- Première guerre scolaire
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La guerre scolaire est une crise politique qu'a traversée la Belgique entre 1879 et 1884.
Sommaire
Contexte
Au lendemain de la révolution belge de 1830, de nombreuses écoles catholiques furent créées, tant primaires que secondaires. Les jésuites fondèrent notamment de nombreux collèges, grâce à la liberté d'enseignement garantie par la Constitution. Dans le même temps, peu d'écoles publiques furent créées, car le gouvernement avait des moyens financiers limités à cause des dépenses indispensables dans le domaine militaire.
En 1842, une fois l'indépendance de la Belgique assurée grâce à la signature du Traité des XXIV articles, le cabinet unioniste de Jean-Baptiste Nothomb fit voter la première loi organique de l'enseignement primaire, connue sous le nom de « loi Nothomb ». Celle-ci instaurait un enseignement primaire gratuit mais non obligatoire. En outre, chaque commune devait posséder au moins une école primaire et les communes les plus pauvres seraient aidées par l'État ou la province pour remplir cette obligation. Néanmoins, ces écoles publiques dispenseraient un enseignement religieux (obligatoire sauf dispense), sous la surveillance du clergé. Cette loi de compromis fut adoptée à la quasi-unanimité par la Chambre (Théodore Verhaegen fut un des trois députés qui vota contre) et à l'unanimité au Sénat.
En 1846, lors du congrès fondateur du parti libéral, on inscrivit au programme la création d'un enseignement public, indépendant de toute influence religieuse. Suite à la victoire des libéraux aux élections de 1847 et à l'instauration d'un gouvernement libéral homogène sous la direction de Charles Rogier, une loi sur l'enseignement moyen fut adoptée. Celle-ci prévoyait la création de dix athénées royaux et de cinquante écoles moyennes. Dans ces établissements, les cours de religion seraient facultatifs et éventuellement dispensé par le clergé, mais l'État se réservait le droit de refuser les enseignants choisis par les autorités religieuses. Enfin, les provinces et les communes devaient demander l'autorisation de l'État pour subsidier, créer, maintenir ou supprimer tout établissement d'enseignement et l'État se réservait le droit d'y contrôler les livres, les programmes et les budgets. Ceci devait amener en pratique à une progressive disparition de ces écoles soutenues par les pouvoirs locaux. L'adoption de cette loi, soutenue par Théodore Verhaegen et Frère-Orban marqua la rupture définitive du parti libéral avec l'unionisme. Le clergé refusa tout simplement de venir enseigner dans les écoles publiques puisqu'il ne pouvait y contrôler ni les nominations, ni les livres scolaires.
En 1854, sous le gouvernement libéral plus modéré d'Henri de Brouckère, un compromis fut trouvé avec le clergé. Jan Frans Loos, bourgmestre d'Anvers, et le cardinal Sterckx parvinrent à l'accord suivant : l'évêché devrait donner son approbation à l'utilisation de tout livre classique dans les athénées et tous les professeurs devraient s'engager à ne pas contredire les principes catholiques. En échange, le clergé viendrait dispenser les cours de religion dans les écoles publiques. Guillaume Piercot, ministre de l'Intérieur, appela les autres établissements publics à réaliser de tels accords. Néanmoins, la plupart des écoles s'y refusèrent, soutenues notamment par Théodore Verhaegen et Frère-Orban.
En 1878, les libéraux, réunis par Frère-Orban sur le thème de l'anticléricalisme, remportèrent une grande victoire électorale. Ils obtinrent en effet la majorité absolue à la Chambre et au Sénat. Un ministère de l'Instruction publique fut créé et confié à Pierre Van Humbeeck, un anticlérical notoire.
La crise
La « loi de malheur » (1879)
Le 21 janvier 1879, le gouvernement déposa un projet de loi réformant la loi de 1842 sur l'enseignement primaire. Cette loi prévoyait que chaque commune devrait posséder au moins une école primaire laïque et neutre, qui ne dispenserait pas de cours de religion. En outre, les instituteurs seraient uniquement choisis parmi les diplômés des écoles normales officielles, dont le cours de religion serait également exclu. Enfin, les provinces et les communes ne pourraient plus subsidier des écoles « libres » (c'est-à-dire catholiques).
Le roi Léopold II intervint personnellement pour que les écoles publiques puissent néanmoins accueillir le cours de catéchisme, en dehors des heures de cours, par le prêtre de la paroisse ou par l'instituteur. Cependant, le radicalisme de cette loi rendit réticents certains libéraux, comme Eudore Pirmez, qui refusa de voter l'abrogation de la loi de 1842 et s'abstint lors du vote, ou le prince de Ligne, qui démissionnera de son poste de président du Sénat. Jules Malou, leader des catholiques à la Chambre, qualifia dans un discours la loi de « loi de guerre, de division et de malheur ». La loi, connue sous le nom de «loi Van Humbeek», fut néanmoins adoptée : à la Chambre par soixante-sept voix contre soixante et une abstention (Eudore Pirmez) et au Sénat par trente-trois voix contre trente et une abstention.
