Philippes

Philippes

41°00′47″N 24°17′11″E / 41.01306, 24.28639

Localisation de Philippes
Portique de l'agora de Philippes

Philippes (en grec ancien Φίλιπποι / Phílippoi) est une ville de Macédoine orientale, fondée par Philippe II en 356 av. J.-C. sur la récente colonie thasienne de Krènidès, et abandonnée au XIVe siècle après la conquête ottomane. Station importante sur la Via Egnatia mais ville toujours restée de taille modeste, Philippes occupe néanmoins une place privilégiée dans l'histoire en raison de deux événements majeurs, la victoire des héritiers de César sous ses murs en octobre 42 av. J.-C., et surtout la prédication paulinienne en 49 ou 50 : le statut de fondation apostolique qu'elle lui confère est probablement à l'origine de la fortune de la ville dans l'Antiquité tardive, et lui vaut de nos jours un tourisme religieux non négligeable.

Sommaire

Histoire

Les origines macédoniennes et hellénistiques

Philippes est une fondation du roi de Macédoine, Philippe II, sur le site de la colonie thasienne de Krènidès (Κρηνἱδες), sur le piémont du mont Orbèlos (nom antique du mont Lékani), en bordure Nord du marais qui occupait dans l'Antiquité toute la plaine le séparant du mont Pangée au Sud.

Les circonstances de la fondation

L'objectif de cette fondation était autant de prendre le contrôle des mines d'or voisines que d'établir une garnison sur un point de passage stratégique[1] : le site contrôle la route entre Amphipolis et Néapolis, un segment de la grande route royale qui traverse d'Est en Ouest la Macédoine et qui sera plus tard reconstruite par les Romains sous le nom de Via Egnatia. Philippe II dote la nouvelle ville de fortifications importantes, qui barrent en partie le passage entre les marais et l'Orbèlos, et y envoie des colons.

Les institutions de la cité macédonienne

Il fait entreprendre des travaux de bonification des marais dont témoigne l'écrivain Théophraste. Philippes conserve une véritable autonomie au sein du royaume macédonien : c'est une cité avec ses propres institutions politiques (ekklèsia du démos). La découverte de nouvelles mines d'or aux environs de la ville, à Asyla, contribue à l'enrichissement du royaume de Philippe II qui y établit un atelier monétaire. L'intégration de la cité au royaume macédonien interviendra finalement sous Philippe V.

Le cadre urbain

Les vestiges archéologiques de la ville sûrement datés de l'époque macédonienne et hellénistique sont rares, ce qui entretient l'incertitude sur la forme exacte de la ville dans ses premiers siècles d'existence[2]. Les monuments qui, dans leur état initial, remontent à cette période sont l'enceinte, le théâtre, les fondations d'une maison sous le forum romain, un petit temple et surtout un hérôon hellénistique (temple consacré à un héros) dont les fondations sont conservées entre l'église cathédrale et son baptistère.

Vestiges de la première assise du rempart macédonien sur l'acropole

L'enceinte pose des problèmes de datation en raison de sa réutilisation continue jusqu'à la fin de l'époque byzantine : les reconstructions successives ont masqué les fondations macédoniennes, sauf dans la partie supérieure, sur l'acropole, où ne subsiste plus souvent que la première assise, taillée à même la roche, de ce premier état (voir photographie ci-contre). Les fouilles du théâtre, qui prend appui sur la courtine orientale, ont néanmoins permis de dégager dans les années 1990 plusieurs assises du rempart, dont l'appareil à bossage est caractéristique de l'époque hellénistique. Leur datation est surtout confirmée par une inscription grecque commémorant l'intervention de deux épistates macédoniens, nommés Pythodôros et Isagoras, peut-être sous le règne de Philippe V. Dans la plaine, en revanche, la preuve n'a jamais été apportée avec certitude de la présence de ces niveaux : lors de la seule exploration systématique du système défensif, en 1937, le niveau élevé de la nappe phréatique dans la plaine de Philippes, qui était alors en pleine opération d'assainissement, empêcha les archéologues d'atteindre les fondations du rempart[3]. Certains historiens en tirent argument pour affirmer que le tracé de l'enceinte d'origine différait de celui qui est conservé dans la plaine et venait barrer le côté sud de l'Acropole beaucoup plus au nord, donnant à la ville une superficie très réduite, plus en accord avec leur lecture des témoignages littéraires.

