Instinct

Instinct
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L’instinct est la totalité ou partie héréditaire et innée des comportements, tendances comportementales et mécanismes physiologiques sous-jacents des animaux. Présent sous différentes formes chez toutes les espèces animales, son étude intéresse nombre de sciences : biologie animale (éthologie et phylogénie), psychologie, psychiatrie, anthropologie, sociologie et philosophie. Chez l'homme, il constitue la nature qui s'oppose traditionnellement au concept de culture.

Sommaire

L'étude scientifique de l'instinct

Nikolaas Tinbergen (gauche) et Konrad Lorenz (droite), 1978


La science qui a pour objet l'étude de l'instinct et du comportement en général est l'éthologie, ses fondations furent élaborées par Konrad Lorenz (1903-1989), Nikolaas Tinbergen (1907-1988) et Karl von Frisch (1886 - 1982), dans la première moitié du XXe siècle. Ils reçurent conjointement, en 1973, le prix Nobel de physiologie ou médecine pour leurs découvertes concernant «l'organisation et la mise en évidence des modes de comportement individuel et social». Il s'agit du seul prix Nobel jamais remis à des spécialistes du comportement.

Les méthodes et théories de l'éthologie objective furent introduites progressivement, dans le dernier quart du XXe siècle, de manière disparate en psychologie et en anthropologie. Notons son intégration dans la spécialisation de l'anthropologie qu'est l'étude des grands singes (primatologie) réalisée dans la deuxième moitié du XXe siècle par des spécialistes, maintenant célèbres, tels Louis Leakey (1903 - 1972), Jane Goodall (1934 - ...), Dian Fossey (1932 - 1985), Desmond Morris[1] (1928 - ...) et Biruté Galdikas (1946 - ...). La stricte utilisation des méthodes de l'éthologie pour l'étude des comportements instinctifs chez l'homme fut réalisé par Irenäus Eibl-Eibesfeldt (1928 - ...) ; fondateur de l'école d'éthologie humaine, il dirige depuis 1975 l'institut Max Planck de Physiologie Comportementale. Nous devons à W.C. Mc. Grew[2] et N. Blurton-Jones[3] l'utilisation de l'éthologie pour l'étude des enfants en bas-âge (depuis la naissance jusqu'à cinq ans).

L'intégration des théories de l'éthologie aux sciences humaines contribua à la révolution cognitive qui balaya la psychologie américaine au cours des années 1960. Cette révolution peut être grossièrement interprétée comme la victoire de l'innéisme sur le culturalisme mais cette position est trop simpliste car, comme le souligne Konrad Lorenz : « On nous dit que ce que nous appelions autrefois inné et ce que nous appelions autrefois acquis ne peuvent se définir que comme le contraire l'un de l'autre. C'est absolument faux. »[4] L'approche contemporaine tente de comprendre les subtiles imbrications de l'inné et de l'acquis : psychologie évolutionniste, anthropologie biosociale, éthologie humaine, etc.

Ces études ont permis d'établir que la conception du nouveau-né en tabula rasa n'est pas plus scientifiquement acceptable que celui d'une machine biologique pour toujours entièrement déterminée par ses gènes. Le grand paradoxe émergeant de l'étude scientifique des instincts chez l'homme est que la grande capacité d'apprentissage de l'humain est corrélée à une augmentation des mécanismes comportementaux innés. La capacité d'acquérir une culture humaine n'est donc pas la conséquence, comme on le croyait dans la première moitié du XXe siècle, de la perte de mécanismes «instinctifs» par l'homme, mais bien par un ajout de mécanismes innés spécifiquement humains. Remarquons que cette conception fut défendue, en premier lieu, par Konrad Lorenz au début du XXe siècle puis par Noam Chomsky (1928 - ...) vers 1960. Chomsky apporta de nombreux éléments[5] nous permettant de penser que la structure syntaxique de toute langue est limitée par des mécanismes innés. Par la suite, plusieurs anthropologues généralisèrent la grammaire universelle de Chomsky à l'ensemble des sphères culturelles (concept de biogrammaire)[6].

L'étude mathématique formelle de l'évolution des comportements des animaux fut développée[7] par John Maynard Smith (1920 - 2004), William Donald Hamilton (1936 - 2000), George Price (1922 - 1975) et popularisé[8] par Edward Osborne Wilson (1929 - ...). Ces analyses mathématiques complexes permettent d'expliquer l'essence (l'origine phylogénétique) des comportements des animaux et de réaliser des prédictions théoriques sur l'existence de tel ou tel comportement dans la nature. Il est également possible de relier des variables comportementales entre elles comme, par exemple, la durée de la période de séduction et le temps d'élevage de la progéniture. Ces résultats sont également largement utilisés par les psychologues évolutionnistes (voir Écologie comportementale, Sociobiologie, Sélection sexuelle).

La méthode éthologique

L'étude scientifique du comportement part du fait que la seule possibilité d'agir sur le monde, pour un animal, est d'exécuter des contractions musculaires. Nous pouvons ainsi simplement définir un acte comme une séquence de contractions musculaires. Pour déterminer si un acte est inné (génétiquement déterminé) ou acquis (appris), il est possible d'utiliser quatre critères.

  • La séquence est identique chez tous les représentants de l'espèce. Il s'agit de la méthode de comparaison horizontale.
  • La séquence varie en forme et en intensité selon la distance génétique séparant les groupes taxinomiques proches (espèces, genres, familles), révélant la phylogenèse de ces comportements. Il s'agit de la méthode de comparaison verticale.
  • La séquence n'est modifiée par aucune forme d'apprentissage ceci étant facilement vérifiable pour les espèces où les soins parentaux sont absents ou par isolation artificielle dès la naissance. Il s'agit de la méthode par isolation.
  • Dans plusieurs cas, il est possible de remonter vers le centre nerveux responsable de cette séquence comportementale ; la rigidité constitutive de ce centre moteur implique une origine aussi déterminée pour ce type de comportement que pour les organes du corps. Il s'agit de la méthode physiologique.

Les coordinations héréditaires

Les actes innés sont baptisés coordinations héréditaires par les éthologues et ils possèdent comme caractéristique fondamentale qu'une fois déclenchées ils s'exécutent jusqu'à la fin, même si en cours de mouvement ils perdent toute finalité. De plus, les coordinations héréditaires sont souvent combinées à des taxies qui sont des formes de contrôle (régulation cybernétique) du mouvement. Par exemple, une oie dont un des œufs roule en bas du nid va étendre le cou pour le ramener à l'intérieur. Le mouvement de roulis de l'œuf doit être corrigé par des mouvements droite-gauche du cou, il s'agit de la taxie. De plus, même si l'œuf disparaît (retiré par l'expérimentateur) ou qu'il lui échappe, l'oie doit compléter le mouvement avant de pouvoir recommencer.

Nous ferons remarquer que les coordinations héréditaires ne se réalisent que dans certains contextes. Les contextes motivationnels sont des états spécifiques dans lesquels se trouve l'animal et qui permettent de déclencher tel ou tel comportement en fonction de stimuli externes. Par exemple, pour que soit déclenché le mouvement pour ramener un oeuf par une oie, il faut absolument que celle-ci soit en train de couver ; la couvaison est un contexte motivationnel. Certaines coordinations héréditaires comme la marche ou la course se trouvent associés à plusieurs contextes motivationnels et utilisés au cours d'autres coordinations héréditaires plus complexes.

Dans la nature, les cas de transmission culturelle sont des exceptions pratiquement miraculeuses, très étudiées et documentées ; même chez nos plus proches cousins les grands singes. Pour la plupart des animaux, l'ensemble des coordinations sont héréditaires et nous pouvons considérer que les coordinations culturelles sont, en pratique, l'apanage de l'homme. Nous ferons remarquer que l'apprentissage de nouvelles coordinations chez les animaux ne se fait pas par la création de nouveaux gestes, mais bien par le simple enchaînement de coordinations héréditaires. Seul l'homme possède une telle maîtrise sur ses mouvements qu'il puisse inventer des gestes inédits. Cependant, il serait tout à fait faux de prétendre que les coordinations héréditaires n'existent pas chez l'homme.

Les coordinations héréditaires chez l'homme

L'expression faciale des émotions (sourire, tristesse, surprise, peur) sont des exemples de coordinations héréditaires, en effet, ils obéissent aux quatre critères :

  • Verticale : Déjà dans L'Expression des émotions chez l'homme et les animaux publié en 1872, Darwin démontre clairement que les coordinations utilisées pour exprimer la surprise, la peur et la tristesse chez les grands singes sont les mêmes que pour l'homme. Il remarque que le comportement se rapprochant le plus du rire et du sourire est le comportement de défiance qui consiste à montrer ses canines. Il établit ainsi un lien phylogénétique entre le rire et le comportement d'agression.
  • Horizontale : Les expressions faciales se retrouvent exprimées de la même façon dans toutes les sociétés humaines. Ceci fut démontré par Eibl-Eibesfeldt qui filma, à leur insu, les expressions de plusieurs peuplades à travers le monde.
  • Par isolation : Les expressions faciales sont parmi les premiers comportements des bébés. Cependant, il est impossible d'isoler un bébé à la naissance pour vérifier si ce comportement est inné ou acquis par imitation. L'existence de cas d'enfants et de bébés sourds et aveugles de naissance a permis à Eibl-Eibesfeldt de démontrer que ces coordinations étaient bien innées.
  • Physiologique : L'étude du système nerveux par la psychiatrie clinique, la neurologie et la neurochirurgie a permis de mettre en évidence les centres nerveux responsables des expressions faciales. Par exemple, les ganglions de la base et la formation réticulée ont un rôle primordial pour la production de sourires spontanés.

