Protagoras (dialogue de Platon)

Protagoras (dialogue de Platon)

Protagoras (Platon)

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Lettres : VII
Personnages

Le Protagoras (ou Les Sophistes) est un dialogue de Platon. Sans rentrer dans la catégorie des « Premiers Dialogues », ce texte fait néanmoins partie des œuvres de jeunesse du philosophe : il fut probablement composé à la suite du Lachès, du Charmide et du Lysis.

On peut déduire de la présence des deux fils de Périclès, morts en429, que le dialogue est censé se dérouler entre432 et430, peu avant la guerre du Péloponnèse.

Sommaire

Personnages

Personnages intervenant dans la discussion

  • Protagoras : Protagoras, originaire de la cité dAbdère, était un sophiste particulièrement réputé. Ses longs voyages à travers la Grèce, la Sicile et lItalie lui permirent de dispenser son immense savoir à qui voulait en bénéficier, ce qui le rendit très riche. Il opposait notamment, à Socrate, que « l'homme est la mesure de tous les objets (chrèmata), de l'existence de ceux qui existent, et de la non-existence de ceux qui ne sont pas »[1], une thèse affirmant les deux qualités qui constituent la vertu politique.
  • Hippias : Hippias est un autre sophiste, originaire de la cité dÉlis. Connu de tous les Grecs et réputé maîtriser de nombreuses sciences, quil sagisse des mathématiques, de lastronomie ou de la rhétorique, il ne joue ici quun rôle secondaire, seffaçant pour laisser parler Protagoras.
  • Prodicos : Prodicos, de lîle de Céos, est un sophiste représentant le mouvement des synonymistes. Son personnage, lui aussi, apparaît assez peu, mais suffisamment tout de même pour donner loccasion à Platon de railler sa manie détablir de subtiles distinctions entre des mots très proches.
  • Callias : Callias, riche notable athénien dans la maison duquel a lieu le dialogue, est le fils dHipponicos, qui a remporté contre les Béotiens la victoire de Tanagra en -426. Lui-même occupe des fonctions militaires au cours de la guerre de Corinthe. Sa fonction dans le dialogue se résume à encourager les autres à parler.
  • Alcibiade : Alcibiade est un célèbre homme politique et général athénien, à lexistence mouvementée, faite de trahisons et de réconciliations. Il intervient plusieurs fois dans le dialogue pour prendre la défense de Socrate, lequel se déclare toujours amoureux de lui, comme dans le Premier Alcibiade.
  • Hippocrate : Il sagit dun simple ami de Socrate, à ne pas confondre avec son homonyme Hippocrate de Cos, fondateur de la médecine. C'est lui qui a amené Socrate à Protagoras, lui faisant éloge de sa science.

Personnages muets

Un dialogue autour de la vertu et de lenseignement des sophistes

Le Protagoras aborde sous plusieurs angles la question de la vertu, en sattachant à définir les parties qui la composent mais aussi à déterminer si elle peut senseigner ou non.

Scène introductive

Alors que laurore est à peine levée, Hippocrate accourt chez son ami Socrate et frappe bruyamment à sa porte. Avec lenthousiasme naïf de la jeunesse, il explique au philosophe que le grand Protagoras serait, dit-on, en ville, chez son hôte Callias. Daucuns disent même quil serait accompagné dautres sophistes très célèbres, comme Hippias d'Élis ou Prodicos de Céos.

Socrate devine les raisons dune telle agitation : Hippocrate, comme beaucoup de jeunes gens de son âge, rêve visiblement de devenir le disciple de Protagoras, quitte à débourser une forte somme dargent pour cela. Sans vouloir le décourager, Socrate veut néanmoins dans un premier temps tempérer ses ardeurs : il accepte de laccompagner et de lintroduire auprès du sophiste, mais il serait inconvenant darriver si tôt, dit-il, et le mieux est dattendre une heure moins matinale en se promenant dans les environs.

