Le Mystère d'Edwin Drood

Le Mystère d'Edwin Drood

Le Mystère d'Edwin Drood (The Mystery of Edwin Drood) est le dernier roman de Charles Dickens, mort avant qu'il ne puisse le compléter. L'histoire inachevée laisse de nombreux mystères que critiques et écrivains se sont essayés à élucider. Plusieurs fins ont été proposées, et les spéculations continuent d'alimenter la chronique des faits divers de la littérature.

Sommaire

L'intrigue inachevée

Quand Charles Dickens, né en 1812, meurt subitement en juin 1870, il a écrit six des douze livraisons mensuelles dans lesquelles il a l'intention de faire paraître en feuilleton Le Mystère d'Edwin Drood.

Avec ce récit, il fait clairement œuvre de pionnier du roman policier, rompant avec le caractère purement littéraire et l'intrigue multiple de ses deux œuvres précédentes, Bleak House et ''Our Mutual Friend. Dans Le Mystère d'Edwin Drood, la narration est en effet étroitement centrée sur un seul et mystérieux événement : la disparition du personnage qui donne son titre au roman, le jeune et affable Edwin Drood, en apparence comblé par la sollicitude de son oncle John Jasper, maître de chœur à la cathédrale de Cloisterham, ainsi que par la perspective d'un mariage avec sa camarade orpheline Rosa Bud.

Jasper mène tout d'abord l'enquête sur le sort de son neveu et ses soupçons se dirigent vers l'irascible Neville Landless, arrivé récemment à Cloisterham avec sa sœur Helena. En même temps, les doutes du lecteur portent sur Jasper lui-même, car il mène une double vie, opiomane à ses heures, et, plus grave du point de vue du mobile, amoureux de Rosa.

De surcroît, Jasper ignorait qu'Edwin et Rosa avaient en fait rompu leurs fiançailles, la veille même de la disparition d'Edwin. Or, quand il l'apprend, il en subit une forte commotion. Faut-il y voir un signe de saisissement, face au caractère désormais d'autant plus odieux de son crime qu'il s'avère avoir été gratuit ?

Jasper n'en poursuit pas moins Rosa de ses assiduités, à tel point que celle-ci prend peur et s'enfuit à Londres. Elle y trouve refuge auprès de son tuteur, M. Grewgious, qu'assistent son clerc Bazzard et un complaisant voisin, le marin en retraite Tartar.

Sur ces entrefaites apparaît à Cloisterham un détective prétendant s'appeler Dick Datchery, dont l'abondante crinière blanche, décrite avec insistance, amène le lecteur à penser qu'il est, sous un déguisement, un personnage déjà connu du lecteur. C'est là que s'arrête le texte de Dickens.

Interprétations du roman

Dickens laissa ainsi derrière lui exactement le genre de défi auquel les férus d'histoire littéraire et les amoureux du roman policier n'ont jamais pu résister. À l'évidence, le mystère principal est le sort d'Edwin Drood. A-t-il simulé sa propre disparition ou a-t-il été tué ? S'il est mort, qui l'a tué ?

Mais l'énigme ne s'arrête pas ici. Qui est Dick Datchery ? S'il n'est pas un personnage nouveau, que Dickens aurait sûrement hésité à introduire à ce stade avancé de l'intrigue, est-il M. Grewgious, le tuteur de Rosa, son clerc Bazzard, dont on nous dit qu'il est proche des milieux du théâtre, le marin Tartar ou même Helena Landless ?

Qui Rosa choisira-t-elle d'épouser parmi ses soupirants ? Si ce n'est probablement pas Drood ni Jasper, pourrait-il s'agir de Tartar ou de Neville ?

Et quel rôle joueront dans le dénouement les personnages secondaires, comme la « princesse Puffer », tenancière de la fumerie d'opium londonienne où Jasper a ses habitudes, ou Durdles, le tailleur de pierres qui a guidé ce dernier dans les méandres de la cathédrale, lors d'une curieuse expédition nocturne ?

Les spéculations commencent dans les mois qui suivent la mort de Dickens, d'abord dans le but de gagner de l'argent avec un sujet à la mode. Une suite du Mystère d'Edwin Drood a été publiée aux États-Unis dès 1871 par Henry Moorland. Une autre tentative, en 1873, est présentée comme ayant jailli de « ayant jailli de la plume fantôme de Charles Dickens, par l'intermédiaire d'un médium ».

