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Loi de Verner
La loi de Verner est une loi de phonétique historique dont la découverte a marqué l'une des étapes majeures de la linguistique comparée ; elle complète en effet la loi de Grimm et permet d'en expliquer les apparentes irrégularités, la faisant ainsi réellement accéder au statut de « loi ». C'est Karl Verner (1846-1896), linguiste danois, qui, en 1875, a trouvé la solution au problème apparent : alors que la loi de Grimm prévoit que les occlusives sourdes de l'indo-européen deviennent des fricatives sourdes en germanique commun, dans certains cas ces fricatives sont sonores. Or, la comparaison avec d'autres langues indo-européennes montre bien que le phonème de départ est sourd. Le problème était important puisqu'il ne permettait pas à la loi de Grimm d'être systématique et sans exception, ce qui est la condition sine qua non pour que des changements phonétiques soient qualifiés de loi.
Sommaire
Mécanismes généraux
Note : les transcriptions citées entre crochets sont en API. Les étymons proto-germaniques sont en transcription des langues germaniques (consulter aussi Transcription de l'indo-européen et Transcription des langues indiennes).
Verner, pour comprendre l'origine de ces irrégularités apparentes de la loi de Grimm dans les langues germaniques, a pris en compte la place de l'accent de hauteur indo-européen (qui nous est connu, entre autres, par le sanskrit védique et le grec), en comparant les mots pour « père » et « frère » :
- indo-européen *ph2tér- et *bhréh2ter- ;
- sanskrit pitár- et brā́tar- ;
- grec πατέρ- et φράτερ-
- gothique fadar [faðar] et broþar [broːθar].
Dans *ph2tér-, le *h se lit avec le 2 en indice : *h2 note une laryngale donnant, en se vocalisant, la voyelle /a/. Il ne s'agit pas d'un *p aspiré, qu'on noterait *pʰ.
Si la loi de Grimm s'était appliquée correctement, l'on aurait en gothique *faþar et broþar, puisque IE *t passe à germanique þ. Le passage de *t à [ð] ou à [θ] s'explique par la place de l'accent IE : celui-ci frappe dans *bhréh2ter- la voyelle située avant la consonne susceptible d'être modifiée par la loi de Grimm et la protège d'une évolution secondaire, que l'on trouve sinon partout ailleurs, sauf à l'initiale. La loi de Verner s'énonce ainsi : « les fricatives germaniques se voisent sauf à l'initiale et sauf si la syllabe précédente était tonique en IE ». Cette dernière mention a son importance puisque l'accent IE a été entièrement modifié en germanique commun, par un changement de nature (l'accent de hauteur est devenu accent d'intensité) commun et les deux ne coïncident plus). Il faut ajouter à cela que la fricative IE *s est aussi concernée et qu'elle se voise en [z], sauf si la voyelle qui précède est tonique. Cette consonne, en revanche, ne provient pas d'une ancienne occlusive sourde IE. À l'exception du gothique, ce [z] est passé à [r].
On peut résumer les modifications subies par les consonnes concernées ainsi (on indique dans la colonne « germanique 1 » les effets de la première mutation consonantique, celle décrite par Grimm) :
Indo-européen Germanique commun 1 Germanique commun 2 *ap *at *ak *akʷ *as ⇒ [ɸ] (f) [θ] (þ) [x] (χ) [xʷ] (χʷ) [s] ⇒ [β] (ƀ) [ð] (đ) [ɣ] (ǥ) [ɣʷ] (ǥʷ) [z] *áp *át *ák *ákʷ *ás ⇒ [ɸ] [θ] [x] [xʷ] [s] — Légende : a représente n'importe quelle syllabe atone, á n'importe quelle syllabe tonique. Sont indiqués entre parenthèses les symboles de la transcription des langues germaniques ; les symboles entre crochets suivent l'API.
Exemples
La loi de Verner se manifeste fréquemment dans la conjugaison des verbes forts, dans lesquels une alternance accentuelle est notable : alors que l'accent tombe normalement sur le radical, au prétérit indicatif pluriel, au prétérit subjonctif et au participe passé, il frappe la finale : ainsi en vieil anglais wearþ, « il devint » (de *wárþi ; cf. sanskrit vavárta, « il tourna ») mais wurdon, « nous devînmes » (de *wurđumí ; cf. sanskrit vavr̥timá).
On explique aussi pourquoi l'on a en anglais un prétérit singulier du verbe to be (« être ») was et pluriel were : la première forme remonte à *ás, la seconde à *as > *az > *ar, par rhotacisme. C'est ainsi que l'on trouve dans les langues germaniques une alternance [s] / [r]. L'un des exemples les plus célèbres, outre was / were, se trouve en vieil anglais avec le verbe cēosan « choisir », dont le prétérit singulier est ceās et le pluriel curon, directement liés aux formes du vieil haut allemand kos / kurum, du verbe kostōn ; il suffit de poser une alternance *géus- / *gus- (radical « goûter » que l'on retrouve en latin : gustus).
