Lapidation

Lapidation
Martyre de saint Étienne. Panneau du retable dit de Jacob et Étienne, peint en 1506 par Marx Reichlich (de) (1460-1520)
(provient d'un monastère au Tyrol, exposé à la pinacothèque de Munich).

La lapidation, du latin lapis (pierre), donnant le verbe lapidare, littéralement « tuer à coups de pierres » est une forme d'exécution, couramment utilisée à l'époque préchrétienne dans tout le bassin méditerranéen. Il s'agit de la seule méthode d'exécution par torture physique encore employée légalement au XXIe siècle dans certains pays à majorité musulmane.

Sommaire

Histoire

En Grèce antique

La lapidation est une méthode d'exécution connue dès l'époque homérique, principalement liée aux crimes sexuels et aux blasphèmes[1] : dans la mythologie grecque, Ajax fils d'Oïlée échappe de peu à la lapidation après qu'il a tenté de violer Cassandre réfugiée auprès de l'autel d'Athéna[2]. Après avoir découvert qu'il a tué son père et épousé sa mère, Œdipe souhaite mourir lapidé, mais ne trouvant personne autour de lui pour ce faire, se résout à se crever les yeux[3]. Toutefois, la lapidation n'est pas couramment employée à l'époque archaïque et inspire plutôt une certaine répulsion : Eschyle la classe avec la décapitation, l'énucléation ou l'empalement comme les marques d'une « justice d'abattoir », propre aux Euménides non civilisées[4].

De nombreux tyrans grecs sont lapidés : Koes à Mytilène (Hérodote, V, 38), Mennès à Cumes (Nicolas de Damas, fragment 52), Néarque à Élée (Diogène Laërce, IX, 26 et Valère Maxime, III, 3, 2), Phalaris à Akragas (Valère Maxime, III, 3, 2).

Une autre occurrence de lapidation historique remonte aux Guerres médiques, en 479 av. J.-C. : l'Athénien Lycidès[5] est lapidé par les participants à la Boulè (assemblée) quand il propose d'approuver la demande de reddition envoyée par le Perse Mardonios. Hérodote présente la lapidation comme un acte spontané de la foule en colère, mais chez Lycurgue[6], un siècle plus tard, il résulte d'un décret (psēphisma) pris formellement par les membres de l'Assemblée, qui retirent les couronnes symbolisant leur fonction avant d'y procéder. On a suggéré que les Athéniens avaient réinterprété a posteriori un lynchage en acte légal et rituel[7]. Par la suite, la lapidation à Athènes est liée aux cas de trahison (prodosia) : ainsi, Alcibiade, cousin de l'Alcibiade compagnon de Socrate est condamné à mort en même temps que ce dernier pour la profanation des Mystères d'Éleusis. Il s'enfuit et rejoint les Syracusains, adversaires d'Athènes. Capturé à bord d'un vaisseau ennemi, il est lapidé immédiatement, sur ordre du stratège Thrasyllos[8].

Chez les Juifs

Jésus empêchant la lapidation de la femme adultère (Le Guerchin, 1621)

La lapidation est citée dans l’Ancien Testament et le Talmud comme peine capitale pour plusieurs crimes : l'adultère[9], l'adoration d'autres dieux[10],[11], la désobéissance à ses parents[12], le blasphème[13] ou l'évocation d'esprits[14]. Elle est appliquée à plusieurs reprises, par exécution légale ou sommaire. Ainsi, Naboth est victime d'une fausse accusation de blasphème de Jézabel et meurt lapidé[15].

La lapidation est également évoquée par le Nouveau Testament : Jésus empêche celle d'une femme adultère et demande à ses accusateurs : « Que celui d'entre vous qui est sans péché lui lance la première pierre ! »[16]. Le Talmud raconte que Jésus aurait failli subir la lapidation[17]. Étienne le proto-martyr est le plus connu de toutes les personnes lapidées.

Chez les musulmans

Le Coran ne mentionne la lapidation[18] dans aucun de ses textes. En revanche, les hadiths, lois islamiques, citent la lapidation comme châtiment de l'adultère pour un homme marié ou une femme mariée ayant eu un rapport sexuel hors mariage, si et seulement si quatre témoins ont clairement vu l'adultère[19]. Celui ou celle qui accusera un homme ou une femme d'adultère sans trois autres témoins, est puni de quatre-vingt coups de fouet pour avoir voulu salir la réputation d'un homme ou d'une femme (Coran 24 :4).

Généralement, cette forme d'exécution est publique.

En outre, la lapidation de Satan est une cérémonie symbolique pratiquée par les musulmans lors du pèlerinage à la Mecque, le Hajj.

À l'époque contemporaine

La mort par lapidation est un supplice auquel recourent encore certains pays où est appliquée la charia : le Nigeria, l'Arabie saoudite, l'Iran, le Soudan, l'Afghanistan, le Pakistan, les Émirats arabes unis, le Yémen[20]. Des cas de lapidation ont aussi été signalés au Kurdistan irakien et au Népal (commis par la guérilla maoïste népalaise). La condamnation à mort de Amina Lawal au Nigeria a été très médiatisée.

En août 2010, une pétition de personnalités françaises, ainsi qu’une concertation entre les membres de l'Union européenne, ont lieu afin d’empêcher la lapidation d’une Iranienne accusée d'adultère et complicité dans le meurtre de son mari, Sakineh Mohammadi Ashtiani[21],[22],[23]. Cependant, les charges retenues contre Sakineh sont complicité de meurtre, étant donné que les charges pour adultère ont été annulées, car l'adultère a été avéré par les proches, mais en aucun cas prouvé par quatre témoins occulaires. À ce jour, Sakineh encourt la peine de mort par pendaison.