Bien que l'humain soit capable de contrôler le déclenchement d'une coordination héréditaire, ceci est extrêmement difficile ; essayez de ne réaliser aucune expression faciale durant toute une journée. Par contre, comme pour tous les animaux, il lui est impossible de l'arrêter en cours d'exécution. Il est donc impossible de déglutir à moitié ou d'arrêter au milieu d'un pas, seulement au début ou à la fin. Remarquons qu'il en est de même pour tous les gestes automatiques appris comme allumer un interrupteur ou saisir une poignée de porte. Ce type d'apprentissage, programmé dans le cervelet, ne peut s'interrompe en cours d'exécution. Il s'agit d'un fait bien connu de tout expert en art martial : il est impossible d'arrêter son poing ou sa jambe une fois lancé.

N.B. Il est toujours possible de réaliser une action comme sourire (simuler le sourire), marcher ou allumer une lumière sans utiliser les mécanismes innés ou le cervelet. Il s'agit du contrôle volontaire par le néocortex mais cela demande toute notre attention et nous empêche de penser à autre chose en réalisant l'action. Nous ferons remarquer que le sourire simulé n'équivaut jamais au sourire spontané dû à notre incapacité à contracter correctement l'orbicularis oculi, un muscle situé autour des yeux (voir le sourire de Duchenne).

Le « rodage » des processus moteurs

Tous les tétrapodes terrestres peuvent marcher dès la naissance et tous connaissent au moins deux pas : la marche et la course. Chez les mammifères, bien que la plupart des proies soient capables de se lever debout dès la naissance et de marcher presque immédiatement, les prédateurs rampent souvent pendant plusieurs jours. Néanmoins, chez les proies, comme chez les prédateurs, la marche s'améliore et le pas devient plus assuré de jour en jour ; l'animal apprend à marcher. Par contre, cet apprentissage n'est aucunement basé sur l'imitation (la gazelle marche à la naissance) ou sur une forme d'apprentissage par punition et récompense (la gazelle n'est pas punie ou récompensée en fonction de sa performance) ; c'est simplement en marchant que l'animal apprend à marcher. Le processus de l'apprentissage de la marche chez l'humain ne se distingue certainement pas, mis à part la station verticale, de celui des autres animaux. Les voies nerveuses, des arcs réflexes de la moelle épinière aux noyaux du bulbe rachidien sont les mêmes et ce comportement possède une origine phylogénétique claire. Nous ferons remarquer que chez l'enfant non voyant, les diverses études situent l'acquisition de la marche un peu plus tard que chez l'enfant voyant, soit entre 16 et 22 mois[9] cette situation d'isolation qui révèle une impossibilité d'apprentissage par imitation, met en évidence l'importance des stimuli visuels dans l'apprentissage de la marche.

En 1950, les behavioristes avaient beaucoup de difficulté à accepter qu'il puisse exister une autre forme d'apprentissage que celui par punitions et récompenses. Par exemple, l'amélioration du picorement du poussin avait été interprétée comme produite par la récompense qu'obtenait celui-ci en mangeant le grain. En 1956, le psychologue expérimental Eckhard Hess réfuta complètement cette thèse[10], il mit des lunettes aux poussins qui dévièrent leurs visions de quelques millimètres. Les poussins furent incapables de corriger l'écart et leurs picorements s'amélioraient toujours en ce qui concerne les positions virtuelles des grains sur le sol ; l'apprentissage moteur était invariablement relié au stimulus de l'image du grain.

Nous insisterons sur le fait que ce type d'apprentissage ne permet pas à un animal d'apprendre de nouvelles coordinations mais uniquement de raffiner la taxie; il s'agit, en quelque sorte, d'une forme d'adaptation du mouvement à l'environnement. L'existence de cette forme d'apprentissage n'enlève donc rien au caractère «héréditaire» de la coordination.

Les modifications culturelles des coordinations héréditaires[11],[12]

L'humain est le seul animal pouvant moduler l'expression de ses coordinations héréditaires. Cette possibilité de modulation est variable dépendamment de la rigidité physiologique de la coordination : très rigide (déglutition, vomissement, bâillement, toux, éternuement), rigide (expressions faciales, la marche, la course, le gambadage, le grattage), souple (le salut, les marques d'affection et autres gestes de méta-communication). Commençons par le cas de la marche, cette coordination apparemment banale recèle bien des secrets.

La marche

La marche n'est réellement modifiée, mis à part le style, que dans deux sphères d'activités humaines, l'art et la guerre. La danse contemporaine et le mime ont largement explorés la modification de la marche, pensons, par exemple, à la fameuse marche contre le vent de Marcel Marceau repris par Michael Jackson (le moonwalk). La plupart des variations de la marche, même d'apparence simple, se révèlent d'exécution difficile ; l'apprenant doit constamment lutter contre la coordination héréditaire naturelle. Nous remarquerons que la très grande majorité des variations conservent le mouvement de balancier synchrone des bras. Ce mouvement naturel des bras est causé par un arc réflexe primitif que l'on retrouve chez tous les quadrupèdes ; il trahit la phylogenèse de la bipédie[13].

Toutes les grandes armées de l'histoire ont marché au pas. Mis à part le style : pas glissé en Grande-Bretagne, pas de l'oie de l'armée allemande, la marche militaire se caractérise essentiellement par une exagération de l'ampleur des mouvements. Nous remarquerons que l'exagération des mouvements est habituelle chez les singes lors de conflits, de grands mouvements amples permettraient d'intimider l'adversaire. La stabilité horizontale du comportement chez l'homme, géographiquement et historiquement, de même que de probables origines phylogénétiques laisse penser que ce comportement est héréditaire.

La nage[14]

La plupart des mammifères savent nager (carnivores, rongeurs, ongulés) ; cette nage est simplement «la marche quadrupède» en prenant soin de sortir la tête hors de l'eau. Il s'agit également de la nage chez l'enfant ne sachant pas nager (nage du petit chien), forme instinctive et extrêmement ancienne, ce style de nage s'avère inadapté à la morphologie des grands singes anthropoïdes et ceux-ci, en pratique, ne savent pas nager. Par contre, certains singes comme les macaques et les babouins sont de très bons nageurs.

La salutation

La salutation du regard est un haussement des sourcils pendant 1/6iem de secondes lors de la rencontre de deux personnes se connaissant, il est souvent accompagné d'un sourire et d'un léger hochement de la tête ; ce comportement est entièrement instinctif et n'est aucunement modifié par la culture. Par contre, la salutation complète qui peut suivre varie grandement selon les traditions, la plus courante étant le salut par inclinaison du buste ; cette forme de salutation peut-être stylisée de plusieurs façons : génuflexion, prosternation, révérence, salut du chapeau. Le second type de salutation est par contact des mains semblable à la poignée de mains à l'occidentale : la main à l'épaule, au coude, à la hanche ou d'autres parties du corps ; certaines tribus papou se touchent l'étui pénien. Enfin, le troisième type de salutation est le salut à main levée permettant de saluer à distance une ou plusieurs personnes à la fois ; il peut-être fixe comme le salut militaire ou le salut des amérindiens ou bien accompagné d'un mouvement d'oscillation latérale comme le bye-bye traditionnel ou royal (avec rotation lente du poignet).

Malgré les différences, aucune forme de salut, mis à part le salut à main levée, ne comporte pas une légère inclinaison du buste ou de la tête. L'inclinaison de la tête se retrouve à l'identique chez tous les grands singes comme comportement de soumission ; remarquons que l'inclinaison est proportionnelle à la différence de statut social, tout comme chez l'humain. Chez les chimpanzés, offrir la main est courant, soit comme marque d'affection ou d'encouragement. De même, le mouvement d'oscillation du bras tendu et de la main est habituel lorsque l'animal veut se faire remarquer. Ici encore, la comparaison verticale permet de mettre en évidence les origines phylogénétiques communes de ces comportements.

Comportements maternels et amoureux

La réutilisation de comportements de soins aux jeunes pour la cour et entre partenaires sexuels est extrêmement courante, de manière analogue, à travers l'ensemble du règne animal. Chez l'homme, seuls les comportements de ce type, partagés avec les grands singes, peuvent être considérés comme de véritables homologies.

«Nombre de comportements considérés comme typiquement sexuels – baisers, caresses, etc. - sont en fait, d'après leur origine, d'authentiques activités de soins aux jeunes. Nous tenons à le rappeler parce que Freud, commettant là un remarquable contresens, à autrefois affirmé qu'une mère prendrait peur si elle se rendait compte qu'elle associe tant de comportements sexuels à son enfant.»[15].

Le baiser

Le baiser labial et inter-buccal est une modification des activités alimentaires de nourrissage bouche à bouche des nouveau-nés et des petits enfants. Ce comportement se retrouve chez tous les grands singes et est pratiqué, chez l'humain, dans des cultures très diverses. La littérature rapporte également que cette pratique était relativement courante, en occident, dans certaines régions rurales.

Chez le chimpanzé commun, les adultes en font un geste amical et il le font avec ou sans nourriture, le chimpanzé bonobo le pratique avec la langue. Ce comportement est à l'identique chez l'humain, l'échange de sucrerie étant courant ; le Kàma sûtra suggère d'ailleurs l'échange de vin entre les partenaires. Nous ferons remarquer que le baiser à l'occidental n'est pas très répandu, du moins en public ; les études ethnologiques se butent aux tabous en ce qui concerne la vie intime. Dans bien des régions du monde, le baiser est remplacé par le frottement du nez. Ce comportement est extrêmement habituel chez les mammifères et vous n'aurez aucun mal à l'exécuter avec un chat ou un chien.