L'enceinte a la forme grossière d'un rectangle tronqué, orienté presque exactement sur les points cardinaux, du nord au sud : le petit côté nord est le seul à posséder un tracé sinueux, qui suit la ligne de crête de l'acropole en joignant ses deux sommets[4]. Les autres côtés de l'enceinte sont généralement rectilignes avec quelques déviations ponctuelles, principalement sur le côté est, où la courtine décrit quelques décrochements assez proches des dents de crémaillère qui caractérisent certaines fortifications grecques[5].

Inscription des épistates Pythodôros et Isagoras sur le rempart au-dessus du théâtre.

L'hérôon, dont il ne subsiste que trois degrés de la crépis et des éléments d'une clôture délimitant le téménos, recouvre une chambre funéraire souterraine voûtée parfaitement conservée[6] : cinq niches rectangulaires, destinées à recevoir des urnes funéraires, s'ouvrent dans les parois de la chambre rectangulaire, qui contient comme unique mobilier une table votive dans l'angle nord-est. Bien que la porte d'entrée ait été retrouvée intacte, la tombe fut visiblement pillée dans l'Antiquité[7] : les niches furent retrouvées vides, à part quelques cendres et ossements, tandis que quelques tessons ramassés dans la tombe sont nettement postérieurs à sa construction. En revanche, une ciste placée sous le centre de la chambre ne fut pas trouvée par les pillards, et a révélé une sépulture particulièrement importante : elle contenait le squelette d'un jeune adulte ou d'un enfant paré de riches bijoux d'or (une couronne de feuilles de chêne[8], un diadème, un pendentif[9]). Le mort est identifié par une inscription sur le couvercle de la tombe : ΕΥΗΦΕΝΗΣ ΕΞΗΚΕΣΤΟΥ (Euèphénès, fils d'Exèkéstos)[10]. Ce personnage est probablement le même que celui qui apparaît sur un fragment d'inscription retrouvée à Philippes, donnant une liste de mystes, c'est-à-dire d'initiés des mystères des Grands Dieux de Samothrace. D'après ces inscriptions et l'orfèvrerie, la tombe date du IIe siècle av. J.‑C.[11]. La présence d'une tombe au centre d'une ville hellénistique n'est pas anodine : elle indique, ce qui est confirmée par les vestiges de construction qui la surmontaient, un hérôon, édifice de culte civique, souvent lié à la commémoration d'un héros fondateur (κτίστης / ktístès) de la cité.

La ville reste malgré tout de taille modeste (2 000 habitants ?) : lorsque les Romains détruisent définitivement le royaume argéade de Macédoine en 167 av. J.- C. et le divisent en quatre États distincts (mérides), c'est Amphipolis et non Philippes qui devient la capitale de l'État de Macédoine orientale.

Fortifications byzantines de l'acropole.
Vestiges du centre de la ville : forum au premier plan, marché et basilique B au fond

L'époque romaine

La ville réapparaît dans les sources à l'occasion de la guerre civile romaine qui suit l'assassinat de Jules César : ses héritiers Marc Antoine (M. Antonius) et Octave (G. Iulius Caesar Octavianus) affrontent les partisans de la République, M. Junius Brutus et C. Cassius Longinus, dans une double bataille décisive dans la plaine à l'Ouest de la ville en octobre 42 av. J.-C. Vainqueurs, Marc Antoine et Octave licencient une partie de leurs vétérans, probablement de la légion XXVIII, qu'ils installent dans la ville, refondée comme colonie romaine sous le nom de Colonia Victrix Philippensium. En 30 av. J.-C., Octave devenu seul maître de l'Empire réorganise la colonie et procède à une nouvelle déduction de vétérans, peut-être de prétoriens et d'Italiens : la ville prend le nom de Colonia Iulia Philippensis, complété en Colonia Augusta Iulia Philippensis après janvier 27 av. J.-C., lorsqu'Octave reçoit lui-même le nom du Sénat.