Réaction de l'épiscopat
Les évêques de Belgique publièrent un mandement dans lequel ils refusaient l'extrême-onction aux instituteurs des écoles officielles et aux parents qui y envoyaient leurs enfants, ainsi qu'aux élèves et aux parents d'élèves des écoles normales officielles. Il fut également ordonné à chaque curé de paroisse d'ouvrir une école « libre ». Ces écoles connurent immédiatement un immense succès aux dépens de l'enseignement officiel, malgré les problèmes matériels, qui furent résolus grâce à la générosité de nombreux particuliers.
L'« échange de vues »
Frère-Orban commença alors une négociation avec le pape Léon XIII (surnommée l'« échange de vues »), espérant obtenir en échange du maintien de la légation belge auprès du Saint-Siège un blâme contre l'attitude des évêques belges en matière scolaire. Le pape accepta de conseiller la prudence et la modération aux évêques, mais pas de les condamner. Frère-Orban, mécontent, supprima la légation et rappela à Bruxelles, le 5 juin 1880, Auguste d'Anethan, ambassadeur de Belgique auprès du Saint-Siège.
Réaction du gouvernement
Contrairement aux écoles libres, les écoles officielles que chaque commune avait dû créer avaient du mal à trouver des élèves, particulièrement à la campagne. La presse se fit l'écho de l'histoire du bouc de Châtillon, qui était le seul occupant de l'école officielle de sa commune ! Le gouvernement réagit : les fonctionnaires devaient inscrire leurs enfants dans des écoles officielles, sous peine de sanctions professionnelles ; les curés ne purent plus mettre à disposition des écoles libres leur presbytère ; les instituteurs des écoles libres qui avaient travaillé auparavant pour l'État furent menacés de perdre leurs droits à la pension et durent rembourser leur prêt d'étude éventuel. Certaines communes libérales privèrent d'allocation les familles nécessiteuses qui n'envoyaient pas leurs enfants à l'école officielle. Le gouvernement modifia également le mode de scrutin afin de conserver le pouvoir. Il prit différentes mesures pour modifier la composition du corps électoral, tentant d'en écarter certains curés ou fermiers, supposés voter catholique. Par contre, il accorda le droit de vote à certains naturalisés et aux porteurs du brevet de capacité délivré à la fin des études primaires dans les écoles officielles. Il tenta aussi de redessiner certaines circonscriptions électorales à son avantage, mais dut finalement reculer.
L'enquête scolaire
Les libéraux reprochaient aux écoles catholiques d'employer des enseignants n'ayant aucun diplôme. Pour prouver le contraire, Jules Malou proposa au Parlement d'effectuer une enquête. Xavier Neujean eut l'idée d'étendre le sujet de cette enquête aux moyens de pression utilisés par les prêtres et les notables catholiques pour inciter à fréquenter les écoles catholiques. Cette enquête fut menée de manière totalement biaisée et à un coût prohibitif.
Conséquence budgétaires et électorales
La création de ces écoles officielles pesait très lourd sur le budget du gouvernement, surtout dans le climat de crise économique qui prévalut à partir de 1883. Charles Graux, ministre des Finances dut proposer trente millions de francs d'impôts nouveaux, mais n'en obtint que quatorze du Parlement, ce qui hypothéquait le financement futur des écoles officielles. Le 11 juin 1884, les libéraux connurent un véritable désastre électoral, suite auquel Frère-Orban démissionna. Les catholiques conservèrent ensuite la majorité absolue jusqu'à la Première Guerre mondiale.
La réaction catholique
Le gouvernement Malou-Woeste-Jacobs fit abroger la loi de malheur. Malgré les pressions de Léopold II, qui voulait revenir à la loi de 1842, une nouvelle loi scolaire, connue sous le nom de « loi Jacobs », fut adoptée. Elle stipulait que :
- chaque commune devait avoir une école, mais ce pouvait être soit une école officielle, soit une école libre « adoptée » ;
- si vingt pères de famille exigeaient la création d'une école officielle, la commune devait la créer ;
- les communes pouvaient décider de la dispense de cours de religion ou de morale dans les écoles officielles, mais les parents pouvaient autoriser leurs enfants à ne pas suivre ces cours ;
- si vingt parents demandaient la création d'un cours de religion, la commune devait le créer ;
- les écoles officielles pouvaient engager des instituteurs issus des écoles normales catholiques ;
- aucun subside ne serait accordé aux écoles libres non adoptées (ce qui mécontentait une partie des catholiques).
Les libéraux organisèrent de grandes manifestations à Bruxelles les 10 et 31 août. Charles Buls invita alors les bourgmestres des grandes villes à l'hôtel de ville de Bruxelles. Ils allèrent alors tous en voiture jusqu'au palais royal pour remettre au roi une pétition demandant de ne pas sanctionner la nouvelle loi. Le roi refusa fermement.
Les catholiques organisèrent eux aussi une manifestation le 7 septembre. Sur le boulevard Anspach, ils furent attaqués par des groupes de libéraux.
Le 23 octobre, le roi exigea de Jules Malou qu'il réclame la démission de ses ministres les plus extrémistes, Charles Woeste et Victor Jacobs. Devant cette exigence, Malou lui-même démissionna.
Voir aussi
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