Le second type de baiser est le baiser au corps qui peut s'effectuer la bouche ouverte ou en mordillant gentiment. Cette coordination est la réplique exacte de l'épouillage avec la gueule, poils en moins. Ce comportement est utilisé couramment avec les enfants, remarquons, en particulier, le fameux baiser sur la tête et les baisers rapides en série sur un membre de même que le fameux baiser soufflé qui fait rire.

La troisième forme de baiser est le baisemain ; celui-ci est pratiqué chez nos plus proches parents, les chimpanzés, pour amadouer les dominants. Ce comportement est à l'identique chez l'humain et se retrouve dans plusieurs cultures. Le baisemain fut courant à certaines époques en occident et baiser la main des dames était régulièrement pratiqué il y a à peine un siècle. Remarquons que ce comportement existe encore dans certains cultes chrétiens et qu'il exprime toujours le sens de la relation hiérarchique. Une forme de ritualisation culturelle de ce comportement est le baiser dans sa propre main qui est par la suite soufflé ; cette variation peut facilement être enseignée à un chimpanzé.

La caresse
L'épouillage est un comportement social important et courant chez les primates

Ce comportement est un vestige de l'activité d'épouillage qui est pratiquée par tous les grands singes et qui constitue une part importante de leurs activités sociales. Ceci explique notre propension à la caresse des cheveux et de la fourrure animale. Ici encore, le fait que ce comportement existe sans modification dans toutes les cultures et se retrouve sous une forme fonctionnelle chez tous les grands singes vient confirmer l'hypothèse de la nature héréditaire de cette coordination.

Chez l'homme, la culture a modifié considérablement l'acte de la caresse en inventant le massage. Véritable science de la caresse dure ou douce, cette discipline n'a pu voir le jour qu'en exploitant, culturellement, une tendance naturelle.

L'enlacement

L'enlacement est un comportement maternel fondamental chez l'homme et chez tous les grands singes, ici encore, repris chez les adultes comme marque d'affection. Il est également utilisé comme méthode de consolation. Par exemple, un soldat blessé se blottit dans les bras d'un collègue, le visage contre la poitrine. Le partenaire l'enlace comme une mère, une main à l'épaule l'autre à la tête.

Les activités sexuelles

Le cunnilingus est une pratique extrêmement courante chez les mammifères[16] il en est tout autrement de la fellation pratiquée, dans l'ensemble de la classe des mammifères, exclusivement chez l'homme et chez le chimpanzé bonobo. Il en est de même du coït ventro-ventral (la position du missionnaire) pratiqué exclusivement chez l'homme, l'orang outan et le chimpanzé bonobo. Nous remarquerons que chez le bonobo, tout comme chez l'homme, la sexualité n'a pas qu'une fonction reproductive et est pratiquée pour de multiples raisons comme, par exemple, la sodomie de domination[17].

Le fait que l'homme partage avec les autres grands singes ces comportements permet, ici aussi, de présumer fortement qu'ils se sont développés sur une base instinctive commune, et donc qu'ils auraient la même origine phylogénétique. De plus, puisque comme pour les autres comportements mentionnés précédemment, ils semblent uniques dans la nature, il est possible de dater l'apparition de ceux-ci à la séparation de la lignée humaine de celle des autres grands singes[18].

Le rire[19]

Contrairement à la croyance populaire, probablement inspirée d’Aristote, nous ne somme pas « les seules créatures à rire »[20]. Dans L’Expression des émotions chez l’homme et les animaux (p.181-182), Darwin dit : « Si l’on chatouille un chimpanzé – et ses aisselles sont particulièrement sensibles au chatouillement–, comme c’est le cas chez nos enfants, il pousse une sorte de gloussement ou de rire plus marqué, quoique parfois silencieux». Dian Fossey ajoute dans Gorilles dans la brume que « l’échange de chatouilles entre [les gorilles] Coco et Pucker provoqua force gloussement ». Nombre de chercheurs s’accordent à dire que les chimpanzés et d’autres grands singes produisent des vocalisations semblables à des rires dans les circonstances qui prêtent les hommes à rire (chatouilles, chahut). Par contre, l’écoute à l’aveugle de ces vocalises ne permet pas de différencier ce rire d’un halètement ; seul le contexte d’apparition du comportement permet d’établir la véritable homologie.

Les comportements de méta-communication[21]

Beaucoup de gestes chez les animaux, en particulier les animaux sociaux, sont des moyens de communiquer des émotions ou des motivations. Par exemple, le bayement que l'on retrouve chez les mammifères permet de synchroniser le cycle du sommeil. Bien que nous partageons plusieurs de ces gestes avec les grands singes, beaucoup sont exclusifs à l'homme et constituent probablement de véritables instincts proprement humain. Nous remarquerons les gestes biens connus de se mettre les doigts devant la bouche pour signifier de se taire, le bras tendu et la main à plat pour signifier d'arrêter, la main tournée vers soit avec de rapides flexions des doigts pour signifier d'avancer.

Il est clair que la sélection naturelle a favorisé les individus et les groupes possédant une grande capacité de communication. Une bande de chasseurs primitifs, sans les trois gestes de la main que nous avons mentionnés, se retrouvent bien dépourvus. Par contre, ce type de comportements révèle les deux aspects complémentaires de l'acte instinctif, celui de stimulus clé, ici le geste, et de mécanisme inné de déclenchement, ici la compréhension instinctive du sens du geste. Il va de soi que ces deux systèmes évoluent conjointement lors du processus de sélection naturelle[22].

Les mécanismes innés de déclenchement

Chez les animaux, une coordination héréditaire est toujours, sauf dans le cas de déclenchement endogène, à vide ou comme activité de substitution, déclenchée par un stimulus. Ce stimulus est soit visuel, tactile, odorifère ou sonore. Les stimuli visuels, sonores et tactiles, étant plus simples à reproduire, ont été grandement étudiés.

Lorenz remarqua que les stimuli déclenchant une coordination héréditaire ne nécessitent pas de ressembler le plus possible à la forme naturelle. Seules quelques caractéristiques fondamentales sont nécessaires, il s'agit du stimulus clé (stimuli effectifs) . De plus, en général, plus le stimulus artificiel est grand ou exagéré, plus il est efficace. Il s'agit du phénomène d'hyperstimulus ou stimulus supranormaux. Par exemple, une oie va réagir beaucoup plus promptement à la vue d'un œuf gigantesque en dehors de son nid et va même préférer cet œuf à celui de taille normale et ceci même si l'œuf est beaucoup trop gros pour qu'elle puisse le transporter.

Si chez les animaux inférieurs (insectes, mollusques, poissons, amphibiens, reptiles) la réponse à un stimulus est habituellement une coordination héréditaire, la situation est beaucoup plus complexe chez les mammifères et en particulier chez l'humain. En effet, chez celui-ci, la présence d'un stimulus clé déclenche rarement une coordination héréditaire déterminée mais produit plutôt une réaction émotionnelle (changement motivationnel) permettant plusieurs comportements alternatifs ou même l'apprentissage de nouveaux stimuli clés par le mécanisme d'empreinte.

La maturation et l'activation des mécanismes de déclenchement

Cette maturation est l'équivalent du rodage des processus moteurs en ce qui concerne le développement des fonctions cognitives nécessaires à la mise en place des mécanismes de déclenchement innés. Par exemple, un bébé âgé de seulement dix minutes manifeste déjà une très forte préférence pour les visages à tout autre forme[23](p.5) ; ce fait démontre sans contredit que le nourrisson possède des mécanismes innés de reconnaissance de la forme des visages. Par contre, c'est seulement vers cinq semaines que le bébé peut reconnaitre sa mère sur la seule base des traits faciaux[24](p.48). À sept mois, les bébés manifestent plus d'attention envers les visages exprimant la peur que ceux exprimant la joie ou les visages neutres et ils allouent encore plus de ressources attentionnelles envers les visages exprimant la colère[25].

Ce type de maturation ressemble à une lente imprégnation et le fait que les bébés manifestent des préférences envers les visages et certaines expressions faciales démontre la nature innée et très particulière du mécanisme d'apprentissage de la reconnaissance des visages et de la distinction des expressions faciales.

Nous remarquerons également que la mise en route de certains mécanismes de déclenchement ne se produit que dans des phases spécifiques de la vie de l'animal. Il en est de même des mécanismes de déclenchement de l'excitation sexuelle n'apparaissant que vers la puberté chez l'homme. Il est clair que dans ce cas, il ne s'agit pas d'un processus de maturation cognitive, mais bien d'activation de mécanismes sous l'effet du flux hormonal.

Les peurs primitives

La peur est un état motivationnel inné plaçant l'animal en disposition de fuite, de lutte, ou d'inhibition de l'action[26]. Elle est déclenchée par un stimulus nociceptif (procurant de la douleur), par la perception d'un stimulus associé, par apprentissage, à la douleur ou encore par la perception d'un stimulus déclencheur inné comme, par exemple, un mouvement et un bruit soudain déclenchant le sursaut de peur.

