Iphigénie en Tauride (Gluck)

Iphigénie en Tauride (Gluck)
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Iphigénie en Tauride est un opéra en quatre actes de Christoph Willibald Gluck sur un livret de Nicolas-François Guillard, représenté pour la première fois à l'Académie Royale de Musique (Opéra national de Paris) le 18 mai 1779.

Sommaire

Historique

Dès 1776, Alphonse du Congé Dubreuil, qui avait écrit un livret d'opéra sur le sujet d' Iphigénie en Tauride, proposa à Gluck de le mettre en musique. Celui-ci, de retour à Vienne, déclina l'offre en indiquant qu'il avait déjà reçu des propositions concernant le même sujet. Lorsqu'il revint à Paris en 1777-1778, Dubreuil renouvela ses démarches mais sans succès. À cette date, Gluck travaillait déjà sur le livret de Guillard, infiniment supérieur à celui de Dubreuil.

Dubreuil envoya alors son livret au directeur de l'Opéra, Anne-Pierre-Jacques Devismes, qui le confia au rival de Gluck, Piccinni, en lui disant qu'il souhaitait acclimater en France l'usage italien de confier le même sujet à deux compositeurs. Piccinni objecta que les livrets étaient différents et que, compte tenu des préventions qui existaient contre lui, son opéra ne pourrait se soutenir que s'il était donné avant celui de Gluck. Devismes le lui promit et Piccinni se mit au travail. Mais, peu après, il apprit que Gluck avait presque terminé son Iphigénie qui ne tarderait pas à être jouée. En définitive, l'opéra de Piccinni ne fut joué que quelques années plus tard.

Les répétitions de l'opéra de Gluck furent suivies avec passion. Le jour de la première, le 18 mai 1779, Marie-Antoinette vint en personne à l'Opéra où elle fut reçue selon le cérémonial ancien, précédée jusqu'à sa loge par les directeurs de l'Opéra porteurs de flambeaux. La distribution était particulièrement brillante : Le Vasseur était une Iphigénie hors pair, la tessiture aiguë de Larrivée convenait parfaitement au rôle difficile d'Oreste, Legros prêtait son admirable voix de haute-contre à Pylade, tandis que Moreau incarnait Thoas. Les ballets avaient été réglés par Noverre.

L'œuvre remporta un très grand succès. À un spectateur qui y trouvait de beaux morceaux, l'abbé Arnaud répliqua : « Il n'y a qu'un beau morceau, c'est l'opéra tout entier ! » Un jeune architecte nommé Claude Philibert Coquéau publia une brochure intitulée Entretiens sur l'état actuel de l'Opéra de Paris, où l'on soupçonna la griffe de Marmontel, Saint-Lambert et Morellet, et dans laquelle Gluck était attaqué. Suard répliqua vertement dans le Mercure, dont l'éditeur, Charles-Joseph Panckoucke, amputa la réplique de Coquéau. Malgré ces polémiques, l'opéra resta au répertoire de l'Académie royale de Musique et en était à sa quatre-vingt-dixième représentation parisienne à la mort de Gluck en 1787.

Le public parisien réclama un ballet final. Noverre proposa à Gluck de terminer par un divertissement dansé, Les Scythes enchaînés à qui l'on rendait la liberté. Bien qu'opposé en principe à ce type de conclusion – pour lui un opéra devait se terminer sur des paroles – Gluck accepta et François-Joseph Gossec fut chargé de composer la musique. Rapidement, toutefois, ce ballet fut supprimé.

Représentations successives

Créée à Paris, à l'Académie Royale de Musique le 18 mai 1779, elle revient à Paris en 1829 pour une 408e représentation déjà[1]. Après avoir été donnée au Théâtre de la Ville (Théâtre-Lyrique) en 1868, au Théâtre de la Renaissance en 1899 et à l'Opéra-Comique en 1900, elle revient à l'Opéra Garnier en 1931 sous la direction de Pierre Monteux[2], en 1965, en 1984, puis en 1995 sous la direction de Graeme Jenkins. Enfin en 2005, on entend à Garnier Susan Graham dirigée par Minkowski.

