Jésus dans l'Islam

Jésus dans l'Islam

Îsâ

Îsâ[1] (ʿīsā, عيسى, Jésus), est le nom sous lequel est connu Jésus de Nazareth dans l'islam. Il y est considéré comme étant l'un de ses prophètes et le Messie.

La façon dont le Coran présente Jésus est en forte opposition avec celle des courants chrétiens trinitaristes. Îsâ dans le Coran serait plus proche de celui du judéo-nazaréisme, une secte juive qui reconnaît Jésus[2], distincte de l'évolution des dogmes que suivra le christianisme

Sommaire

Dans le Coran

Sa famille

Îsâ est un personnage indissociable dans les textes coraniques de sa mère Maryam (Marie)[3]. Il est ainsi souvent désigné sous le nom de al-Masïh (le Messie)[4] `Îsâ ibn Maryam (Jésus fils de Maryam) présenté avec celle-ci comme modèles à suivre[5].

Îsâ fait partie des prophètes dits famille de 'Îmran avec sa mère, son cousin Yahyâ (Jean le Baptiste) et le père de celui-ci Zacharie[6]. La foi populaire musulmane accorde une grande importance à Îsâ et Maryam[7] tandis Îsâ, tourné vers la beauté du monde, apparait par ailleurs souvent avec son cousin Yahyâ, ascète radical, avec lequel il forme une façon de « gémellité spirituelle permanente[8] ».

L'insistance marquée sur la filiation à Maryam est un clair rejet de la filiation divine de Îsâ ; néanmoins, la tradition musulmane souligne le caractère miraculeux de sa naissance virginale sans père connu, Joseph étant considéré comme un cousin de Maryam. Selon la tradition musulmane, Îsâ est en effet créé par le kun (le « Sois ! »), l'« impératif divin », et conçu par un rûh de Dieu, souffle divin intemporel insufflé en Maryam, le même souffle qui anime Adam et transmet la révélation à Mahomet[9],[10].

Prophète

Miniature persane représentant Jésus lors du sermon sur la montagne

Dans le Coran, Îsâ apparait comme un prophète, annonciateur de Mahomet, qui prêche le monothéisme pur, accomplit des miracles, opère des guérisons, ressuscite les morts et connait les secrets du coeur. Îsâ confirme la Torah, dont il atténue les prescriptions légales[11], tandis que son Écriture, contenue dans l'Injil (les Évangiles), est présentée comme une « guidance et une lumière[12] » que les chrétiens auraient négligées. Ibn Arabi lui confère le titre de « sceau de la sainteté », « le plus grand témoin par le coeur », tandis que Mahomet est le « sceau des prophètes », « le plus grand témoin par la langue[13] ». Sa prédication auprès des juifs aurait été un échec[14] et il est suivi des seuls apôtres. Les juifs auraient alors voulu le punir en le crucifiant mais Dieu ne l'a pas permis et lui aurait alors substitué un sosie[15] avant de le rappeler à lui[16]. Néanmoins la fin terrestre de Îsâ reste obscure, aucun passage ne signifiant clairement ce qu'il en est advenu.

La représentation de Îsâ dans le Coran lui confère également une dimension eschatologique[17] : son retour sur terre, en tant que musulman, est le signe de la fin du monde et du Jugement dernier tandis que beaucoup de hadiths le présentent comme le principal compagnon du Mahdi, Sauveur de la fin des temps[18].

Ce que Îsâ n'est pas

En définitive, on trouve dans le Coran quatre négations catégoriques concernant Îsâ, par crainte d'associationnisme (shirk)[19] : il n'est ni Dieu, ni son fils, ni le troisième d'une triade — la Trinité étant assimilée au polythéisme —, pas plus qu'il n'a été crucifié[20] car cela aurait été « indigne » d'un prophète de son importance[21]. L'islam considère Jésus comme un prophète parmi tant d'autres, il n'y a aucune différences entre les prophètes de Dieu[22].

La crucifixion

Jésus de Nazareth n'est pas crucifié selon la tradition musulmane. L'historien traditionaliste Tabarî (839-923) raconte à propos de la crucifixion l'épisode suivant : « Les juifs traînèrent Îsâ à un endroit où ils avaient préparé une croix pour le crucifier, et un grand nombre de juifs se rassemblèrent autour de lui. Ils avaient un chef nommé Yesûʿa, qui était également parmi eux. Quand ils voulurent attacher Îsâ à la croix, Dieu l'enleva à leurs regards et donna la forme et l'aspect de `Îsâ à Yesûʿa, leur chef. […] Quand ils regardèrent, ils virent Josué entièrement ressemblant à Îsâ, et ils le saisirent. Il dit : "Je suis Josué". Ils répondirent : "Tu mens ; tu es Îsâ, tu t'es dérobé à nos regards par la magie ; maintenant la magie est passée et tu es devenu visible". Il protesta en vain qu'il était Josué ; ils le tuèrent et l'attachèrent à la croix.Quant à Îsâ, Dieu l'éleva, au ciel comme il est dit dans le Coran : "Ils ne l'ont pas tué et ils ne l'ont pas crucifié, mais ce n'était qu'un faux-semblant". (Coran IV, 157)[23] ».