En Arabie saoudite

En Arabie saoudite, tout acte de sodomie commis par un non-musulman avec un musulman est passible de la lapidation[24],[25].

En Iran

Le droit positif

En Iran, la peine de lapidation est expressément prévue par le code pénal iranien dans les articles 99 et suivants. L'article 104 du Code pénal iranien dispose que les pierres doivent être assez petites pour ne pas tuer instantanément. Depuis 2002, une stricte application de la loi est demandée, la Cour suprême iranienne doit confirmer l'existence de toutes les conditions requises.

Selon Amnesty International, trois personnes ont été lapidées en 2006-2007, et en janvier 2008 neuf femmes et deux hommes condamnés à être lapidés attendaient l'exécution de leur peine[26].

Réaction du gouvernement iranien

Les autorités iraniennes nient utiliser la peine de lapidation ou condamner des mineurs et considèrent cela comme de la propagande occidentale. Nonobstant les lois spécifiques inscrites dans le code pénal iranien, et les faits avérés, certains responsables iraniens tentent de minimiser, en affirmant que même si une condamnation de lapidation est prononcée par une cour de justice, elle est annulée par une haute cour de justice[27].

Au Kurdistan irakien

En 2007, Du’a Khalil Aswad, une jeune fille de 17 ans membre d'une tribu de Yézidi, non musulmane, fut lapidée au Kurdistan irakien à la demande de son oncle car celle-ci était tombée amoureuse d'un musulman. Ce lynchage qui n'est pas conforme au droit musulman, a été fait en présence de policiers du gouvernement régional du Kurdistan autonome. Toute la scène a été filmée à l'aide de téléphones portables et diffusée sur Internet[28].

Lutte contre la lapidation

La lapidation est condamnée par de nombreux groupes, religieux ou laïques, pour des raisons diverses. Certains groupes, comme Amnesty International et Human Rights Watch, sont opposés à toute forme de peine de mort. Depuis 2005, le théologien musulman Tariq Ramadan se prononce pour un moratoire sur la lapidation et la peine de mort dans le monde musulman[29].

Cette lutte est réactivée en août 2010 par les réactions à la condamnation de Sakineh Mohammadi Ashtiani.

Notes et références

  1. Deborah T. Steiner, « Stoning and Sight: A Structural Equivalence in Greek Mythology Stoning and Sight: A Structural Equivalence in Greek Mythology », CA 14/1 (avril 1995), p. 200 [193-211].
  2. Résumé du Le Sac de Troie par Proclus, EGF I, 49 Kinkel et Pausanias, Description de la Grèce [détail des éditions] [lire en ligne], X, 31, 2.
  3. Sophocle, Œdipe à Colone [détail des éditions] [lire en ligne], 434-436.
  4. Eschyle, Euménides [détail des éditions] [lire en ligne], 187-191.
  5. Nom donné par Hérodote, Histoires [détail des éditions] [lire en ligne], IX, 5 ; Démosthène Sur la couronne = XVIII, 204 donne au personnage le nom de Cyrsilos.
  6. Lycurgue, Contre Léocratès, 122.
  7. Vincent J. Rosivach, « Execution by Stoning in Athens », CQ 6/22 (octobre 1987), p. 238-239 [232-248].
  8. Xénophon, Helléniques [lire en ligne], I, 2, 10-13.
  9. Deutéronome XXII,22-29.
  10. Deutéronome XIII,6-10.
  11. Lévitique XX,2
  12. Deutéronome XXI,20-21.
  13. Lévitique XXIV,14 et 16.
  14. Lévitique XX,27
  15. 1 Rois XXI,1-14
  16. Jean VIII,2-11
  17. Sanhédrin, 43a
  18. En arabe, رجم [rajm], littéralement « caillassage ».
  19. Aboubaker Djaber Eldjazaïri, "La voie du musulman", éd. Maison d'Ennour, p.539
  20. (en) Elyse Semerdjian, "Off the straight path": illicit sex, law, and community in Ottoman Aleppo, Syracuse, Syracuse University Press, 2008, 1re éd., 274 p. (ISBN 978-0-8156-3173-6) (LCCN 2008043095) [lire en ligne], p. 185 
  21. Site internet du journal libération consulté le 16 aout 2010.
  22. Site internet du journal Le Point consulté le 16 aout 2010.
  23. Site internet TF1-LCI consulté le 16 aout 2010.
  24. Anne Chemin, « Mobilisation mondiale contre la pénalisation de l'homosexualité », 17.5.2009. Consulté le 4.6.2009
  25. (en) [PDF] Daniel Ottosson, « State-sponsored Homophobia », International Lesbian and Gay Association (ILGA), mai 2008, p. 33. Consulté le 19.6.2009
  26. Amnesty demands Iran ends 'grotesque' stoning executions, Ian Black, The Guardian, 15/1/2008.
  27. Iran denies execution by stoning, BBC, 11/1/2005
  28. Giawdat Sofi, « Tuée pour l'honneur », Télévision suisse romande, 21 août 2008. Consulté le 28 août 2010
  29. http://www.tariqramadan.com/Appel-international-a-un-moratoire.html

Annexes

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