- Nouvelles à la main
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Les nouvelles à la main ou gazettes à la main est le nom donné aux gazettes manuscrites, ou gazetins, secrètement publiées avant l’invention des journaux, et que l’on continua ensuite à imprimer clandestinement pour traiter de matières qui auraient été interdites par la censure.
Les nouvelles à la main sont les premières expériences du journalisme. Leur origine est ancienne. Ces compilations d’articles manuscrits traitant, selon un ordre chronologique, de l’actualité fait son apparition en Europe à la Renaissance et connaît un grand développement au cours des XVIIe et XVIIIe siècles.
Dès le commencement du XVIe siècle, Venise avait des correspondances manuscrites où étaient relatés tous les événements importants d’Europe ; en Allemagne, la maison de banque Fugger publiait un journal écrit où se trouvaient les nouvelles politiques et commerciales les plus intéressantes. L’Angleterre avait ses nouvelles à la main, ses « Lettres de nouvelles » (Newsletters), comme on les appelait, qui étaient envoyées dans les comtés et où les affaires de la Cour étaient librement divulguées et commentées.
Ces lettres subsistèrent cinquante ans après l’invention du journal. Pendant les guerres de religion qui déchirèrent le XVIe siècle, les nouvelles à la main furent de véritables libelles, des instruments de guerre dans les mains des partis, et leurs auteurs furent poursuivis sans trêve par les arrêts du parlement et les ordonnances royales, qui portèrent contre eux et contre leurs éditeurs les peines les plus sévères.
En France, où l’oisiveté dans laquelle la Cour était entretenue avait introduit la passion des nouvelles, les grands seigneurs avaient leur nouvelliste ou gazetier à gages, chargé de leur rapporter tous les scandales et toutes les aventures piquantes de la ville. Mazarin payait dix livres par mois un nommé Portail, pour lui « fournir des nouvelles toutes les semaines ». Ces nouvellistes de profession avaient organisé sur tous les points de Paris des centres où venaient aboutir tous les bruits sur les choses de l’intérieur et de l’extérieur : c’étaient le jardin du Luxembourg, la salle du Palais, le jardin des Tuileries, celui du Palais-Royal, etc.
Dans la plupart de ces cercles, on tenait registre des nouvelles, on en discutait la valeur ; on en faisait un commerce qui se régularisa ; chaque cercle eut son bureau de rédaction ou de copie, ses correspondants en province, et les gazettes comptèrent un grand nombre d’abonnés, à qui on les adressait moyennant une somme qui variait suivant le nombre des pages. Fruit d’un travail collectif, les gazettes à la main étaient ensuite recopiées à la main dans des ateliers de copistes qui pouvaient bénéficier de la protection ou de la bienveillance des autorités. Des cercles d’influences, des salons pouvaient ainsi se servir de ces précieux relais. Leur diffusion était cependant limitée à un petit nombre d’abonnés.
Les thèmes abordés étaient des plus divers et l’ensemble de la production couvrait tous les champs de l’information : débats esthétiques, littéraires ou religieux, questions diplomatiques, procès célèbres, carnets mondains, actualité politique nationale, chronique scandaleuse. À l’intérieur des pages, une grande liberté de ton était souvent de mise et certains documents peuvent s’apparenter à des libelles ou à des satires. La forme épistolaire a également été utilisée.
Tolérés ou interdites ses publications, généralement anonymes, étaient clandestines et de nombreux édits - 1610, 1658 - en interdisaient la publication. Les gazettes à la main ne disparurent pas devant les gazettes imprimées qu’inventa Renaudot. Leur allure était plus libre, leur satire plus franche ; les aventures galantes et les anecdotes scandaleuses dont elles se faisaient l’écho leur donnaient une piquante saveur, que les journaux imprimés ne pouvaient avoir et qui faisait les délices de toutes les ruelles. Aussi Renaudot déclara-t-il aux gazetiers une guerre à outrance ; il voulait, selon Guy Patin, son caustique adversaire, « faire pendre tous ces faiseurs de gazettes à la main, d’autant plus qu’ils étaient cause qu’il ne se vendait guère de sa gazette imprimée. »
La liberté avec laquelle les nouvelles à la main contrôlaient les actes politiques des gouvernements et l’influence qu’elles exerçaient sur la société aristocratique appelèrent sous Louis XIV un surcroît de répression. En vain les gazettes changèrent-elles de caractère et perdirent de leur violence, en vain se contentèrent-elles du rôle de chronique scandaleuse plutôt que politique, la police fut sans cesse à la poursuite de ces feuilles indiscrètes. Un arrêt de 1620 fit défense de vendre des gazettes à la main, sous peine du fouet et du bannissement pour la première fois et des galères pour la seconde. Un grand nombre de gazetiers furent mis à la Bastille, des imprimeurs furent condamnés à des amendes. Marcelin de Laage fut condamné en 1661 à être fustigé et banni de Paris pour cinq ans ; Élie Blanchard, en 1663, à être fustigé au milieu du Pont-Neuf ; Bourdin et Dubois furent envoyés aux galères en 1683 pour avoir distribué des gazettes.
Les nouvellistes avaient également à redouter, outre la justice, les vengeances particulières des grands seigneurs auxquelles les exposaient leurs indiscrétions. Ainsi, le marquis de Vardes, au dire du cardinal de Retz, fit couper le nez au fameux Mortandré, qui avait pris parti pour les princes durant la Fronde, parce qu’il faisait circuler un libelle contre sa sœur, la maréchale de Guébriant. Sous le coup de ces rigueurs, les gazettes manuscrites finirent par disparaître.
