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Origines du christianisme
Les origines du christianisme sont complexes, en grande partie obscures. Il est difficile de se faire une idée exacte de la question. Même les plus excellents spécialistes sont divisés et ne se hasardent pas à formuler plus que des hypothèses probables. Pourtant il ne s'agit ni d'une apologie ni d'une réfutation du christianisme mais de quelques faits, tant bien que mal reliés, par ceux qui les étudient, les uns aux autres, vu le caractère lacunaire des sources.
Le christianisme n'est pas sorti tout formé de la tête de Jésus, telle Athéna surgissant tout armée de celle de Zeus. Son élaboration est le fruit d'une histoire et d'un mûrissement longs et complexes. À la vérité, et considérant que Jésus de Nazareth appartient davantage à la préhistoire du christianisme qu'à son histoire, on pourrait résumer ce parcours autour de quelques noms, figures emblématiques des moments-clés de la constitution du christianisme dans une perspective profane et diachronique: Paul de Tarse (l'opposition Loi-foi, constitutive d'une rupture avec le judaïsme car les païens sont appelés à la foi bien que n'étant pas sous la Loi), Ignace d'Antioche (l'épiscopat monarchique, clé de voute de l'Église-institution médiatrice du salut), Justin Martyr (naissance de la théologie chrétienne), Irénée de Lyon (la tradition et la succession apostolique fondée sur la chronologie des Papes, comme interprètes seul légitimes des Écritures et garantes des dogmes), entre l'an 50 et la fin du IIe siècle de notre ère.
Pour une autre approche, consultez les articles Christianisme ancien et Histoire du christianisme
Le contexte religieux
Le christianisme serait apparu selon la version la plus courante comme un mouvement de renouveau à l'intérieur du judaïsme du début de notre ère. Mais c'est en sortant de son terrain d'origine qu'il a acquis sa signification propre et son importance décisive. C'est pourquoi la question se pose : Qui a réellement fondé le christianisme en tant que système religieux ? "Jésus" ? ou "Paul" ?
Le Nouveau Testament sert de référence aux chrétiens sur ces questions. Mais en vérité les textes pourraient être critiqués et ils le sont d'ailleurs depuis longtemps. Que sait-on de l'Église de Jérusalem et surtout de sa doctrine ? Quand les Septante utilisent le terme Kyrios pour traduire le tétragramme sacré, cela peut être la source de l'appellation de Seigneur donné à Jésus dans le Nouveau Testament. Mais cet usage peut provenir de l'hellénisme où le terme s'appliquait en particulier à l'empereur romain.
Et il va sans dire que les Juifs de langue araméenne lisaient leurs écrits saints en hébreu — pas en grec. Il ne suffit donc pas pour traiter du contexte religieux au sein duquel naquit le christianisme de parler des sectes du judaïsme palestinien de l'époque, Pharisiens, Sadducéens, Esséniens, Zélotes, Johannites du courant baptiste (disciples de Jean le Baptiste)... Il faut tenir compte du contexte global, religieux et culturel, du bassin oriental de la Méditerranée aux deux premiers siècles.
Souvent l'histoire religieuse du monde antique, à partir d'Alexandre le Grand initiant la rencontre entre l'Orient et l'Occident, et de la création des monarchies hellénistiques a été racontée dans la perspective du triomphe ultérieur du christianisme, compris comme l'aboutissement inévitable et nécessaire d'une évolution continue. C'est une forme insidieuse de dépendance vis-à-vis du déterminisme historique, théorie bien pratique puisque tout est expliqué à l'avance par les résultats finaux.
Selon cette théorie, le monde antique était à l'époque traversé par de grands courants de transformation religieuse, propices aux bouleversements les plus considérables du point de vue de la spiritualité. Le judaïsme, dans sa version hellénistique, c'est-à-dire de langue grecque (Philon), participait pleinement de ce mouvement. En ce temps-là, les Juifs dispersés bénéficiaient du statut de religio licita accordé par Jules César, et attiraient beaucoup d'esprits curieux : la pratique du Sabbat (Chabbat) séduisait, mais celle de la circoncision déplaisait ; les quêtes financières pour le Temple de Jérusalem suscitaient des rumeurs antijudaïques — « antisémite » serait un anachronisme.
On peut penser que le succès du christianisme s'enracine dans le besoin d'une religion plus personnelle. Probablement est-ce cela qui taraudait les hommes et les femmes de ce temps : quête du salut, recherche d'une garantie de vie heureuse dans l'Au-delà. De nouveaux soucis éthiques, face aux injustices et à l'égoïsme d'un monde aristocratique, apparaissent. Le désir se fait jour d'une morale personnelle plus austère et plus puritaine dans un monde ou un certain laxisme éthique et sexuel était monnaie courante. La recherche de fraternité dans un cercle communautaire pour faire face à une vie si dure est patent. Sans tomber dans les généralisations faciles et forcément erronées,il allait de soi qu'il y avait un peu de tout cela dans le contexte spirituel de ces temps et qu'on trouverait bien des explications au succès du christianisme en prenant en compte ces données.
Philippe Camby écrit : « On commence à se douter que ce n'est pas le christianisme qui a conquis le monde antique, mais un mystère de salut fondé sur la valeur d'un sacrifice divin qui promettait la rédemption de tous les hommes de tous les temps, le salut de l'âme et la résurrection des corps ».[1]. Le christianisme est souvent présenté ainsi comme une simple variation sur un thème religieux à la mode.
Mais aujourd'hui on est généralement plus circonspect sur la question de ces cultes à mystères, et du mythe du Sauveur dans l'Antiquité finissant. Les thèses de Franz Cumont dont les conclusions insistaient si fort sur les influences orientales dans la religion païenne du temps de l'Empire romain[2] ne jouissent plus de la même faveur. Rudolf Bultmann[3] pensa un moment de même que le gnosticisme prédatait le christianisme sans aller jusqu'à soutenir que le mythe chrétien était une variation sur le thème du mythe gnostique du Sauveur descendu pour libérer les étincelles de lumière prisonnières de la matière. Le Cardinal Daniélou soutient en revanche que le gnosticisme est le fruit du judéo-christianisme apocalyptique[4]. Il se base sur le fait qu'on ne possède aucun témoignage crédible de l'existence de textes gnostiques, et encore moins de sectes gnostiques, qui seraient antérieurs au christianisme.
Walter Burkert dans son livre très documenté sur les cultes à mystères étudie la relation du christianisme à ces cultes pour étayer la thèse d'une spécificité certaine de celui-là [5]. Les chrétiens sont extérieurs à la société païenne. Les études les plus récentes ont nuancé ce que nous croyions savoir sur les mentalités religieuses des deux premiers siècles[6]. Bref, si crise religieuse, sociale et culturelle il y avait, le christianisme n'en était pas la panacée obligatoire.
Depuis la découverte des manuscrits de Nag Hammadi les données ont changé. Timothy Freke et Peter Gandy montrent, notamment à travers l'étude de "L'Evangile de Philippe" et de la "Pistis Sophia", que la gnose n'était pas une tendance hérétique ou minoritaire du christianisme, mais la voie royale de la connaissance des mystères de Dieu en associant exercice de la raison et mystique fondamentale.[7]
Jésus, fondateur du christianisme ?
La figure de Jésus appartient donc à la préhistoire du christianisme plutôt qu'à son histoire. Et, à vrai dire, on ne sait presque rien d'absolument certain à propos de lui. Aucune source indépendante et contemporaine ne le mentionne, mis à part le Testimonium flavianum qui est controversé, mais il en est ainsi pour la plupart des personnages de l'Antiquité. L'image qu'en donnent les Évangiles et le Nouveau Testament dans son ensemble est cohérente, même si elle reflète plus l'enseignement des premières communautés chrétienne que ses propres dires, faits et gestes. Il est étonnant que les Épîtres pauliniennes, les plus anciens écrits chrétiens, n'en parlent presque pas, ne rapportent que fort rarement ses paroles et ne mentionnent guère d'épisodes de sa vie, à part sa mort et sa résurrection.
Jésus est l'objet du kérygme de Paul et des premiers chrétiens, pas de considérations historiques de leur part. Les chrétiens ne s'intéressent pas à l'histoire, d'abord parce qu'ils en proclament la fin et le dépassement dans l'événement eschatologique qu'ils attendent, la Parousie du Fils de l'Homme.
Jésus prêchait le Royaume et c'est l'Église qui est venue ! Le mot fameux est un contre-sens sur une phrase de Loisy, mais il n'est que trop vrai. On se rappellera que Loisy entendait réfuter dans son ouvrage, L'Évangile et l'Église, les thèses développées par A. Harnack, parues en 1900 dans son œuvre, L'Essence du christianisme. Harnack résumait en quelque sorte les conclusions auxquelles étaient parvenues les exégètes protestants libéraux dans leur quête du Jésus historique [8].
Selon Harnack, l'enseignement de Jésus pouvait se résumer autour de trois pôles : Dieu est Père, l'âme humaine possède une valeur infinie, et le Royaume de Dieu représente un idéal éthique appelé à se réaliser dans le croyant. Ce troisième point nous intéressera le plus ici. Harnack ne faisait que reprendre la conception qu'avait développée le dogmaticien A. Ritschl de la notion de Royaume de Dieu. Mais déjà à l'époque une telle conception de la prédication de Jésus était battue en brèche par les recherches les plus récentes des exégètes. J. Weiss et Albert Schweitzer, les maîtres de l'école de "l'eschatologie conséquente", avaient montré que Jésus était avant tout un prédicateur apocalyptique, appelant à la conversion dans l'attente de l'apparition du Fils de l'Homme[9], une figure introduite par le Livre de Daniel, et l'instauration du Royaume de Dieu coïncidant avec la fin de ce monde. Ni sauveur, comme le prétendait l'orthodoxie, ni maître de morale comme le voulait les libéraux, Jésus était replacé dans le contexte du judaïsme de son temps avec ses attentes et ses agitations chroniques nationalistes et messianiques, tel que Flavius Josèphe nous le décrit si bien.
