domine qui entoure le solo Hostias est un ajout datant vraisemblablement de l'année 1893[8]. C'est dans cet état de composition et d'orchestration, établi par l'édition critique de Jean-Michel Nectoux[9] en tant que "version 1893" ou "version pour orchestre de chambre", qu'elle fut exécutée à la Madeleine sous la direction de Fauré, le 21 janvier 1893.

En 1898-1899, suite aux exigences de l'éditeur Hamelle, la partition fut refondue pour un effectif orchestral plus important, destiné aux sociétés de concerts. On ne sautait affirmer que Fauré est lui-même l'auteur de cette réorchestration. Il pourrait s'agir plutôt d'un de ses élèves, à l'instar de Roger Ducasse, élève préféré de Fauré ayant orchestré de nombreuses autres œuvres de son maître. Cette seconde version de l'œuvre, publiée chez Hamelle à l'automne 1901, fut créée le 12 juillet 1900 dans le Palais du Trocadéro sous la direction de Paul Taffanel au cours du quatrième "Concert officiel" de l'Exposition universelle de 1900. Ce fut la seule version connue jusqu'à la découverte du matériel d'orchestre manuscrit de la version originelle de l'œuvre soit découvert, en 1968, par le maître de chapelle Joachim Havard de la Montagne dans les caves de la paroisse de la Madeleine. La comparaison de ces parties instrumentales séparées avec le manuscrit autographe et fragmentaire de la version originelle, conservée à la Bibliothèque nationale de France, permit au musicologue Jean-Michel Nectoux d'établir la version dite 1893 au cours des années 1970[10]. Elle fut exécutée pour la première fois le 18 février 1978, dans le cadre des exercices d’élèves du Conservatoire de Paris. La première exécution publique, assurée par La Chapelle Royale sous la direction de Philippe Herreweghe, eut lieu le 16 janvier 1988, soit un siècle jour pour jour après la création de l’œuvre dans le même lieu, l’église de la Madeleine. Cette nouvelle version du Requiem fut enregistrée en septembre de la même année.

Le Requiem fut joué en 1924 pour les funérailles de Fauré. Le Requiem atteint les États-Unis seulement en 1931, et encore juste lors d'un concert d'étudiants à l'Institut Curtis en Pennsylvanie. Il ne fut pas joué en Grande-Bretagne avant 1936[11].

Structure

Cette œuvre dure environ 35 minutes et est en sept parties :

  • I. Introït et Kyrie (Ré mineur)
  • II. Offertoire (Si mineur)
  • III. Sanctus (Mi bémol majeur)
  • IV. Pie Jesu (Si bémol majeur)
  • V. Agnus Dei et Lux Aeterna (Fa majeur)
  • VI. Libera me (Ré mineur)
  • VII. In Paradisum (Ré majeur)

Texte

Tous les textes sont en latin, conformément à la tradition catholique. Du point de vue de la structure liturgique, le compositeur a innové. Il a en effet un peu modifié la structure liturgique traditionnelle en omettant la Séquence Dies irae (dans laquelle on trouve, entre autres choses, les strophes Tuba mirum, Rex tremendae et Lacrimosa) et ajoutant l'antienne In paradisum, qui se chante après la messe, lorsqu'on va au cimetière. Au lieu d'une peinture dramatique du Jugement dernier, tel que décrit dans l'Apocalypse, Fauré propose ainsi une vision sereine et réconfortante du Paradis .

Versions et orchestrations

Ce Requiem existe en deux versions établies par des éditeurs scientifiques.

La version originale, datant de janvier 1888, relève d'un stade inachevé, en cinq parties. Elle est écrite pour :

Fauré la considérait, à raison, comme temporaire et fragmentaire. Elle ne peut donc être reconnue scientifiquement comme une "version" du Requiem et n'a pas fait l'objet d'une édition critique.

La première version complète de l'œuvre peut être datée de l'année 1893. En plus des nouveaux mouvements (Offertoire et Libera me), Fauré ajoute les instruments et voix suivants :

Cette version a fait l'objet de nombreuses éditions critiques.

La deuxième version du Requiem ajoute plus de vents, de cuivres et de cordes :

  • chœur
  • soprano solo (garçon ou femme)
  • baryton solo
  • 2 flûtes
  • 2 clarinettes (seulement dans le Pie Jesu)
  • 2 bassons
  • 4 cors d'harmonie
  • 2 trompettes (seulement dans le Kyrie et dans le Sanctus)
  • 3 trombones
  • timbales (seulement dans le Libera me)
  • harpe
  • orgue
  • cordes (avec juste quelques violons, mais toujours avec les altos et les violoncelles divisés)

Éléments sur l’œuvre

L’atmosphère générale du Requiem donne une impression de douceur, d’émerveillement, d’espérance et d’humilité, tempérée par quelques passages forte où l’on ressent la frayeur, la douleur, le doute.

Un exemple typique de ces alternances de couleur se trouve dans les premières phrases de l’Introït.

(« pianissimo »)
Requiem æternam
Dona eis domine
(« forte »)
Et lux perpetua
(« diminuer »)
Luceat, luceat, luceat eis...

