Charles Guignebert

Charles Guignebert

Charles Guignebert, né le 18 juin 1867 à Villeneuve-Saint-Georges et mort le 27 août 1939 à Clamecy dans la Nièvre, était un historien français de l'histoire du christianisme.

Enseignant à la Sorbonne l'histoire du christianisme antique et médiéval, c'est un des premiers historiens français avec Alfred Loisy à avoir proposé une histoire du christianisme abordée de manière scientifique et non confessionnelle.

Sommaire

Biographie

Charles Guignebert est né dans une famille d'artisans sans attache religieuse du Val-de-Marne. Après ses études secondaires, il passe une agrégation en histoire et géographie puis enseigne dans un lycée de Toulouse. Bien qu'il n'ait pas de formation religieuse, il s'intéresse à l'histoire du christianisme et obtient un doctorat ès lettres après une thèse sur Pierre d'Ailly et surtout une étude sur Tertullien, qui reste une référence[1] pour l'analyse des relations entre chrétiens et monde romain[2].

Élève d'Ernest Renan, il professe un cours d'histoire du christianisme à la Sorbonne à partir de 1905. Lors de sa leçon inaugurale, il déclare vouloir faire de l'histoire du christianisme, « une histoire comme les autres »[3]. En 1919, il devient le premier titulaire de la chaire qui est instituée dans ce domaine. Il enseigne le christianisme ancien et médiéval à la Sorbonne jusqu'en 1937 et compte, au milieu des années 1920, Henry-Irénée Marrou parmi ses élèves qui lui succédera comme enseignant.

Chercheur laïc

Imprégné de la méthode de Loisy et des travaux des exégètes et historiens allemands, son enseignement suit un point de vue rigoureusement rationaliste, sans aucune concession aux thèses de l'apologie religieuse, comme il l'explique dans l'introduction de son ouvrage Jésus (1933) : « Les Évangiles sont des écrits de propagande, destinés à organiser et authentiquer, en la rendant vraisemblable, la légende représentée dans le drame sacré de la secte et à la conformer aux coutumes de la mythologie de l'époque »[4].

Ses études et options lui font prendre part — mais plutôt en tant qu'observateur — à la crise moderniste à propos de laquelle ce laïc rationaliste estime dans Modernisme et tradition catholique en France, paru en 1907, que les contradictions internes vouent le modernisme à l'échec[5]. D'un point de vue d'historien, Guignebert a la volonté de poser la question du traitement scientifique de l'histoire de la naissance puis de l'enracinement du christianisme dans le monde antique, une volonté qu'il partage avec Alfred Loisy. Néanmoins, une différence fondamentale d'approche oppose les deux hommes — qui cependant s'estiment[6] — à propos du christianisme, le second cherchant à atteindre une vue d'ensemble sur ce qu'il voit comme « la » religion et le premier enseignant « une » religion qui se développe parmi d'autres dans la société antique particulièrement dans un contexte judaïque. Guignebert professe d'ailleurs que « la » religion est l'objet de réflexion des philosophes et « les » religions, celui des historiens[7].

Guignebert, qui use parfois de la méthode comparative dans ses travaux — sans toutefois s'engager trop loin dans cette voie[8] — afin de reconstruire une histoire des origines chrétiennes[9], se démarque Maurice Goguel, spécialiste de Paul de Tarse, qui, à la même époque professe une philosophie de l’histoire. Guignebert insiste sur le cadre syncrétique du judaïsme dans l’origine du christianisme en estimant possible d’atteindre le Jésus historique[10].