À la suite de cette deuxième déduction — et peut-être dès la première — le territoire de Philippes est centurié et distribué aux colons[12]. La ville garde ses limites macédoniennes, matérialisées par l'enceinte, et son plan n'est que partiellement revu avec l'aménagement du forum un peu à l'Est de l'emplacement probable de l'agora[13] : des sondages sous le pavement de la place ont mis au jour un habitat hellénistique de même orientation générale que la ville romaine. Ils montrent que le forum ne reprend pas exactement la localisation de l'agora. Une indication possible sur cette dernière provient des fouilles du quartier épiscopal : l'implantation de l'hérôon hellénistique au milieu d'un quartier résidentiel est en effet beaucoup moins probable que sur l'agora où l'existence d'un culte civique se justifierait davantage[14].

La colonie connaît un essor important lié à la richesse que lui apporte son riche territoire et sa position privilégiée sur la Via Egnatia. Cette richesse se traduit par un cadre monumental particulièrement imposant au regard de la taille de l'aire urbaine[15] : le forum ordonné en deux terrasses de part et d'autre de la rue principale connaît plusieurs phases entre Claude et les Antonins, le théâtre est agrandi et aménagé pour recevoir des jeux romains. Une abondante épigraphie latine témoigne de cette prospérité[16].

En 49 ou 50 ap. J.-C., la ville reçoit la visite de l'apôtre Paul[17]. Accompagné de Silas, Timothée, et peut-être de Luc, l'auteur présumé des Actes des Apôtres, il prêche pour la première fois sur le sol européen à Philippes, et y baptise une négociante de pourpre, Lydia, dans une rivière à l'Ouest de la ville : il y avait alors une communauté juive, et une synagogue attestée par l'épigraphie[18].

Paul aurait visité la ville en deux autres occasions, en 56 et 57 ap. J.-C.. L'épître aux Philippiens daterait de 54-55 ap. J.-C. et témoigne de l'impact immédiat de la parole paulinienne[19]. Le développement subséquent du christianisme à Philippes est bien attesté, notamment par une lettre de Polycarpe de Smyrne adressée à la communauté philippienne vers 160 ap. J.-C., et par l'épigraphie funéraire[20].

L'époque paléochrétienne

Basilique B vue du S.-O. et acropole à l'arrière-plan

La « basilique de Paul »

La première église attestée dans la ville est de taille modeste et correspond probablement à l'origine à une maison de prières : cette basilique de Paul, identifiée par une inscription d'un pavement de mosaïque[21], est datée autour de 343 par la mention de l'évêque Porphyrios, dont la présence est attestée au concile de Serdica cette année-là[22]. L'édifice est un simple bâtiment rectangulaire de 27 m de long sur 12 m de large, qui occupe en largeur la moitié sud du troisième îlot à l'est du forum, au Sud de bains romains et surtout de l'hérôon au-dessus de la tombe d'Exékèstos[23]. Il est orienté à l'est par une abside grossièrement semi-circulaire inscrite. La nef unique est séparée d'une antichambre qui fait office de narthex. Les deux pièces sont ornées de pavements de mosaïque au décor géométrique et végétal.

