- Ion (Dialogue de Platon)
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Ion (Platon)
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D’après quelques détails présents dans le texte, notamment à propos de la domination des Athéniens sur Éphèse ou du nom de certains généraux étrangers recrutés par Athènes, le dialogue semble se dérouler vers 401 av. J.-C.
Personnages
- Socrate ;
- Ion : Ion est un rhapsode, c’est-à-dire un artiste allant de ville en ville pour réciter des poèmes épiques à la population. Il est originaire de la cité d’Éphèse, sous domination athénienne. Ion vient de remporter le prix de la récitation aux jeux d’Épidaure pour son excellente connaissance d’Homère, et en tire une incommensurable vanité, que Socrate va s’atteler à démonter progressivement. Ce personnage, hors son apparition dans le dialogue de Platon qui porte son nom, nous est totalement inconnu. Il peut avoir réellement existé tout comme il peut être né de l’imagination de Platon en vue de caricaturer l’ensemble des rhapsodes.
Le dialogue : définir l’art du poète et du rhapsode
L’Ion traite de la poésie, et s’interroge plus spécifiquement sur la nature de la source où les poètes vont puiser leur talent. Est-ce un art ou est-ce juste une question d’inspiration ?
Scène introductive
Le rhapsode Ion d’Éphèse revient de la cité d’Épidaure, où il vient de remporter le prix de la récitation à l’occasion des jeux asclépiens, grâce à sa maîtrise sans pareille de l’Iliade et de l’Odyssée. Il croise Socrate et l’informe de son succès, visiblement fier comme un roi.
Avec son habituelle ironie, Socrate avoue beaucoup envier le sort des rhapsodes qui dévouent leur vie entière à réciter et commenter les chefs-d’œuvre des plus grands poètes. Je te comprends, lui réplique Ion, et suis fier d’être le plus brillant rhapsode de ma génération.
Quiconque s’est rendu maître d’un art en son entier peut juger toutes les parties de cet art
Socrate reconnaît que l’étendue des connaissances d’Ion sur Homère est sans aucun doute admirable. Mais connaît-il aussi bien d’autres poètes, comme par exemple Hésiode et Archiloque ?
Ion reconnaît avoir des lacunes pour ceux-là, étant donné qu’il n’a jamais étudié que les épopées d’Homère et que les autres poètes ne l’intéressent pas. Socrate lui fait alors remarquer que les trois poètes parlent pourtant de choses fort semblables telles que « la guerre, les relations qu’ont entre eux les hommes (…) et celles que les dieux ont entre eux ». Pourquoi alors Ion ne pourrait-il pas s’entendre à commenter Hésiode et Archiloque tout aussi bien qu’Homère ?
Après tout, le mathématicien peut par exemple distinguer sans difficulté entre celui qui parle correctement des nombres et celui qui en parle incorrectement. Le médecin, de même, peut opérer la même sélection entre les opinions vraies et fausses sur les aliments. Il n’est pas enfin jusqu’au sculpteur qui soit susceptible d’apprécier et juger n’importe quelle sculpture, peu importe son auteur.
En bref, résume Socrate, quiconque s’étant rendu maître d’un art tout entier peut juger de toutes les parties de cet art, et détailler les qualités et les défauts de n’importe quel artiste.
La poésie n’est pas un effet de l’art mais de l’inspiration divine
Pour quelle raison Ion n’est-il alors pas capable de juger de la valeur de n’importe quel poète ? La réponse, pour Socrate, s’impose d’elle-même : c’est, dit-il, que le poète et le rhapsode, de même que les prophètes, ne tirent pas leur talent d’un art ou d’une science, mais d’une inspiration qui leur est communiquée par les dieux.
Les poètes et les rhapsodes ont pour rôle de servir d’interprètes entre les dieux et la population, ce qui a pour effet de créer une véritable « chaîne d’inspirés » : les dieux et les muses, d’abord, insufflent l’inspiration dans l’esprit des poètes, qui écrivent leurs vers sous l’emprise de cette force surnaturelle. Les rhapsodes, ensuite, vont de cité en cité pour réciter ces poèmes et, possédés par la même inspiration divine, communiquent une partie de leur ferveur à la population.
L’inspiration poétique est donc pareille à la pierre d’aimant, qui peut attirer un anneau de fer, lequel devient à son tour aimanté et peut attirer un nouvel anneau.
C’est aussi la raison pour laquelle les poètes se cantonnent généralement à un seul genre (dithyrambes, panégyriques, épopées,...), car ils ne peuvent réussir que dans le seul domaine où les muses les ont poussés. Le grand Tynnichos de Chalcis n’a-t-il pas écrit qu’un seul poème au cours de sa vie, mais un des plus beaux qui soient ?
Ion, en ce qui le concerne, a été orienté par sa muse vers la connaissance d’Homère, et voilà pourquoi il n’a ni le besoin ni l'envie d’étudier autre chose.
Ion tente de se défendre
Selon Ion, seule la récitation serait résultat de l’inspiration divine, pas l’interprétation
Ion, bien qu’admiratif des idées si bien développées par Socrate, ne s’avoue qu’à moitié convaincu par ce qu’il vient d’entendre. Il reconnaît volontiers que la part de son métier consistant à réciter les poèmes pourrait être le résultat d’une inspiration divine, car il ressent avec une extraordinaire intensité toutes les choses qu’il raconte, jusqu’à rire ou pleurer selon les endroits.