Vie de Jésus

Lorsque l'Union rationaliste est fondée en 1930 à l'appui de « l’école mythique », dans un débat relancé par la parution des Mémoires de Loisy, Guignebert défend la réalité historique de Jésus de Nazareth. Il est l'auteur, en 1933 de la première Vie de Jésus à vocation historienne en français[11], dans un ouvrage sans attache religieuse[12]. Il y critique notamment les six thèses mythistes de Couchoud, de B. Smith, de Robertson, de Jensen, de Kalthoff, et de Drews. Il considère Jésus de Nazareth comme un prophète qui, s'il s'inscrit dans la tradition prophétique d’Israël, s'en démarque par son messianisme intériorisé, de conversion et non comme une militance nationaliste[13].

Guignebert estime par ailleurs les recherches émanant des milieux catholiques, à l'instar de ceux de Marie-Joseph Lagrange ou de Joseph Bonsirven, sont teintés de présupposés dogmatiques en défendant notamment l'originalité absolue de la religion d’Israël qui, les suivant, n'aurait pas subi d'influences externes[14]. Plus généralement, à l'instar de Loisy, Guignebert s'oppose toute sa vie durant à une conception apologétique de l'usage la critique historique marquée de théologie confessionnelle, accusée de confondre histoire et théologie, un genre dont relève les travaux de Maurice d'Hulst, de Lagrange, Bonsirven, Pierre Batiffol, Jules Lebreton ou encore l'Histoire de l'Église d'Augustin Fliche et Victor Martin[15].

Son œuvre

L'approche de l'histoire des origines chrétiennes de Guignebert, si elle maintient l'existence de Jésus et le rôle de celui-ci dans le processus, est entachée de préjugés scientistes propres à l'époque[16]. C'est pourtant avec son élève et successeur Henry-Irénée Marrou que la méthodologie historique et la théologie de l'histoire connaitront des avancées décisives en France[17].

Son œuvre, importante, embrasse l'histoire générale du christianisme, dans sa totalité. Elle se divise en deux trilogies dont la première traite de Jésus de Nazareth et son environnement judaïque avec les ouvrages Jésus (1933), Le Monde juif vers le temps de Jésus (1935) et finalement Le Christ (1943), ouvrage publié après sa mort, demeuré incomplet et qui aurait du connaître une suite intitulée l'Église restée à l'état de projet. Ces trois ouvrages forment une excellente synthèse qui conserve un certain attrait malgré les progrès que les découvertes des documents de Nag Hammadi puis de Qumrân ont depuis apportés à la recherche concernant l'étude du judaïsme et du christianisme anciens[18].

Une deuxième trilogie brosse l'histoire de l'institution ecclésiale, divisée entre les origines (1907), le christianisme antique (1921) puis le Moyen Âge et l'époque Moderne (1922).

Publications

  • Manuel d'histoire ancienne du christianisme : les origines, 1907
  • Le problème de Jésus, 1914, Coda, 2008, (ISBN 978-2-84967-055-2)
  • L'évolution des dogmes, 1920, Flammarion, 351 pages.
  • Le Christianisme antique, 1921
  • Le Christianisme médiéval et moderne, 1922
  • La Vie cachée de Jésus, 1924
  • Dieux et religions, série de conférences de L'union de libres penseurs et de libres croyants pour la culture morale, 1926
  • Jésus, La Renaissance du Livre, coll. L'Évolution de l'Humanité, XXIX, 1933, rééd. Albin Michel, 1969
  • Le Monde juif vers le temps de Jésus, 1935
  • Le Christ, éd. Albin Michel, coll. L'Évolution de l'Humanité, XXIX bis, 1943, rééd. 1969 (Ouvrage inachevé)