Cette maison de prières est d'une importance capitale pour l'histoire du christianisme en Grèce à plus d'un titre : bien qu'il soit déjà postérieur d'un quart de siècle à la légalisation du christianisme par Constantin, c'est l'un des plus anciens édifices de culte sûrement datés, grâce à l'inscription de Porphyrios et il occupe une place de choix dans l'histoire du développement architectural du christianisme dans les provinces de l'Empire. Le caractère exceptionnel de l'édifice est d'autre part renforcé par sa localisation : non seulement, il est situé au centre de la ville, alors que les historiens ont longtemps pensé que pour des raisons légales, financières et pratiques, les premières églises se développaient surtout à la périphérie des villes, dans les nécropoles, mais il est d'autre part construit en relation étroite avec un édifice cultuel païen, l'hérôon hellénistique monumentalisant la tombe d'Exékèstos. Cette proximité topographique ne saurait être une coïncidence : les premières églises chrétiennes en Grèce sont rarement construites sur des sanctuaires païens, et il ne paraît pas y avoir eu dans la région au IVe siècle, contrairement à d'autres, de campagnes de destruction systématique de la part des chrétiens[24]. De nombreux temples ont certes par la suite été convertis en églises, à commencer par les plus fameux temples athéniens, le Parthénon, l'Érechthéion et l'Héphaïsteion, mais cette conversion est intervenue bien après leur abandon, probablement pas avant la fin du VIe siècle. À Philippes même, la construction de la basilique A à l'emplacement probable du capitole de la colonie (voir infra) intervient à une époque (vers 500) où il a perdu toute fonction et se trouve probablement en ruines. Sa destruction obéit donc à des motivations purement pratiques. Très différent paraît être le cas du hérôon voisin de la basilique de Paul.

Multiplication des basiliques aux Ve et VIe siècles

Inscription de l'évêque Porphyrios dans la basilique de Paul

Bien qu'il n'en subsiste aucune trace archéologique ni littéraire, la tradition de la fondation apostolique de Philippes et le culte martyrial du saint sont les explications les plus vraisemblables pour expliquer au moins en partie la formidable prospérité de la ville aux Ve et VIe siècles. On y voit, comme dans les autres villes, se multiplier les fondations ecclésiastiques : sept églises différentes sont construites entre le milieu du IVe et la fin du VIe siècle, dont certaines rivalisent en taille et en ornements avec les plus belles fondations thessaloniciennes, voire constantinopolitaines. La parenté du plan et de la décoration architecturale de la basilique B avec Sainte-Sophie et Sainte-Irène de Constantinople accordent une place privilégiée à cette église dans l'histoire de l'art paléochrétien. Le complexe épiscopal qui prend la place de la basilique de Paul à partir du Ve siècle, construit autour d'une église octogonale, rivalise lui aussi avec les églises de la capitale.

Ces nouvelles églises sont, dans l'ordre chronologique :

  • L'Octogone dont la construction remonte à la première moitié du Ve siècle : cette église qui doit son nom au plan centré octogonal dont elle est pourvue vient remplacer la basilique de Paul qui s'est révélée rapidement insuffisante aux besoins du culte. L'Octogone connaît deux grandes phases de développement : il est reconstruit et agrandi dans la première moitié du VIe siècle. C'est l'église cathédrale de Philippes, comme en témoignent la présence d'un important baptistère et de deux ambons. Il n'y a pas de raison de douter qu'à l'instar de son prédécesseur, elle est dédiée à l'apôtre Paul. L'adoption d'un plan centré octogonal caractéristique des églises martyriales, associé à deux entrées monumentales (long portique triple au nord du narthex, propylées au Sud de l'atrium) et le développement important des annexes liturgiques ainsi, probablement que d'une hôtellerie au nord de l'atrium, sont autant d'éléments qui suggèrent l'existence d'un culte martyrial et probablement d'un pèlerinage, bien qu'il n'en reste aucune trace dans les sources littéraires et que les éléments archéologiques précis à ce sujet soient douteux[25].
  • La Basilique extra muros, située dans la nécropole orientale de la ville, dont la première phase date peut-être du début du Ve siècle[26].
  • La basilique C, dite aussi basilique du Musée, construite au Ve siècle sur les premières pentes de l'acropole, au nord-ouest du forum. Dernière grande basilique à avoir été fouillée, elle doit son nom aux circonstances de sa découverte, pendant la construction du musée archéologique[27]. Elle connaît une seconde phase, avec agrandissement, au VIe siècle.
  • La basilique A est une très grande église basilicale[28] qui occupe la terrasse supérieure du forum, à l'emplacement des temples du capitole de la colonie romaine, dont elle remploie de nombreux éléments architecturaux[29]. Sur le côté Sud de l'atrium, à côté du porche monumental semi-circulaire qui y donne accès[30], se trouve une petite chapelle mésobyzantine dans laquelle la tradition locale voyait encore au début du XXe siècle, la « prison de Paul », le lieu dans lequel il fut enfermé après son arrestation sur le marché pour prosélytisme, selon le récit des Actes. Il s'agit en réalité d'une citerne romaine qui ne paraît pas avoir eu de fonction liturgique à l'époque de la construction de la basilique voisine : c'est sans doute après la ruine de la grande église que fut aménagée là une chapelle, bientôt magnifiée par une légende locale dans l'effort sans cesse renouvelé aux différentes époques de réinvestissement du paysage urbain par l'histoire apostolique[31]. En raison de cette tradition et de la localisation privilégiée de la Basilique A dans la ville comme de sa taille, elle fut donc d'abord identifiée à la cathédrale, dédiée à saint Paul, malgré l'absence d'un véritable baptistère : les fouilles de l'Octogone et la découverte de la basilique de Paul sont venues définitivement écarter cette hypothèse dans les années 1960.
  • La basilique B est la dernière église construite à Philippes, au milieu du VIe siècle, sur le macellum et la palestre romains, au Sud du forum[28]. Légèrement postérieure à Sainte-Sophie de Constantinople, elle constitue l'une des premières applications en province du plan de la basilique à coupole. P. Lemerle, qui procéda à son exploration systématique dans les années 1930, estime qu'elle ne fut jamais terminée en raison de l'effondrement rapide de cette coupole.