En ce qui concerne sa deuxième mission, qui est d’interpréter les poèmes et de « faire l’éloge d’Homère », il se dit plus circonspect, et affirme qu’il s’agit là d’un véritable art requérant un long apprentissage, comme n’importe quelle autre science.
Selon Socrate, le rhapsode n’est jamais le plus savant pour juger et commenter un texte
Socrate veut immédiatement lui prouver le contraire. Dans le passage de l’Iliade où Nestor recommande à son fils Antiloque de prendre garde lors de la course de chevaux organisée en l’honneur de Patrocle (Iliade, XXIII, 335), qui du rhapsode ou du cocher est le plus apte à juger de la justesse des propos d’Homère ? C’est, reconnaît Ion, sans doute le cocher.
De même, quand Hécamède, la concubine de Nestor, offre une potion pour calmer la blessure de Machaon (Iliade, XI, 630), c’est au médecin et non au rhapsode de juger si Homère maîtrise bien le sujet.
Il n’est ainsi pas un seul passage où le cocher, le médecin, le charpentier ou le devin ne soient plus compétents que le rhapsode pour décider si Homère dit oui ou non la vérité. Si, malgré l’ignorance de toutes ces sciences, Ion arrive tout de même à commenter ce grand poète avec tant de talent, c’est donc forcément qu’il puise son inspiration auprès des dieux.
L’ultime objection burlesque d’Ion : le rhapsode et le général d’armée partagent le même art
Dérouté par la dialectique serrée de Socrate, Ion tente de se raccrocher aux idées qui lui tombent sous la main. Le rhapsode n’est peut-être pas le mieux placé pour juger de tous ces passages, mais saura apprécier « le langage qu’il convient de prêter à un homme ou à une femme, à un esclave ou à un homme libre, à un subalterne ou à un chef ».
Mais, poursuit l’impitoyable Socrate, qui du rhapsode ou du capitaine est le plus compétent pour commander à des marins ? C’est bien sûr le capitaine. Et qui du rhapsode ou du général peut le mieux parler à des soldats ?
Ici Ion se raccroche à sa toute dernière bouée de salut : le rhapsode, en ce domaine, est tout aussi compétent que le général, affirme-t-il. Interrogé par Socrate, il est ensuite amené, sans peut-être l’avoir prévu, à en conclure que l’art du rhapsode et l’art de la guerre sont un seul et même art, et qu’étant le meilleur rhapsode de Grèce, il en est aussi le meilleur général.
Pourquoi alors, demande Socrate avec un parfait sérieux, les Athéniens n’ont-ils pas depuis longtemps été chercher Ion pour le mettre à la tête des armées ? Voilà qui est un réel gâchis ! C’est, explique le pauvre Ion, qu’étant de la cité d’Éphèse, il n’est pas habilité à embrasser une telle carrière.
Le dialogue s’achève sur cet épisode absurde et destiné à l’amusement du lecteur. À bout de force, Ion finit par se contenter du titre d’ « homme divin » que Socrate lui offre ironiquement, et prend congé.
Portée philosophique
La question abordée dans l’Ion n’est qu’un des aspects de l’idée générale que Platon se fait de toutes les disciplines autres que la philosophie. Seule cette dernière se révèle capable d’atteindre la science ultime, celle du bien et du mal, contrairement à la poésie ou à la rhétorique.
Comme dans beaucoup d’autres dialogues de jeunesse, Platon est davantage occupé du plaisir de contredire et ridiculiser les opinions de ses adversaires que d’offrir des alternatives crédibles. L’assertion selon laquelle la poésie est uniquement source d’inspiration, et non d’art ou de science, apparaît méprisante pour le travail du poète et un peu rapidement établie.
L’authenticité de l’Ion a été longuement mise en doute au cours du XIXe siècle, notamment à cause de la contradiction qui apparaît avec le Phèdre, où Socrate fait un magnifique éloge des poètes. Goethe, en particulier, a été rebuté par la grossièreté des traits des personnages, avec d’un côté un Ion d’une bêtise indicible et de l’autre un Socrate d’une malveillance inhabituelle.
Ce dialogue conserve néanmoins une place de choix dans la bibliothèque platonicienne, autant pour la célèbre métaphore de la pierre d’aimant que pour la vivacité du style.
Éditions
- Burnet, J. in Platonis Opera, tome III, Oxford, Oxford University Press, 1903
- Méridier, L., Belles Lettres, 1931
Traductions
- Platon : Œuvres complètes, Tome 1, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1940, ISBN 2-07-010450-8
- Premiers dialogues, GF-Flammarion n° 129, 1993, ISBN 2-08-070129-0
- Ion, traduction, introduction et notes par Monique Canto, GF-Flammarion, Paris, 1989
- Ion traduit et commenté par Jean-François Pradeau, Petite Bibliothèque de Philosophie, Ellipses, 2001, ISBN 2-7298-0656-3
Bibliographie
- Marsile Ficin, Sur le dialogue de Platon : Ion, ou du délire poétique, Petite Bibliothèque de Philosophie, Ellipses, 2001, ISBN 2-7298-0656-3
- Goethe, Platon, contemporain de la révélation chrétienne, Petite Bibliothèque de Philosophie, Ellipses, 2001, ISBN 2-7298-0656-3
Voir aussi
Articles connexes
Lien externe
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