Mais déjà au milieu du XIXe siècle David Strauss avait montré combien était problématique la tentative libérale d'écrire une biographie naturaliste de Jésus.[10]. L'ami de Nietzsche, F. Overbeck, professeur d'histoire ecclésiastique à Bâle, représenta un tournant non moins important, bien qu'une partie importante de ses travaux ne fût publiée que longtemps après son décès. L'apport principal d'Overbeck consistait moins d'ailleurs dans une nouvelle approche du Jésus historique que dans les déductions qu'il en opérait, par rapport au projet théologique chrétien dans son ensemble. Critique fondamentale de la théologie chrétienne de tous les temps, quelle que soit la confession considérée et, bien sûr, au premier chef de la théologie protestante de son temps, la pensée de notre historien de l'Église consistait à mettre en exergue le vide fondamental de la théologie chrétienne, son absence totale et récurrente de sujet propre qui la condamnait, pour exister, à récupérer et « christianiser » les thèmes philosophiques à la mode à chaque époque. Du néoplatonicisme au socialisme ou au nationalisme du XIXe siècle, les théologiens ne pouvaient justifier leur survie qu'en phagocytant la pensée dominante de leur temps et en proposant une version « chrétienne » des idéologies séculières en vogue. Cette critique, aussi dure que lucide, reposait cependant pour Overbeck sur une réflexion fondée sur la véritable signification du message de Jésus. Ce message se serait résumé en l'annonce imminente de la Fin des Temps. Celle-ci ne s'étant pas produite et son attente ayant disparu chez les chrétiens, le christianisme n'avait plus d'objet propre.
Nous nous sommes arrêtés un peu longuement sur ces figure du XIXe siècle parce que les conclusions auxquelles elles sont parvenues sont restées, sur bien des points, d'actualité. La différenciation entre le « Jésus de l'histoire » et le « Christ de la foi » a pu recevoir des appréciations variables et ont pu en être dégagées des conséquences diverses, mais c'est un fait bien acquis que la valeur historique intégrale des Évangiles n'est plus soutenue que dans les milieux fondamentalistes (il existe bien des degrés dans la confiance que l'on accorde, même dans les milieux conservateurs, aux récits sur Jésus : plus on fixera précocement la date de rédaction des Évangiles, plus on sera naturellement porté à les croire sur parole en tablant sur la fraîcheur des souvenirs et l'impossibilité de tromper les multiples témoins encore vivants) ; de même, la thèse mythiste ne « résiste pas à l'analyse »[11] et ne figure plus dans les publications universitaires.
Jésus de l'histoire et Christ de la foi. Rudolf Bultmann, déjà cité, estimait que l'on ne pouvait rien savoir sur le premier et que, toute manière, le sujet était sans importance pour la théologie et la prédication chrétienne. On peut dire qu'il radicalisait ainsi les conséquences des recherches de l'École des Formes (Formgeschischte) dominante dans l'exégèse au milieu du XXe siècle dont il fut l'un des maîtres avec Dibelius. Bultmann s'inspirait délibérément de la philosophie de Heidegger - le premier Heidegger, celui de Sein und Zeit (l'Être et Temps). La foi chrétienne ne reposerait pas sur l'histoire (Historie). Elle réaliserait l'authenticité existentiale de l'Etant pensé selon son historicité (Geschichtlichkeit) fondatrice. Par-delà Bultmann, on trouve chez certains de ses élèves, tel Ernst Käsemann, une tendance très forte à vouloir renouer avec la quête du Jésus historique. Mais il ne s'agit pas de refonder la foi sur l'histoire. Cette recherche s'est poursuivie depuis les années soixante du XXe siècle pour aboutir à des travaux tels ceux du Jesus Seminar américain.
La connaissance du monde dans lequel évolua Jésus s'est beaucoup affinée et améliorée. On citera en particulier les travaux de Gerd Theissen sur le milieu social dans lequel s'est développé le christianisme primitif. Mais sur Jésus lui-même, on peut seulement affirmer qu'il a été un prédicateur charismatique itinérant et qu'il appelait à une conversion totale, à une rupture radicale avec les conventions et les normes sociales habituelles (quitter famille, métier, possessions matérielles, habitudes religieuses et sociales...) dans la perspective de la fin imminente des Temps. Plus rien ne comptait, sauf le Royaume de Dieu qui était à la porte. Suivi d'une petite troupe qui comprenait plusieurs femmes, à la différence des rabbis de son temps qui évitaient même de parler à une femme, il se sentait proche des exclus et des pauvres, de ceux qui vivaient en marge, et bien souvent en rupture avec la Loi juive qui les écrasait du poids de ses innombrables commandements. Thaumaturge, il cherchait à s'accréditer par ses guérisons et ses miracles, considérés alors comme naturels pour un tel « homme divin », Theios Aner. Jésus apparaît comme particulièrement sévère vis-à-vis de la piété rituelle juive et du Temple dont il estimait la purification nécessaire, ce qu'il entreprit au moins symboliquement de réaliser. En cela, il s'inscrit dans la ligne des Esséniens et même, d'un certain point de vue, de celle des Pharisiens, dont le nom signifie « séparés », qui interprétaient la Loi, pratiquaient une résistance passive vis-à-vis des autorités[12] et ne concevaient pas le judaisme comme indissociablement lié à sa réalité politique, ce qui se manifestera pleinement après la chute de Jérusalem lors de la guerre juive de 70.
On ne connaît pas la durée exacte de son ministère, les évaluations vont de quelques mois (Charles Guignebert) aux traditionnels trois ans. Mais il semble qu'il entreprit de monter à Jérusalem, porté par l'espérance de la fin qu'il prêchait. Ce fut peut-être vers la Pâque juive, ou bien au moment de la Fête des Tabernacles, à l'automne - ce qui est probable au vu de certains éléments du récit dit des « Rameaux » : feuilles de palme jonchant le sol et chant de l'Alléluia. La mise en scène de cette montée et de cette entrée dans la Ville Sainte laisserait penser que Jésus se présenta, ou se laissa présenter, comme le Roi des Juifs. Il est possible qu'il y ait eu chez Jésus lui-même une évolution de l'idée qu'il se faisait de son rôle et de sa place dans le scénario de la fin. Quoi qu'il en soit, après s'être attiré l'hostilité des Pharisiens par la nouvelle interprétation de la Loi qu'il dispensait dans le contexte d'urgence eschatologique qu'il imaginait, Jésus se confronta aux Sadducéens maîtres du Temple et de son culte.
Jésus tenta probablement de purifier le Temple pour le préparer rituellement à la venue du Fils de l'Homme, ou de Dieu lui-même dans le Saint des Saints (épisode rapporté dans les Évangiles et connu sous le nom « les marchands chassés du Temple »). À la suite de cela, ou lors de cette affaire elle-même, il fut arrêté par les gardes juifs du Temple et remis aux autorités romaines qui lui intentèrent un procès politique pour rébellion et le condamnèrent à être crucifié. À ce moment, ses partisans et disciples, voyant la déroute de leur espérance, fuirent Jérusalem, à l'exception peut-être de quelques femmes. Jésus lui-même semble avoir péri désespéré et anéanti moralement (« Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? »). Ce que son corps est devenu n'est pas évident. À première vue, il semble peu probable que les Romains remettaient le corps des suppliciés à leurs proches. C'est pourtant ce qui est attesté par les textes et par la découverte archéologique récente d'un crucifié ayant été enterré décemment.
Les premières communautés chrétiennes
Nul ne sait exactement comment naquit le christianisme et combien de groupes contribuèrent à son origine en confluant.
Nous ne pouvons pas remonter au-delà de la foi des premiers disciples de Jésus : il est ressuscité corporellement d'entre les morts. Les Juifs attendaient la résurrection des morts pour le jour de l'avènement du Royaume de Dieu provoqué par le Messie. Tout naturellement, les premiers chrétiens furent conduits à décerner ce titre à Jésus. Mais à la différence des autres Juifs, ils distinguaient entre la résurrection de Jésus et celle des morts en général qu'ils situaient à la Parousie, retour du Christ, espérée dans peu de temps. Un bref laps de temps était laissé au peuple de Dieu pour croire au message de Jésus que les chefs juifs avaient rejeté, se convertir et attendre son retour dans la foi et l'espérance en pratiquant cette éthique « intérimaire » du sceau de laquelle Jésus avait frappé son message.
C'est en Galilée où étaient retournés les disciples de Jésus que cette foi prit son essor, quelque temps après la crucifixion du Maître. Cette expérience fut une expérience religieuse et spirituelle intense qu'il est impossible de préciser davantage, mais qui pour ceux qui l'éprouvèrent était du domaine à la fois de l'objectif et du surnaturel. Ils la vécurent comme une rencontre extérieure et sensible avec Jésus, un Jésus qui n'était pas revenu à la vie mais qui vivait d'une existence toute nouvelle et divine. On ne peut pas en dire plus. Le seul témoignage direct est une lettre de l'apôtre Paul affirmant avoir reçu la révélation du Christ ressuscité à la manière des tous premiers chrétiens, quoique plusieurs années plus tard, et comme le tout dernier à avoir fait cette expérience. Naturellement on peut par a priori rejeter toute expérience semblable. Simplement on constatera qu'elle s'inscrit dans la même catégorie que toutes sortes de manifestations surnaturelles et divines dont toutes les religions sont le foyer et dont nous ne pouvons pas apporter d'explication rationnelles.
Les premiers chrétiens « actifs » qui propagèrent cette foi étaient des charismatiques itinérants, probablement thaumaturges et appuyant leur prédication sur guérisons et miracles divers, à l'image de leur Maître. On peut reconstituer leur genre de vie et leur pratiques grâce à divers passages des Évangiles où Jésus est censé leurs procurer conseils, directives et encouragements. Probablement ces prédicateurs itinérants baptisaient-ils les Juifs qui acceptaient de confesser la foi qu'ils prêchaient et pratiquaient-ils une forme primitive de Sainte Cène ou eucharistie, « la fraction du pain », rappel symbolique des repas que Jésus avaient pris avec ces disciples en signe de communion avec eux et que le Ressuscité était censé présider, venant festoyer avec ses nouveaux disciples.
Ces premiers prédicateurs chrétiens inscrivaient donc leur action dans le droit fil de ce qu'avait été la pratique de Jésus, quittant tout pour suivre le ressuscité dont il proclamait la retour imminent comme juge et roi. Ceux qui plaçaient leur foi en lui échappaient par la_même au jugement que le Christ exercerait contre les impies, en premier lieu ceux qui l'avaient rejeté et crucifié.
Ces prédicateurs itinérants faisaient donc des disciples dont certains se mettaient en route à leur tour mais dont d'autres formaient dans les villes et villages de Palestine des groupes de sympathisants actifs qui accueillaient, logeaient, nourrissaient les charismatiques de passage. C'est ainsi que se constitua peu à peu les premières communautés « chrétiennes ».
