Policiers de Paris sous la Terreur

Policiers de Paris sous la Terreur
La Commune le 9 Thermidor An II.

À laube de la Terreur, en 1793, la Commune de Paris nomma une petite quinzaine de policiers pour encadrer toutes les activités des Parisiens.

Tous issus de milieux différents, artisans, commerçants, juristes, poètes, ils étaient représentatifs de ce petit peuple de Paris engagé dans le nivellement de la société française.

Sans eux, la Convention naurait pu tenir Paris. Ils furent la cheville ouvrière de la Terreur.

Sommaire

Quatre dentre eux étaient montés à lassaut de la Bastille le 14 juillet 1789

La prise de la Bastille

Nicolas André Marie Froidure, jeune célibataire, était venu de Tours peu de temps avant la Révolution. Le 13 juillet 1789, ce clerc de procureur de vingt-quatre ans aida à créer une milice municipale à la tête de laquelle il fondit bientôt sur les Invalides pour sy emparer de fusils. Il prit un emploi à ladministration des Domaines, secteur en pleine mutation depuis la confiscation des biens du clergé.

Michel-François-Marie Caillieux, trente ans, petit commerçant parisien, fabriquait et vendait des rubans et de la gaze. Il fit partie des électeurs du suffrage censitaire qui formèrent la première Commune, au bruit du canon de la Bastille, et joua un rôle actif. Le couple Caillieux, qui vendait ses rubans à lexportation, se trouva au chômage dès la fermeture des frontières.

François Dangé, quarante-cinq ans, dans le Loir-et-Cher, avait été employé à loctroi de Paris, sorte de douane municipale très impopulaire. Dangé prit ensuite une épicerie. Peu doué pour le commerce, il revint à ladministration dès que ses relations lui eurent permis de décrocher une place de receveur au bureau de correspondance de Dijon, porte Saint-Bernard.

Jean-François Godard, trente-cinq ans, avait succédé à son père, carreleur et entrepreneur en bâtiments. « Avant le mois de mars 1789, jétais auteur dun ouvrage patriotique : le Véridique, ou vérités importantes sur les abus du gouvernement. Je fus obligé de me cacher quelques jours. » En juillet 1791, il se rendit adjudicataire dune première maison, qui provenait des domaines nationaux, ces mêmes domaines travaillait Froidure. Son appât du gain allait les perdre tous.

Les artisans

Jean-Nicolas-Victor Gagnant, Parisien de vingt-trois ans, servait dans les gardes de Valognes, quil finit par déserter. Marié, sans enfant, il se fit « peintre en équipages » : il peignait des roues et portières de voitures. Cétait un grand gaillard de cinq pieds quatre pouces, aux cheveux noirs coupés en rond. Son visage, très marqué de petite vérole, sornait dune barbe brune. Il avait lœil gauche un peu endommagé et portait des lunettes. Sa lèvre inférieure un peu forte débordait sur un menton court. Il était vêtu dune redingote de drap gris-blanc rayé, avec une culotte rouge carmélite, un gilet blanc et un chapeau rond. La Révolution ne devait guère être favorable à son secteur dactivité.

Jean-François Massé quitta la région de Dieppe pour exercer la menuiserie à Versailles pendant quatorze ans. Le départ du roi pour les Tuileries en octobre 1789 plongea la ville dans le marasme. Massé ferma son échoppe et vint dans la capitale semployer chez ses confrères. À quarante-six ans, il vivait avec sa femme, leurs deux enfants en bas âge, sa mère de soixante-dix ans révolus et son père, vieillard aveugle.

Jacques Cordas, quarante-quatre ans, avait quitté Saint- pour sétablir brodeur à Paris. Il sinscrivit au club des Cordeliers, celui de Marat, Danton, Camille Desmoulins, mais aussi de tribuns aujourdhui moins connus, alors très implantés dans ladministration municipale, tels Hébert, Chaumette et Pache, futur maire. Les Cordeliers régnaient sur la rue, sur les sections, sur la Commune, ils eurent une grande influence jusquà leur fin brutale.

Les commerçants

Claude Mennessier, trente-huit ans, habitait avec sa femme rue Montmartre, qui devint « Mont-Marat » sous la Terreur. Il vendait des pots et faïences, et se trouvait assez à laise pour être électeur de Paris en 1792.

Charles-Florent-Jean Heussée, trente-cinq ans, était un petit bourgeois qui avait du bien, chez qui lon jouait de la musique. Il avait servi le prince de Condé, qui avait émigré. En 1792, il vint reprendre le commerce de son père et se fit fabricant de chocolat.