Nous remarquerons que, dans la nature, la fuite est habituellement le comportement le plus habituel, la lutte étant un choix alternatif ; bien que cet ordre puisse être modifié chez les prédateurs et chez les animaux venimeux. Lors d'agressions intraspécifiques (entre membres d'une même espèce), la stratégie du bourgeois[27] constitue une norme pratiquement inviolée ; il s'agit, dans cette situation, de la seule stratégie évolutive mathématiquement stable. Cette stratégie consiste à fuir si l'animal n'est pas sur son territoire mais à se battre dans le cas contraire.

Un animal peut apprendre que, dans une certaine situation, la fuite est inutile et que la lutte est la seule alternative. Il peut également apprendre que la fuite et la lutte sont inutiles et qu'elles peuvent même empirer sa situation. L'animal entre alors en état d'inhibition de l'action, se manifestant par le sentiment d'angoisse chez l'homme, et procurant les symptômes du stress. L'inhibition de l'action est un des mécanismes utilisés pour permettre l'établissement de structures hiérarchiques de dominance chez les mammifères sociaux comme l'humain[28].

La peur primordiale

Des travaux récents[29] ont mis en évidence que le centre nerveux de la peur, situé dans l'amygdale, est activé par des neurones possédant des récepteurs de gaz carbonique (canaux ioniques de type ASIC1a). Cette découverte laisse entrevoir que la première forme de peur, apparue chez l'animal au cours de la phylogénèse, est celle de la suffocation ; elle permettait ainsi aux animaux primitifs de fuir les milieux pauvres en oxygène. Les voies nerveuses supérieures de la peur déclencheraient donc cette émotion en augmentant le niveau de gaz carbonique de l'amygdale. Cette découverte explique parfaitement les phénomènes de suffocation et d'hyperventilation associés à la peur panique et aux crises de panique. Nous remarquerons également que la coordination héréditaire associée à la peur est une rapide inspiration bruyante.

La structure des cauchemars[30]

C'est entre six et dix ans que les cauchemars sont les plus fréquents. Dans la moitié des cas les enfants rêvent qu'ils sont poursuivis et qu'ils doivent fuir ou se cacher. Dans vingt pour cent des cas ils souffrent ou même meurent. Dans quinze pour cent des cas ils assistent à des agressions physiques faites à autrui et dans dix pour cent des cas, ils tombent dans le vide.

Les agresseurs sont habituellement des hommes (quatre fois plus courants que les femmes) et occasionnellement des animaux dangereux (loups, serpents,...) ou des hybrides homme-animal. Les êtres immatériels comme les fantômes sont beaucoup plus rares.

La structure rigide des cauchemars, culturellement et ontogénétiquement, laisse fortement supposer que ceux-ci sont de nature innée.

La peur des serpents

La peur innée des serpents chez l'homme est un mythe scientifique tenace. Il s'agit d'un thème récurrent chez Darwin ; celui-ci est le premier à remarquer que la peur des serpents, généralement absente chez les mammifères, est présente chez les singes[31]. Dans son autobiographie (p.76) il déclare cette peur instinctive : « Il (l'enfant devenu adulte) lui serait aussi difficile de rejeter la croyance en Dieu qu'à un singe la peur instinctive du serpent ». Dans The Descent of Man (p.37), Darwin prend comme argument pour justifier la descendance animale de l'homme le fait qu'il partage avec les singes la peur des serpents.

Le fait que les chimpanzés, en milieu naturel, ont pratiquement toujours peur des serpents n'en fait pas une peur instinctive. R.A. Hinde remarqua que cette peur n'était pas présente chez les animaux élevés en laboratoire[32]. Nous savons maintenant que cette peur est transmise par observation ; un singe développera sa peur simplement en observant un autre singe avoir peur d'un serpent[33]. Bien que la peur des serpents ne soit pas plus innée chez l'humain, il est démontré que celui-ci possède une capacité innée à reconnaître beaucoup plus rapidement et efficacement la forme des serpents que celle de tout autre objet[34]. Il en est de même pour les araignées[35].

Nous pouvons voir ici deux mécanismes de déclenchement. Le premier, inné, est celui de l'imprégnation de la vermine dont le stimulus clé est la peur d'un congénère orientée vers une vermine quelconque. Le second est un mécanisme empreint dont le stimulus clé est la vue de la vermine en question. Nous pouvons présumer que le mécanisme d'imprégnation est facilité, de façon innée, en ce qui concerne certaines vermines comme les serpents, les rongeurs ou les araignées qui induisent des phobies courantes chez l'humain.

La peur des prédateurs
Inquiétant?

Si le critère d'horizontalité n'est pas respecté en ce qui concerne la peur des serpents (tous les humains n'ont pas peur des serpents), il en est tout autrement de la peur des prédateurs. En effet, tout homme serait inquiet à la vue d'un gros chien grognant et montrant les crocs et ceci, même s'il n'a jamais eu d'expérience personnelle négative avec un tel animal. De même, il est bien connu que la peur infantile la plus commune est celle du «monstre dans le placard» et qu'un jeu habituel, entre parent et enfant, consiste pour l'adulte à faire le monstre (courir tranquillement les bras tendus, la bouche ouverte en montrant les dents et en grognant) et pour l'enfant à se sauver et à se cacher. Nous remarquerons que ce genre de jeu de poursuite est pratiqué par pratiquement tous les mammifères, proies comme prédateurs.

Nous devons au cinéma d'horreur des dizaines d'années d'études et d'analyses minutieuses des éléments déclenchant la peur. Si les films usant de vermines quelconques tels les araignées, les rats, les serpents, les sangsues et autres n'obtiennent qu'un succès mitigé, un film comme « Alien - Le huitième passager » peut devenir un chef d'œuvre du genre. Les stimuli déclencheurs clés que nous pouvons identifier et qui sont largement utilisés par l'industrie sont :

  1. Une gueule remplie de crocs, bavant et grognant.
  2. Des griffes acérées.
  3. Un mouvement rapide et furtif dans le décor.
  4. Un animal ou un homme se déplaçant sournoisement en rampant.
  5. Un animal ou un homme se déplaçant par saccades.

L'avantage évolutif du déclenchement de la peur par ces stimuli est évident. Le déplacement par saccades est causé par la trajectoire dynamique d'attaque du prédateur laissant croire que celui-ci est un point fixe. Pour la proie, le prédateur semble se déplacer par bonds sur la ligne de visée entre elle et le point où le prédateur fut aperçu pour la dernière fois[36].

La peur de l'obscurité

L'obscurité induit l'anxiété qui est une forme de peur non-spécifique, l'attention n'étant pas concentrée sur un objet particulier mais diffuse. Rares sont les jeunes enfants qui échappent à la peur du noir et elle est habituelle, même chez l'adulte. Nous ferons remarquer qu'une légère augmentation de l'anxiété est inévitable et que le contexte est important ; se promener dans la forêt la nuit n'induit pas la même anxiété que de se promener dans sa chambre.

Cette augmentation de l'anxiété est également un mécanisme inné de protection contre les prédateurs. Il est nécessaire d'être plus vigilant à l'environnement (attention diffuse) la nuit pour remarquer un prédateur tapi dans l'ombre. Ici encore, l'avantage évolutif du déclenchement de la peur par ce stimulus est évident.

Un stimulus déclencheur clé de la peur dans le contexte de l'obscurité est la présence soudaine de deux yeux luisants dans le noir.

La peur des hauteurs

Se trouver en hauteur produit une forme d'anxiété semblable à celle produite par l'obscurité. Ici aussi, l'avantage évolutif d'une augmentation de la vigilance par ce stimulus est évident.

La peur de la maladie

Les animaux sociaux excluent habituellement les animaux malades possédant des altérations visibles de leur pelage, plumage ou cuir. De même, la parade nuptiale oblige souvent l'animal à exposer les parties cachées de son corps, ceci étant un moyen efficace pour le partenaire de vérifier la présence d'anomalies.

Chez l'humain, la promiscuité provoquée par la civilisation a accéléré l'éclosion de nombreuses épidémies et a certainement contribué, par voie de sélection naturelle, au développement de cet instinct. Depuis l'aube de la civilisation, l'homme isole ou exclut les malades, pensons simplement aux léproseries. La présence d'anomalies comme les verrues ou les grains de beauté proéminents était utilisée comme critère par les inquisiteurs pour déterminer si une femme était une sorcière. De même, les films d'horreur regorgent de personnages difformes : sorcières aux doigts et au nez crochus, zombies et morts vivants contagieux, monstres de frankenstein, etc.

Nous remarquerons également, chez l'homme, la peur de la maladie mentale comme les psychoses délirantes chroniques telle la mégalomanie ou la psychopathie sadique représentées, au cinéma, par les savants fous aux rires graves et tonitruants, et les tueurs en série ou sorcières perfides aux rires aigus et nerveux.

La peur de la perte et de la mort

La première raison d'être du comportement animal est de permettre à celui-ci de maintenir son intégrité physique et d'éviter de mourir. Il n'est donc pas difficile de comprendre pourquoi la simple vue d'une personne se faisant estropier ou tuer peut déclencher une peur panique incontrôlable. Cette peur est tellement intense qu'elle permit de détourner plusieurs avions lors des attentats du 11 septembre 2001 avec comme seul arsenal de modestes couteaux exacto. De même, les films d'horreur usent abondamment de scènes de démembrement et de tueries sanglantes.

L'homme est le seul animal à avoir conscience de sa mort et de l'échec inévitable de son propre programme biologique. Cette angoisse de la mort, sublimée dans une certaine mesure par l'idée de la vie éternelle et du monde des morts, n'en demeure pas moins omni présente. L'utilisation abondante de revenants et de fantômes par l'industrie cinématographique reflète cette angoisse primitive. Par contre, nous quittons, ici, la sphère éthologique pour aborder la sphère anthropologique.