Ce premier mouvement avait-il même un embryon d'organisation ? À vrai dire on peut simplement supputer le rôle dirigeant des "Douze" avec Pierre à leur tête,des fidèles de la première heure qui avaient suivi Jésus de son vivant déjà et étaient les premiers témoins de sa « résurrection », les premiers propagateurs de la nouvelle foi. Le terme d'apôtre ne leur fut réservé que bien plus tard. Ce terme qui signifie "envoyé" devait s'appliquer dans les premiers temps, sous une forme araméenne, à tous les prédicateurs itinérants dont nous avons parlé.
Naturellement au début la prédication de la résurrection de Jésus ne concernait que les Juifs. Aussi bien Juifs vivants en Palestine et parlant araméen que Juifs de la Diaspora, Hellénistes parlant grec, lors d'un voyage à Jérusalem. On peut cependant imaginer que quelques prosélytes, des Païens déjà convertis au judaïsme, et venus en Palestine lors d'un pèlerinage, furent atteints par la prédication des disciples du Christ. Des « craignant-Dieu », païens séduits par le judaïsme mais qui n'avaient pas fait le pas de la conversion complète, impliquant une circoncision qui répugnait aux Grecs et aux Romains, le furent aussi.
Il n'y pas grand chose à glaner sur un plan historique du tableau que "Luc" fait de la primitive église de Jérusalem dans le livre des Actes des Apôtres. On peut en retenir néanmoins un communautarisme certain. Il est clair que pour le premiers disciples de Jésus, rien de ce qui était matériel ne comptaient et probablement partageaient-ils volontiers leurs maigres biens au service des prédicateurs de l'Évangile. Frugalité, chasteté, esprit de solidarité, piété intense devaient marquer ces milieux. Il semble aussi que vers l'an 44 une première persécution, initiée par le roi Hérode Agrippa Ier, frappa la communauté dont plusieurs meneurs furent exécutés. C'est à ce moment que le groupe des "Douze" se dispersa sans qu'on sache vraiment ce que ses membres devinrent. Désormais la personnalité de Jacques "le Frère du Seigneur", domina dans les communautés judéo-chrétiennes jusqu'à ce que la Guerre Juive sous Vespasien et Titus n'en dispersât les membres.
Mais c'est à Antioche, capitale de la Syrie romaine qu'une double mutation décisive se produisit. Pour la première fois des Hellénistes chrétiens y prêchèrent l'évangile directement auprès des Païens et établirent avec ces nouveaux convertis une communauté qui s'affranchit des règles de pureté rituelle et des obligations alimentaires juives. C'est aussi à Antioche que le nom de « chrétiens » apparut pour la première fois (la forme christianos est un latinisme, ce qui signifie que le mot ne fut pas inventé pour les disciples de Jésus mais servait déjà auparavant aux Romains pour désigner tous les partisans des mouvements messianiques juifs).
Les disciples de Jésus étaient définitivement distingués des Juifs, une nouvelle religion apparaissaient. Cela se passait vers l'an 36, selon la tradition, au moment où les Hellénistes durent fuir Jérusalem après le martyre d'Étienne. Ces Hellénistes avaient, semble-t-il, repris les attaques directes de Jésus contre le Temple et les Sadducéens d'où les poursuites qui s'abattirent contre eux. C'est aussi à ce moment, et en lien avec ces événements, que Saul de Tarse, dit Paul, se convertit. Il serait le plus actif de ces nouveaux apôtres qui ne parcouraient plus le monde juif mais l'empire romain tout entier pour prêcher la résurrection de Jésus.
L'apôtre Paul
Avec Paul, le christianisme va prendre une nouvelle dimension, celle d'une religion universelle. Paul était un Juif de la diaspora, un disciple des Pharisiens, parlant grec et citoyen romain. Il attribua sa conversion directement à une révélation céleste et commença son ministère sans se lier aux premiers disciples. En quelque sorte il est le second fondateur du christianisme, indépendamment des charismatiques dont nous avons parlé plus haut, même si lui aussi se crut un inspiré dirigé par "L'Esprit Saint". Mais le premier il eut l'intuition du caractère universaliste du christianisme, la religion du "Bon Sauveur", prêchant un Seigneur exalté et triomphant.
Nous sommes particulièrement bien renseignés sur lui puisque nous avons la chance de posséder de lui quelques lettres authentiques : Épîtres aux Corinthiens, aux Romains, aux Galates, Ier Épître aux Thessaloniciens, le plus ancien texte chrétien conservé, Épître aux Philippiens. Nous avons d'autres écrits placés sous son nom mais leur authenticité est contestée voire improbable. le Livre des Actes des Apôtres, pour sa part, fait une large place à sa carrière et à ses voyages. Il est probable qu'une de ses sources majeures soit un récit de voyage écrit par un compagnon de Paul. Cependant, sur bien des points, ce livre des Actes doit être utilisé avec prudence...
Nous pouvons penser que Paul ne fut pas le premier à prêcher l'Évangile à des païens. Mais il le fit sur une échelle et avec une détermination encore inconnue. Ainsi une communauté chrétienne existait à Rome dans les années 60 qui ne lui devait rien, pas plus qu'à Pierre (le livre des Actes ne signale pas sa présence dans la Ville éternelle - la fin du prince des Apôtres demeure historiquement obscure). Il est probable que c'est Paul qui soit responsable de l'expansion chrétienne en Asie mineure et en Grèce.
Sans rompre avec le judaïsme ou les judéo-chrétiens, Paul se trouva en conflit avec eux sur un point : la circoncision des païens venus à la nouvelle foi et le respect intégral des commandements de Moïse par les pagano-chrétiens. Si un accord de principe put être trouvé avec les judéo-chrétiens disciples de Pierre et de Jacques ("Concile de Jérusalem"), les relations restèrent difficile néanmoins avec le "Frère du Seigneur". Paul prêchait un salut par la foi qui pour beaucoup faisait fi du respect des commandements divins et Paul fut accusé d'antinomisme. La plupart de ses lettres sont justement destinées à défendre sa position contre ses adversaires et à réfuter les attaques dirigées contre sa doctrine. Après sa disparition, dont nous ignorons les circonstances (la tradition veut qu'il ait été martyr à Rome sous Néron) son influence déclinera rapidement avant de réapparaître à la fin du premier siècle quand ses épîtres seront réunies en recueil et commenceront à circuler plus largement. Néanmoins une épître comme celle de Jacques témoigne des inquiétudes que sa position souleva de tous temps dans certains milieux, et la radicalité de sa prédication a toujours entraîne que les doctrines officielles des Églises, à part quelques exceptions (le protestantisme originel par exemple puisque Luther fut son plus grand disciple), nuancent leur soutient à Paul dans le sens de ce que nous appellerons, par anachronisme certes, un "semi-pélagianisme" destiné à préserver la moralité commune et à défendre le pouvoir ecclésial dans le domaine de la gestion du salut des âmes à l'aune du respect de la Loi de l'Église.
Dénoncé par les autorités du Temple de Jérusalem, Paul fut arrêté et livré aux Romains : mais comme citoyen romain, il se réclama du privilège d'être jugé par un tribunal impérial à Rome. Il y fut mené mais nous ignorons comment l'affaire finit.
L'importance de Paul ne doit pas être sous-estimée. Sur le moment son énergie inlassable, l'ardeur qu'il mit à accomplir ses grands voyages missionnaires et à défendre ses positions, son engagement pour la conversion des Païens sans les obliger à devenir Juifs pour autant, firent franchir au christianisme un palier essentiel dans son développement. Plus tard et jusqu'à aujourd'hui, la diffusion et la canonisation de ses lettres, authentiques ou présumées, en firent une référence incontournable pour la théologie chrétienne, même si toutes ses thèses ne furent pas exploitées à fond. D'autre part son rigorisme, en particulier ne matière sexuelle, et son intransigeance morale, sa misogynie profonde, sans être son apanage exclusif, ont profondément marqués l'éthique chrétienne, sa conception de la vie sociale et son organisation patriarcale de l'Église et de la chrétienté (célibat, chasteté, certes déjà valorisés par Jésus lui-même, anti-hédonisme, misogynie, homophobie, autoritarisme clérical, conservatisme politique...). Paul prêchait la liberté chrétienne mais lui refusait toute conséquence socio-politique économique directe (Cf. ses positions sur l'esclavage, divinisation du pouvoir) et à la différence de Jésus il n'a pas su s'affranchir des préjugés étroits des Juifs sur beaucoup de questions comportementales (ce qui est étrangement paradoxal pour un prédicateur qui insistait tant sur la notion de « liberté chrétienne »).
La littérature chrétienne primitive
Comme il a été dit la première épître de Paul aux Thessaloniciens est le plus ancien texte chrétien connu (vers 50). Les autres épîtres authentiques de Paul lui sont de peu postérieures.
Nous ne savons pas quand ni qui a commencé à recueillir les paroles de Jésus et les souvenirs, récits de miracles ou autres, le concernant. Probablement dés le début les prédicateurs itinérants charismatiques dont nous avons parlé ont fait références à de tels souvenirs et à de telles paroles. Mais souvent des « inspirations » reçues du Saint-Esprit, des révélations de même origine, ou des récits de provenance diverses ont été attribués par la tradition à Jésus et ensuite placés sous son autorité quand ces paroles et récits ont commencé à être transcrits sur le papier. Ce phénomène est certainement plus tardifs que certains ont la naïveté de la croire. le contre exemple de Paul est là pour le prouver. Jamais il ne fait référence au moindre document qui pourrait contenir l'ébauche d'un évangile. Il connaît peu de paroles du Christ et encore moins de récits le concernant. Il se réfère plusieurs fois à ce qui lui a été transmis oralement d'une tradition concernant en premier lieu la résurrection et les apparitions du ressuscité. Un premier noyau se rapportant à Pâques et aux apparitions post-pascales pourraient être l'ancêtre le plus probable des récits évangéliques, mais l'extrême diversité des traditions conservées ne milite pas pour une fixation rapide sur un support écrit. Peut-être a-t-il existé rapidement un récit de la passion : les données la concernant sont moins foisonnantes, plus unifiées. Quant à la fameuse Source Q (les paroles ou logia de Jésus), l'examen attentif de son contenu supposé montre que nombre de paroles ne peuvent pas être authentiques, même si le critère de définition de l'ipsissima vox Jesu, parole dont on ne possède aucune correspondance antérieure ou contemporaine à Jésus, est vraiment étroit. (Les recherches du Jesus Seminar ont abouti à la conclusion que seules 20 paroles seraient authentiques. Une nouvelle quête du Jésus historiques se propose de questionner même ce peu de logia admis.)