Des suites romanesques plus respectables ont suivi, à côté desquelles émerge une quantité croissante d'essais savants, répertoriés en 1912 par Sir William Robertson Nicoll dans Le problème du Mystère d'Edwin Drood, puis par Richard Stewart dans End Game, publié en 1999. Parmi les érudits qui se sont penchés sur le mystère, on relève le nom de Gilbert Keith Chesterton, célèbre auteur de nouvelles policières ayant pour héros le père Brown.

Ces analystes ne sont souvent pas d'accord entre eux à propos de l'identité de Datchery, mais ils considèrent habituellement Jasper comme le criminel de l'histoire. Certes, bien que Jasper soit vigoureusement défendu par certains, sa culpabilité placerait à l'évidence le roman dans la lignée des autres œuvres de Dickens, avec leurs personnages menant une double vie et leurs meurtriers hantés par le remords.

Ceux qui essaient de déterminer la fin du roman cherchent des indices non seulement dans la partie écrite par Dickens, mais aussi dans ses notes de travail, dans la liste des titres qu'il avait projetés pour son livre et dans les remarques orales de l'écrivain, rapportées après sa mort par des proches. Mais ces sources sont ambiguës et ne font que mettre en évidence les questions au lieu d'en fournir les réponses.

Un des indices les plus importants est le dessin de couverture des livraisons mensuelles, esquissé par le beau-fils de Dickens, Charles Collins, puis exécuté par Samuel Luke Fildes sur les indications de Dickens lui-même. On y voit plusieurs scènes n'apparaissant pas dans la partie écrite par Dickens. Un mystérieux soupirant moustachu, qui n'est pas Edwin Drood, courtise Rosa. Une série de personnages, dont certains étaient des policiers dans l'esquisse de Charles Collins, gravissent un escalier en spirale à la suite de Jasper. Y figure également, en position centrale, une étrange scène de rencontre entre Jasper, qui entre dans une chambre obscure en brandissant une lanterne, et Edwin Drood, qui semble l'attendre dans une posture hiératique, tel une statue de commandeur. Edwin est-il vivant, revenu pour se confronter à son adversaire? Est-ce un rêve de Jasper sous l'effet de la drogue, comme tendraient à l'indiquer les vapeurs d'opium qui entourent la scène, provenant des pipes de la « princesse Puffer » et de son acolyte chinois ? Ou s'agit-il d'un autre personnage de l'histoire, par exemple Datchery, qui fait croire à la présence d'Edwin pour provoquer la confession de Jasper ?

Épilogues post-dickensiens

Le roman inachevé de Charles Dickens a donné de par le monde l'occasion à bien des auteurs de se lancer dans une tentative de solution littéraire du problème de la disparition du jeune héros. Certains, comme Jean-Pierre Ohl ( Monsieur Dick ou le dixième livre ), se sont cantonnés à une solution « classique » purement criminelle ou romanesque de l'énigme. Le Belge Jean Ray, grand dickensien, figure lui parmi les auteurs qui se sont essayés à un épilogue beaucoup plus « crépusculaire ». La Société académique du Boulonnais a publié dans son Bulletin, sous la plume de Dr M. F. Klapahouk, un article consacré, entre autres, aux solutions du Mystère ( À propos du Mystère d'Edwin Drood, Conférence à l'Association des Amis de Charles Dickens [1]). L'histoire de l'épilogue prétendument dicté par l'esprit de Charles Dickens en 1872 au jeune ouvrier typographe américain Thomas P. James - même s'il s'agit probablement d'un remarquable et très imaginatif canular - procède elle-même d'un scénario du genre[2].

Un ouvrage amusant, couramment disponible en français, mêle à la fois le texte original de Dickens, une recherche de la fin du Mystère d'Edwin Drood et une fiction qui lui est propre : il s'agit de L'Affaire D. ou Le crime du faux vagabond, écrit avec humour par le tandem italien Carlo Fruttero et Franco Lucentini. Le roman inachevé y est entrecoupé de scènes se déroulant de nos jours, lors d'un congrès qui a pour but de résoudre le mystère. Cette auguste assemblée réunit la plupart des détectives de fiction, parmi lesquels on remarque Hercule Poirot, Maigret, Philip Marlowe, l'abbé Brown, etc[3].

En 2009, l'auteur américain de fantastique et science-fiction Dan Simmons a publié un roman intitulé Drood - A novel, traduit depuis en français[4], mettant en scène Dickens lui-même - ainsi que son beau-frère Wilkie Collins - hanté par le « fantôme » de Drood après son accident de train survenu en 1865[5].

Bibliographie

Texte

  • (en) Charles Dickens, The Mystery of Edward Drood, Harmondsworth, Penguin Classics, 1986 (ISBN 0-14-043092-X) , introduction, appendices et notes de Angus Wilson}}.