Dans les différentes traditions

Dans l'ahmadisme

Une minorité musulmane résidant dans les montagnes du Kashmir, les Ahmadis vouent à Jésus un culte tout comme aux saints de l'islam autour d'un tombeau qu'elle dit être celui de Jésus. Le lieu de culte est situé à Srinagar. Ce courant développe une christologie particulière selon laquelle Jésus est un prophète de Dieu qui aurait été déposé de la croix en état de coma et non mort et, une fois soigné, serait venu finir sa vie au Kashmir jusqu'à 80 ans[24]. Cette doctrine est celle de l'« évanouissement ».

Notes

  1. le Coran utilise « `Îsâ » (عيسى) pour nommer Jésus de Nazareth, alors que les Arabes chrétiens et la Bible en arabe le nomment « Yasû`a » (يسوع, dans l'Évangile de Mathieu en arabe, par exemple). E-M Gallez fait lui le rapprochement avec l'écriture arabe du nom d'Esau, in Le messie et son prophète, Aux origines de l'islam , 2 vol., éd. de Paris, sept. 2005.
  2. Un christianisme dissident, proche du docétisme, sans rapport avec la dogmatique développée par le christianisme du IVe au VIe siècle. Alfred Louis de Prémarre, Les Fondations de l'Islam : Entre écriture et histoire, signale que ce phénomène tient à l'« accueil des dissidents dans les territoires où se développera l'islam ».
  3. Marie-Thérèse Urvoy, article « Jésus » in M. Ali Amir-Moezzi (dir.) Dictionnaire du Coran, éd. Robert Laffont, 2007, pp 438-441.
  4. L'Oint (ou le Voyageur)
  5. Marie-Thérèse Urvoy, ibid.
  6. Pierre Lory, article « Jean-Baptiste » in M. Ali Amir-Moezzi (dir.) Dictionnaire du Coran, éd. Robert Laffont, 2007, p. 435
  7. On les retrouve dans les sourates 3, 4, 5, 19, 21, 23, 43 et 61.
  8. Pierre Lory, article « Jean-Baptiste », op. cit.
  9. Marie-Thérèse Urvoy, article « Jésus », op. cit., p. 440
  10. Ainsi la sourate 4.171, dit : « Le Messie Jésus, fils de Marie, n'est qu'un Messager d'Allah, Sa parole qu'Il envoya à Marie, et un souffle (de vie) venant de Lui. Croyez donc en Allah et en Ses messagers. Et ne dites pas “Trois”. Cessez ! Ce sera meilleur pour vous. Allah n'est qu'un Dieu unique. Il n'est pas engendré par Allah, mais placé dans le ventre de Marie par un ordre de Dieu ». La sourate 19.35 : « Il ne convient pas à Allah de S'attribuer un fils. Gloire et Pureté à Lui ! Quand Il décide d'une chose, Il dit seulement : “Sois ! ” et elle est. »
  11. Sourate 3,50, cité par Marie-Thérèse Urvoy, op. cit., p. 439
  12. Sourate 5,46, cité par Marie-Thérèse Urvoy, op. cit.
  13. Marie-Thérèse Urvoy, op. cit., p. 440
  14. Sourate 4, 65, cité par Marie-Thérèse Urvoy, op. cit., p. 439
  15. « Son sosie a été substitué à leurs yeux » (d'après Tabari, La Chronique, De Salomon à la chute des Sassanides, Éditions Actes Sud ((ISBN 2-7427-3317-5)) p. 114) ou encore « ils ont été victime d'une illusion », cité par Marie-Thérèse Urvoy, op. cit., p. 439
  16. Sourate 4, 157
  17. Marie-Thérèse Urvoy, op. cit., pp. 439, 441
  18. Sur le Mahdi, les traditions sunnites et chiites divergent, les chiites n'attendant que son retour -Imam caché tandis que pour les sunnites, il n'y a « nul autre mahdî si ce n'est Jésus ».
  19. Marie-Thérèse Urvoy, op. cit., p. 440
  20. La Sourate 4,157 dit : « ... et à cause leur parole : "Nous avons vraiment tué le Christ, Jésus, fils de Marie, le Messager d'Allah"... Or, ils ne l'ont ni tué ni crucifié ; mais ce n'était qu'un faux semblant ! Et ceux qui ont discuté sur son sujet sont vraiment dans l'incertitude : ils n'en ont aucune connaissance certaine, ils ne font que suivre des conjectures et ils ne l'ont certainement pas tué. »
  21. Marie-Thérèse Urvoy, op. cit., p. 440
  22. Coran (Sourate:5 verset:75, Le Messie, fils de Marie, n’était qu’un Messager. Des messagers sont passés avant lui...
  23. Tabarî, La Chronique, De Salomon à la chute des Sassanides, Éditions Actes Sud, p. 114
  24. Where did Jesus Die? Ahmadiyya Muslim Community Official website

Bibliographie

  • Alfred Louis de Prémarre, Les Fondations de l'Islam : Entre écriture et histoire, éd. Seuil, 2002, 2. vol.

Sources

  • Marie-Thérèse Urvoy, article « Jésus », in M. Ali Amir-Moezzi (dir.), Dictionnaire du Coran, éd. Robert Laffont, 2007, p. 438-441.
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