Le plus ancien évangile serait apparemment celui de Marc écrit en grec vers 70 (un peu avant ou un peu après selon que l'on soutient que l'auteur connaissait ou non la destruction du Temple de Jérusalem par Titus). On a supposé qu'il aurait existé un évangile plus ancien, un proto-Matthieu, écrit en araméen, mais les sources sont incertaines et les traces manuscrites inexistantes. Matthieu et Luc, qui combinent Marc et la Source Q, dateraient respectivement de 80 et 85. Jean serait le plus tardif, vers 90. Naturellement les attributions traditionnelles sont purement spéculatives et les auteurs inconnus. Matthieu refléterait un milieu judéo-chrétien en Syrie, Luc un milieu pagano-chrétien (Grèce?) comme Marc. Jean, écrit en Asie Mineure (?), manifesterait une période de vive tension avec le Judaïsme dont les chrétiens seraient maintenant bien distincts. A noter que "Jean" développe une théologie du Logos qui le rapproche de Philon d'Alexandrie, et représente un premier effort de faire se rencontrer foi chrétienne et philosophie grecque. On pourrait songer à une certaine connaissance des Mystères d'Eleusis et de leur symbolisme. Un parallèle critique est aussi esquissé dans l'Évangile entre les figures de Jésus et Dionysos[13].Cet auteur esquisse en creux une récupération de motifs dionysiaques transférés sur la personne de Jésus.
On aimerait vraiment à savoir plus sur les communautés johanniques, leur origine, leur organisation, leur histoire, leur devenir et même leur situation géographique : La tradition situe l'apôtre Jean en relation avec l'Asie Mineure. Mais le IVe Évangile se présente comme l'œuvre de disciples du « disciple que Jésus aimait », figure qui ne s'identifie pas à celle de Jean (l'identifier à Lazare parce qu'il est dit de lui aussi que « Jésus l'aimait », comme le fit Cullmann[14], relève de la pure spéculation). On peut voir la continuation du mouvement helléniste d'Étienne[15]. Le lieu pourrait aussi se situer à Alexandrie (l'origine du christianisme alexandrin est inconnue même si la tradition y situe l'apostolat de Marc) en raison de parallèle entre théologie johannique et philosophie de Philon. Le Papyrus Rylands P52, le plus ancien manuscrit conservé du Nouveau Testament, daté vers 125, contient un passage de l'Évangile de Jean (Jn:31-33 et Jn 18:37-38) et a été trouvé en Égypte, ce qui pourrait être un indice supplémentaire de la rédaction dans ce pays du texte qui y était connu si précocement. D'autre part une succursale d'Eleusis semble avoir existé à Alexandrie (connue par Clément d'Alexandrie). Ce groupe est en bisbilles très marquées avec le judaïsme avec qui il a rompu et qu'il attaque fortement. L'anti-judaïsme chrétien s'inspirera toujours du IVe Évangile au premier chef.
L'Apocalypse dite de Jean date probablement de la même époque et reflète, elle, une vive tension avec le monde romain. Mais il n'est pas sûr que l'attribution traditionnelle à la même école que le IVe Évangile soit vraiment fondée. L'arrière-plan intellectuel est vraiment différent. C'est peut-être un document judéo-chrétien.
Le reste des écrits du Nouveau Testament dateraient de la fin du premier siècle, avec un écrit un peu plus tardif, la IIe Épître de Pierre vers 120 (?). De toute manière le processus de canonisation du Nouveau Testament n'a commencé qu'au second siècle. Le premier qui en a eu l'idée est Marcion vers 120 sur le modèle juif (le canon de l'Ancien Testament ayant été fixé par les Pharisiens à Jamnia en 90). Il se référait à l'Évangile de Luc (sans les récits de l'enfance) et à quelques épîtres pauliniennes. Ses textes ont été rejetés sous prétexte qu'il aurait expurgé les versions originales pour les faire concorder avec sa propre théologie dualiste. Mais nul ne peut démêler la part du vrai et du faux dans cette affirmation. Ce qui est sûr c'est qu'il avait ramené ces œuvres d'Asie Mineure où probablement avait été rassemblée une première collection des lettres de Paul à la fin du premier siècle. Il n'est probablement pas non plus l'auteur de l'Évangile de Luc comme certains l'ont soutenu. Mais peut-être que les récits de l'enfance du Christ ont été rédigés à ce moment pour le contrer. De toute manière les grandes différences entre Matthieu et Luc sur ce point montrent qu'il s'agit de composition tardive et de traditions mal assurées.
Certains ont aussi soutenu que les écrits du Nouveau Testament ont été écrits dans leur ensemble vers 120-150, au moment où les textes commencent à y faire référence. Cette hypothèse ne peut pas être entièrement réfutée, puisque des faits qui la soutiennent peuvent être sérieusement allégués. Mais elle demeure moins probable. Si c'était le cas, ou bien le christianisme serait une pure invention du temps des Antonins, placé sous la référence d'un Jésus très hypothétique, soit le christianisme aurait eu alors besoin de forger cette littérature pour soutenir son ancienneté et dans un but apologétique. Mais l'existence de toute une littérature pseudo-épigraphe et apocryphe datant réellement du second siècle est une indication qui va en sens contraire de cette thèse. Ces œuvres montrent une toute autre orientation que les textes canoniques, une différence qui singularisent incontestablement ces derniers et sont un indice de leur antériorité probable.
Il existe enfin une littérature chrétienne antérieure au début du IIe siècle qui n'a pas été canonisée. Au nombre de ces textes figurent l'Épître de Clément de Rome aux Corinthiens, qui pour certains fait allusion au martyr de Paul et Pierre à Rome, les Épîtres d'Ignace d'Antioche, évêque de cette ville martyrisé à Rome à la fin du premier siècle, et qui nous prodigue de précieux renseignements sur l'évolution institutionnelle des communauté chrétiennes du temps, la Didachè, la plus ancienne liturgie chrétienne conservée, le Pasteur d'Hermas, une apocalypse manifestant que l'espérance eschatologique ne s'était pas encore tout à fait éteinte à l'époque... Ces œuvres n'ont pas été canonisées parce qu'on ne pouvait les attribuer, même fictivement, à un apôtre ou à un disciple direct des apôtres (comme Marc et Luc). D'autres écrits sont parfois mentionnés mais ils ont disparu comme ceux de Pappias d'Hiérapolis connus seulement par Eusèbe.
Il y a également quelques œuvres en provenance de milieux judéo-chrétiens qui ont survécu, parfois attribuées à des auteurs juifs puis remaniées par de mains chrétiennes :
- Ascension d'Isaïe (fin du Ier siècle) ;
- Testaments des douze patriarches (80-90) ;
- II Hénoch ou Livre des secrets d'Hénoch ou Hénoch slave (fin du 1er siècle) ;
- Odes de Salomon (début IIe siècle, Syrie) ;
- Épître de Barnabé (120) ;
- Oracles Sibyllins (entre 100 et fin du IIe siècle) ;
- Révélation d'Elkasaï (116-117).
Comme l'a montré le P. Daniélou, nous sommes souvent ici à la croisée des chemins entre gnosticisme, herméticisme, judaïsme et christianisme.
Témoignages juifs et païens sur les origines chrétiennes
Les témoignages juifs et païens sur les origines du christianisme sont extrêmement rares. Mais cela n'est pas étonnant, le christianisme commence à faire parler de lui seulement au début du IIe siècle. Auparavant, tel le blé germant inconnu en terre, nul ne le remarque. Et ensuite, si nombreux sont les philosophes païens qui disputent contre lui, si les historiens s'intéressent à cette secte et si un écrivain plein d'ironie la moque (Lucien dans son œuvre Sur la mort de Pérégrinus, 11ss.), naturellement ils ne disposent guère d'informations sur son origine véritable.
Flavius Josèphe
Flavius Josèphe, un Juif acquis à la cause romaine, parle du christianisme à deux reprises. Dans les Antiquités juives, XVIII, 63-64,[16], il parle de Jésus, le Christ, dans un passage qui a fait couler beaucoup d'encre, et que certains admettent comme authentique, d'autres comme interpolé, et enfin d'autres comme transformé par une main chrétienne - ce qui est le plus vraisemblable. Dans un autre passage[17], Flavius Josèphe évoque la fin tragique de Jacques "le Frère du Seigneur". Bien que ces mentions ne nous apprennent rien de fondamental, il n'en reste pas moins que l'historien juif paraît être le témoin, non chrétien, le plus direct et le plus sérieux de l'historicité de Jésus et de l'existence d'un mouvement judéo-chrétien en Palestine au Ier siècle.
Suétone
Les principaux témoignages païens sont postérieurs, et peu originaux eux-aussi. Suétone (v.120), Vita Claudii,11 : Claude "chassa de la ville les Juifs qui se soulevaient sans cesse à l'instigation d'un certain Chrestus."
Chrestus, le Bon, a toute chance d'être un esclave juif, chef d'une agitation messianique à Rome sous le règne de Claude. Donc, il est peu probable que ce passage, quoi qu'on en pense, ait un rapport avec les chrétiens. La date de la fondation de la communauté chrétienne de Rome est inconnue, mais date d'avant l'an 60, puisque Paul lui écrit en 57.
L'expulsion des Juifs de Rome est aussi connue par les Actes des Apôtres, 18: 2. Mais cet Aquilas, chassé d'Italie, ne semble pas être chrétien quand Paul fit sa connaissance. Le texte dit seulement qu'il était Juif. Donc le motif de l'expulsion des Juifs de Rome n'est pas la propagande chrétienne.