Il faut ajouter à cette liste deux autres basiliques dont l'existence est connue par des sondages, mais qui n'ont pas encore été systématiquement explorées, et dont l'identification reste par conséquent problématique :

  • La basilique du champ Pavlidis, seconde église cimétériale, dans la nécropole sud-est de la ville, associée à un édifice péristyle monumentalisant plusieurs riches tombes des Ve et VIe siècles[32]. Seules l'aile nord et une partie du narthex ont été mises au jour, le reste de l'église étant masqué par une route.
  • La basilique D, encore plus mal connue[33], est la quatrième grande basilique (au sens architectural) intra muros, située à l'ouest du forum, le long de la Via Egnatia.

À la même époque, les remparts de la ville sont reconstruits pour faire face à l'insécurité grandissante dans les Balkans : d'après Malchus, en 473, la ville est assiégée par les Ostrogoths qui ne parviennent pas à la prendre mais en brûlent les faubourgs. C'est l'indication que l'enceinte est suffisamment en état pour permettre aux habitants de repousser l'attaque. En l'absence d'autres témoignages, l'examen de l'appareil de la courtine, notamment dans sa section la mieux préservée, au nord-est, entre le théâtre et la porte de Néapolis, permet de supposer au moins une phase de réfection antique tardive : l'appareil mixte faisant alterner des assises irrégulières de petits moellons, et de quelques spolia, avec des arases de briques aux joints de mortier particulièrement épais est en effet caractéristique des fortifications de cette époque dans la région[34]. Il est comparable aux enceintes du Ve siècle de Thessalonique[35] et Constantinople. Les fortifications de Philippes partagent par ailleurs une autre caractéristique avec ces deux villes, l'existence d'un avant-mur, ou proteichisma : mal conservé et jamais véritablement étudié, il pourrait attester d'une nouvelle restauration des défenses urbaines au VIe siècle, période où ce genre de dispositif défensif se généralise dans les Balkans[36]. L'importance stratégique de la ville comme verrou de la Via Egnatia est alors confirmée par l'étendue des travaux : la reconstruction des remparts n'en modifie pas le tracé hellénistique et la ville ne connaît pas la rétraction de l'aire urbaine qui est la norme dans les autres sites balkaniques de taille comparable, comme dans les villes voisines d'Amphipolis ou d'Abdère.

L'époque byzantine et ottomane

Affaiblie par les invasions slaves de la fin du VIe siècle qui ruinent l'économie agraire de la Macédoine[37], ainsi probablement que par la grande peste de 547, la ville est presque totalement détruite par un séisme vers 619[38], dont elle ne se relève pas : quelques aménagements témoignent du maintien d'une activité très réduite au VIIe siècle. La ville n'est plus guère alors qu'un village[39].