Étienne Michel, trente-deux ans, était de Cluny, en Saône-et-Loire. Depuis dix ans, il fabriquait et vendait dans le quartier Beaubourg des fards pour dames et de la passementerie. La fabrique marchait bien, elle occupait six ou sept ouvriers. La Révolution fut un séisme. Les gens riches restreignirent leurs achats de luxe, nombre dentre eux émigrèrent. Les tailleurs renommés suivirent leur clientèle à létranger, telle Rose Bertin, modiste de la cour. Mais les petits boutiquiers se virent très vite sans articles ni clients.

Jean-Baptiste Marino, le plus célèbre dentre eux, naquit à Sceaux, dun jardinier « du potager » du comte dEu. En 1792, à trente-sept ans, il peignait et vendait depuis une dizaine dannées des porcelaines dans les galeries du Palais-Royal. Depuis 1789, Marino fréquentait résolument les clubs et les sans-culottes.

Les cols blancs

Claude Figuet avait quitté Valence et sa Drôme natale pour sinstaller dans le Marais. À trente-trois ans, il était architecte sans emploi.

Prosper Soulès avait vingt-neuf ans et avait été, comme Froidure, clerc de procureur. Cétait un petit bonhomme de cinq pieds, châtain, au visage blanc, aux yeux gris, doté dun front dégarni. Il venait de la région dÉpernay. La Bastille à peine conquise, il fut nommé par lHôtel de Ville « commandant intérimaire de la forteresse ». Lorsquil arriva sur place, il fut provoqué en duel par un officier des gardes françaises peu désireux de partager son pouvoir. Une fois installé tant bien que mal, Soulès constata quil navait pas les moyens darrêter le pillage : « Je trouvai tout brisé, des papiers, des livres, des cartons dans toutes les cours, et les canons déchargés. » Il aperçut sur les tours une foule de gens occupés, avec Dangé, à démolir les murs de son nouveau royaume. Un inconnu nommé Danton arriva à la tête dune troupe. Soulès sacharnait à vouloir remonter ce qui avait été jeté à bas. Danton sen scandalisa et traîna le malheureux à lHôtel de Ville. « Sur le parcours, Danton, de sa voix de stentor, proclama quil venait darrêter le gouverneur de la Bastille ! Et voilà que de nouveau la foule gronde, prête à me faire un mauvais parti ! » (Lettre de Soulès). Soulès sauva sa vie ce jour-, mais sa Bastille fut détruite.

Jean Baudrais avait quitté Tours sous le règne de Louis XV, à lâge de vingt ans, pour sessayer à la littérature dans la capitale. Il sy fit surtout connaître, de 1783 à 1790, comme léditeur de la Petite Bibliothèque des théâtres, collection dans laquelle il publia ses propres pièces entre Tartuffe et Polyeucte. Âgé de quarante-trois ans en 1792, il vivait, selon sa propre expression, dans « une tranquille médiocrité qui le satisfaisait totalement » Hélas, lémigration de ses souscripteurs ruina sa Petite Bibliothèque. En octobre 1790, il sinscrivit au club des Jacobins, dont il suivit les débats. Baudrais remplit très vite les missions de basse police que lui confiait la municipalité de son quartier.

Leurs actions

La prison de la Force.

En septembre 1792, Marino et Dangé participèrent au massacre des prisonniers de prison de la Force, dont la plus célèbre, la princesse de Lamballe, eut la tête écrasée contre une borne du trottoir. Nombre dentre eux furent chargés de missions en province. Baudrais, de garde à la prison du Temple, reçut le testament de Louis XVI des mains de son auteur. Tout au long de 1793, ils soccupèrent à diverses tâches liées à lordre public, jusqu'à leur nomination officielle par la Commune au mois daoût. Leur tâche consistait notamment à relayer les ordres darrestation et de perquisition du Comité de sûreté générale.

Ils avaient leurs locaux sur le quai des orfèvres, dans la résidence des nouveaux maires de Paris, quon appela donc la Mairie (à ne pas confondre avec lHôtel de Ville, déjà sur son emplacement actuel). Les caves et greniers du bâtiment étaient pleins de suspects qui pouvaient y passer plusieurs jours dans des conditions épouvantables, sans lits, sans eau, en attendant quon les envoie ailleurs.

À lautomne 1793, on les chargea darrêter et dincarcérer tout ce que la ville contenait de nobles, de banquiers, de prêtres, de hauts fonctionnaires dancien régime et d'étrangers. Marino, en mission à Lyon, organisa les exécutions en masse. Avec les prisons engorgées et le problème de lapprovisionnement en vivres de la capitale, ils furent bientôt complètement dépassés par la situation.

