- Le Mystère d’Edwin Drood
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Le Mystère d’Edwin Drood
Le Mystère d'Edwin Drood (The Mystery of Edwin Drood) est le dernier roman, inachevé, de Charles Dickens.
Une intrigue inachevée
Quand Charles Dickens mourut subitement en juin 1870, il avait écrit six des douze livraisons mensuelles dans lesquelles il avait l'intention de faire paraître en feuilleton Le Mystère d'Edwin Drood.
Avec ce récit, il faisait clairement œuvre de pionnier du roman policier, rompant avec le caractère purement littéraire et le rythme tranquille de ses œuvres précédentes, telles Bleak House ou Notre ami commun. Dans Le Mystère d'Edwin Drood, la narration est en effet étroitement centrée sur un seul et mystérieux événement : la disparition du personnage qui donne son titre au roman, le jeune et affable Edwin Drood, en apparence comblé par la sollicitude de son oncle John Jasper, maître de chœur à la cathédrale de Cloisterham, ainsi que par la perspective d'un mariage avec sa camarade orpheline Rosa Bud.
Jasper mène tout d'abord l'enquête sur le sort de son neveu et ses soupçons se dirigent vers l'irascible Neville Landless, arrivé récemment à Cloisterham avec sa sœur Helena. En même temps, les doutes du lecteur portent sur Jasper lui-même, car il mène une double vie, étant opiomane à ses heures, et, ce qui plus grave du point de vue du mobile, il est amoureux de Rosa. De surcroît, Jasper ignorait qu'Edwin et Rosa avaient en fait rompu leurs fiançailles, la veille même de la disparition d'Edwin. Or, quand il l'apprend, il en subit une forte commotion. Faut-il y voir un signe de saisissement, face au caractère désormais d'autant plus odieux de son crime qu'il s'avère avoir été gratuit?
Jasper n'en poursuit pas moins Rosa de ses assiduités, à tel point que celle-ci prend peur et s'enfuit à Londres. Elle y trouve refuge auprès de son tuteur, M. Grewgious, lequel est assisté par son clerc Bazzard et par un complaisant voisin, le marin en retraite Tartar.
Sur ces entrefaites apparaît à Cloisterham un détective prétendant s'appeler Dick Datchery, dont l'abondante crinière blanche, décrite avec insistance, amène le lecteur à penser qu'il est, sous un déguisement, un personnage déjà connu du lecteur. C'est là que s'arrête le texte de Dickens.
Interprétations du roman
Dickens laissa ainsi derrière lui exactement le genre de défi auquel les férus d'histoire littéraire et les amoureux du roman policier n'ont jamais pu résister. À l'évidence, le mystère principal est le sort d'Edwin Drood. A-t-il simulé sa propre disparition ou a-t-il été tué ? S'il est mort, qui l'a tué ?
Mais l'énigme ne s'arrête pas ici. Qui est Dick Datchery ? S'il n'est pas un personnage nouveau, que Dickens aurait sûrement hésité à introduire à ce stade avancé de l'intrigue, est-il M. Grewgious, le tuteur de Rosa, son clerc Bazzard, dont on nous dit qu'il est proche des milieux du théâtre, le marin Tartar ou même Helena Landless ?
Qui Rosa choisira-t-elle d'épouser parmi ses soupirants ? Si ce n'est probablement pas Drood ni Jasper, pourrait-il s'agir de Tartar ou de Neville ?
Et quel rôle joueront dans le dénouement les personnages secondaires, comme la « princesse Puffer », tenancière de la fumerie d'opium londonienne où Jasper a ses habitudes, ou Durdles, le tailleur de pierres qui a guidé ce dernier dans les méandres de la cathédrale, lors d'une curieuse expédition nocturne ?
Les spéculations commencèrent dans les mois qui suivirent la mort de Dickens, d'abord dans le but politiquement peu correct de gagner de l'argent avec un sujet à la mode. Une suite du Mystère d'Edwin Drood fut déjà publiée aux États-Unis en 1871 par Henry Moorland. Une autre tentative, en 1873, fut présentée comme ayant jailli de « la plume fantôme de Charles Dickens, par l'intermédiaire d'un médium ».