Authenticité de la troisième version

Rutter écrit dans la Préface au Requiem :

« Comment et pourquoi la troisième version survint n'est pas entièrement clair. Dr. [Robert] Orledge conjecture que l'éditeur de Fauré, Hamelle, le pressa de préparer une version symphonique pour assurer plus de concerts - pour faire du Requiem une œuvre de concert en fait. Dans une lettre de 1898, Fauré promit à Hamelle de préparer la partition pour une publication, bien qu'aucune question de réorchestration ne fut mentionnée ; Fauré demanda, cependant, s’il pouvait déléguer la réduction du piano pour la partie vocale à quelqu'un d'autre (son élève préféré Jean Roger-Ducasse fut chargé de la tâche). La preuve que Roger Ducasse (ou quelqu'un d'autre) libéra Fauré de la tâche de réorchestration est une conjecture mais, je pense, convaincante. Premièrement, Fauré est connu pour avoir délégué l'orchestration d'autres de ses œuvres à des assistants ; deuxièmement, il était accablé de tâches administratives et d'enseignement et pouvait ne pas avoir le temps de réécrire lui-même ; troisièmement, la partition publiée a littéralement des centaines de fautes et autres inexactitudes que le normalement méticuleux Fauré n'aurait jamais laissées passer après avoir reçu les épreuves pour la correction. S'il avait préparé la partition, il aurait envoyé des corrections à l'imprimeur ; la conclusion semble implacable, quelqu'un de relativement inexpérimenté a écrit la partition et lu les épreuves »[13].

Discographie

  • Version sans violon: Agnès Mellon (soprano), Peter Kooy, (baryton); les petits chanteurs de Saint-Louis et l'Ensemble Musique Oblique, direction: Philippe Herreweghe. Enregistrement Harmonia Mundi 1988 (d'après le guide Alain Duault du disque compact classique 1994, ed. Plon)
  • Version de 1893 : Caroline Ashton (soprano), Stephen Varcoe (baryton), John Scott (orgue et dir. chœurs), The Cambridge Singers (chœurs), City of London Sinfonia (orchestre), direction : John Rutter. Enregistrement Collegium Records (1988).

Notes

  1. Lettre de Saint-Saëns à Fauré datée du 2 novembre 1916. FAURÉ (Gabriel), Correspondance / Gabriel Fauré ; textes réunis, présentés et annotés par Jean-Michel Nectoux, Paris : Flammarion, 1980, lettre n°114.
  2. FAURÉ (Gabriel), Correspondance / Gabriel Fauré ; textes réunis, présentés et annotés par Jean-Michel Nectoux, Paris : Flammarion, 1980, lettre n°67, p. 138.
  3. Entretien avec Louis Aguettant, le 12 juillet 1902, publié dans Comœdia en mars 1954, p. 6.
  4. Marie-Paule Frézouls, Requiem de Fauré [1].
  5. Entretien avec Louis Aguettant, le 12 juillet 1902, publié dans Comœdia en mars 1954, p. 6
  6. Marc Honegger, Dictionnaire de la musique, Bordas, 1979. Article : "Fauré, Gabriel Urbain"
  7. Lettre datant du 15 janvier 1888, veille de la première exécution. FAURÉ (Gabriel), Correspondance / Gabriel Fauré ; textes réunis, présentés et annotés par Jean-Michel Nectoux, Paris : Flammarion, 1980, lettre n°66, p. 138.
  8. HOUZIAUX (Mutien-Omer), « À la recherche “des” Requiem de Fauré ou, “L’authenticité musicale en questions” », Revue de la Société Liégeoise de Musicologie, n° 15-16. Préface de Jean-Michel Nectoux, p. xiv-xv.
  9. Edition critique publiée en 1994 chez l'éditeur Leduc.
  10. HOUZIAUX (Mutien-Omer), « À la recherche “des” Requiem de Fauré ou, “L’authenticité musicale en questions” », Revue de la Société Liégeoise de Musicologie, n° 15-16. Préface de Jean-Michel Nectoux.
  11. Steinberg, 135
  12. Lettre de Fauré à Eugène Ysaÿe, datée du 5 août 1900. FAURÉ (Gabriel), Correspondance / Gabriel Fauré ; textes réunis, présentés et annotés par Jean-Michel Nectoux, Paris : Flammarion, 1980, lettre n°128, p. 240.
  13. Rutter, 3

Bibliographie

  • NECTOUX (Jean-Michel), Gabriel Fauré : les voix du clair obscur, Paris : Flammarion, 1990, 616 p. (coll. Collection Harmoniques)
  • HOUZIAUX (Mutien-Omer), « À la recherche “des” Requiem de Fauré ou, “L’authenticité musicale en questions” », Revue de la Société Liégeoise de Musicologie, n° 15-16.
  • Préfaces et apparats critiques des différentes éditions critiques établies par Jean-Michel Nectoux pour l'éditeur Leduc (en 1994 et 1998) et par Marc Rigaudière pour l'éditeur Carus Verlag (en 2005 et 2011).
  • (en) Rutter, John. Preface to Requiem Op. 48, by Gabriel Fauré. Chapel Hill, NC: Hinshaw Music, 1984.
  • (en) Steinberg, Michael. "Gabriel Fauré: Requiem, Op. 48." Choral Masterworks: A Listener's Guide. Oxford: Oxford University Press, 2005, 131–137.
  • ROLLIN (Vincent), Le Requiem op. 48 de Gabriel Fauré : une esthétique sacrée et funèbre originale et personnelle, Mémoire de Master, Université Lyon 2, 2007.

Sources

  • (en) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « Requiem (Fauré) » (voir la liste des auteurs)
  • A l'origine cet article était la traduction de l'article anglais correspondant. Il a évolué depuis.

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