- Ocre
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L’ocre, (n.f), du grec ancien ὤχρα / ốkhra, est une roche ferrique composée d'argile pure (kaolinite) colorée par un pigment d'origine minérale (un hydroxyde de fer : l’hématite pour l'ocre rouge, la limonite pour la brune et goethite pour la jaune). Cette argile colorée est amalgamée aux grains de sable (quartz) et les ocres se trouvent dans le sol sous forme de sables ocreux composés à plus de 80 % de quartz.
En France, on en trouve en Bourgogne, dans les Monts de Vaucluse, le Colorado provençal ou à Roussillon. La dernière carrière encore en activité est celle de la Société des Ocres de France, située à Gargas et dont le siège social est à Apt.
L'ocre naturelle est utilisée comme pigment depuis la Préhistoire, comme à Lascaux. Elle est toujours appréciée pour sa non-toxicité et sa grande longévité en décoration, beaux-arts et maçonnerie.
Sommaire
Genèse de l’ocre
Au cours du Crétacé, il y a 110 millions d'années, à la période de l'Aptien, du nom de la ville d'Apt, un grès, constitué par des grains de sable s'accumule sur 30 mètres d’épaisseur[1].
Des débris organiques (coquilles de lamellibranches, d’oursins et de foraminifères) se mêlent à ces grains de quartz et paillettes de micas s’accumulant au fond d’une mer épicontinentale (peu profonde). Ces sédiments sableux se sont d'abord déposés en milieu marin proche des côtes, dans un environnement prodeltaïque, puis à la même époque le bombement dû au rapprochement de l'Ibérie, a fait émerger ces formations sédimentaires. Ces sables vont être à l'origine de l'ocre, grâce à une argile d'origine exclusivement marine et riche en fer la glauconie[1].
La glauconie, un minéral très particulier, caractéristique du milieu marin, se forme sur le fond de la mer. Cette variété d’argile verte contient dans son réseau cristallin des atomes de fer. Depuis les travaux du géologue Jean-Marie Triat[2], on sait qu'à la faveur de mouvements tectoniques ces dépôts sédimentaires marins ont été émergés. Sur le nouveau continent régnait, au Crétacé, un climat tropical, qui a provoqué d’intenses altérations latéritiques, dissolvant entre autres la glauconie et libérant les atomes de fer. Les ocres sont alors apparues grâce à la cristallisation d'un hydroxyde de fer, la goethite. L'altération a en même temps donné naissance à un silicate d’alumine, une nouvelle argile appelée kaolinite[3].
Depuis leur dépôt et leur exposition aux conditions atmosphériques, les strates d'ocre ont subi, par processus d'altération de type latéritique, une forte oxydation ayant conduit à la formation d'oxy-hydroxydes et d'oxydes de fer, respectivement appelés goethite (FeOOH) et hématite (Fe|2|O|3|), dont les proportions relatives font varier les nuances de couleurs que ces pigments confèrent aux sables ocreux. Il s'y mêle des sables blancs où domine la kaolinite (Al4Si4O10OH8)[1].
La présence de manganèse, d'aluminium et de silicates sont à l'origine d'autres gammes de couleurs et des 24 teintes officiellement recensées, qui vont du gris au vert, en passant par le jaune et le rouge[1]. Ces dépôts marins sont surmontés par des dépôts plus grossiers d'origine continentale, dépourvus initialement de glauconie et donc particulièrement blancs, eux-mêmes surmontés encore d'une cuirasse ferrugineuse. C’est ainsi que sont nées les ocres de Vaucluse et de Bourgogne, formations sableuses (grains de quartz) cimentées par une argile constituée de cristallites dont la taille est de l’ordre du micromètre : la kaolinite, support argileux essentiel et la goethite (pigment coloré). D'un point de vue chimique, l’ocre est un silicate d’alumine ferrugineux et siliceux.
Extraction
L’ocre est un matériau naturellement présent dans les argiles et le sol sous forme de sédiments, les « sables ocreux ». Les roches du Crétacé à nouveau recouvertes par des sédiments continentaux et marins après la formation des ocres sont revenues à l’affleurement grâce aux grands décapages quaternaires.
Lors de l’extraction, il est nécessaire de séparer l’ocre, très fine, des impuretés et du sable majoritaires (80 à 90 %). On utilise pour cela de l’eau courante : c’est le procédé de lévigation. Les particules colorantes plus légères sont ensuite filtrées et séchées.
Le lavage de l'ocre se faisait à grande eau par pompage. Un courant d'eau entraînait le minerai ocreux dans des batardeaux. Le sable se déposait par gravitation et l'ocre mêlée à l'eau était entrainée vers des bassins de décantation[4].
Ceux-ci, d'une contenance de 200 m³ permettaient de renouveler plusieurs fois l'opération avant d'être pleins. Cette technique perdura jusque dans les années 1960 avec un rendement de 200 kg au m³ de minerai. Elle impliquait d'attendre jusqu'au mois de mai pour que le dépôt ait pris une consistance ferme. Les mottes d'ocre étaient retirées et entassées autour des bassins afin de sécher au grand air[4].
- Mémoire de l'industrie ocrière au Conservatoire des ocres et pigments appliqués de Roussillon et au Musée de l'aventure industrielle d'Apt
Techniques artistiques
Les ocres jaunes (PY43 dans le Colour Index) et rouges (PR102) sont des pigments importants de la palette des artistes de toutes les époques. Grâce à leur coût modique, elles sont les rares pigments naturels encore présents dans les nuanciers de peintures, même si les fabricants tendent à les remplacer par des oxydes de fer synthétiques (PY42 ou PR101), plus réguliers et couvrants.