Le système nominal offre aussi quelques exemples : « dix » se dit en indo-européen *déḱm̥, qui donne régulièrement le latin decem, grec δέκα, sanskrit dása et lituanien dẽšimt, par exemple. La place de l'accent garantit le gotique taíhun, de *dékum > *téχun (loi de Grimm) puis [tɛhun], noté taíhun. Si l'accent avait frappé la finale, l'on aurait eu *teǥum. L'accent s'est cependant déplacé dans la construction du nom « décade », formé sur le même radical élargi *deḱḿ̥t-, soit grec δεκάδ- et gotique tiǥu, écrit tigu- (n'est attesté qu'au pluriel tigjus), puisque *dekúmd donne *teχúnđ (Grimm) > *tiǥu- (apophonie et chute des consonnes finales). Il faut noter au passage que IE *e passe en gotique régulièrement à [i], sauf devant χ, χw et r où il est ouvert en [ɛ] écrit aí, ce qui explique la double alternance :
- *déḱm̥ > tɛχu(n) ;
- *deḱḿ̥(t) > tiǥu-.
Résumé
- Extension de la loi : germanique commun ;
- chronologie : après la loi de Grimm ;
- effets : [f, þ, χ, χw, s] > [ƀ, đ, ǥ, ǥw, z] / [* -accent]_.
Voir aussi
Articles connexes
- Loi de Grimm ;
- Seconde mutation consonantique ;
- Langues germaniques et proto-germanique ;
- Néogrammairien
- Phonétique historique ;
- Linguistique comparée.
Liens externes
- Retour à Verner, Gilles Bernard, Le gré des langues n°1, éd. L'Harmattan, 1990 (fichier PDF, 16p, 159 kibi)
Consonnes (Image) Voir aussi : API, Voyelles Modes
d’articulationPoints d’articulation Labial Labial-vél. Coronal Dorsal Laryngal (aucun) Pulmoniques Bilabial Lab-dent. Dental Alvéol. Post-alv. Rétro. Alv.-pal. Palatal Vélaire Labio-vél. Uvulaire Pharyn. Épiglott. Glottal Nasales m ɱ n̪ n ɳ ɲ ŋ ɴ Occl. prénasalisées Occlusives p b p̪ b̪ k͡p ɡ͡b t̪ d̪ t d ʈ ɖ c ɟ k ɡ kʷ ɡʷ q ɢ ʡ ʔ Affriquées p͡ɸ b͡β p͡f b͡v t͡θ t͡s d͡z t͡ʃ d͡ʒ t͡ʂ d͡ʐ t͡ɕ d͡ʑ c͡ç ɟ͡ʝ k͡x ɡ͡ɣ q͡χ ɢ͡ʁ Fric. prénasalisées Fricatives ɸ β f v θ ð s z ʃ ʒ ʂ ʐ ɕ ʑ ç ʝ x ɣ χ ʁ ħ ʕ ʜ ʢ h ɦ Spirantes β̞ ʋ ð̞ ɹ ɻ j ɰ ʍ w Roulées ʙ r̪ r̥ r * ʀ * Battues * ɾ̪ ɾ ɽ * Affriquées latér. t͡ɬ d͡ɮ Fricatives latér. ɬ ɮ * * * Spirantes latér. l̪ l̥ l ɭ ʎ ʟ Battues latér. ɺ * * * Non pulmoniques Occl. injectives ƥ ɓ ƭ ɗ * ƈ ʄ ƙ ɠ ʠ ʛ Occl. éjectives pʼ t̪ʼ tʼ ʈʼ cʼ kʼ qʼ Fric. éjectives ɸʼ fʼ sʼ ʃʼ ʂʼ ɕʼ çʼ xʼ χʼ Clics centraux ʘ ǀ ǃ ǂ Clics latéraux ǁ Divers consonnes pulmoniques qui ne font pas partie d'un autre point d'articulation:
Description Symbole Consonne spirante labio-palatale voisée ɥ Consonne fricative post-alvéolo-vélaire sourde ɧ Consonne spirante latérale alvéolaire vélarisée voisée ɫ Lorsque deux symboles apparaissent dans une case, celui de gauche représente une consonne sourde, celui de droite une consonne voisée (ne s’applique pas aux clics).
Les cases séparées par des pointillés emploient normalement les mêmes symboles API de base, et ne diffèrent éventuellement que par les diacritiques appliqués pour déplacer leur articulation.
Les cases marquées d’un astérisque (*) indiquent des sons attestés non encore représentés officiellement dans l’API.
Les parties grisées indiquent une articulation jugée impossible. Les cases blanches vides indiquent des articulations théoriques possibles mais non encore attestés.
Les affriquées t͡s, d͡z, t͡ʃ, d͡ʒ, t͡ɕ, d͡ʑ sont notées à l'aide des ligatures ʦ, ʣ, ʧ, ʤ, ʨ, ʥ d’usage courant, ne faisant plus partie de l’API (il est recommandé de les remplacer par les deux articulations, liées avec une barre ou avec la fricative en exposant).
Les occlusives injectives sourdes en italique, parfois employées, ne font plus partie de l’API (il est recommandé de les remplacer par le symbole de la consonne voisée avec le diacritique de dévoisement).Catégories : Phonétique historique | Phonétique des consonnes | Langue germanique
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