Expression faciale de la peur, tirée de Charles Darwin, The Expression of the Emotions in Man and Animals (1872), à partir d'une photographie du Dr. Duchenne
La peur de la peur

La peur se transmet d'individu en individu et peut, à son paroxysme, déclencher une panique de foule. Les réactions de peur comme le sursaut, l'expression faciale de la peur ou le tremblement de peur sont également des stimuli clés largement utilisés dans le cinéma d'horreur.

La peur de l'inconnu

Lorsqu'un animal rencontre pour la première fois un objet inconnu, sa première réaction est généralement une manifestation de peur. Si l'objet semble inoffensif, la curiosité l'emporte habituellement et l'animal va s'en approcher craintivement. Cette réaction est normale, en cas de doute sur le danger, il vaut mieux s'abstenir et nous comprendrons aisément l'avantage évolutif de cette crainte.

Toute forme incompréhensible, comme une branche dans l'ombre ou dans le brouillard déclenche de l'anxiété et notre attention tente par tous les moyens de résoudre l'énigme (phénomène de l'inquiétante étrangeté). De même, nous retrouvons couramment des manifestations de l'inconnu dans le cinéma d'horreur : extraterrestres, créatures d'outre-tombe, peuplades aux mœurs effrayantes, etc.

L'instinct de reproduction[37],[38]

Le terme instinct de reproduction dissimule, en fait, un grand nombre de comportements instinctifs différents qui conjointement permettent la reproduction de l'animal. Nous pouvons distinguer : la parade nuptiale (cour ou période de séduction), la copulation, l'élevage de la progéniture chez les espèces prodiguant des soins parentaux et la formation du couple chez les espèces familiales.

Si les premiers animaux pélagiques n'avaient qu'à déposer leurs gamètes (ovules et sperme) dans l'eau pour réaliser l'accouplement, la création de couples et l'élevage des petits nécessita l'apparition de comportements altruistes alors inexistant dans la nature. Ces nouveaux comportements, pour exister, durent trouver un moyen d'inhiber ou de détourner le seul comportement interindividuel existant à l'époque : l'agression. C'est ainsi qu'apparurent un ensemble de stimuli clés permettant d'inhiber l'agression des parents envers la progéniture. Chez les animaux supérieurs, il s'agit essentiellement de certaines proportions de la face (face plate, front bombé, grand yeux) et une tonalité nettement plus aigüe des cris.

Stimulus clé déclencheur du mignon (inhibiteur de l'agressivité). Même un dangereux prédateur peut sembler mignon.

Si les soins parentaux prodigués par un parent seul permet d'augmenter le nombre de petits atteignant la maturité, le couple décuple cette réussite en partageant les tâches de protection des petits et de recherche de nourriture. Le couple apparaît ainsi chez les espèces produisant peu de petits par portée, l'importance de l'investissement parental étant inversement proportionnelle aux nombres d'œufs pondus ou de petits mis à bas par période de reproduction. Un taux de prédation élevé et une grande difficulté d'approvisionnement en nourriture favorisent également la création des espèces familiales.

La création du comportement de formation du couple se trouva confronté au même problème d'agression interindividuelle que celui de l'élevage de la progéniture, il fallait inhiber l'agression ou la détourner. Beaucoup d'espèces réutilisent les mécanismes inhibiteurs de l'agression inventés pour les soins parentaux entre les conjoints, d'autres préfèrent réorienter cette agressivité vers un ennemi commun, mais, en général, ils combinent ces deux types de mécanisme.

Les stimuli clés du désir sexuel

Chez la plupart des espèces sociales, les stimuli permettant la reconnaissance entre les sexes sont appris par imprégnation. Seuls quelques stimuli déclencheurs de base permettent d'orienter le mécanisme d'imprégnation vers l'image du sexe opposé. L'évolution naturelle a sélectionné ce type de mécanisme souple car s'il était rigide, la morphologie de l'espèce ne pourrait changer et elle deviendrait ainsi atavique. De l'autre côté, le mécanisme d'imprégnation doit être assez rigide de manière à éviter que mâle et femelle ne soient pas objet de désir mutuel. Il est à noter que l'instinct de reproduction est tellement complexe qu'un animal ayant une empreinte sexuelle sur un objet hors norme n’a pas nécessairement la même empreinte dans d’autres domaines de son comportement, comme les luttes rivales ou tout autre comportement social.

Chez l'homme, Freud a clairement montré dans ses Trois essais sur une théorie de la sexualité (1905), que les anomalies sexuelles peuvent concerner l’objet du désir ou les manières de s’y prendre pour le satisfaire ; en y exposant l'ensemble des déviances d'objet rencontré en clinique, il démontre que n'importe quel objet peut subir le mécanisme d'empreinte et que celle-ci, comme habituellement toute empreinte, est irréversible. Il est important de noter que l'homosexualité, beaucoup plus fréquente que les déviances d'objet, est habituelle en nature et extrêmement fréquente en captivité chez pratiquement toutes les espèces animales. Chez le chimpanzé commun l'homosexualité est courante et chez le bonobo, une bonne moitié des activités sexuelles se déroulent entre partenaires du même sexe[39].

En combinaison avec l'imprégnation et nécessaire à celle-ci, il existe des stimuli clés du désir sexuel chez l'humain ; le phénomène d'hyperstimulus permet de les révéler. Chez la femme, les seins, les jambes et les hanches sont des stimuli clés. Le rallongement des jambes, l'élargissement des hanches et le développement des seins caractérisent, morphologiquement, le passage à la maturité sexuelle chez la femme. Il en est de même pour la voix grave de l'homme, le développement de sa musculation, l'élargissement des épaules et le développement de sa pilosité faciale.

Le rallongement artificiel des jambes féminines, jusqu'à des proportions déraisonnables, fut largement utilisé par l'industrie publicitaire pour séduire les consommateurs. De même, l'usage de faux culs et de corsets fut pratiqué, à plusieurs époques, pour exacerber les formes féminines jusqu'à des proportions encore plus déraisonnables. Il en est de même pour la mise en valeur de la poitrine par des décolletés plongeants ou l'usage de soutiens-gorge exagérant la taille et la forme. De nos jours, une des chirurgies les plus courante est l'augmentation mammaire et l'usage de talons hauts permettant de mettre en valeur les jambes et le postérieur est habituel. Chez l'homme, le culturisme permet une hypertrophie musculaire surprenante et la voix grave est souvent exagérée lors de la séduction. Nous ferons remarquer qu'une coordination héréditaire utilisée lorsqu'une femme ou un homme croise une personne qui lui plait consiste à bomber le torse, cela permet à l'homme de révéler la largeur de ses épaules et à la femme ses seins. Un déhanchement exacerbé peut également être utilisé par la femme.

L'obéissance de ces stimuli à la règle d'hyperstimulation, leur relation évidente à la maturité sexuelle biologique et l'association de ceux-ci à des coordinations héréditaires permet de supposer fortement ces stimuli comme étant des déclencheurs innés de l'excitation sexuelle. Ils sont également probablement impliqués lors du processus d'imprégnation sexuelle.

La phylogenèse des stimuli clés du désir sexuel

Desmond Morris dans le singe nu (1968) explique l'hypertrophie des seins des femmes, phénomène unique chez les primates et exceptionnel chez les mammifères, par la réutilisation du déclencheur sexuel que sont les fesses et leur projection vers l'avant du corps ; c'est le passage à la station verticale qui aurait propulsé ce changement. De même, les lèvres charnues de la bouche, autre phénomène exceptionnel chez les primates et les mammifères en général, serait la réutilisation du stimulus déclencheur du sexe féminin de couleur rouge vif ou pourpre lors de l'excitation sexuelle ; couleur justement favorite des rouges à lèvre. Le phénomène contemporain de l'injection de collagène semble donner raison à Morris, les lèvres obéissent également au mécanisme d'hyperstimulus.

L'acte et le comportement instinctif

L'acte instinctif se définit par la formule de Nikolaas Tinbergen :

acte instinctif = stimulus clef + coordination héréditaire + taxie

Cette définition entraine plusieurs choses :

  1. Les actes instinctifs constituent la majorité des comportements de la plupart des animaux.
  2. Ils se raréfient chez les animaux supérieurs pour devenir pratiquement absents chez l'homme.
  3. La composante taxie permet de distinguer les réflexes (générés par le rachis) des actes instinctifs (générés par le cerveau).

Un réflexe comme le retrait automatique de la main en cas de brûlure n'est pas un acte instinctif car le mouvement ne change pas en fonction de la direction du stimulus. Par contre, le mouvement automatique de rotation de la tête en cas de bruit soudain ou celui du sursaut de peur (ontogénétiquement dérivé du réflexe de Moro) est un acte instinctif car la tête s'oriente vers le stimulus dans le premier cas et le corps s'éloigne de celui-ci dans le second.

Chez l'humain, le contrôle volontaire permet d'inhiber les actes instinctifs comme le salut des yeux mais nécessite une attention constante. L'homme possède un tel contrôle volontaire qu'il peut même résister à ses réflexes comme en laissant délibérément sa main sur le feu.