Les querelles religieuses du XVIIIe siècle firent renaître les nouvelles à la main. Une feuille surtout, intitulée Nouvelles ecclésiastiques, joua un rôle important dans la guerre des jansénistes contre les jésuites. Elle attaquait avec éloquence la bulle Unigenitus et la déclaration de 1682. Son succès fui. immense. Les jésuites mirent tout en œuvre pour découvrir l’auteur de ces lettres violentes qui se répandaient à profusion dans toutes les provinces ; l’auteur était insaisissable. Les Nouvelles ecclésiastiques furent manuscrites jusqu’en 1728, époque à laquelle on commença à les imprimer clandestinement, comme autrefois les Provinciales. Le Parlement les condamna, la police les rechercha, mais sans parvenir à en arrêter la publication. Dans cette guerre de ruses, les Jésuites usèrent de toutes leurs ressources, de toute leur influence. Ils lancèrent périodiquement contre les auteurs des Nouvelles, de 1731 à 1748, un pamphlet, intitulé Supplément des nouvelles ecclésiastiques, qui avait pour rédacteur le père Patouillet. Leurs efforts furent vains. On allait imprimer au fond des bois la feuille janséniste. La publication en a été continuée jusqu’en 1803. Les Nouvelles ecclésiastiques furent rédigées de 1728 à 1793 par les abbés Boucher, Berger, de La Boche, Trova, Guidy, Rondet, Larrière, de Saint-Mars. La collection de 1728 à 1798 forme 71 volumes in-4°.
Sous le règne de Louis XV, les journaux clandestins de toute nature eurent une très grande vogue, malgré la guerre qui leur était faite par la police. Beaucoup de particuliers tenaient bureau ouvert de nouvelles à la main. Un nommé Dubreuil en avait un rue Taranne dont l’abonnement était de six livres par mois pour quatre pages in-quarto et de douze livres pour un nombre double de pages. Quelques salons littéraires étaient des manufactures de bulletins. Le plus célèbre fut celui de Madame Doublet de Persan, qui était au couvent des Filles-Saint-Thomas et où siégeaient l’abbé Legendre, Voisenon, le courtisan de la maison, Sainte-Palaye, les abbés Chauvelin et Xaupi, Falconet, Mairan, Mirabaud et Bachaumont, le président de la société. On les nommait les Paroissiens. Ils arrivaient tous à la même heure, s’asseyant chacun dans le même fauteuil, au-dessous de son portrait. Deux grands registres étaient ouverts sur une table ; dans l’un étaient écrites les nouvelles douteuses, dans l’autre les positives.
Ce sont de ces registres que sont sortis les deux exemples les mieux connus et les plus étudiés de nouvelles à la main, Mémoires secrets pour servir à l'histoire de la République des Lettres de Bachaumont, qui jouirent si longtemps d’un crédit sans égal. Dans le même temps, Métra publiait sa Correspondance littéraire secrète, dont la première lettre avait paru en 1774. Elle s’occupait plus de politique que les Mémoires secrets, mais cultivait moins la discussion que les anecdotes. Le prix d’abonnement était d’un louis.
Outre ces nouvelles à la main, satiriques et clandestines, les gens de lettres entretenaient avec les souverains et grands seigneurs étrangers des correspondances littéraires qui obtinrent bientôt une grande importance. Telles furent les correspondances de Grimm, de La Harpe, de Jean-Baptiste Suard, de D’Alembert, de Thiriot, dont la correspondance avec le roi de Prusse dura dix années.
Avec le développement de l’imprimerie, l’abondance des journaux, la rapidité de leur publication, ont fait disparaître peu à peu les gazettes manuscrites. Ce type d’information se spécialisa alors pour prendre une forme plus revendicative ou satirique. Dans les dernières années du règne de Louis-Philippe, Nestor Boqueplan a fait paraître, sous le titre de Nouvelles à la main, des fascicules imprimés, en concurrence aux Guêpes d’Alphonse Karr ; mais, malgré l’anonyme gardé par le spirituel auteur, elles n’avaient pas l’attrait de la clandestinité, qui est pour les publications de ce genre l’un des principaux éléments de succès. Au XIXe siècle, le terme en vint à désigner tout article satirique publié dans la presse.
Bibliographie
- Brendan Dooley, « De Bonne Main : les pourvoyeurs de nouvelles à Rome au XVIIe siècle », Annales. Histoire, sciences sociales, 1999, v. 54, n° 6, p. 1317-1344
- François Moureau, Éd. Répertoire des nouvelles à la main : dictionnaire de la presse manuscrite clandestine, XVIe ‑ XVIIIe siècle, Oxford, Voltaire Foundation, 1999
- François Moureau, De Bonne Main. La communication manuscrite au XVIIIe siècle, Paris et Oxford, Universitas et Voltaire Foundation, coll. «Bibliographica», 1993.
- Frantz Funck-Brentano, Figaro et ses devanciers, avec la collaboration de Paul d'Estrée. Ouvrage contenant seize planches hors-texte, Paris, Hachette, 1909
Source
- Gustave Vapereau, Dictionnaire universel des littératures, Paris, Hachette, 1876, p. 1494-5.
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