Iphigénie en Tauride reçut sa première au Metropolitan Opera de New York le 25 novembre 1916 sous la direction d'Artur Bodanzky. Le rôle titre était tenu par Melanie Kurt, celui d'Oreste par Hermann Weil. Cette représentation fut en même temps la première de cet opéra aux États-Unis. Recevant seulement cinq représentations cette saison, l'opéra de Gluck était chanté en allemand dans une version et une traduction de Richard Strauss sous le titre de Iphigenie auf Tauris[3]. Iphigénie ne revint pas au Metropolitan Opera avant 2007. Cette nouvelle mise en scène est due à Stephen Wadsworth, en co-production avec l'opéra de Seattle. Le chef d'orchestre Louis Langrée fit ses débuts avec la première, le 27 novembre, d'une série de huit représentations. Susan Graham chanta Iphigénie, avec Plácido Domingo le rôle de baryton d'Oreste. La représentation du 8 décembre a été diffusée en direct sur les radios du monde entier. L'œuvre a été reprise pour la saison 2010-2011 avec les mêmes deux chanteurs dans les rôles principaux et Patrick Summers comme chef d'orchestre. La représentation du 26 février 2 011 a été diffusée sur les radios et retransmise du Met en direct et en haute définition dans les cinémas du monde entier.

De la traduction italienne signée en 1783 par Lorenzo da Ponte,[4] est restée « mémorable la production du Teatro alla Scala de 1957, sous la direction de Nino Sanzogno, mise en scène de Luchino Visconti et avec Maria Callas dans le rôle titre »[5]. Lors de cette production on réalisa également l’enregistrement phonographique de la représentation du 1er juin, qui est à présent disponible en CD[6].

Argument

Le livret de Guillard est inspiré de l'Iphigénie en Tauride de Claude Guimond de La Touche, elle-même inspirée d'Euripide. C'est une tragédie austère, dépourvue d'amour, bien faite pour incarner l'idéal sévère de Gluck, celui de la tragédie grecque mise en musique. C'est Gluck lui-même qui, contrairement aux usages, limita à quatre le nombre des actes. Le résultat est un ouvrage extrêmement équilibré : une brève « symphonie » qui n'est pas une ouverture car elle fait déjà partie du premier acte et quatre actes de durée sensiblement égale pour un ensemble d'approximativement deux heures.

Distribution

Rôle Tessiture Créateur du rôle
Iphigénie, prêtresse de Diane soprano Rosalie Levasseur
Oreste, son frère, roi d'Argos et de Mycènes baryton Henri Larrivée
Pylade, ami d'Oreste, roi de Phocis ténor Joseph Legros
Thoas, roi de Tauride basse Jean-Pierre Moreau
Diane soprano Châteauvieux

Instrumentation

Orchestre en fosse de Iphigénie en Tauride [7]
Cordes
Premiers violons, seconds violons, altos, violoncelles, contrebasses,
Bois
piccolo,

2 flûtes traversières,

2 hautbois,

2 clarinettes,

2 bassons,

Cuivres
2 cors,

2 trompettes,

3 trombones,

Percussions
timbales,

triangle,

tambour,

tambourin,

cymbales

Argument

Acte I

La scène représente un bois sacré : au fond, le temple de Diane ; dans le lointain, la mer farouche.