Tacite
Tacite (même date), Annales, 15-44 : « Mais aucun moyen humain, ni largesses impériales, ni cérémonies expiatoires ne faisaient taire le cri public qui accusait Néron d'avoir ordonné l'incendie. Pour apaiser ces rumeurs, il offrit d'autres coupables, et fit souffrir les tortures les plus raffinées à une classe d'hommes détestés pour leurs abominations et que le vulgaire appelait chrétiens. Ce nom leur vient de Christ, qui, sous Tibère, fut livré au supplice par le procurateur Pontius Pilatus. Réprimée un instant, cette exécrable superstition se débordait de nouveau, non-seulement dans la Judée, où elle avait sa source, mais dans Rome même, où tout ce que le monde enferme d'infamies et d'horreurs afflue et trouve des partisans. On saisit d'abord ceux qui avouaient leur secte ; et, sur leurs révélations, une infinité d'autres, qui furent bien moins convaincus d'incendie que de haine pour le genre humain. On fit de leurs supplices un divertissement : les uns, couverts de peaux de bêtes, périssaient dévorés par des chiens ; d'autres mouraient sur des croix, ou bien ils étaient enduits de matières inflammables, et, quand le jour cessait de luire, on les brûlait en place de flambeaux. Néron prêtait ses jardins pour ce spectacle, et donnait en même temps des jeux au Cirque, où tantôt il se mêlait au peuple en habit de cocher, et tantôt conduisait un char. Aussi, quoique ces hommes fussent coupables et eussent mérité les dernières rigueurs, les cœurs s'ouvraient à la compassion, en pensant que ce n'était pas au bien public, mais à la cruauté d'un seul, qu'ils étaient immolés. »
Il y avait donc des chrétiens à Rome sous Néron, ce que Paul et le Livre des Actes confirment. L'empereur fait détourner la rumeur qui l'accuse d'avoir allumé l'incendie de Rome sur la tête des chrétiens, mais la foule n'est pas dupe. Pourtant nulle pitié véritable pour ceux qui haïssent le genre humain. La teneur religieuse de leurs croyances n'est pas précisée. Christ a manifestement été exécuté légitimement, aux dires de Tacite, pour des motifs politiques, sédition, infamie, superstition. De même que pour les participants aux Bacchanales si sévèrement réprimées en -186, les chrétiens sont de dangereux séditieux qui menacent l'ordre politique et probablement social. L'arrière-fond de messianisme juif, sur lequel naît le christianisme, et son caractère fanatique et dangereux, mêlant intrinsèquement domaine politique et religieux, reste très présent à la conscience de Tacite, comme déjà de celle des contemporains de Néron. N'oublions pas que Jésus s'est laissé acclamer comme le Roi des Juifs et qu'il a été condamné pour un motif politique. Le caractère messianique, secret, occulte (la discipline de l'arcane), antisocial (refus du culte de l'Empereur, signe de loyauté à Rome) du christianisme explique son rejet unanime qu'utilise certes Néron, à des fins peu dignes.
Pline le Jeune
Livre X - Lettres 97 et 98 sur les Chrétiens (v 110.112) - Pline à l'empereur Trajan
"Je me fais une religion, seigneur, de vous exposer tous mes scrupules ; car qui peut mieux, ou me déterminer, ou m'instruire ? Je n'ai jamais assisté à l'instruction et au jugement du procès d'aucun chrétien. Ainsi je ne sais sur quoi tombe l'information que l'on fait contre eux, ni jusqu'où l'on doit porter leur punition. J'hésite beaucoup sur la différence des âges. Faut-il les assujettir tous à la peine, sans distinguer les plus jeunes des plus âgés ? Doit-on pardonner à celui qui se repent ? ou est-il inutile de renoncer au christianisme quand une fois on l'a embrassé ? Est-ce le nom seul que l'on punit en eux ? ou sont-ce les crimes attachés à ce nom ? Cependant voici la règle que j'ai suivi dans les accusations intentées devant moi contre les chrétiens. Je les ai interrogés s'ils étaient chrétiens. Ceux qui l'ont avoué, je les ai interrogés une seconde et une troisième fois, et je les ai menacés du supplice. Quand ils ont persisté, je les y ai envoyés. Car, de quelque nature que fût ce qu'ils confessaient, j'ai cru que l'on ne pouvait manquer à punir en eux leur désobéissance et leur invincible opiniâtreté. Il y en a eu d'autres, entêtés de la même folie, que j'ai réservés pour envoyer à Rome, parce qu'ils sont citoyens romains. Dans la suite, ce crime venant à se répandre, comme il arrive ordinairement, il s'en est présenté de plusieurs espèces. On m'a remis entre les mains un mémoire sans nom d'auteur, où l'on accuse d'être chrétiens différentes personnes qui nient de l'être et de l'avoir jamais été. Elles ont, en ma présence, et dans les termes que je leur prescrivais, invoqué les dieux, et offert de l'encens et du vin à votre image, que j'avais fait apporter exprès avec les statues de nos divinités ; elles se sont même emportées en imprécations contre Christ. C'est à quoi, dit-on, l'on ne peut jamais forcer ceux qui sont véritablement chrétiens. J'ai donc cru qu'il les fallait absoudre. D'autres, déférés par un dénonciateur, ont d'abord reconnu qu'ils étaient chrétiens ; et aussitôt après ils l'ont nié, déclarant que véritablement ils l'avaient été, mais qu'ils ont cessé de l'être, les uns, il y avait plus de trois ans, les autres depuis un plus grand nombre d'années ; quelques uns, depuis plus de vingt. Tous ces gens-là ont adoré votre image et les statues des dieux ; tous ont chargé Christ de malédictions. Ils assuraient que toute leur erreur ou leur faute avait été renfermée dans ces points : qu'à un jour marqué, ils s'assemblaient avant le lever du soleil, et chantaient tour à tour des vers à la louange de Christ, comme s'il eût été dieu ; qu'ils s'engageaient par serment, non à quelque crime, mais à ne point commettre de vol, ni d'adultère ; à ne point manquer à leur promesse ; à ne point nier un dépôt : qu'après cela ils avaient coutume de se séparer, et ensuite de se rassembler pour manger en commun des mets innocents ; qu'ils avaient cessé de le faire depuis mon édit, par lequel, selon vos ordres, j'avais défendu toutes sortes d'assemblées. Cela m'a fait juger d'autant plus nécessaire d'arracher la vérité par la force des tourments à deux filles esclaves qu'ils disaient être dans le ministère de leur culte ; mais je n'y ai découvert qu'une mauvaise superstition portée à l'excès ; et, par cette raison, j'ai tout suspendu pour vous demander vos ordres. L'affaire m'a paru digne de vos réflexions, par la multitude de ceux qui sont enveloppés dans ce péril : car un très grand nombre de personnes de tout âge, de tout ordre, de tout sexe, sont et seront tous les jours impliquées dans cette accusation. Ce mal contagieux n'a pas seulement infecté les villes, il a gagné les villages et les campagnes. Je crois pourtant que l'on y peut remédier, et qu'il peut être arrêté. Ce qu'il y a de certain, c'est que les temples, qui étaient presque déserts, sont fréquentés, et que les sacrifices, longtemps négligés, recommencent. On vend partout des victimes, qui trouvaient auparavant peu d'acheteurs. De là, on peut juger quelle quantité de gens peuvent être ramenés de leur égarement, si l'on fait grâce au repentir."
Trajan à Pline
"Vous avez, mon très cher Pline, suivi la voie que vous deviez dans l'instruction du procès des chrétiens qui vous ont été déférés ; car il n'est pas possible d'établir une forme certaine et générale dans cette sorte d'affaires. Il ne faut pas en faire perquisition : s'ils sont accusés et convaincus, il les faut punir. Si pourtant l'accusé nie qu'il soit chrétien, et qu'il le prouve par sa conduite, je veux dire en invoquant les dieux, il faut pardonner à son repentir, de quelque soupçon qu'il ait été auparavant chargé. Au reste, dans nul genre de crime l'on ne doit recevoir des dénonciations qui ne soient souscrites de personne ; car cela est d'un pernicieux exemple, et très éloigné de nos maximes."
Cette correspondance a suscité beaucoup d'interrogations. Premièrement son authenticité a éveillé les doutes puisque Pline le Jeune a lui-même publié seulement neuf livres de correspondance et que ce dixième, publication posthume si authentique, n'a été retrouvé qu'au XVe siècle. Il est connu seulement par une mention de Tertullien. Les autres auteurs antiques, païens, l'ignorent. D'autres part on n'a aucune preuve directe ou indirecte de la réalité du gouvernement de Pline sur la Bythinie qui parait avoir été une province sénatoriale. Cependant il n'est guère vraisemblable que le recueil ait été forgé dans son entier pour deux lettres concernant les chrétiens. Nous admettrons donc son authenticité. C'est même un témoignage contemporain des faits qu'il relate, donc de valeur supérieure aux précédents.
Plus curieux encore l'attitude de Pline et de Trajan. Il semble aller de soi que le christianisme est condamnable et que les chrétiens doivent être poursuivis, mais on ne semble plus guère savoir quel danger il représente effectivement. Donc on se contentera de demi-mesures : ne pas rechercher les chrétiens, mais condamner ceux qui, par malchance pour eux, seront découverts. Contenir donc plutôt que réprimer systématiquement. Peut-être aussi que les chrétiens étaient déjà si nombreux en Bythinie qu'une action d'envergure parut impossible car dangereuse pour la paix sociale et civile ? Il semble surtout que Pline et Trajan pensaient que quelques coups de semonce suffiraient à ramener les brebis égarées vers le troupeau et à dissuader l'expansion du fléau. Il semble aussi que pour des esprits éclairés comme ceux du gouverneur et de l'empereur cette superstition semblait dérisoire, bien que des citoyens romains fussent impliqués. Mais ils se firent des illusions, ceci en relation avec un motif que nous expliquerons au prochain paragraphe. Quand l'Empire se réveillera, sous Dèce, il sera trop tard.
Le christianisme primitif de 80 à 120
Critique de la perspectives des hérésiologues
Il faut dire ici un mot sur l'œuvre d' Irénée de Lyon, qui fut le premier historien du christianisme. Mais ses renseignements et les listes d'évêques qu'il produit à l'appui de ses thèses anti-hérétiques, notamment celle des évêques de Rome, ne prouvent pas grand chose et ne nous sont que de peu d'utilité, puisqu'ils montrent surtout son ignorance des conditions sociologiques réelles des débuts du christianisme. Son manque de perspective historique est flagrant, et si l'on peut glaner deux ou trois détails intéressants, l'ensemble est plus que suspect du fait de sa partialité avérée.