Si chez l'humain l'acte instinctif est très rare, le terme de comportement instinctif permet de décrire l'ensemble des comportements génétiquement déterminés pouvant être modulés, dans une certaine mesure, par la culture. Toutes les activités biologiques fondamentales comme la miction, la défécation, la nutrition, le toilettage et autres sont innés. L'homme n'apprend pas à uriner, déféquer, manger ou à se toiletter mais comment il doit le faire au sein de sa socioculture. Le bébé sait instinctivement comment manger, il est capable, après rodage moteur, d'apporter la nourriture à sa bouche avec ses mains, de goûter et de cracher ce qu'il n'aime pas, il sait instinctivement mâcher et déglutir mais il ne sait pas utiliser une fourchette. De même, si la toilette semble une activité totalement apprise, le fait qu'il s'agit de la manifestation névrotique la plus courante démontre le contraire. En effet, si chez l'homme le lavage compulsif des mains est la névrose la plus courante, le toilettage compulsif est également celle des animaux domestiques (chiens et chats névrosés).

Motivations, appétences et émotions

Superposition de motivations antagonistes (peur en ordonnée et agressivité en abscisse), d'après Eibl-Eibesfeldt, 1970, inspiré de Konrad Lorenz, 1952

Les psychanalystes ont longtemps considéré que les pulsions étaient la seule véritable manifestation de l'instinct, le terme pulsion ayant d'ailleurs été traduit quelquefois par instinct dans les écrits anglo-saxons. Les éthologues adoptent habituellement le terme motivation pour désigner l'équivalent de la pulsion chez l'animal mais celui-ci désigne un concept beaucoup plus objectif que la pulsion freudienne. En effet, les motivations sont beaucoup plus diversifiées et particulières et concernent toujours des activités biologiques objectives, contrairement à des concepts aussi flous et romantiques que pulsion de vie ou pulsion de mort. Le terme appétence désigne le domaine comportemental (trophylactique, prophylactique, reproduction,...) alors que la motivation exprime le degré de manifestation de l'appétence ou de l'émotion.

Avant les découvertes de Konrad Lorenz, un comportement comme la chasse chez l'animal était considéré déclenché par la pulsion de faim ; la satisfaction de celle-ci par l'ingestion d'une proie mettait fin au comportement. C'est en observant son étourneau domestique chasser des mouches imaginaires que Konrad Lorenz eu sa révélation ; la chasse n'est pas déclenchée par la faim puisque l'étourneau est bien nourri, pas plus que par la présence de mouches, elle s'exécute à vide sous la pression d'une motivation endogène autonome[40].

C'est l'existence de ce facteur endogène qui distingue l'appétence de l'état motivationnel, plus couramment appelé émotion chez l'humain. En effet, le changement émotionnel est toujours déclenché par un stimulus externe alors que l'appétence l'est par un mécanisme physiologique interne. Nous remarquerons que la capacité d'imagination de l'humain lui permet de générer, par lui même, des stimuli provoquant des émotions. Par exemple, se remémorer certains événements tristes ou contrariants ou anticiper de tels événements peut produire des changements émotionnels ; ceux-ci pouvant activer, réciproquement, une production de pensées et d'images tristes et contrariantes.

Il existe six émotions primaires, phylogénétiquement très anciennes, que nous partageons avec des animaux très éloignés de nous, soit : la joie, la tristesse, la peur, la colère, la surprise et le dégoût ; elles sont déjà toutes présentes chez le bébé de six mois[41]. Konrad Lorenz a remarqué que les oies qui avaient l'air tristes étaient précisément celles qui avaient vécu des choses difficiles comme le deuil de leur conjoint ; notre capacité à reconnaitre leur tristesse permet de présumer de l'ancienneté de cette émotion[42]. Nous remarquerons qu'il en est de même pour la peur et la colère que, fort heureusement, nous reconnaissons toujours chez les autres mammifères.

Difficulté de l'étude des motivations

Konrad Lorenz fit remarquer la difficulté de théoriser sur les motivations car elles représentent des mécanismes intérieurs ne pouvant manifester objectivement leurs présences que par les actes à vide. C'est pour cette raison qu'il s'intéressa particulièrement aux espèces comme certains cichlidés sur lesquels plusieurs taches sombres peuvent apparaître selon leurs états motivationnels. Le modèle originel de Lorenz était relativement simple, la motivation augmentait progressivement jusqu'à atteindre le seuil de déclenchement à vide et s'exécutait alors spontanément. Lorenz et Tinbergen menèrent plusieurs expériences et mirent en évidence que le seuil d'activation face à certains stimuli déclencheurs était inversement proportionnel à la motivation ; plus la motivation augmente, moins le simulus déclencheur doit être précis pour déclencher le comportement, l'acte à vide étant l'extrême limite de ce phénomène.

Par contre, cette théorie simple ne permet pas de développer des modèles mathématiques précis du comportement lorsque plusieurs motivations sont en jeu. Par exemple, en cas de conflit motivationnel chez le chien entre la peur déclenchant le comportement de fuite et l'agressivité le comportement d'attaque, comment établir la fonction de probabilité du déclenchement d'une attaque ? Ici, seules des théories mathématiques complexes comme la théorie des catastrophes de René Thom, utilisée par Erik Christopher Zeeman permettent de créer de bons modèles[43].

Désir d'objet ou appétence?

La capacité d'apprentissage permet aux animaux de considérer certains objets comme possédant une valeur intrinsèque, par exemple, l'ouverture des bouteilles de lait chez les mésanges et la transmission culturelle de ce comportement[44] pourrait faire croire, naïvement, que celles-ci possèdent une appétence innée de recherche de bouteilles de lait. Il en est de même chez l'humain en ce qui concerne certaines appétences comme le controversé instinct maternel, décrié par Elisabeth Badinter[45]. Si nous limitons cet appétence au désir d'avoir des enfants, il est clair qu'une telle appétence innée n'existe pas chez l'humain, pas plus que chez les autres animaux ; l'appétence sexuelle, de formation du couple et d'élevage de la progéniture sont suffisantes en nature.

Il n'existe aucune connaissance innée du lien de causalité entre la sexualité et la procréation, ceci étant clairement démontré par l'existence des différents mythes de la procréation. Par contre, que l'enfant soit un objet de désir provoqué, entre autres, par les stimuli clés du mignon est indiscutable.

Les différentes formes de l'appétence

Les appétences les plus connues sont la libido et les appétences trophylactiques la soif et la faim ; elles orientent l'attention vers la recherche de nourriture, d'eau ou d'un partenaire sexuel. L'appétence de contact social oriente l'attention vers la recherche d'un partenaire pour s'épouiller mutuellement ou discuter, l'appétence prophylactique vers un idéal de propreté résolu par des comportements de toilettage ou de nettoyage, l'appétence exploratoire, quant à elle, pousse l'animal à une simple activité déambulatoire lui permettant de connaître son territoire et de le marquer. Nous remarquerons que l'appétence peut être présente selon une intensité variable ou absente ; les troubles psychologiques sont en général associés à des dérèglements de l'appétence. Les appétences trophylactiques sont régulées dans l'hypothalamus par les centres de la soif et de la satiété[46] de même que les hormones sexuelles, source de la libido, par le complexe hypothalamo-hypophysaire. L'amygdale semble jouer un rôle important dans la régulation de l'appétence de socialisation alors que le système septo-diencéphalo-mésencéphalique serait responsable de l'appétence exploratoire[47].

Plusieurs pathologies et handicaps psychologiques affectent l'appétence sociale ; les schizophrènes, les dépressifs et les personnes atteintes de troubles autistiques ont souvent une tendance à l'évitement des contacts sociaux. Par contre, un maniaco-dépressif en phase maniaque manifestera une appétence incontrôlée pour la socialisation. Les mécanismes neurologiques sous-jacents commencent à peine à être compris ; les voies nerveuses endorphiniques et les récepteurs opioïdes de type mu jouent un rôle important dans l'acceptation du rejet social[48] alors que certaines voies serotinergiques sont responsables de l'appétence sociale proprement dite[49]. La paranoïa est un dérèglement de l'appétence de protection, si nécessaire dans la nature sauvage, permettant à l'animal de prendre des mesures de protection aussi essentielles que de ne pas tourner le dos à un rival. Le lavage et le nettoyage compulsif définissent une des trois catégories des troubles obsessionnels compulsifs : lavage (mains, corps, linge, maison, ...), vérification (porte, gaz, ...) et accumulation-collection (journaux, déchets, …)[50] ; chacune de ces catégories constitue une appétence particulière ayant des fondements biologiques profonds. Que ce soit un castor qui vérifie son barrage ou un humain qui vérifie s'il a bien éteint son feu, que ce soit un écureuil qui accumule des noix ou un humain qui engrange son blé pour l'hiver, les nécessités évolutives à l'origine de ces comportements sont les mêmes. Par contre, déterminer s'il s'agit d'analogies ou d'homologies est un problème plus complexe ; il est tout de même possible de se fier à l'ordre d'ancienneté des structures (métencéphale, mésencéphale, diencéphale).

Les manifestations culturelles des appétences

Konrad Lorenz fit remarquer que les appétences culturelles ressembles à de simples manifestations des appétences biologiques[51]. Par exemple, l'appétence exploratoire serait à l'origine de l'amour des voyages mais également de celle de la connaissance par déplacement du territoire concret au territoire abstrait du savoir ; cette appétence serait le moteur de la recherche scientifique. Il est possible de distinguer l'appétence exploratoire déambulatoire, sans véritable objectif, de l'appétence de recherche. La première entrainerait les comportements concrets de la marche et du voyage mais également le voyage dans des mondes imaginaires comme les romans, le théâtre ou le cinéma. La seconde serait à l'origine de comportements concrets comme la recherche des clés perdus ou de la chasse aux aubaines, un des moteurs de notre système économique fondé sur la consommation ; l'appétence d'accumulation serait quant à elle un des moteurs du capitalisme.