Le chauffage des pigments permet également d’obtenir une grande variété de nuances. Ainsi, les ocres jaunes après calcination à 700 °C se transforment en ocres rouges.
Comme le vin, les ocres possèdent leurs crus : les ocres jaunes peuvent être verdâtres ou orangées et donner des ocres rouges plus ou moins brunes et chaudes. Les qualités les plus claires sont aussi les plus transparentes.
La non-toxicité des ocres autorise leur emploi dans toutes sortes de techniques (huile, aquarelle, acrylique, pastel, tempera, fresque). Elles sont compatibles avec tous les liants (graisses animales, huiles végétales, eau…) et les autres pigments.
Usages picturaux, symboliques et médicaux
Des fragments d’ocres gravés datant de plus de 77 000 ans ont été mis au jour à Blombos, en Afrique australe. Les premières peintures pariétales européennes datent de 32 000 ans avant le présent ; celles de Lascaux ont près de 18 000 ans, celles d’Altamira entre 13 500 et 15 500. Les ocres sont quasiment inaltérables au cours du temps, ce qui explique la conservation de ces peintures.
Certaines statuettes féminines appelées « Vénus paléolithiques » présentent des dépôts de peinture. C'est le cas de la « Vénus impudique » de Laugerie-Basse en Dordogne ou de la Vénus de Laussel. D’autres présentent des gravures pouvant être interprétées comme des peintures corporelles : ponctuations sur la poitrine et le ventre, dessins de colliers ou de bracelets aux pieds ou aux chevilles…
L'ocre est également présente dans certaines sépultures préhistoriques.
Aujourd’hui, dans les cultures traditionnelles, l’ocre se rattache à la « Terre Mère ». Elle est utilisée lors de rituels liés à la mort (retour du corps à la terre) ou à la chasse. En Afrique, les couleurs rouge et ocre sont les couleurs de l’initiation. Chez les Amérindiens, le rouge est la couleur de la maturité et l’ocre celle de l’origine de l’Homme.
L'ocre peut aussi jouer un rôle fonctionnel ou prophylactique : certains groupes ethniques africains, notamment les Himbas, utilisent l'ocre rouge pour s'enduire le corps et se protéger de l'ardeur du soleil, de la sécheresse de l'air et des insectes. L’ocre a été utilisée en médecine, notamment en Égypte, pour ses propriétés apaisantes et cicatrisantes.
Elle a très longtemps été utilisée pour la conservation des peaux entre l’abattage et le tannage. Les embaumeurs égyptiens teignaient le corps des hommes avec de l’ocre rouge et celui des femmes avec de l’ocre jaune pour lutter contre le noircissement de la peau provoqué par le traitement.
Dans le Pays d'Apt (Vaucluse), l'ocre est exploitée depuis la fin du XVIIIe siècle. Jean-Étienne Astier, le premier fabricant d'ocre à Roussillon, y a inventé un traitement permettant d'extraire le pigment du sable. Il fallut quasiment un siècle pour que l’extraction et le raffinage des ocres parviennent à un stade industriel. Au début du XXe siècle, on produisait 36 000 tonnes d'ocre dans le Pays d'Apt, surtout dans les galeries de Gargas. 98 % de cette ocre partaient à l'exportation. Ce fut l'âge d'or des pigments ocreux, avec la conquête des marchés américain et russe. En 1890, 20 000 tonnes d'ocre furent commercialisées et le double en 1930[1].
Les ocres traitées étaient commercialisées en tonneaux à partir de la gare d'Apt. Ceux-ci étaient confectionnés en douves de pin cerclées de châtaignier. Destination et qualité de l'ocre étaient marquées au pochoir ou au fer rouge. Compte tenu de leur fragilité, ces fûts fabriqués sur place, n'étaient pas consignés[5].
Les usines se concentrèrent au plus près de la gare dans le faubourg ouest de la ville. Ce fut le cas de la Société des ocres de France, des usines Lamy et des Baumes, de l'usine Benoît, près du viaduc[6].
L'ocre a également été utilisée comme substance imperméabilisante, comme abrasif pour le polissage fin, et surtout comme agent colorant dans des domaines variés : alimentation, filtre de cigarettes, caoutchouc (les rondelles de bocaux sont encore traditionnellement rouges même si l'ocre n'est plus utilisée), produits cosmétiques, etc.[7].L'ocre est une pierre lourde, ce qui en fait un bon indicateur de présence d'or au fond des cours d'eau.
Bibliographie
- Cyprien-Prosper Brard, Minéralogie appliquée aux arts, Éd. F.G. Levrault, 1821, p. 455 à 465.
- Jacques Sintès, Les Ocres, Éd. Futura-Sciences.com, 2003 extraits en ligne
- Sandra Paëzevara et André Kauffmann, Apt, mémoires en images, Éd. Alan Sutton, Saint-Cyr-sur-Loire, 2010, (ISBN 9782813801920)
Notes et références
- Jacques Sintès, Les ocres, Futura-Sciences.com.
- Triat J.-M. (1982), Géologie des ocres de Provence : paléoaltérations dans le Crétacé supérieur de Provence rhodanienne, Mém. Sci. Géol. Strasbourg, n° 68, 202 p. (Thèse de Doctorat ès Sciences soutenue en 1979).
- Ocre : définition, histoire, géologie.
- Lavage de l'ocre
- Sandra Paëzevara et André Kauffmann, op. cit., p. 68.
- Sandra Paëzevara et André Kauffmann, op. cit., p. 73.
- Rustrel et le Colorado provençal
Voir aussi
Articles connexes
- Industrie de l'ocre en pays d'Apt
- Roussillon (Vaucluse)
- Colorado provençal
- Latérite
- Ocre rouge
- Ocre jaune
- Conservatoire des ocres et pigments appliqués
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