Au mois de mars, ils durent arrêter ceux quils avaient adulés : Hébert, Chaumette, Danton, Desmoulins, qui furent guillotinés.

Dès lors, Robespierre sinquiéta du pouvoir policier de la Commune. Sous prétexte que lun deux, Godard, avait profité de sa situation pour senrichir, il les fit arrêter les uns après les autres en mars et en avril. Par une ultime cruauté, on incarcéra chacun deux dans la prison dont il avait particulièrement tourmenté les occupants. Ils furent remplacés par des hommes nommés par le Comité de Salut public, et le maire Pache fut, lui aussi, jeté au cachot.

Pour se débarrasser des quatre plus actifs, on les inclut dans le célèbre procès des chemises rouges, cinquante-quatre personnes, dont que la plupart dentre elles ne s'étaient jamais vues, furent condamnées à mort pour complot. Froidure, Marino, Dangé et Soulès périrent au milieu de gens quils avaient eux-mêmes arrêtés.

Quand vint le coup dÉtat de thermidor, leurs remplaçants furent exécutés à cause de leurs liens avec Robespierre. Le seul à avoir échappé à lincarcération, Michel, se donna un petit coup de couteau ; on le transporta à lhôpital, ce qui lui permit déchapper à la guillotine.

Leur survie après la Révolution

Ceux qui avaient survécu furent chassés de la police et poursuivis en justice par leurs victimes, qui les accusaient davoir pillé les biens de ceux quils venaient arrêter. Plusieurs dentre eux retournèrent vivre en province pour se faire oublier. Les autres connurent un triste sort.

Cordas, compromis dans la conspiration de Babeuf en mai 1796, passa un an en prison. Il fut déporté à Cayenne en 1801, il mourut des fièvres au bout de six ans. Michel, lui aussi déporté, sévada et fut gracié sous lEmpire. Figuet dut se cacher jusqu'à sa mort, en 1805, à l'âge de quarante-six ans. Condamné à être fusillé, en septembre 1796, à la suite de laffaire du camp de Grenelle, Gagnant sauta de la charrette malgré ses mains liées dans le dos et senfuit en courant ; il fut abattu par un gendarme. Il avait vingt-neuf ans. Mennessier dut se cacher jusquen 1810. Il en profita pour consoler la veuve de son collègue Cailleux.

Baudrais fut déporté à Cayenne. On ly nomma greffier du tribunal, notaire, et on le chargea de tenir les registres de létat civil. En 1804, il refusa de prêter serment à lEmpereur et dut sexiler aux États-Unis, il subsista « du travail de ses mains » pendant treize années. Il ne put rentrer en France quen 1817, vieux, usé, fatigué. À peine eut-il débarqué que les héritiers de Malesherbes, lavocat de Louis XVI, lui réclamèrent les honoraires de leur ancêtre, 125 louis dor que Baudrais avait saisis au Temple dans le secrétaire du roi le jour de son exécution. Il mourut à Paris, du choléra, à quatre-vingt-trois ans.

Laffrontement entre cette police municipale et les députés explique pourquoi le maire de Paris est, depuis lors, le seul de France à navoir aucun pouvoir de police.

Bibliographie

  • Olivier Blanc, La Corruption sous la Terreur, Robert-Laffont 1992.
  • Antoine Jean Thomas Bonnemain, Les Chemises rouges, Paris 1798.
  • Richard Cobb, Terreur et subsistances, Librairie Clavreuil 1965.
  • Charles-Aimé Dauban, Les Prisons de Paris sous la Révolution, Paris 1870.
  • Gaston Dodu, Trois mois à Paris sous la Terreur, Hachette 1921.
  • Georges Duval, Souvenirs thermidoriens, deux tomes, Magen 1844.
  • Général Herlaut, Deux Témoins de la Terreur, Librairie Clavreuil 1958.
  • Catherine Kawa, Les Ronds-de-cuir en Révolution, éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques, 1996.
  • Frédéric Lenormand, Douze tyrans minuscules, Les policiers de Paris sous la Terreur, Fayard 2003, et La pension Belhomme, Une prison de luxe sous la Terreur, Fayard 2002.
  • Jules Michelet, Histoire de la Révolution française, t. II, La Pléiade, Gallimard.
  • Pierre-Jean-Baptiste Nougaret, Mémoires sur les prisons de Paris et des départements, Paris, imprimerie Courcier an VI (1797).
  • Alexandre Tuetey, Répertoire des sources manuscrites de lhistoire de la révolution, tomes 8 à 11.

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