L'Empire byzantin y maintient peut-être une garnison, mais en 838 la ville est prise par les Bulgares du khan Isbul, qui célèbrent leur victoire par une inscription monumentale sur le stylobate de la Basilique B, alors partiellement ruinée[40]. Le site de Philippes a une importance stratégique trop grande pour que les Byzantins ne tentent pas rapidement de la reprendre, ce qui est chose faite avant 850 : plusieurs sceaux de fonctionnaires et officiers byzantins datés de la première moitié du IXe siècle témoignent de la présence d'armées byzantines dans la ville.

Vers 969, l'empereur Nicéphore II Phocas fait reconstruire les fortifications de l'acropole et d'une partie de la ville[41]. Celle-ci bénéficie graduellement de l'affaiblissement de la menace bulgare et du renouveau de l'Empire byzantin. En 1077, l'évêque Basile Kartzimopolos fait reconstruire une partie des défenses intérieures de la ville. Elle connaît alors une nouvelle période de prospérité dont témoigne le géographe arabe Al Idrissi qui la mentionne comme un centre de négoce et de production de vin vers 1150[28].

Brièvement occupée par les Francs après la IVe Croisade et la chute de Constantinople (1204), la ville tombe entre les mains des Serbes[28]. Elle demeure alors une fortification notable sur le parcours de l'antique Via Egnatia : en 1354, le prétendant au trône de Byzance, Mathieu Cantacuzène, y est capturé par les Serbes.

La date de l'abandon définitif de la ville n'est pas connue, mais lorsque le voyageur français Pierre Belon la visite au XVIe siècle[42], il n'en subsiste plus que des ruines, exploitées par les Turcs comme carrières.

Le toponyme en fut conservé d'abord dans un village turc voisin dans la plaine, Philibedjik[43], aujourd'hui disparu, puis par un village grec dans les montagnes.

Archéologie

Les vestiges des Direkler (Basilique B) dessinés par H. Daumet en 1861

Signalée ou brièvement décrite par des voyageurs dès le XVIe siècle[44], la ville fait l'objet d'une première description archéologique en 1856 par Perrot[45], puis en 1861 surtout par L. Heuzey et H. Daumet dans leur célèbre Mission archéologique de Macédoine[46]. Le premier savant à reconnaître les ruines monumentales connues localement sous le nom de « Direkler » (en langue turque, « les piliers ») comme celles d'une église (baptisée plus tard « basilique B » par P. Lemerle) est le célèbre savant autrichien Josef Strzygowski[47] qui visite le site en 1901 : avant lui, les légendes locales et les voyageurs y voyaient un palais ou un édifice administratif.

Il faut néanmoins attendre l'été 1914 pour que débutent les premières fouilles archéologiques, aussitôt interrompues par la guerre : elles sont le fait de l'École française d'Athènes (EfA) qui les reprendra en 1920 et les poursuivra systématiquement jusqu'en 1937, avec la fouille du théâtre, du forum, des basiliques A et B, des thermes Sud et du rempart. Après la Seconde Guerre mondiale, les archéologues grecs reprennent l'exploration du site : la Société Archéologique de 1958 à 1978, puis le Service archéologique et l'Université de Thessalonique dégagent à leur tour le quartier épiscopal de l'Octogone, de grandes demeures privées, une nouvelle basilique près du musée et deux autres dans les nécropoles à l'est de la ville.

La solution de continuité dans l'occupation urbaine après le XVe siècle fait de Philippes un site archéologique privilégié. Lors de la période de colonisation contemporaine qui suivit la Grande Catastrophe de 1922, l'État grec installa des réfugiés micrasiates de part et d'autre des fortifications du site, créant les villages contemporains de Lydia (à l'ouest) et Krénidès (à l'est) — à ne pas confondre avec la colonie thasienne antique — qui se développèrent sur les faubourgs de la ville antique. Mais l'aire urbaine antique intra muros demeura inconstructible et fut préservée.