Socrate va profiter de cette promenade pour amener Hippocrate à se poser davantage de questions sur lenseignement prétendument exceptionnel dispensé par les sophistes. Car tandis quun joueur de flûte peut enseigner à jouer de la flûte, ou quun sculpteur peut enseigner la sculpture, quenseigne au juste le sophiste ?

Son art, répond Hippocrate, consiste à « rendre les hommes habiles à parler ». Mais la question nest pas résolue : il faut bien que le sophiste rende habile à parler sur une matière ou une autre, et pour cela il lui faut maîtriser cette matière. Or, quelle est-elle ? Hippocrate savoue incapable de répondre.

Socrate met alors en garde son ami, qui cherche avec tant dardeur à bénéficier dun enseignement dont il ignore tout. Irait-on consulter un médecin sans savoir si ses soins nous feront du bien ou du mal ? Car cest bien ce dont il sagit chez les sophistes : tel un épicier vantant sans distinction lensemble de ses marchandises, sans sinquiéter de leur impact sur la santé, le sophiste assène en vrac de multiples connaissances à son disciple, sans faire le tri, pour la santé de lâme, entre les choses bonnes, inutiles et corruptrices.

Cest fort de ces recommandations quHippocrate est conduit par Socrate jusquà la demeure de Callias. Leunuque de service, les prenant pour un énième arrivage de sophistes, leur ferme une première fois la porte au nez. Ce nest quaprès avoir résolu ce malentendu que le portier indélicat laisse entrer les deux amis. À lintérieur les attend un tableau denvergure : Protagoras, Hippias et Prodicos, chacun accompagné dune imposante escorte de disciples, occupent les lieux. Ils conversent dans différents coins dune vaste pièce, à lexception de Prodicos, ronflant encore sous ses couvertures.

Socrate va directement à Protagoras et lui explique lobjet de sa visite : soucieux de la bonne éducation de son ami Hippocrate, il tient à entendre de la bouche même de Protagoras pourquoi lenseignement quoffre ce dernier est dune telle excellence. Visiblement flatté dêtre préféré à ses confrères, témoins de la scène, Protagoras ne voit aucun inconvénient à ce que toutes les personnes présentes fassent cercle autour deux et les écoutent discourir.

La vertu peut-elle senseigner ?

Protagoras na jamais donné dans la modestie : Hippocrate a raison de sadresser à lui, affirme-t-il, car il compte effectivement parmi les meilleurs sophistes de toute la Grèce, et pourra doter son nouvel élève dune excellente éducation. Il lui enseignera, notamment, « la meilleure façon de gouverner sa maison et, dans les affaires de la cité, le mettra le mieux en état dagir et de parler pour elle ». Autrement dit, il fera de son disciple un brillant politicien.

Selon Socrate, la vertu ne peut senseigner à la manière des sophistes

Socrate ne manque pas de sincliner devant létendue du savoir de Protagoras. Une chose pourtant le préoccupe : il était jusqualors persuadé que la vertu, par nature, ne pouvait senseigner, et ce malgré toutes les prétentions des sophistes à ce sujet. Il fonde ce raisonnement sur deux arguments :

  • Lorsquune discussion porte sur un sujet technique (médecine, cordonnerie, construction navale…), seuls les spécialistes sont habilités à parler et à donner leur avis. Quand, en revanche, la discussion est de nature politique, alors chacun se sent autorisé à émettre son opinion, sans avoir jamais reçu lenseignement dun maître à ce sujet : ce comportement est bien la preuve que lon considère la politique comme ne pouvant être enseignée.
  • Les citoyens athéniens les plus doués dans lart de la politique, Périclès le premier, se révèlent incapables denseigner leur savoir aux gens qui les entourent, y compris à leurs propres enfants.

Le Discours de Protagoras et le mythe de Prométhée

Protagoras, pour réfuter Socrate point par point, se lance alors dans un discours magistral et captivant.