L'histoire officielle des "hérésiologues" patentés, tels Irénée et Eusèbe, pose au départ l'unité absolue de l'Église incarnée dans une succession apostolique irréprochable d'évêque en évêque depuis les Apôtres, sans discontinuité, ces évêques étant garant de l'orthodoxie du credo que leurs églises locales professent. L'exemple type étant l'Église de Rome, capitale de l'Empire et dont le premier évêque ne pouvait être que Pierre, le prince des Apôtres, la pierre sur laquelle l'Église universelle (catholique) est bâtie (Cf. Matt.16: 18-19). De ce tronc se sont détachés des rameaux « pourris », les hérésies dont nos auteurs font la généalogie depuis Simon le Magicien (Act.8:9-21) le premier hérésiarque - hérésies surtout gnostiques donc bien qu'ils stigmatisent aussi certaines déviances judéo-chrétiennes, Ebionites et autres...
Vision simpliste et idéaliste que celle-ci, balayée par la recherche contemporaine ! Nous savons maintenant, par exemple, qu'à Rome, au IIe siècle, les valentiniens, des gnostiques « hérétiques », étaient la branche du christianisme la plus florissante.
Diversité du mouvement de Jésus
Depuis l'origine le christianisme est divers. Charismatiques itinérants, christianisme de Paul, christianisme de Pierre, christianisme de Jacques, christianisme d'Étienne, christianisme de Jean, etc., autant de courant d'origines différentes, probablement indépendants les uns des autres au départ, comme le montre le cas de Paul avec une particulière acuité puisqu'il s'agit d'un témoignage auto-biographique (Gal.1:16-17). Naturellement tous ces courants se référaient à la prédication de Jésus et surtout à sa résurrection. Certains se rapprochèrent et ce fédérèrent, ainsi les courant de Paul, de Pierre et de Jacques, comme il est dit en Gal.2:9. Mais le judéo-christianisme s'isola ensuite de plus en plus. Donc recomposition et décomposition se succédèrent sans cesse et nous manquons de documents pour établir une chronologie et une vue d'ensemble du mouvement en question. Chaque témoignage est une donnée isolée dont nous aurions bien du mal à nous servir pour composer un tableau général de la situation.
Le judéo-christianisme dépérit après la Guerre juive de 66-70. La communauté de Jérusalem s'exila en Transjordanie, à Pella, sous la direction de la famille de Jésus. Eusèbe, Histoire ecclésiastique, liv. III. chap. xx., nous apprend que selon Hégésippe, "deux des petits-fils" de Judas, frère ou cousin de Jésus, "furent déférés à l’empereur Domitien comme descendants de David, et ayant un droit incontestable au trône de Jérusalem. Domitien, craignant qu’ils ne se servissent de ce droit, les interrogea lui-même; ils exposèrent leur généalogie, l’empereur leur demanda quelle était leur fortune; ils répondirent qu’ils possédaient trente-neuf arpents de terre, lesquels payaient tribut, et qu’ils travaillaient pour vivre. L’empereur leur demanda quand arriverait le royaume de Jésus-Christ: ils dirent que ce serait à la fin du monde. Après quoi Domitien les laissa aller en paix". Mais cet Hégésippe, dont les œuvres ont disparu, n'est pas plus fiable qu'Eusèbe ! Après 135, et la Seconde Guerre juive, suivie de l'expulsion de tous les Juifs de Palestine, ce courant disparut entièrement. Il est surtout connu par les mouvements gnostiques qui en dérivent.
Vers 80, eut lieu un renouveau de la pensée paulinienne en Asie Mineure. C'est à ce moment que l'on réunit ses lettres en recueil et que furent composées les épitres deutéro-pauliniennes.
Processus d'institutionalisation
Par Ignace d'Antioche, nous apprenons également qu'à ce moment, fin du Ier siècle, apparut l'épiscopat "monarchique" tel que nous le connaissons historiquement dans les Églises catholiques et orthodoxes. Certaines communautés, particulièrement en Asie mineure, sont donc en train de se structurer autour d'une hiérarchie à trois niveaux : évêque, presbytres, diacres. Comme nous le voyons par la lettre de Pline le ministère féminin de diaconnesse n'a pas encore disparu mais nous ne savons rien de son contenu ni de son extension. Un clergé se dégage peu à peu qui se solidifiera en classe sacerdotale gérante des sacrements. Le principe majeur est celui de l'apostolicité, compris comme succession légitime d'évêques dans un siège à partir d'un apôtre fondateur de la communauté Cette succession apostolique de personne é personne, de maître à disciple, garantit la légitimité de la succession de doctrines, qui se transmettent oralement, et la légitimité des rites et des célébration sacramentelles. Il n'y a pas encore de credo reconnu universellement, ni de canons, ni de dogmes clairement formulés. Pour ainsi dire il n'y a pas de théologie chrétienne. Chaque communauté est autonome. Mais les communautés qui se reconnaissent en communion se fédèrent peu à peu sous le primat d'honneur de l'évêque de Rome, "successeur" de Pierre. Cette organisation se consolide au cours du IIe siècle et apparaît la notion de "Grande Église", fondée sur la défense de l'orthodoxie chrétienne garanties par ses chaînes épiscopales. La notion de catholicité apparaît. Il semble que la première utilisation du terme dans le christianisme remonte à Ignace d'Antioche dans sa Lettre aux Smyrniotes (vers 112) : « Là où est le Christ Jésus, là est l'Église catholique ».
Naturellement de nombreuses communautés chrétiennes, tout aussi authentiques, restent en marge de ce processus, ou s'organisent et se fédèrent selon des modèles différents et alternatifs, ou en parallèle. L'importance du charisme personnel, la figure de l'inspiré itinérant thaumaturge et visionnaire, décline néanmoins partout. Lorsque Montan, à la fin du IIe siècle, tentera de la réhabiliter, son succès sera très partiel.
Les Épîtres dites pastorales (I et II Timothée, Tite) reflètent très certainement cette période où la structuration institutionnelle des communautés passa au premier plan des préoccupations. Nous y voyons le reflet les conflits de personnes, de doctrines, de traditions, qui sont à l'arrière-plan de cette époque.
Le tournant du second siècle
La discipline de l'arcane
Concernant ce conflit de doctrines, nous ne devons pas oublier que le christianisme primitif pratiquait la discipline de l'arcane[18]. C'est-à-dire que les chrétiens protégeaient la transmission de leurs doctrines, comme en attestent de nombreux pères de l'Église dans leurs écrits jusqu'au IVe siècle[19], en ne les dévoilant qu'aux seuls baptisés. Elles restaient secrètes pour les autres et le catéchuménat peut s'apparenter à une initiation. Jésus lui-même aurait prêché aux foules en paraboles pour qu'elles ne saisissent pas son message, mais, aux disciples, il était donné de connaître les secrets du Royaume de Dieu. Paul prêche une sagesse mystérieuse et cachée, mais parmi les parfaits, les initiés. Elle reste inaccessible aux autres, même au sein de la communauté chrétienne. Nous connaissons aussi l'existence d'un baptême pour les morts dont la signification concrète nous échappe mais dont la révélation devait faire partie de cette doctrine réservée. Etc. Les Épîtres ne nous fournissent donc aucun renseignement doctrinal qui nous permettrait de reconstituer l'enseignement de Paul dans toutes ses dimensions car cet enseignement était d'abord oral. Comme dans beaucoup de milieux ésotériques, la parole prédomine dans le christianisme primitif, à l'imitation des pratiques des mystères antiques. On se méfie de l'écrit d'abord parce que ce qui est confié au parchemin peut moins facilement rester secret. Ce n'est pas un livre qui fait autorité mais une personne qui peut décliner sa généalogie au sein du groupe, de maître en disciple depuis les origines, succession qui légitime sa doctrine. Tout cela se retrouvera par la suite dans la doctrine catholique de la tradition. Naturellement les premiers chrétiens connaissaient la notion d'Écritures saintes, c'était l'Ancien Testament de nos Bibles modernes. Mais elle n'avait valeur qu'inférieure, comme "lettre" que l'Esprit, la Parole vivante du Christ transmise de main à la main et de bouche à oreille éclairait et expliquait.
C'est pourquoi, quand les hérésiologues nous présentent les "hérésiaques" à l'image des fondateurs d'écoles philosophiques grecques, se séparant de leur maître pour fonder leur propre groupement autour de leur enseignement personnel, il faut se méfier. Ces "hérésiarques" eux aussi se réclamaient d'une chaîne ininterrompue de témoins remontant à Jésus et préservant l'authenticité et l'intégrité de leurs enseignements. Des lignées différentes de témoins renvoyaient en fait à des interprétations primitives déjà divergentes. Mais ces interprétations divergentes originelles avaient été enrichies et déformées de tous les côtés d'une manière semblable et probablement égale.
Canon, dogmes, philosophie et théologie
Or, vers 120, la prolifération des traditions orales, enrichies et déformées de génération en génération, devient dangereuse pour l'intégrité même du christianisme. Celui-ci va se préserver en se constituant un Canon officiel de textes écrits à l'image des Juifs ayant vers 90, à Jamnia, définitivement fixer le Canon du Premier Testament. C'est Marcion qui aura l'intuition de cette nécessité qui sera ensuite imitée de tous côtés, chaque groupe fixant par écrit ses doctrines et ses traditions, comme le montre au IIe-IIIe siècles la prolifération d'écrits "orthodoxes" et "gnostiques". Mais en se fixant sur un support, les traditions se figent et perdent de leur capacité à se transformer. Le christianisme devient un corps de doctrine, la période des Conciles avec leurs Credo et leurs dogmes infaillibles va s'ouvrir.
Tout un courant du christianisme, celui qui triomphera plus tard sous Constantin, va également, dans le même mouvement se rapprocher de la société païenne et de sa culture philosophique. Il va succomber à son prestige et tenter de suivre le modèle culturel gréco-romain. Pour être crédible, le christianisme doit parler la langue de son temps et suivre les modes culturelles du monde où il évolue. C'est alors qu'apparaissent les apologètes (dont beaucoup sont des philosophes convertis, à commencer par Justin et Aristide) qui veulent donner de la respectabilité à leur religion et la défendre contre ses calomniateurs, puis les théologiens (École d'Alexandrie). Ceux-ci imitent carrément les pratiques des philosophes païens interprétant les mythes. Le christianisme adapte le néoplatonisme à ses besoins et coule ses doctrines dans le moule et les catégories de cette école. D'ailleurs Platon n'a-t-il pas tiré sa sagesse de Moïse? Fort de ce présupposé fallacieux, les premiers théologiens chrétiens transforment radicalement l'allure de leur enseignement.