Le site archéologique dépend à la fois de la XVIIIe éphorie des Antiquités préhistoriques et classiques et de la 12e éphorie byzantine, toutes deux sises à Kavala : la première a la charge de l'ensemble du site, tandis que la seconde contrôle le quartier épiscopal autour de l'Octogone — une seconde clôture le protège à l'intérieur du périmètre général du site, et l'accès se fait à des horaires restreints par rapport à l'ensemble. Une autre autorité archéologique, de création plus récente, œuvre également à Philippes : la Commission nationale du théâtre de Philippes[48], composée de professeurs de l'université de Thessalonique, d'archéologues de la XVIIIe éphorie et de représentants du ministère de la Culture, a exclusivement en charge l'exploration et la mise en valeur de ce monument : elle supervise les fouilles autour de l'édifice et l'anastylose du bâtiment de scène.

Festival annuel

Le théâtre de Philippes accueille chaque année, en été, un festival d'art dramatique sous la tutelle de la municipalité de Kavala.

Notes et références

  1. Sève [2000], p. 190-191.
  2. Sève [2000], p. 193.
  3. Roger [1938].
  4. Deux articles ont été consacrés à l'enceinte par les archéologues de l'EFA qui sont les derniers à en avoir mené l'étude systématique : Roger [1938] et Lemerle et Ducoux [1938].
  5. Un bon exemple contemporain de Philippes en est le rempart de Priène, daté de -350 : A. W. Lawrence, Greek aims in fortifications, Oxford, 1979, p. 350-355.
  6. Bakirtzis et Koukouli-Chryssanthaki [1996], p. 53-54 ; Koukouli-Chryssanthaki [1998], p. 20 ; Gounaris et Gounaris [2004], p. 75-76.
  7. Gounaris et Gounaris [2004], p. 77. Les pillards seraient passés par une ouverture dans la voûte.
  8. Elle est conservée au musée archéologique de Kavala sous le numéro d'inventaire M 571 : cf. Bakirtzis et Koukouli-Chryssanthaki [1996], fig. 60-61.
  9. Ancient Macedonia, Exhibition Catalogue, Athènes, 1988, no 373-375.
  10. Bakirtzis et Koukouli-Chryssanthaki [1996], p. 53.
  11. Bakirtzis et Koukouli-Chryssanthaki [1996], p. 54 ; Gounaris et Gounaris [2004], p. 77.
  12. Santoriello et Vitti [1999] proposent une première restitution du parcellaire colonial romain à partir de l'interprétation de photographies aériennes de la région de Philippes.
  13. Sève [2000], p. 193-194.
  14. Cette hypothèse de M. Sève a récemment été contestée par A. Mentzos : l'archéologue grec estime que l'hérôon était en réalité situé à l'extérieur des murs de la ville macédonienne, dont la superficie aurait ainsi été beaucoup plus réduite. L'agora serait à chercher plus au nord. Une telle solution complique inutilement le problème.
  15. Sève [2000], p. 195.
  16. En attendant la publication du corpus épigraphique de Philippes, Pilhofer [2000] constitue un catalogue commode.
  17. Pilhofer [1995].
  18. Chaïdo Koukouli, «Colonia Iulia Augusta Philippensis», in Bakirtzis et Koester [1998], p. 4-35, en particulier p. 29 sq.
  19. H. Koester, «Paul and Philippi, The Evidence from Early Christian Literature», in Barkirtzis et Koester [1998], p. 49-65.
  20. Feissel [1983] donne le catalogue des inscriptions chrétiennes connues à cette date. Pour le complément, voir Pilhofer [2000].
  21. Feissel [1983] no 226 p. 192.
  22. Ch. Bakirtzis, «Paul and Philippi, The Archaeological Evidence», in Bakirtzis et Koester [1998], p. 37-48, en particulier p. 41.
  23. L. Michael White, The Social Origins of Christian Architecture, vol. 2, Harvard Theological Studies, no 49, p. 178-186.
  24. Un des rares exemples attestés est la basilique de Jovien à Paléopolis de Corfou : L. Foschia, «La réutilisation des sanctuaires païens par les chrétiens en Grèce continentale (IVe-VIIe s.)», Revue des Études Grecques 113, 2000, p. 413-434.