Notes et références

  1. Étienne Trocmé, article Charles Guignebert, in « Dictionnaire du monde religieux dans la France contemporaine », vol. 9 : Les sciences religieuses : le XIXe siècle : 1800-1914, éd. Beauchesne, 1996, p. 308
  2. Tertulien, étude sur ses sentiments à l'égard de l'Empire et de la société civile, éd. Ernest Laroux, 1901
  3. cité par Étienne Trocmé in « Dictionnaire du monde religieux dans la France contemporaine », vol. 9 : Les sciences religieuses : le XIXe siècle : 1800-1914, éd. Beauchesne, 1996, p. 308
  4. Charles Guignebert, Jésus, éd. La Renaissance du livre, 1933, p. 67
  5. Émile Poulat, article « Guignebert, Charles » in Encyclopaedia Universalis, éd. 2010
  6. Loisy, qui s'éteindra peu après, rédige la notice nécrologique de Guignebert dans la Revue historique et l'y compare à Renan lui-même ; cf. François Laplanche, op. cit.
  7. François Laplanche, « De Loisy à Guignebert », in Yves-Marie Hilaire (dir.), De Renan à Marrou : l'histoire du christianisme et les progrès de la méthode historique (1863-1968), éd. Presses Universitaires du Septentrion, 1999, p. 63, extrait en ligne
  8. S'il a été séduit par le comparatisme à la suite de Loisy et des chercheurs allemands, il est toutefois resté davantage historien qu'historien des religions dans sa façon d'aborder le sujet ; Étienne Trocmé in « Dictionnaire du monde religieux dans la France contemporaine », vol. 9 : Les sciences religieuses : le XIXe siècle : 1800-1914, éd. Beauchesne, 1996, p. 308
  9. Yves-Marie Hilaire, De Renan à Marrou : l'histoire du christianisme et les progrès de la méthode historique (1863-1968), éd. Presses Universitaires du Septentrion, 1999, p. 13
  10. Daniel Moulinet, « François Laplanche, La Crise de l’origine. La science catholique des Évangiles et l’histoire au XXe siècle », in Revue de l’histoire des religions, 4/2007, article en ligne
  11. Charles Guignebert, Jésus, éd. La Renaissance du Livre 1933, rééd. Albin Michel 1969
  12. Simon Claude Mimouni, Le christianisme des origines à Constantin, éd. P.U.F./Nouvelle Clio, 2006, p. 60
  13. Daniel Moulinet, « François Laplanche, La Crise de l’origine. La science catholique des Évangiles et l’histoire au XXe siècle  », in Revue de l’histoire des religions, 4/2007, article en ligne
  14. Daniel Moulinet, « François Laplanche, La Crise de l’origine. La science catholique des Évangiles et l’histoire au XXe siècle », in Revue de l’histoire des religions, 4/2007, article en ligne
  15. François Laplanche, « De Loisy à Guignebert », in Yves-Marie Hilaire (dir.), De Renan à Marrou : l'histoire du christianisme et les progrès de la méthode historique (1863-1968), éd. Presses Universitaires du Septentrion, 1999, p. 59
  16. Yves-Marie Hilaire, De Renan à Marrou, op. cit., p.13
  17. Yves-Marie Hilaire, De Renan à Marrou, op. cit., p.16
  18. Étienne Trocmé, article Charles Guignebert, in « Dictionnaire du monde religieux dans la France contemporaine », vol. 9 : Les sciences religieuses : le XIXe siècle : 1800-1914, éd. Beauchesne, 1996, p. 309

Sources

  • Étienne Trocmé, article Charles Guignebert in « Dictionnaire du monde religieux dans la France contemporaine », vol. 9 : Les sciences religieuses : le XIXe siècle : 1800-1914, éd. Beauchesne, 1996, pp. 308-309, article en ligne

Bibliographie

  • Marguerite Brunot, Charles Guignebert (1867-1939) : sa vie et son oeuvre, in Annales de l'Université de Paris, juillet-octobre 1939, pp. 365-380
  • François Laplanche, « De Loisy à Guignebert », in Yves-Marie Hilaire (dir.), De Renan à Marrou : l'histoire du christianisme et les progrès de la méthode historique (1863-1968), éd. Presses Universitaires du Septentrion, 1999, pp. 57-72, extraits en ligne
  • François Laplanche, La crise de l'origine. La science catholique des Évangiles et l'histoire au XXe siècle, éd. Albin Michel, Paris, 2006

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