La symphonie allegro moderato qui ouvre la partition met immédiatement le spectateur de plain-pied avec l'opéra, conformément aux conceptions de Gluck : quelques mesures solennelles piano, censées décrire une « tempête au loin », créent une atmosphère de gravité qui donne d'emblée le ton de l'ouvrage ; puis les altos et les basses, les hautbois entrent en scène pour montrer l'orage qui se rapproche et qui éclate enfin fortissimo au tutti (moins les petites flûtes) avant de redoubler de violence. Au milieu des rafales de la tempête s'élève le chant des prêtresses de Diane qui entonnent le chœur « Grands dieux soyez nous secourables ! »

Puis l'orage s'apaise brusquement tandis qu'Iphigénie entame le récitatif : « Le calme reparaît, mais au fond de mon cœur, Hélas ! l'orage habite encore. » L'agitation de l'orchestre figure cette agitation intérieure, selon un procédé très expressif qui sera repris au deuxième acte avec le récitatif d'Oreste : « Le calme rentre dans mon cœur ». Iphigénie évoque ensuite le cauchemar qu'elle a fait pendant la nuit (« Cette nuit j'ai revu le palais de mon père... ») : elle a vu son père Agamemnon assassiné par sa mère Clytemnestre, et s'est vue tuer son frère Oreste . Iphigénie chante alors une magnifique aria : « Ô toi qui prolongeas mes jours... », l'un des sommets de la partition, reprise par le chœur des prêtresses.

Paraît le roi des Scythes, Thoas, qui chante l'air célèbre et souvent imité : « De noirs pressentiments, mon âme intimidée... », dans lequel il explique que, depuis qu'un oracle lui a prédit qu'il serait tué par un étranger, toute personne abordant en Tauride doit être mise à mort. C'est en fait une déclamation sur une seule note, mais qui produit un effet extraordinaire, évoquant parfaitement la folie obsessionnelle du personnage. Les Scythes exécutent alors un chœur accompagné d'une danse barbare (« Il nous fallait du sang pour expier nos crimes... »), dont la couleur sombre et sauvage est superbement rendue par un rythme saccadé et une puissante orchestration avec cymbales, tambourins, triangle et petites flûtes.

On amène deux étrangers que la tempête a jetés sur le rivage (il s'agit d'Oreste et de Pylade). Ils refusent de répondre aux questions de Thoas qui les condamne à mort. L'acte se conclut sur la reprise de la danse des Scythes.

Acte II

Dans un appartement intérieur du temple destiné aux victimes

Oreste et Pylade sont enchaînés en attendant d'être mis à mort. Ils dialoguent dans un sombre récitatif, souligné par les hautbois et les bassons. Dans un air énergique, Oreste supplie les dieux de le tuer (« Dieux qui me poursuivez, dieux, auteurs de mes crimes... »).

Pylade proteste dans un splendide récitatif suivi d'une aria da capo : « Quel langage accablant pour un ami qui t'aime... Unis dès la plus tendre enfance... ». C'est un morceau d'une très grande noblesse de sentiments et d'expression, l'un des plus beaux airs de Gluck, admirablement souligné au basson.

On sépare les deux amis, et Oreste, après avoir supplié les dieux de l'écraser, s'apaise et chante l'aria : « Le calme rentre dans mon cœur » ; mais l'agitation de l'orchestre, sur un rythme syncopé, dément les paroles et souligne son trouble. Accablé, il s'endort. Surgissent alors les Euménides qui l'entourent et dansent autour de lui un ballet-pantomime terrifiant. À cinq reprises, elles répètent : « Il a tué sa mère », dans la lugubre tonalité de ré mineur. C'est une scène d'une très grande force dramatique, l'une des plus terrifiantes de Gluck.

Iphigénie entre, et Oreste, halluciné, la prend pour Clytemnestre. Ici, Guillard, à la demande expresse de Gluck, a supprimé la césure qui, dans la pièce de Guimond de La Touche, sépare la scène des Euménides à la fin de l'acte II et cette fausse reconnaissance au début de l'acte III : c'est ce qui explique que l'opéra, fait très inhabituel, ne compte que quatre actes. Le rapprochement des deux scènes produit un effet d'une immense intensité dramatique.

En réponse aux questions d'Iphigénie, Oreste rapporte l'épouvantable histoire des Atrides. Terrifiée, Iphigénie chante une grande aria da capo : « Ô malheureuse Iphigénie ! » dans laquelle elle pleure la perte de toute sa famille. Cet air est considéré comme le plus beau de tout l'opéra et l'un des chefs d'œuvre de Gluck.