  25. Ch. Bakirtzis propose de voir dans une installation hydraulique liée à un sarcophage en remploi dans le baptistère le lieu de fabrication de reliques indirectes, et plus généralement estime que les Philippiens voyaient dans la tombe hellénistique préservée dans le complexe un cénotaphe de Paul, mais ces théories n'ont pu être confirmées.
  26. Gounaris et Gounaris [2004], p. ; Pélékanidis [1961].
  27. Gounaris et Gounaris [2004], p. ; Kourkoutidou-Nikolaïdou [1995] et [1997].
  28. a, b, c et d Lemerle [1945].
  29. Sève et Weber [1986].
  30. Les modalités précises du lien entre ce porche et la Via Egnatia en contrebas sont néanmoins inconnues : M. Sève a montré qu'il existait un dénivelé de plusieurs mètres entre le pavement de la rue et la dernière marche. Sève et Weber [1986].
  31. Pélékanidou [1980].
  32. Pennas [1980] et [1995].
  33. Un seul sondage en 1934 a dégagé les fondations du mur sud du complexe, qui est reconnu comme une église en raison du matériel présent en surface et de l'existence d'une chapelle byzantine à l'endroit supposé du sanctuaire, comme c'est aussi le cas dans l'Octogone.
  34. K. Tsouris, «Νεάπολις, Χριστούπολις, Καβάλα. Οι οχυρώσεις της Καβάλας και το πλαίσιο των οχυρωσέων του ευρύτερου χώρου της ανατολικής Μακεδονίας και Θράκης Προβλήματα τειχοδομίων και αλλά », Archaiologikon Deltion 53(A), 2002, p. 419-454.
  35. G. Vélénis, Τa τείχη της Θεσσαλονίκης από τον Κασσάνδρο ως τον Ηρακλείο, Thessalonique, 1998.
  36. J. Crow, D. Smith, « The Hellenistic and Byzantine Defences of Tocra (Taucheira) », Libyan Studies 29, 1998, p. 35-82
  37. Dunn [1994] ; [2005] ; contra Bakirtzis [1999] qui maintient que la Macédoine orientale n'a pas été affectée par ces invasions.
  38. Bakirtzis [1990].
  39. Sève [2000], p. 202-203.
  40. Lemerle [1945] ; contra Karayannopoulos [1989] pour qui l'inscription n'a pas été retrouvée in situ mais aurait été transportée à Philippes à une date ultérieure.
  41. Lemerle [1937], editio princeps de l'inscription du kastron.
  42. Pierre Belon, Les observations de plusieurs singularités et choses mémorables trouvées en Grèce, Asie, Judée, Egypte, Arabie et autres pays étranges, rédigées en trois livres, Paris, 1588.
  43. Il figure sur la carte de H. Daumet et L. Heuzey [1876].
  44. Belon [1588].
  45. Perrot [1860].
  46. Heuzey et Daumet [1876].
  47. Strzygowski [1902].
  48. Présentation des travaux du théâtre sous l'égide de la commission (en grec).

Voir aussi

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Article connexe

Bibliographie

Généralités

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  • Henri Daumet et Léon Heuzey, Mission archéologique de Macédoine, Paris, Librairie Firmin Didot, 1876, p. 49-96 ;
  • G. Perrot, « Daton, Néapolis, les ruines de Philippes», Revue archéologique, 1860, II, p. 45-52, 67-77 ;
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  • (de) Lukas Bormann, Philippi. Stadt und Christengemeinde zur Zeit des Paulus, NT.S. 78, Leiden/New York/Köln, 1995 ;
  • Paul Collart, « Le sanctuaire des dieux égyptiens à Philippes», BCH 53, 1929, p. 70-100 ;
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Époque byzantine

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  • (el) Eutychia Kourkoutidou-Nikolaïdou, «Το επισκοπείο των Φιλίππων στον 6ο αι.», in Μνήμη Μανόλη Ανδρόνικου, Thessalonique, Εταιρεία Μακεδονικών Σπουδών, 1997, p. 115-125 ;
  • Paul Lemerle, «Le château de Philippes au temps de Nicéphore Phocas», BCH 61, 1937, p. 103-108 ;

Liens externes

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