Pour le premier argument, le sophiste a recours à la mythologie grecque, en contant la légende de Prométhée et de son frère Épiméthée. Chargé par les dieux, à la création du monde, de distribuer les qualités et les dons physiques parmi les êtres vivants, Epiméthée oublia de pourvoir convenablement lhomme, resté nu et sans défense. Prométhée, pour réparer lerreur de son frère, alla voler les secrets du feu et des arts à Héphaïstos et Athéna. Pour éviter que les hommes, détenteurs de ces nouveaux pouvoirs, nen viennent à sentretuer, Zeus leur accorda aussi à tous les sentiments de la pudeur et de la justice, fondateurs de la conscience politique et de la vie en communauté. Cest la raison pour laquelle chaque homme a en lui la notion de la politique et peut facilement exprimer une opinion à ce sujet.

Par ailleurs, souligne Protagoras, toute société humaine tend à punir les hommes ayant fait preuve dinjustice et de perversion vis-à-vis du reste de la communauté. Le châtiment du coupable est alors censé servir dexemple, et enseigner la vertu tant à lintéressé quaux autres citoyens.

Si, enfin, les fils des grands hommes politiques ne sont souvent pas à la hauteur de leurs parents, cest tout simplement quils sont moins doués. Toutefois, de même quun mauvais joueur de flûte sera malgré tout meilleur que quelquun nen ayant jamais fait, les citoyens grecs pauvres en vertu paraîtront tout de même des modèles de sagesse par rapport aux barbares des contrées lointaines nayant, eux, jamais reçu denseignement de la vertu.

Protagoras clôt son argumentation en comparant la vertu à une langue maternelle : si on peut apprendre cette dernière sans maître particulier (simplement en écoutant et imitant), ce n'est pour autant pas une raison pour affirmer qu'elle n'est pas un savoir susceptible d'être enseigné.

La vertu est-elle une en soi, ou comprend-elle des parties distinctes ?

Socrate, hypnotisé par léloquence de son interlocuteur, met du temps avant de réaliser que le beau discours a pris fin. Et il ne peut alors, au nom de tous, quen féliciter son brillant auteur. Il aimerait simplement poser une dernière question mineure à laquelle Protagoras, il en est sûr, naura aucun mal à répondre : ce dernier, dans son discours, a fait référence de manière assez désordonnée aux notions de sagesse, de justice, de vertuPourrait-il donc se montrer plus précis quant à la définition de la vertu ? Est-elle une en soi, ou les autres qualités citées (sagesse, justice, piété…) en sont-elles des parties distinctes et autonomes ?

Protagoras répond à cette requête avec assurance : la vertu est une, mais les qualités dont parle Socrate en sont des parties distinctes, au même titre que le visage est un, tout en étant composé des yeux, du nez ou des oreilles. Ces parties de la vertu sont même traditionnellement au nombre de cinq : la justice, la piété, la tempérance, la sagesse et le courage.

Socrate conteste cette vision des choses : on ne peut faire de ces parties de la vertu des éléments aussi distincts que le nez et les oreilles. Pourrait-on dire par exemple que la justice nest pas pieuse, que la sagesse nest pas juste ? Cest donc bien que, même si elles sont distinctes, ces parties de la vertu ont certains rapports de ressemblance.

Par ailleurs, partant du principe quune notion na jamais quun seul contraire, Socrate amène Protagoras à la conclusion que, ayant toutes deux pour contraire la folie, la sagesse et la tempérance sont une seule et même chose. Sur le point de recommencer la même démonstration avec la tempérance et la justice, Socrate est interrompu par son interlocuteur, impatienté de tant darguties.

Un intermède sur la poésie

Le dialogue semble sur le point dêtre rompu : la mauvaise humeur de Protagoras, fatigué de répondre à toutes ces questions, ne le cède en rien à celle de Socrate, indisposé par la longueur des réponses de son interlocuteur.

Grâce aux médiations successives de Callias, Alcibiade, Critias, Prodicos et Hippias, les deux intéressés acceptent finalement de renouer le fil de la conversation, à la condition que le questionneur soit désormais Protagoras.