Au lieu de terminer l'acte sur ce sommet musical, Gluck introduit la reprise d'un chœur de son Iphigénie en Aulide, « Que de grâce, que d'attraits ». Mais autant cet air est gai et entraînant dans la première Iphigénie autant dans la seconde, oscillant du majeur au mineur, il devient grave et solennel. La question de savoir s'il s'agit d'une simple facilité ou bien d'un véritable rappel de thème est ouverte.

Acte III

L'appartement d'Iphigénie

Musicalement, l'acte III est le moins intéressant de la partition. Il commence par un air d'Iphigénie (« D'une image, hélas ! trop chérie »), introduisant la scène dans laquelle elle s'entretient avec Oreste et Pylade et déclare qu'elle peut sauver l'un des deux. Les deux amis se disputent alors pour savoir lequel des deux va mourir pour sauver l'autre. En définitive, c'est Pylade qui doit partir, muni d'un message qu'Iphigénie destine à sa sœur Électre. Mais il décide de rester pour sauver Oreste : l'acte se conclut sur l'air par lequel il implore les dieux de lui porter assistance (« Divinité des grandes âmes »). L'enthousiasme qui le transporte laisse pressentir le dénouement heureux de la pièce.

Acte IV

L'intérieur du temple de Diane

Au moment de sacrifier Oreste, Iphigénie est prise entre son devoir et la répugnance qu'il lui inspire. Elle chante un air « Je t'implore et je tremble, ô déesse implacable ! » puis les prêtresses de Diane entonnent le chœur « Chaste fille de Latone », repris de Philémon et Baucis et dont la musique accompagne désormais un cantique dans la liturgie anglicane.

Au moment où elle va sacrifier Oreste, celui-ci dit : « Ainsi tu péris en Aulide, Iphigénie, ô ma sœur ! ». Simplement parlée à la faveur d'une interruption de la musique, cette phrase produit un grand effet dramatique avec une extrême économie de moyens. Iphigénie tombe dans les bras de son frère et chante sa joie.

Thoas, qui a eu vent de la fuite de Pylade, arrive pour s'assurer de l'exécution du sacrifice. Les prêtresses de Diane défendent Oreste. Pylade arrive à la tête d'une troupe de Grecs, met à mort Thoas et combat avec les Scythes. Diane apparaît qui pardonne à Oreste le meurtre de sa mère, l'invite à retourner à Mycènes pour y succéder à Agamemnon et enjoint aux Scythes de rendre aux Grecs sa statue, objet initial du voyage d'Oreste et Pylade. L'opéra se termine sur un chœur de liesse accompagné de trompettes et de timbales : « Les dieux, longtemps en courroux, ont accompli les oracles… ».

Articles connexes

Notes

  1. Théodore de Lajarte, Bibliothèque Musicale du Théâtre de l'Opéra. Catalogue Historique, Chronologique, Anecdotique, Parigi, Librairie des bibliophiles, 1878, Tome I, p. 309 (accessible gratuitement en ligne en scribd.com)
  2. (en) Spire Pitou, The Paris Opéra. An Encyclopedia of Operas, Ballets, Composers, and Performers – Rococo and Romantic, 1715-1815, Westport/London, Greenwood Press, 1985, p. 289 (ISBN 0-313-24394-8)
  3. Opera News Magazine: « Billed as Iphigenia auf Tauris, ... »
  4. (it) Gherardo Casaglia, Almanacco, ad nomen, «Amadeusonline», Paragon
  5. (it) Il dizionario dell'opera (article: Iphigénie en Tauride), «del Teatro», Baldini Castoldi Dalai editore
  6. (en) Operadis discography, accès 23 aout 2011
  7. source: partition originelle imprimée, Iphigénie en Tauride, Tragédie en quatre Actes, Parigi, Deslauriers, 1779 (accessible gratuitement en ligne in erato.uvt.nl)

Wikimedia Foundation. 2010.

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