Le Cauchemar (Füssli)

Le Cauchemar (Füssli)
Le Cauchemar (The Nightmare)
Image illustrative de l'article Le Cauchemar (Füssli)
Artiste Johann Heinrich Füssli
Année 1781
Technique Huile sur toile
Dimensions (H × L) 101 6 cm × 127 cm
Localisation Detroit Institute of Arts

Le Cauchemar est un tableau du peintre Johann Heinrich Füssli.

Depuis son exposition en 1782 à la Royal Academy de Londres, cette peinture est devenue célèbre et, du fait de cette renommée, Füssli en a peint au moins trois autres versions.

L'interprétation de l'œuvre a considérablement changé au cours du temps. La toile semble dépeindre simultanément une femme rêvant et le contenu de son cauchemar. L'incube (démon) et la tête de cheval se réfèrent à la croyance et au folklore de l'époque concernant les cauchemars, mais ont des significations plus spécifiques décrites par quelques théoriciens. Des critiques d'art contemporains ont également vu dans le tableau une problématique sexuelle anticipant les idées freudiennes au sujet du subconscient.

Sommaire

Description et histoire

Le Cauchemar offre simultanément l'image d'un rêve - en dépeignant l'effet du cauchemar sur la femme - et le rêve en image - en représentant symboliquement la vision du sommeil[1] Le tableau représente une femme en plein sommeil sur un lit dont la tête penche vers le bas, exposant son long cou. Elle est dominée par un démon (un incube) qui regarde le spectateur. La dormeuse semble sans vie, allongée dans une position qui paraît encourager les cauchemars[2]. Les couleurs claires et brillantes de cette femme sont en opposition au rouges foncés, jaunes et ocres du fond. Füssli a employé un effet de clair-obscur pour créer des contrastes forts entre la lumière et l'ombre. L'intérieur est contemporain et à la mode, avec une petite table sur laquelle repose les débris d'un miroir, une fiole et un livre. La salle est décorée avec des rideaux rouges en velours situés derrière le lit. D'une partie du rideau émerge la tête d'un cheval aux yeux argentés.

Pour les spectateurs contemporains, le tableau évoque le rapport entre, d'une part l'incube et le cheval (une jument) et, d'autre part, les cauchemars. Cette œuvre a probablement inspiré le cauchemar de Mary Shelley qui donna naissance à son roman, Frankenstein ou le Prométhée moderne. Füssli et ses contemporains voyait dans cette expérience un rapport avec les croyances folkloriques, comme les contes germaniques au sujet des démons et des sorcières qui possèdent les personnes endormies. Dans ces histoires, des chevaux ou des sorcières rendent visite à des hommes et des femmes réputés avoir des relations sexuelles avec le diable. Cependant, l'étymologie du mot « cauchemar » n'a pas de lien avec les chevaux. En fait, le mot dérive du terme picard mare, emprunté au néerlandais mare (fantôme) qui, dans le folklore scandinave, désigne un type de spectre femelle malveillant, un esprit envoyé pour tourmenter et faire suffoquer les dormeurs. Cependant, le peintre étant suisse et ayant appris l'anglais dans sa jeunesse, on peut considérer la présence de la jument comme un jeu de mot : en anglais, jument se dit mare. Le peintre aurait donc fait apparaître ce cheval en tant qu'étranger de naissance. La signification première du « cauchemar » est celle d'un dormeur ayant un poids sur le torse combiné avec une paralysie du sommeil, une dyspnée ou un sentiment de crainte[3]. La peinture contient une grande variété d'imagerie liée à ces thèmes, représentant la tête d'une jument et un démon accroupi sur une femme.

Le Rêve du berger (1798).

Le sommeil et les rêves étaient des sujets habituels pour Füssli, même si Le Cauchemar est unique par son manque de référence à des thèmes littéraires ou religieux. Sa première peinture connue est Joseph interprétant les rêves du boulanger et du maître d'hôtel du pharaon[réf. nécessaire] (1768). Plus tard, il a réalisé Le Rêve du berger (1798) inspiré par Le Paradis perdu de John Milton, et Richard III visité par les fantômes (1798) basé sur la pièce de Shakespeare.

Füssli avait de grandes connaissances de l'histoire de l'art, ce qui a amené des critiques d'art à suggérer que ses peintures trouvaient leurs sources dans l'art antique, classique et de la Renaissance. Selon le critique d'art Nicholas Powell, la position de la femme pourrait venir d'une Ariane exposée au Vatican et le style de l'incube viendrait de figurines trouvées à Sélinonte, un site archéologique en Sicile[4]. La femme pourrait aussi être inspirée du tableau de Giulio Romano, Le rêve d'Hécube, conservé au Palais du Te[5]. Par ailleurs, Füssli a probablement ajouté le cheval après coup puisqu'un des croquis préliminaire réalisé à la craie ne le représente pas. La présence de ce cheval dans le tableau a été interprétée comme un calembour visuel sur le mot « cauchemar » (mare en anglais désignant la jument).

Exposition

Le Cauchemar (1783)
Gravure de Thomas Burke

Le tableau a été exposé la toute première fois à la Royal Academy de Londres en 1782, où il « a suscité.... un rare degré d'intérêt[6] », selon John Knowles, le premier biographe de Füssli. L'œuvre est resté très populaire pendant des décennies ce qui a amené Füssli a peindre d'autres versions sur le même thème. Il a vendu l'original pour vingt guinées britanniques et une gravure de Thomas Burke (reproduisant le tableau) a circulé dès janvier 1783, faisant gagner à l'éditeur John Raphael Smith plus de 500 livre sterling. La gravure était sous-titrée par un court poème d'Erasmus Darwin, Cauchemar[7] :

« So on his Nightmare through the evening fog
Flits the squab Fiend o'er fen, and lake, and bog
Seeks some love-wilder'd maid with sleep oppress'd
Alights, and grinning sits upon her breast. »

Interprétation

En raison de la popularité de son œuvre, Füssli a peint un certain nombre d'autres versions, dont ce tableau datant de 1790-1791.