Des suites romanesques plus respectables suivirent, à côté desquelles émergea une quantité croissante d'essais savants, répertoriés en 1912 par Sir William Robertson Nicoll dans Le problème du Mystère d'Edwin Drood, puis par Richard Stewart dans End Game, publié en 1999. Parmi les érudits qui se sont penchés sur le mystère d'Edwin Drood, on relève le nom de Gilbert Keith Chesterton, célèbre auteur de romans policiers ayant pour héros l'abbé Brown.
Ces analystes ne sont souvent pas d'accord entre eux à propos de l'identité de Datchery, mais ils considèrent habituellement Jasper comme le criminel de l'histoire. Certes, bien que Jasper soit vigoureusement défendu par certains, sa culpabilité placerait à l'évidence le roman dans la lignée des autres œuvres de Dickens, avec leurs personnages menant une double vie et leurs meurtriers hantés par le remords.
Ceux qui essaient de déterminer la fin du roman cherchent des indices non seulement dans la partie écrite par Dickens, mais aussi dans ses notes de travail, dans la liste des titres qu'il avait projetés pour son livre et dans les remarques orales de l'écrivain, rapportées après sa mort par des proches. Mais ces sources sont ambiguës et ne font que mettre en évidence les questions au lieu d'en fournir les réponses.
Un des indices les plus importants est le dessin de couverture des livraisons mensuelles, esquissé par le beau-fils de Dickens, Charles Collins, puis exécuté par Samuel Luke Fildes sur les indications de Dickens lui-même. On y voit plusieurs scènes n'apparaissant pas dans la partie écrite par Dickens. Un mystérieux soupirant moustachu, qui n'est pas Edwin Drood, courtise Rosa. Une série de personnages, dont certains étaient des policiers dans l'esquisse de Charles Collins, gravissent un escalier en spirale à la suite de Jasper. Y figure également, en position centrale, une étrange scène de rencontre entre Jasper, qui entre dans une chambre obscure en brandissant une lanterne, et Edwin Drood, qui semble l'attendre dans une posture hiératique, tel une statue de commandeur. Edwin est-il vivant, revenu pour se confronter à son adversaire? Est-ce un rêve de Jasper sous l'effet de la drogue, comme tendraient à l'indiquer les vapeurs d'opium qui entourent la scène, provenant des pipes de la « princesse Puffer » et de son acolyte chinois ? Ou s'agit-il d'un autre personnage de l'histoire, par exemple Datchery, qui fait croire à la présence d'Edwin pour provoquer la confession de Jasper?
Un ouvrage amusant, qui est le seul à être couramment disponible en français, mêle à la fois le texte original de Dickens, une recherche de la fin du Mystère d'Edwin Drood et une fiction qui lui est propre : il s'agit de L'Affaire D. ou Le crime du faux vagabond, écrit avec humour par le tandem italien Carlo Fruttero & Franco Lucentini. Le roman inachevé y est entrecoupé de scènes se déroulant de nos jours, lors d'un congrès qui a pour but de résoudre le mystère. Cette auguste assemblée réunit la plupart des détectives de fiction, parmi lesquels on remarque Hercule Poirot, Maigret, Philip Marlowe, l'abbé Brown etc.
Bibliographie
- Dickens, Fruttero & Lucentini, L'affaire D. ou Le crime du faux vagabond; traduit de l'italien par Simone Darses, Editions du Seuil (Points / Roman / 594), Paris 1993 (ISBN 2-02-019742-1)
- Richard Stewart, End Game, Editions The Battered Silicon Dispatch Box, Shelburne 1999 (ISBN 1552461602)
- Ohl, Jean-Pierre. Monsieur Dick ou Le dixième livre. Paris : Gallimard, 2004, 280 p. ISBN 2-07-077099-0
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