L'Église devient une institution hiérarchique et sacerdotale, dont le rôle majeur est d'interpréter les textes fondateurs, par le truchement de théologiens dûment accrédités. Elle devient donc une secte philosophique, d'un genre un peu particulier certes, puisque les rites et les célébrations religieuses y occupent une place considérable. Mais autrefois les Pythagoriciens ou à cette époque les Néoplatoniciens ont eu et ont encore d'importantes préoccupations religieuses et rituelles. La pratique de la théurgie est là pour le prouver !
Échecs et transformations : lutte pour la survie
Si on y réfléchit bien, ces transformations forment un tout cohérent, dont le moteur interne est, avec l'éloignement des temps fondateurs, la nécessité de s'organiser pour durer et perdurer. Cependant Jésus avait prêché l'imminence du Royaume de Dieu en la personne du Fils de l'Homme venant sur les nuées pour juger "cette" génération. Les premiers témoins de sa Résurrection annonçaient son retour prochain. Un ultime délai était laissé aux hommes pour se convertir. Or vers 120, la IIe Épître de Pierre constate le retard de la Parousie et fait état d'une certaine désillusion. La fièvre eschatologique des débuts passe de mode. L'Église s'organise pour durer mais ce faisant, elle perd sa spécificité originelle, et son authenticité. Son message se dilue en une philosophie mondaine qui imite les grands courants culturels des temps. La Parousie devint une doctrine très périphérique. Le projet de bâtir une civilisation chrétienne s'imposa aux évêques et se réalisa dès le IVe siècle. Le salut des âmes devient le pivot de la prédication et l'aiguillon pour la conduite morale exigée de peuples souvent christianisés de force. L'immortalité de l'âme d'ailleurs préoccupa davantage les théologiens que la résurrection des corps, renvoyée à un avenir brumeux et de plus en plus lointain.
Mais alors il faut donner raison à Overbeck. En cessant d'être un groupe apocalyptique tendu vers la Parousie imminente du Christ, les chrétiens ont perdu leur nature propre. Le christianisme devient un fait de société, une grandeur mondaine, sociale et historique. Il devient une idéologie. Mais cette idéologie n'a pas même de contours propres bien définis. La théologie chrétienne, depuis Clément jusqu'à aujourd'hui, n'a eu qu'une seule tâche : faire durer ce qui qui ne vivait plus en christianisant toutes sortes de philosophies et d'idéologies profanes pour permettre à l'Église et à sa hiérarchie de justifier son existence et sa prétention à une emprise décisive sur les hommes. Du néoplatonisme au féminisme, en passant par Aristote et Marx,les théologiens n'ont eu de cesse, faute de proclamer le message chrétien authentique auquel ils ne pouvaient plus croire : « Maranatha, le Seigneur vient ! », d'annexer les idées phares de leurs siècles successifs en les recouvrant d'un vernis biblique ou en les ajustant de force à la Bible (l'exemple type étant le rapport de Saint-Thomas à la pensée d'Aristote).
Et si les théologiens ne pouvaient plus proclamer : "Maranatha!", c'est que Jésus n'était pas revenu... De même que la proclamation de la résurrection de Jésus est venue de la sublimation d'un échec, celui de la Croix, l'existence du christianisme tient à la sublimation d'un autre échec et à une absence : celle de la parousie.
Par définition, Jésus ne peut pas avoir été le fondateur du mouvement chrétien. L'existence de ce mouvement est la preuve de l'échec de Jésus. De même l'existence continue du christianisme depuis que vers 120 on cessa de croire en une Parousie imminente est la preuve de l'échec de l'espérance originelle des prédicateurs charismatiques qui proclamaient la résurrection de Jésus sur les routes de Galilée. Le christianisme est né le jour où le Mouvement de Jésus[20] a cessé d'exister, avec Marcion et la IIe Épître de Pierre!
C'est là tout le paradoxe chrétien! Le christianisme existe parce que l'espérance chrétienne ne s'est pas concrétisée! D'ailleurs les trois plus grands théologiens chrétiens, Martin Luther, Soren Kierkegaard et Karl Barth[21] ont justement fondé leur réflexion sur ce caractère paradoxal et impossible du christianisme.
Mythe, histoire, fable
Le christianisme n'est pas une fable. Il n'a pas été inventé par des prêtres cupides et rusés, avides de pouvoirs spirituels et temporels. Il n'a pas été inventé par les maîtres pour tenir leurs esclaves dans la soumission en leur faisant miroiter un au-delà où ils trouveraient la compensation de leurs humiliations et de l'acceptation de leur servitude. Les thèses mythistes sur Jésus ne tiennent pas la route.
Mais le cœur de la prédication chrétienne avec son caractère apocalyptique et eschatologique montre aussi que la vérité éventuelle du message prêché ne peut pas se démontrer sur le terrain de l'histoire. Les disciples du Christ ne peuvent pas se revendiquer d'un fait historique.
La prédication chrétienne repose en définitive sur un mythe. L'envoyé de Dieu vient bientôt juger le monde et y établir la seigneurie de son créateur. Or qu'est-ce qu'un mythe? « Muthos représente la parole vraie, non pas au sens de ce qui est judicieusement pensé et qui a force de preuve, mais du donné factuel, de ce qui s’est révélé, de ce qui est vénéré, et par là cette parole se distingue de toute autre énonciation. » [22] Le mythe est la parole la plus vraie, parce qu'elle est donnée. Le christianisme est né du jour où on a substitué au mythe chrétien, une théologie chrétienne, c'est à dire un discours sur Dieu conçu comme une catégorie intellectuelle soumise au raisonnement et à la démonstration. Il s'est fourvoyé le jour où, pour exister, il s'est livré à la philosophie comme le paganisme antique avait péri le jour où la critique philosophique s'était emparé des mythes d'Homère et d'Hésiode soit-disant pour les sauvegarder en en restituant le sens symbolique[23]
Annexes
Les termes Christianos, Chrestos, Christos
En grec, Christianos (pl.: Christianoi) est un latinisme par sa forme. Le suffixe -ianos est clairement étranger à la langue grecque.Si le mot eût été grec, sa forme eût été christikos (pl.: christikoi) - sur le modèle Stoikos/oi, les disciples de la Stoa, les Stoïciens. Donc le terme a été forgé par l'administration romaine, en Orient, et grécisé ultérieurement. Il désignait au départ tout Juif membre d'une secte ou mouvement messianique quelconque, et ce n'est qu'a posteriori qu'il a servi exclusivement à désigner les partisans de Jésus de Nazareth. Certes Jésus lui-même ne semble pas s'être présenté comme le Messie attendu. Ce sont ses fidèles après Pâques qui l'ont présenté ainsi, quoique son entrée à Jérusalem se fut déroulée dans des conditions où ses revendications royales pussent apparaître manifestes.
D'autre part la langue grecque connaissait deux adjectifs, chrestos, bon, et christos, enduit, qui par effet de iotacisme se prononçaient dès cette époque de façon semblable. De plus Chrestos était souvent un nom porté par des esclaves d'origine grecque. Enfin, dans le grec profane, l'adjectif christos était rare et ne désignait qu'une surface enduite. Ce sont les Juifs qui ont donné à ce mot son sens (royal et religieux) de « oint » en l'utilisant dans la traduction des LXX. Dans ces conditions il peut y avoir eu confusion. Suétone a pu facilement se méprendre sur la tradition qu'il rapporte de l'agitation juive à Rome sous Claude. Il écrit qu'elle se déroulait sous l'impulsion d'un certain "Chrestus". Esclave juif portant ce nom à la tête des agitateurs ? Ou bien agitation messianique, au nom de "Christos", le Messie attendu ? Ou bien première manifestation romaine des partisans de Jésus-Christ ? On peut alors songer à une émeute provoquée par les Juifs contre eux, à leur expulsion de la synagogue, voire à un conflit interne entre judéo-chrétiens et pagano-chrétiens.
D'autre part, certains ont soutenu que la prédication paulinienne originelle était celle de Jésus Chrestos, le Bon - prédication reprise par Marcion qui distinguait entre un Dieu mauvais, Créateur, le Dieu des Juifs et de l'A.T., et le Dieu Bon, Père de Jésus et révélé dans le Nouveau Testament. À l'appui de cette thèse on cite même Justin[24], Tertullien (corrigé car le texte reçu fait bien la distinction [25]) et Clément[26].Mais il est peu probable que le terme originel Chrestos ait été remplacé par l'obscur Christos - lectio difficilior, lectio melior![27] Il est bien plus probable que les Grecs aient compris « le Bon » quand les chrétiens disaient « l'Oint ». C'est peut-être Marcion, au contraire qui fit la confusion et en déduisit son idée d'un Jésus prêchant une Dieu nouveau, Bon Sauveur. Ce titre est resté de toute manière à Jésus, comme on disait le "Bon Dieu" autrefois pour parler du Père.
Le phénomène des pseudépigraphes et apocryphes
On appelle pseudepigraphes des ouvrages se présentant comme écrits par un auteur connu par ailleurs mais sous l'autorité duquel on place faussement les œuvres en question. Ainsi les Épîtres dites deutéro-paulinienne (Colossiens, Ephésiens, II Thessaloniciens) ou Pastorales (I et II Timothée, Tite) sont des pseudépigraphes. De même les Épîtres de Pierre, de Jacques, de Jude... Il est à noter que les Évangiles et le Livre des Actes, ainsi que l'Épître aux Hébreux, n'entrent pas dans cette catégorie car ils se présentent sans nom d'auteur. Le cas de l'Apocalypse est encore à part, car son auteur se présente sous le nom de Jean, mais c'est la tradition, et non le texte, qui l'identifie à l'Apôtre du même nom.
S'agit-il de cas de fraude littéraire ? Certainement pas au sens moderne. D'abord la notion de propriété intellectuelle n'existait pas dans l'Antiquité. Ensuite si l'auteur a recours à un nom prestigieux, sous le couvert duquel il se présente, pour se donner du crédit, son intention n'est pas malhonnête en principe. Il s'agit d'actualiser une pensée et une tradition (par exemple celle de Paul) dans un contexte nouveau, quand se posent de nouvelles questions doctrinales, morales ou institutionnelles, en développant les idées autrefois émises par le personnage en question. En quelque sorte l'auteur répond à la question : que dirait Paul ou Pierre aujourd'hui face à ce nouveau défi ? Naturellement, il y a une part d'arbitraire dans la méthode et les développements apportés peuvent s'éloigner assez fortement de l'original, mais l'intention est bien précise et sans connotation péjorative.