Les critiques contemporains ont souvent trouvé le tableau scandaleux car il aborde des thèmes sexuels. Quelques années avant de peindre Le Cauchemar, Füssli était passionnément tombé amoureux d'une femme appelée Anna Landholdt à Zurich, alors qu'il voyageait de Rome à Londres. Il s'agissait de la nièce de son ami, Johann Kaspar Lavater, le physiognomiste suisse. Füssli avait écrit à Lavater en 1779 :

« La nuit dernière, je l'ai eue dans mon lit - mes mains chaudes et serrées l'étreignaient - son corps et son âmes ensemble ont fusionné avec les miens - j'ai déversé mon esprit, mon souffle et ma force en elle. Quiconque la touche maintenant commet l'adultère et l'inceste ! Elle est mienne, et je suis à elle. Et je l'aurai, j'espère... »

La proposition de mariage de Füssli rencontra la désapprobation du père de cette femme. En outre, l'amour de Füssli semble ne pas avoir été payé de retour car elle a épousé un ami de la famille peu de temps après. Cette expérience a sans doute eu une influence sur Le Cauchemar qui peut être vu comme une représentation personnelle de l'amour perdu. L'historien d'art américain H. W. Janson suggère que la femme endormie représente Landholdt et que le démon serait Füssli lui-même. Au soutien de cette interprétation, il fait état du fait qu'au dos de la toile représentant Le Cauchemar figure le portrait non achevé d'une femme qui pourrait être Landholdt.

La peinture de Füssli a également été perçue comme une sublimation des instincts sexuels[2]. Certaines interprétations de cette peinture voient le démon comme symbole de la libido masculine, avec l'acte sexuel représenté par l'intrusion du cheval à travers le rideau[8]. Füssli lui-même n'a fourni aucun commentaire sur sa peinture.

The covent garden night mare
Thomas Rowlandson (1784)
Gravure à l'eau-forte colorée représentant, de manière satirique et caricatural, l'homme politique britannique Charles James Fox.

L'exposition à la Royal Academy a apporté à Füssli et à sa peinture une renommée persistante. L'exposition regroupait des œuvres de Füssli sur le thème de Shakespeare, ce qui lui a permis d'obtenir une commande pour réaliser huit tableaux pour la galerie Shakespeare de l'éditeur John Boydell[8].

Le Cauchemar a été largement plagié, et des parodies du tableau ont été réalisées souvent pour faire des caricatures politiques, comme ce fut le cas de George Cruikshank, Thomas Rowlandson et d'autres. Dans ces scènes satiriques, l'incube tourmente des personnages comme Napoléon Bonaparte, Louis XVIII, le politicien britannique Charles James Fox ou le premier ministre William Pitt. Dans l'une de ces caricatures, l'amiral Nelson est le démon, et sa maîtresse Emma Hamilton est la femme endormie[9]. Si certains observateurs ont considéré ces parodies comme une manière de se moquer de Füssli, il est plus probable que Le Cauchemar était simplement un support pour caricaturer des personnages.

Füssli a peint d'autres versions du tableau en raison du succès du premier. Il existe au moins trois versions qui ont survécu. L'une de ces toiles a été peinte entre 1790 et 1791 et est conservée au musée Goethe de Francfort. Elle est plus petite que l'original et la tête de la femme penche vers la gauche. Le démon regarde la femme et non vers l'extérieur, et il a des oreilles félines.

Notes et références

  1. L'histoire de la science-fiction gothique, Ellis Markman, Presse de l'université d'Edinbourg, 2000, pages 5-8
  2. a et b Eros dans l'œil de l'esprit : La sexualité et le fantastique dans l'art et le cinéma, Donald Palumbo, Greenwood Press, 1986, pages 40-42
  3. Rêves érotiques et cauchemars de l'antiquité à aujourd'hui, Charles Stewart, Journal de l'institut anthropologique royal, 2002.
  4. Kathleen Russo, Henry Fuseli dans le dictionnaire international de l'art et d'artistes de James Vinson, Saint-James Press, pages 598-99
  5. Fuseli and the 'Judicious Adoption' of the Antique in the Nightmare, Miles Chappell, The Burlington Magazine, Juin 1986, pages 420-422
  6. John Knowles, Vie et écrits d'Henry Fuseli, 1831, réédité par H. Colburn et R. Bentley en 2007
  7. Une contrepartie de la littérature imagée Gothique : "Le Cauchemar" de Füssli, John F. Moffitt, Mosaic, 2002, Université de Manitoba
  8. a et b L'art européen au XIXe siècle, 2ème Edition, Chu, Petra Ten-Doesschate, 2006, Prentice Hall Art, pages 81.
  9. Encyclopédie de l'ère romantique, 1760-1850, Christopher John Murray, 2004, Taylor et Francis, pages 810-11.

Annexes

Articles connexes

Bibliographie

  • Bernard Terramorsi, Portraits du revenant de poids. un aperçu du cauchemar en peinture, Le cauchemar. Mythe, folklore, littérature, arts, Paris, Nathan, 2003, p. 109-137  Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article


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