Ce dernier, pour calmer les esprits, fait repartir le dialogue sur un tout autre sujet, la poésie, au motif quelle constitue un élément essentiel de léducation. Il choisit de commenter un poème composé par Simonide, et de surprendre lauteur en flagrant délit de contradiction : après avoir écrit quil est difficile de devenir vertueux, ce dernier critique ensuite quelquun ayant affirmé quil est difficile dêtre vertueux.

Parodiant à merveille la technique de Prodicos de Céos consistant à établir de subtiles distinctions entre des synonymes, Socrate commence par proposer une explication fantaisiste quil fait approuver par Prodicos, avant de révéler quil ne sagissait que dune plaisanterie, ridiculisant complètement ce dernier.

Il suggère ensuite sa propre interprétation : sil est en effet difficile mais possible de devenir vertueux pour un temps, il est en revanche impossible de lêtre perpétuellement. Mais tout cela na pas grande importance, assure-t-il : commenter les poètes est une occupation vaine, car il est possible de leur faire dire à peu près nimporte quoi. Socrate prie donc Protagoras de bien vouloir revenir au sujet principal de la discussion.

Le courage est-il la seule partie de la vertu réellement distincte ?

Protagoras accède à la requête de son interlocuteur, de mauvaise grâce. Mais lintermède lui a donné le temps de préparer une nouvelle réponse : sil est vrai que, parmi les parties de la vertu, la sagesse, la justice, la piété et la tempérance ont quelques similitudes, en revanche le courage est un concept tout à fait distinct, car on peut se révéler courageux tout en étant injuste ou impie.

Socrate reprend ici une argumentation déjà développée dans le Lachès : le courage, quand il prend son fondement dans la folie, nest plus du courage mais de la témérité. Un homme, pour être courageux, doit donc aussi faire preuve dune certaine sagesse, ce qui prouve que le courage a bien des similitudes avec les autres parties de la vertu.

Par ailleurs, il est dans la nature de lhomme de rechercher ce quil juge agréable et de fuir ce quil juge désagréable. Si, tenté par les plaisirs de linstant présent, il ne fait pas une chose quil pense désagréable mais qui aurait à lavenir de bonnes conséquences (gain en sagesse, en force physique…), il agit par ignorance et manque de science. Les lâches, ainsi, ne sont lâches que par ignorance de ce qui est réellement à craindre et de ce qui ne lest pas. Partant, le courage est la science des choses à craindre et de celles qui ne le sont pas.

Socrate, élargissant son propos aux autres parties de la vertu, en arrive alors à la conclusion que la vertu se confond avec la science, et quil serait donc bien étonnant quelle ne puisse pas senseigner. Bref, il soutient la thèse opposée à sa position initiale, lorsquil affirmait que la vertu ne pouvait senseigner, et sen amuse dailleurs auprès de Protagoras.

Les deux interlocuteurs, après un échange de politesse, prennent congé, et le rassemblement se disperse, mettant fin au dialogue.

Portée philosophique et historique

Le Protagoras est un dialogue remarquablement riche, présentant de multiples facettes. Sur le plan philosophique, la doctrine socratique consistant à identifier la science et la vertu est clairement affirmée. Plus un homme est savant, plus il est vertueux. Cest aussi pourquoi nul ne saurait commettre le mal volontairement : un homme est injuste car il ignore se situe le vrai bien, non parce quil veut être injuste.

Par ailleurs, on peut percevoir une ébauche de la doctrine des Idées développée plus tard par Platon à travers la notion de « vertu une en soi », ayant en quelque sorte sa substance propre et immuable.

Mais lœuvre présente tout autant dintérêt, sinon davantage, sur le plan littéraire et historique, et ce grâce à la peinture savoureuse de lunivers des sophistes. De fait, le Protagoras peut se lire autant comme un essai philosophique que comme une bonne pièce de théâtre, tant les personnages sont travaillés et la mise en scène réaliste.

Notes et références

  1. Antoine Bevort, "Le paradigme de Protagoras", [1]

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