Par contre les apocryphes sont des écrits, le plus souvent composés aux IIe et IIIe siècles dans divers milieux, souvent judéo-chrétiens ou gnostiques, pour fixer les doctrines ésotériques de ces groupes.
Notes et références
- ↑ Philippe Camby, L'Érotisme et le Sacré, Paris, 2006, p.158
- ↑ Article Franck Cumont sur WP en:
- ↑ Bultmann, Rudolf, Das Urchristentum im Rahmen der antiken Religionen, Zürich, 1949; Theologie des Neuen Testaments, Goettingen, 1953.
- ↑ Jean Daniélou, Théologie du judéo-christianisme, Desclée, 1958 — "Bibliothèque de théologie. Histoire des doctrines chrétiennes avant Nicée ;
- ↑ Walter Burkert, Les Cultes à mystères dans l'Antiquité, Belles Lettres, coll. « Vérité des mythes », 2003.
- ↑ Ramsay McMullen, Le Paganisme dans l'empire romain, PUF, 1987
- ↑ Les Mystères de Jésus. Timothy Freke et Peter Gandy
- ↑ Quêtes du Jésus historique
- ↑ http://en.wikipedia.org/wiki/Son_of_man
- ↑ Le scandale avait été grand. Mais la tendance à déduire son point de vue de la philosophie de Hegel avait finalement nui à la crédibilité de l'œuvre et Strauss lui-même avait trop varié dans ses positions successives pour faire vraiment école. Ce seraAlbert Schweitzer qui démontrera que c'est impossible, en 1902
- ↑ Pierre Geoltrain, article Jésus de l’Encyclopædia Universalis, 2002.
- ↑ Wilfrid Harrington, Nouvelle Introduction à la Bible, Seuil, 1971.
- ↑ Jesus gegen Dionysos? Ein Beitrag zur Kontextualisierung des Johannesevangeliums
- ↑ CULLMANN, Le milieu johannique. Étude sur l’origine de l’évangile de Jean (Neuchâtel 1976)
- ↑ idem
- ↑ 1 Histoire ecclésiastique d'Eusèbe de Césarée (265-340). Il s'agit de la version standard correspondant à une double tradition manuscrite grecque qui nous est parvenue fort corrompue. « Vers ces temps-là un homme sage est né, s'il faut l'appeler un homme. Il accomplissait notamment des actes étonnants et est devenu un maître pour des gens qui acceptaient la vérité avec enthousiasme. Et il est parvenu à convaincre beaucoup de juifs et de grecs. Le Christ c'était lui. Et quand, par suite de l'accusation de la part des gens notables parmi nous, il avait été condamné par Pilate à être crucifié, ceux qui l'avaient aimé dès le début n'ont pas cessé. Il leur est apparu le troisième jour de nouveau vivant selon les paroles des divins prophètes qui racontent ceci et mille autres merveilles à son sujet. Et jusqu'aujourd'hui le peuple qui s'appelle chrétien d'après lui n'a pas disparu. » (Traduction d'Herman Somers) Et vers ces temps-là une autre offense est venue provoquer une sédition des juifs." 2 Histoire universelle d'Agapios, évêque melchite de Hiérapolis en Syrie au Xe siècle. En 1971 le professeur Shlomo PINES de l'université hébraïque de Jérusalem attira l'attention sur ce texte en arabe que personne n'avait remarqué alors qu'il était pourtant traduit en français. "En ce temps-là vivait un sage nommé Jésus. Il se conduisait bien et était estimé pour sa vertu. Nombreux furent ceux, tant Juifs que gens d'autres nations, qui devinrent ses disciples. Pilate le condamna à être crucifié et à mourir. Mais ceux qui étaient devenus ses disciples ne cessèrent de suivre son enseignement. Ils racontèrent qu'il leur était apparu trois jours après sa crucifixion et qu'il était vivant. Peut-être était-il le Messie sur qui les prophètes ont raconté tant de merveilles." 3 Chronique syriaque de Michel le Syrien, patriarche jacobite d'Antioche au XIIe siècle. "En ce temps-là, il y eut un homme sage du nom de Jésus s'il nous convient de l'appeler homme. Car il était l'auteur d'œuvres glorieuses et maître de vérité. Et de beaucoup parmi les Juifs et parmi les nations il fit ses disciples. On pensait qu'il était le Messie. Et non selon le témoignage des chefs de notre peuple. C'est pourquoi Pilate le livra au châtiment de la croix et il mourut. Et ceux donc qui l'aimaient ne cessèrent pas d'aimer. Il leur apparut au bout de trois jours, vivant. Car les prophètes de dieu avaient dit sur lui de telles merveilles. Et jusqu'à nos jours n'a pas cessé le peuple chrétien qui tire de lui son nom." 4 Reconstitution d'A. Pelletier reprise dans le Monde de la Bible, n°109, 1998, p 18-19 : les sources littéraires de la vie de Jésus et dans les Suppléments aux cahiers Évangile, n°36, Flavius Josèphe, Cerf, p 51. Remarquons que Michel Quesnel dans son article du Monde de la Bible ne précise pas que la traduction proposée est une reconstitution moderne ! "A cette époque vécut Jésus, un homme exceptionnel, car il accomplissait des choses prodigieuses. Maître de gens qui étaient tout disposés à faire bon accueil aux doctrines de bon aloi, il se gagna beaucoup de monde parmi les Juifs et jusque parmi les Hellènes. Lorsque, sur la dénonciation de nos notables, Pilate l'eut condamné à la croix, ceux qui lui avaient donné leur affection au début ne cessèrent pas de l'aimer, parce qu'il leur était apparu le troisième jour, de nouveau vivant, comme les divins prophètes l'avaient déclaré, ainsi que mille autres merveilles à son sujet. De nos jours encore ne s'est pas tarie la lignée de ceux qu'à cause de lui on appelle chrétiens. 5 Traduction d'Herman SOMERS qui propose deux petites corrections au texte grec ce qui l'amène à une traduction originale et renouvelée. "Vers ces temps-là un homme sage est né, s'il faut l'appeler sage. Il accomplissait notamment des actes bizarres et est devenu un maître pour des gens qui l'acceptaient vraiment avec enthousiasme. Et il est parvenu à convaincre beaucoup de juifs et de Grecs (que) lui-même était le Christ . Et c'est lui (justement) qui par suite de l'accusation de la part des gens notables parmi nous, avait été condamné par Pilate à être crucifié et ceux qui l'avaient aimé dès le début n'ont pas cessé (de prétendre : ) il leur était apparu le troisième jour de nouveau vivant, les divins prophètes ayant prétendu ceci et mille autres merveilles à son sujet. Et jusqu'aujourd'hui le (petit) peuple qui s'appelle chrétien d'après lui n'a pas disparu. http://www.ebior.org/Vie-de-Jesus/Josephe.htm
- ↑ Antiquités Juives, XX, 197-203: « Hanne le jeune qui avait reçu le souverain pontificat, était de tempérament impétueux et suprêmement audacieux ; il appartenait au parti des sadducéens qui dans leurs jugements sont très durs parmi tous les juifs, comme nous l’avons déjà montré. Avec un tel [caractère], Hanne estima que le moment était venu, du fait que Festus était mort et qu’Albinus était encore en voyage. Il convoqua les juges du Sanhédrin et traduisit devant eux le frère de Jésus appelé le Christ – son nom était Jacques – en même temps que d’autres. Il les accusa d’avoir transgressé la Loi et les livra pour qu’ils soient décapités »…
- ↑ P. Sbalchiero (ed.), Dictionnaire des miracle et de l'extraordinaire chrétiens, Fayard, Paris, 2002 : art. Ésotérisme dans le judéo-christianisme ancien, p.267-268 (S. Mimouni)
- ↑ "la loi de l’arcane défendait de parler de certains dogmes devant les infidèles, voire même devant les catéchumènes, pour ne pas les exposer à la moquerie ou à la profanation " Abbé A. Boulenger, La doctrine catholique, tome III " Les Moyens de Sanctification ", éd. Emmanuel Vitte, Paris Lyon, 1927, 336
- ↑ Jesusbewegung pour parler comme G. Theissen. Cf. Die Jesusbewegung. Sozialgeschichte einer Revolution der Werte, Gütersloh, 2004
- ↑ K Barth, Unerledigte Anfragen an die heutige Theologie in: derselbe: Zur inneren Lage des Christentums. Kaiser, München, 1920
- ↑ W. F. Otto, Essai sur le Mythe, Trans-Europe-Repress, 1987
- ↑ R. Sorel. Critique de la raison mythologique. Fragments de discursivité mythique. Hésiode, Orphée, Eleusis, PUF, Paris, 2000.
- ↑ À ne considérer que ce nom qui nous accuse, nous sommes les meilleurs des hommes. [...] Nous sommes accusés d'être chrétiens : est-il juste de haïr ce qui est excellent ? (Justin, Grande Apologie, § 4)
- ↑ Le mot christianus, selon son interprétation, dérive du mot onction. Même quand vous le prononcez chrestianus (car il n'est pas exactement connu de vous), il est composé de douceur ou de bonté. On hait donc chez des gens inoffensifs un nom tout aussi inoffensif. Mais, dira-t-on, on hait la secte dans le nom de son fondateur... (Apologétique, 3.5-6)
- ↑ Ceux qui croient en Christ sont et se nomment bons. (Clément d'Alexandrie, Stromates, II, 4)
- ↑ Si la substitution Chrestos/Christos eut lieu, elle ne put qu'être faite de manière volontaire par des gens qui auraient voulu rapprocher la nouvelle religion du judaïsme. Mais dans quelle intention ? On ne le voit pas bien, sauf que le judaïsme jouissait d'un certain prestige par son ancienneté, sa sévérité morale et le prestige de ses écrits sacrés, et parce que nombreux étaient les prosélytes et autres craignant-Dieu, approchés et séduits par les Juifs qui auraient pu constituer un public cible idéal pour les inventeurs du "chrestianisme" judaïsé en "christianisme". Néanmoins cette thèse semble peu probable. Il aurait été tellement plus simple au contraire de substituer partout chrestos à christos !
Articles connexes
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