Certains comportements obsessifs-compulsifs comme l'hyper-religiosité sont maintenant catégorisés dans le lavage compulsif[52]. En effet, ces comportements sont associés au «lavage» des pêchés, à la «purification» de l'âme, soit un déplacement de l'appétence concrète du lavage à l'abstraction qu'est la moralité. Nous remarquerons que ce type de pathologie combine souvent une peur de la «faute» ou de l'«erreur» soit un trouble de l'appétence de vérification ; ceci met en évidence que plusieurs appétences peuvent s'associer pour générer un comportement.

L'appétence de vérification, semblant si étrange, semble être le moteur de la planification ; elle nous pousse à planifier nos actions avant la réalisation. Elle pousse également à rechercher les erreurs dans notre planification et à corriger notre modèle d'action ; elle permet de réfléchir avant d'agir. Elle semble extrêmement proche de l'appétence de protection dont elle doit dériver.

Les appétences de domination, de soumission et de réalisation

La psychologie traditionnelle ou psychanalyse, fondée par Freud, a étudié en profondeur l'appétence sexuelle (libido) soit son ontogenèse et ses distorsions ; la névrose est principalement interprétée comme une distorsion de cette appétence ou de sa manifestation. Par contre, la psychanalyse Aldérienne pointe du doigt d'autres appétences, soit une déformation de la vanité et de la culpabilité ainsi que de la réalisation, sous la forme de la tâche exaltée, termes introduits par Paul Diel[53]. Diel remarqua que ce qu'il nomme la psychose non-organique et qu'il considère comme l'ultime détérioration psychique, stade supérieur de la névrose, se caractérise par deux postures catatoniques stéréotypées : la posture de vanité soit avoir l'air prétentieux avec le nez en l'air et la posture de culpabilité consistant à courber les épaules et le cou en regardant le sol[54]. Ces coordinations héréditaires sont caractéristiques des dominants et des dominés chez tous les singes catarhiniens (singes de l'ancien monde) et son origine est donc extrêmement ancienne soit plus de 25 millions d'années (forme fossile africaine de l'aegyptopithecus)[55].

Les relations sociales chez les singes sont régulés par le statut, les dominants ayant accès aux ressources nutritionnelles et reproductives alors que les dominés, pour y avoir accès, doivent démontrer leur soumission par des comportements de service tel le toilettage, l'offrande, le travail et autres. Ainsi, le singe dominé peut espérer avoir accès aux ressources en entrant dans les bonnes grâces des dominants ; l'appétence de soumission oriente donc l'attention vers la satisfaction des désirs des dominants. À l'inverse, l'appétence de domination oriente l'attention vers l'exigence de servitude. Il est facile de concevoir que l'échec du comportement de soumission à l'atteinte des objectifs de réalisation dans les sphères de la nutrition, de la reproduction ou de la socialisation produit une révolte ; le dominé essaye de devenir dominant, tâche potentiellement vouée à l'échec. L'alternance pathologique de comportements de soumission et de domination est une caractéristique fondamentale de la nervosité ; ces comportements pouvant prendre une forme imaginaire. La fabulation, mécanisme psychique consistant à s'imaginer dans des situations de domination culturelle tel un chanteur populaire devant une foule, un grand artiste, un grand scientifique, un grand religieux ou simplement un gagnant de loto, peut se cristalliser sous la forme d'une tâche exaltée, toutes les ressources psychiques sont alors investies dans la fabulation, il y a alors névrose.

Que Freud n'ait aperçu que la culpabilisation sexuelle a possiblement une cause historique, la répression de la sexualité à l'époque victorienne était probablement la première source de culpabilisation (mécanisme du surmoi). Par contre, selon la conception aldérienne, il faut considérer la culpabilité comme la manifestation phénoménologique du mécanisme personnel d'inhibition comportemental régulant la socioculture et ses structures hiérarchiques de dominance.

Aspects sociologiques

Sous l'influence originale de Karl Marx, l'importance prise par les structures hiérarchiques de dominance (classes sociales) dans la sociologie moderne est indiscutable. Des études récentes[56] ont mis de l'avant les corrélations entre le niveau d'inégalité sociale et les problèmes sociaux comme la maladie mentale, l'obésité, les maladies cardiovasculaires, le décrochage scolaire, la toxicomanie, les grossesses précoces, la criminalité et le taux d'incarcération, la protection de la jeunesse et le suicide. Les causes psychologiques de ces troubles peuvent venir de l'augmentation globale du stress dans les sociétés inégalitaires[57] mais comme nous l'avons esquissé, ces mécanismes sont extrêmement complexes.

L'endocrinologie de la dominance[58],[59]

Diverses études ont montré que la testostérone diminue l'empathie, augmente l'agressivité, l'affirmation de soi et les comportements visant la domination d'autrui. Les hauts scores de dominance, mesurant certains traits caractéristiques de la dominance, sont associés à des concentrations élevées de testostérone chez l'homme et la femme comme chez l'animal (poules, rats ou singes). Chez l'humain, comme chez le macaque, les femelles dominantes donnent naissances à plus de garçons que de filles[60]. L'influence de la testostérone, in utero, affecte l'ensemble du comportement ainsi, une fille ayant un frère jumeau risque d'être plus «masculine». De même, les enfants exposés à des concentrations élevées d'androgène in utero réagissent plus agressivement que leurs frères et sœurs.

Les appétences altruistes

Tous les comportements et appétences exposés jusqu'à présent justifient leurs existences par les avantages adaptatifs directs qu'ils procurent ; en ce sens, leur existence valide la théorie de la sélection naturelle de Darwin. Les appétences trophylactiques permettent de maintenir l'organisme en vie, l'appétence sexuelle permet sa reproduction, l'appétence prophylactique permet de prévenir les infections, les appétences de protection les blessures, l'appétence exploratoire permet de connaître et de marquer le territoire de manière à garder la main mise sur les ressources, les appétences de soumission et de domination permettent également d'obtenir des ressources nutritionnelles et sexuelles. Il en est de même des comportements altruistes au sein de la famille nucléaire, les soins aux petits permettent une augmentation directe du taux de reproduction et l'altruisme entre conjoints permet une augmentation indirecte via les soins apportés par le conjoint à sa propre progéniture. Par contre, la théorie de Darwin échoue lamentablement en ce qui concerne d'expliquer l'existence de l'altruisme entre membres de la famille étendue comme entre frères et sœurs ou celui des tantes et oncles envers leurs neveux et nièces. Des échanges de nourritures et de services sont observés dans l'ensemble du règne animal et ils caractérisent les niveaux supérieurs de la socialisation ; les cas les plus extrêmes étant observés chez les hyménoptères sociaux comme les fourmis, les abeilles et les guêpes. Avant 1964, l'existence de l'altruisme dans la nature était le contre exemple le plus frappant mettant en mal la théorie néo-darwinienne classique ; l'altruisme ne pouvait pas exister dans la nature.

Le renouvellement de la théorie darwinienne permettant d'expliquer l'existence de l'altruisme fut réalisé par plusieurs chercheurs dans le courant baptisé sociobiologie. Ces travaux sont les plus récompensés de l'histoire de la biologie moderne et ils permettent de considérer maintenant la théorie darwinienne comme complète ; aucun phénomène biologique ne semble maintenant inexplicable par la théorie.

L'endocrinologie de l'altruisme

L'ocytocine est connu depuis longtemps pour favoriser l'attachement de la mère à ses enfants, augmenter les contractions de l'accouchement, la lactation ainsi que l'intensité de l'orgasme ; elle est également bien connue pour favoriser la générosité et la quiétude au sein du couple. Des travaux récents ont permis de mettre en évidence son influence sur les comportements altruistes dans les groupes : elle augmente l’altruisme au sein d'un groupe tout en augmentant la malveillance envers les autres groupes[61],[62]. De même, si l'ocytocine permet d'augmenter les interactions sociales des autistes légers, elle active également la capacité de distinction entre les «gentils» joueurs et les «méchants» joueurs ; les autistes étant normalement incapables d'effectuer cette distinction[63]. Ces mécanismes physiologiques sont parfaitement en accord avec la sociobiologie et l'équation de Price (voir la sélection de groupe).

Langage populaire

Dans le langage populaire, le mot instinct est utilisé de façon abusive pour remplacer le mot intuition. On dira, par exemple, que l'on prend une décision en suivant son instinct, ou que l'on agit instinctivement, pour parler d'une situation où l'on a suivi une impulsion ou une intuition.