Traduction

Ouvrages généraux

  • (en) Michael Stapleton, The Cambridge Guide to English Literature, Londres, Hamlyn, 1983 (ISBN 10: 0600331733) .
  • (en) Margaret Drabble, The Oxford Companion to English literature, Londres, Guild Publishing, 1985 .
  • (en) Peter Ackroyd, Charles Dickens, Londres, Stock, 1993 (ISBN 13: 978-0099437093) .
  • (en) Andrew Sanders, The Oxford History of English Literature (Revised Edition), Oxford, Oxford University Press, 1996 (ISBN 0-19-871156-5) .
  • (en) Paul Schlike, Oxford Reader’s Companion to Dickens, New York, Oxford University Press, 1999 .
  • (en) J John O. Jordan, The Cambridge companion to Charles Dickens, New York, Cambridge University Press, 2001. 

Ouvrages et articles spécifiques

Sur la vie et l'œuvre de Charles Dickens

  • (en) John Forster, The Life of Charles Dickens, Londres, J. M. Dent & Sons, 1872-1874 .
  • (en) Hippolyte Taine (trad. H. Van Laun), History of English Literature, New York, 1879 , traduction du français.
  • (en) S. J. Adair Fitz-Gerald, Dickens and the Drama, Londres, Chapman & Hall, Ltd., 1910 .
  • (en) Gilbert Keith Chesterton, Apprecations and Criticisms of the Works of Charles Dickens, Londres, 1911 .
  • (en) George Gissing, The Immortal Dickens, Londres, Cecil Palmer, 1925 .
  • (en) Una Pope Hennessy, Charles Dickens, Londres, The Reprint Society, 1947 , d'abord publié en 1945.
  • (en) Hesketh Pearson, Dickens, Londres, Methuen, 1949. 
  • (en) Jack Lindsay, Charles Dickens, A Biographical and Critical Study, New York, Philosophical Library, 1950 .
  • (en) Barbara Hardy, Dickens and the Twentieth Century. The Heart of Charles Dickens, New York, Edgar Johnson, 1952 .
  • (en) Edgar Johnson, Charles Dickens: His Tragedy and Triumph. 2 vols, New York, 1952 .
  • (en) J. Hiilis-Miller, Charles Dickens, The World of His Novels, Harvard, Harvard University Press, 1958 (ISBN 13: 9780674110007)) .
  • (en) E. A. Horsman, Dickens and the Structure of Novel, Dunedin, N.Z., 1959 .
  • (en) R. C. Churchill, Charles Dickens, From Dickens to Hardy, Baltimore, Md., Boris Ford, 1964 .
  • (en) Steven Marcus, Dickens: From Pickwick to Dombey, New York, 1965 .
  • (en) K. J. Fielding, Charles Dickens, A Critical Introduction, Londres, Longman, 1966 .
  • (en) Christopher Hibbert, The Making of Charles Dickens, Londres, Longmans Green & Co., Ltd., 1967 .
  • (en) F. R. & Q. D. Leavis, Dickens the Novelist, Londres, Chatto & Windus, 1970 (ISBN 0701116447) .
  • (en) Michael Slater, Dickens and Women, Londres, J. M. Dent & Sons, Ltd., 1983 (ISBN 0-460-04248-3) .
  • (en) Fred Kaplan, Dickens, A Biography, William Morrow & Co, 1988 (ISBN 9780688043414) .
  • (en) Norman Page, A Dickens Chronology, Boston, G.K. Hall and Co., 1988 .

Autres ouvrages

  • (fr) Dickens, Fruttero & Lucentini (trad. Simone Darses), L'affaire D. ou Le crime du faux vagabond, Paris, Éditions du Seuil, 1995 (ISBN 2-02-019742-1) .
  • (en) Richard Stewart, End Game, A Drood Bibliography, Shelburne, The Battered Silicon Dispatch Box, 1999 (ISBN 1552461602) .
  • (fr) Jean-Pierre Ohl, Monsieur Dick ou Le dixième livre, Paris, Gallimard, 2004 (ISBN 2-07-077099-0) .

Notes et références

Notes

Références

  1. Dr M. F. Klapahouk, À propos du Mystère d'Edwin Drood, Association des Amis de Charles Dickens, Fascicule V, Tome II, 15 avril 1991.
  2. L'histoire de Thomas P. James. Consulté le 14 mars 2007.
  3. Charles Dickens, Carlo Fruttero, Franco Lucentini 1993.
  4. Drood, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Odile Demange, Éditions Robert Laffont, p. 880.
  5. (en)Onyx Review : Drood - a novel.

Notes



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