Bibliographie

Charles Darwin, L'expression des émotions chez l'homme et les animaux

Alain Schmitt, New aspects of human ethology

Irenäus Eibl-Eibesfeldt, Éthologie: biologie du comportement

Robert Boyd, Joan Silk, Stéphane Ducrocq, L'aventure humaine: Des molécules à la culture

David McFarland, Le comportement animal: psychobiologie, éthologie et évolution

David C. Geary et Philippe Gouillou, Hommes, Femmes: L'évolution des différences sexuelles humaines

Irenäus Eibl-Eibesfeldt, Love and hate: the natural history of behavior patterns

Irenäus Eibl-Eibesfeldt, Human Ethology

Konrad Lorenz, On Aggression

Jane Goodall, In the Shadow of Man

Desmond Morris, The human zoo: a zoologist's classic study of the urban animal

Edward O. Wilson, Sociobiology: the new synthesis

Edward O. Wilson, On human nature

John Maynard Smith, The evolution of sex

Robert Trivers, Natural selection and social theory: selected papers

Jacques-Dominique de Lannoy, Pierre Feyereisen, L'Ethologie humaine, Que sais-je ?, Presses Universitaires de France, 1997

Notes

  1. Le Singe nu 1967 (ISBN 2253003050) (best-seller vendu à plus de dix millions d'exemplaires)
  2. An ethological study of children's behavior (1972), Academic press, New York and London
  3. Ethological studies of children behaviour (1972), Cambridge university press
  4. Evolution et modification du comportement, l'inné et l'acquis (1979) p.15
  5. A Review of B. F. Skinner's Verbal Behavior (1959) (en) article
  6. L'animal imperial (1971), Robin Fox et Lionel Tiger
  7. The Theory of Evolution (1958), London, Penguin Books. (ISBN 0-14-020433-4)
  8. Sociobiology: The New Synthesis (1975), Harvard University Press, (Twenty-fifth Anniversary Edition, 2000 (ISBN 0-674-00089-7))
  9. Adelson (1974), Ferrell (1990), Levtzion-Korach (2000).
  10. Space Perception in the Chick, Scientific American 195 (1956).
  11. Irenäus Eibl-Eibesfeldt, Contre L'agression (1972), Paris, 326 pages
  12. Irenäus Eibl-Eibesfeldt, L'homme programmé (1976), Flammarion, 256 pages
  13. Roger Eckert,David Randall,François Math, Physiologie animale: mécanismes et adaptations, W.H. Freeman and Company, 1997, p.457, p.711
  14. Inspiré de Pourquoi l'homme ne sait pas nager d'instinct ?, Science & Vie, avril 2011, no. 1123, p.132
  15. Irenäus Eibl-Eibesfeldt, Contre L'agression, chap.8, p.201
  16. «le contact oral-génital est un préliminaire régulier à la copulation chez plusieurs mammifères» p.66 dans Claude Crépault,Joseph Josy Lévy,Henri Gratton, Sexologie contemporaine, Presses de l'Université du Québec, 1981
  17. Desmond Morris, Le Singe nu, ch. Sexe et Supersexe, 1967
  18. Irenäus Eibl-Eibesfeldt, Contre L'agression, chap.3 Phylogénie et élaboration des rites (1972), Paris, 326 pages
  19. Robert Provine, Le rire, sa vie, son oeuvre, chap.5, Le rire chez le chimpanzé, le développement de la parole et la paléohumorologie, Édition Robert Laffont, Paris, 2003
  20. Aristote, Les parties des animaux
  21. David McFarland, Le comportement animal: psychobiologie, éthologie et évolution, chap. 22, Communication humaine non verbale, De Boeck Université, 2001
  22. Maynard Smith, Harper, Animal Signals (2003), Oxford University Press. (ISBN 0-19-852685-7)
  23. Jacques Thomas, Célia Vaz-Cerniglia, Guy Willems, Troubles de l'attention chez l'enfant, Elesevier Masson, 2007, 248 pages
  24. Marie-Claude Fourment-Aptekman, Éric Bidaud, Visages, Editions L'Harmattan, 2005
  25. Tricia Striano, Mikko Peltola, L'apprentissage de la peur, Le monde de l'intelligence, mai/juin/juillet 2009
  26. Henri Laborit, «L'inhibition de l'Action», biologie comportementale et de physio-pathologie (1980), Editions Masson et aux Presses Universitaires de Montréal
  27. Richard Dawkins, The Selfish Gene (1976), Oxford University Press ; 2nd edition, December 1989, hardcover, 352 pages, (ISBN 0192177737); April 1992, (ISBN 019857519X); trade paperback, September, 1990, 352 pages, (ISBN 0192860925)
  28. Henri Laborit, Éloge de la fuite, Éditions Robert Laffont, coll. « La vie selon … », 1976 (ISBN 2-221-00278-1) 
  29. Adam E. Ziemann et al., The Amygdala Is a Chemosensor that Detects Carbon Dioxide and Acidosis to Elicit Fear Behavior, Cell, vol. 139, p. 1012, 2009
  30. Michael Schredi, Dans le labyrinthe des cauchemars, Cerveau et Psycho, no.34, juillet-août 2009
  31. De U. Van Ende, Histoire naturelle de la croyance: L'animal.... Publié par F. Alcan, 1887
  32. R.A. Hinde, A Biologist Looks at Anthropology. Man (New Series) 26(4): 583-608
  33. MINEKA S. (1) ; DAVIDSON M. ; COOK M. ; KEIR R., Observational conditioning of snake fear in rhesus monkeys. Journal of abnormal psychology   ISSN 0021-843X   CODEN JAPCAC , 1984, vol. 93, no 4, pp. 355-372 (2 p.)
  34. Vanessa LoBue, Judy S. DeLoache, Detecting the Snake in the Grass: Attention to Fear-Relevant Stimuli by Adults and Young Children. Psychological Science, mars 2008, p. 284-289
  35. Rakinson, D.H., Derringer, J.L. Do infants possess an evolved spider-detection mechanism?. Cognition, 2008, no 107, pp. 381-393
  36. N.E. Carey, M.V. Srinivasan, Energy-efficient motion camouflage in three dimensions (2008), http://arxiv.org/abs/0806.1785
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  38. Maynard Smith,The Evolution of Sex (1978), Cambridge University Press. ISBN 0-521-29302-2
  39. Emily Driscoll, L'homosexualité est-elle le propre de l'homme ?, Cerveau et Psycho, no.31, janvier - février 2009
  40. Konrad Lorenz, On Aggression (1966) ; (titre original : « Das sogenannte Böse. Zur Naturgeschichte der Aggression. », Borotha-Schoeler, Wien, 1963) ; L'Agression, une histoire naturelle du mal (traduit de l'allemand), Flammarion, Paris (1977) ISBN 2080810200, p.58
  41. Robert Soussignan, Un monde d'émotions, Cerveau et Psycho, no.35, septembre - octobre 2009
  42. Konrad Lorenz, On Aggression (1966) ; (titre original : « Das sogenannte Böse. Zur Naturgeschichte der Aggression. », Borotha-Schoeler, Wien, 1963) ; L'Agression, une histoire naturelle du mal (traduit de l'allemand), Flammarion, Paris (1977) ISBN 2080810200, p.203
  43. René Thom, Paraboles Et Catastrophes - Entretiens Sur Les Mathématiques, La Science Et La Philosophie
  44. Serge Aron,Luc Passera, Les sociétés animales: évolution de la coopération et organisation sociale, p.48
  45. Elisabeth Badinter, Le Conflit, La Femme et la mère
  46. Gerard J. Tortora,Sandra R. Grabowski, Principes d'anatomie et de physiologie, John Wiley & Sons, Inc., 2000, p.485.
  47. Daniel Marcelli, Enfance et psychopathologie, Masson, Paris, 2006, p.12
  48. Baldwin M. Way, Shelley E. Taylor, Naomi I. Eisenberger, Variation in the μ-opioid receptor gene (OPRM1) is associated with dispositional and neural sensitivity to social rejection, PNAS, 2009
  49. Baldwin M. Way, Matthew D. Lieberman, Is There a Genetic Contribution to Cultural Differences?: Genetic Variation and Social Sensitivity, MedScape Today, 2010
  50. Jeffrey Nevid, Psychopathologie, Prentice Hall, 2008, p.138
  51. Behind the Mirror : A Search for a Natural History of Human Knowledge (1973) ; (orig.: « Die Rückseite des Spiegels. Versuch einer Naturgeschichte menschlichen Erkennens », 1973) ; L'envers du miroir : Une histoire naturelle de la connaissance, p.198, Comportement de curiosité et auto-exploration, Flammarion, Paris, 1975
  52. F. de Bilbao P. Giannakopoulos, Influence de la culture religieuse sur la symptomatologie du trouble obsessionnel compulsif, Revue Médicale Suisse N° 43, 2005 article
  53. Psychologie de la motivation, Éditions Payot, coll. « Petite Bibliothèque »,, 1947, ISBN 2-228-89607-1
  54. Psychologie de la motivation, Éditions Payot, coll. « Petite Bibliothèque »,, 1947, ISBN 2-228-89607-1 p.143
  55. Richard Dawkins, Il était une fois nos ancêtres, Roberts Laffont, Paris, 2007
  56. Richard Wilkinson, Kate Pickett, Le bon niveau. Pourquoi les société plus égalitaires font presque toujours mieux, Allen Lane 2009, Penguin 2010
  57. Michael Marmot, Le syndrome du statut. Comment la position sociale affecte notre santé et notre longévité, Times Books, 2004
  58. Nicolas Guéguen, Signe distinctif : mâle dominant, Cerveau et Psycho, no.43, janvier - février 2011
  59. Laurent Bègue, La testostérone : l'hormone du pouvoir ?, Cerveau et Psycho, no.43, janvier - février 2011
  60. V.J. Grant et al., Dominance and testosterone in women, Biological Psychology, vol. 58, p. 41-47, 2001
  61. Carsten de Dreu, The neuropeptide oxytocin regulates parochial altruism in intergroup conflict among humans., Science, juin 2010
  62. Carsten de Dreu, Oxytocin promotes human ethnocentrism, Proceedings National Academy of Sciences USA, janvier 2011
  63. François Lassagne, Molécule de l'amour, elle est également celle de la guerre, Science&Vie, janvier 2011

Voir aussi


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