Générateur MHD

Générateur MHD

Un générateur MHD (magnétohydrodynamique) est un convertisseur MHD qui transforme l'énergie cinétique d'un fluide conducteur directement en électricité.

Le principe de base est fondamentalement le même que pour n'importe quel générateur électrique. Les deux types de générateur utilisent tous deux un inducteur (électroaimant) générant un champ magnétique dans un induit.

  • Dans le cas d'un générateur conventionnel, cet induit est solide : c'est une bobine constituée d'un enroulement de fil métallique.
  • Dans le cas d'un générateur MHD, cet induit est fluide : liquide conducteur (eau salée, métal liquide) ou gaz ionisé (plasma).

Les générateurs MHD n'utilisent donc pas de pièce mécanique mobile, contrairement aux générateurs électriques traditionnels. Le fluide est mis en mouvement dans le champ magnétique, ce qui génère un courant électrique, recueilli aux bornes d'électrodes immergées et commutées à une charge.


MHD generator.png

Sommaire

Principe

Force de Laplace

Les particules chargées en mouvement dans un champ magnétique subissent une force magnétique dite force de Lorentz[1] qui dévie leur trajectoire, selon l'équation :

 \vec F \ = \ q \; \vec v \wedge \vec B \,


Les vecteurs F, v et B sont perpendiculaires les uns aux autres et forment un trièdre dans l'espace selon la règle de la main droite.

Le sens de cette force dépend de la charge q, il est donc inverse pour les particules positives et les particules négatives.


Un fluide conducteur possède en son sein des atomes neutres ainsi que des charges positives (ions positifs) et des charges négatives (ions négatifs, plus des électrons libres s'il s'agit d'un plasma). Lorsqu'un tel fluide en mouvement uniforme traverse un champ magnétique, les forces de Laplace ont tendance à séparer les charges de signes différents de part et d'autre du fluide.

Si l'on plonge dans ce fluide des électrodes connectées à une charge, on recueille donc à leurs bornes une différence de potentiel.

Historique

Le concept de générateur MHD a pour la première fois été testé par Michael Faraday en 1832. Suite à la découverte expérimentale du danois Ørsted sur l'électromagnétisme et sa formulation théorique par le français Ampère avec l'électrodynamique, ce physicien anglais eut l'idée d'utiliser la composante verticale naturelle du champ magnétique terrestre, en plaçant de part et d'autre du pont de Waterloo des plaques de cuivre, plongées dans l'eau de la Tamise et reliées par un fil électrique long de 290 mètres. Cependant, l'équipement de l'époque ne permit pas de mettre en évidence le trop faible courant électrique généré, et c'est en 1851 que son compatriote le Dr. William Hyde Wollaston mesura effectivement, dans l'embouchure saumâtre du fleuve, une tension induite par la marée de la Manche.

Les recherches approfondies de génération d'électricité par MHD ont débuté au XXe siècle, tout d'abord avec le physicien Bela Karlovitz pour le compte de la société Westinghouse de 1938 à 1944. Ce générateur MHD était de type "Hall annulaire" (voir Tuyères plus loin) et utilisait un plasma issu de la combustion du gaz naturel ionisé par faisceaux d'électrons. Cette expérience ne fut pas concluante car la conductivité électrique du gaz était aussi limitée que les connaissances de l'époque en physique des plasmas. Une seconde expérience menée en 1961 au même laboratoire, utilisant un liquide composé d'un combustible fossile enrichi en potassium, fut elle un succès avec une puissance générée excédent 10 kW. La même année, une puissance identique fut générée aux laboratoires Avco Everett par le docteur Richard Rosa[2], en utilisant de l'argon enrichi par pulvérisation d'une poudre de carbonate de potassium (substance donnant facilement des électrons libres, ce qui augmente la conductivité électrique du plasma) et ionisé par arcs électriques à 3 000 K.

En 2007, un ensemble d'expériences concluantes réalisées aux États-Unis pour le compte de l'armée américaine, avec un fluide simulant une sortie de tuyère d'un avion hypersonique a permis d'obtenir une puissance générée supérieure à 1 mW. Ce type d'expérience est susceptible de relancer l'intérêt (notamment militaire) de la MHD, après une "mise en sommeil" de cette technique pendant de nombreuses années. Cette expérience est susceptible d'avoir également un impact sur la fusion contrôlée (voir Z machine).

Avantages

Les années 1960 virent un effort international très important en vue de créer les premières centrales MHD électriques industrielles, avec un gaz ionisé à très haute vitesse comme fluide conducteur. Les études préliminaires ont en effet dégagé un certain nombre d'avantages :

  • Rendement très important : la conversion énergétique doit permettre d'atteindre d'emblée 48 à 52 %, puis 70 % pour la seconde génération (les turbines à vapeur classiques des centrales thermiques ne dépassent pas les 40 %). Le rendement MHD croît comme le carré du champ magnétique. De la même manière, un générateur MHD d'électricité est connectable à un réacteur nucléaire à fission, en pompant le liquide de refroidissement du réacteur à travers le convertisseur MHD et avant un échangeur de chaleur, avec un rendement estimé à 60 %. Dans le futur, un générateur MHD sans électrodes pourrait être utilisé pour extraire directement l'énergie produite par une centrale électrique à fusion nucléaire contrôlée, l'expansion du plasma de fusion comprimant les lignes de champ magnétique d'un générateur MHD à induction, avec un rendement de plus de 80 %.
  • Impact environnemental minime : les températures de combustion élevées permettent de diminuer les résidus polluants de 90 %. L'accroissement de la conductibilité du fluide par un ensemencement au potassium permet alternativement de lier chimiquement cette substance avec les sulfures du charbon, réduisant les émissions de dioxyde de soufre de 99 %, et rendant l'utilisation de filtres superflu. La restriction d'oxygène dans le brûleur permet en outre de réduire les oxydes d'azote, alors que ces derniers sont finalement décomposés par la forte chute de température lors de la conversion MHD entre l'entrée et la sortie de la tuyère. Enfin, l'azote généré en quantité peut être récupéré pour servir à la fabrication de fertilisants agricoles.
  • Fiabilité : aucune partie mobile. Les matériaux sont capables de fonctionner plusieurs milliers d'heures (parois en céramique, électrodes composées d'un alliage spécial ou même de plasma).

Problèmes techniques

Bien qu'un effort mondial considérable ait été entrepris sur la conversion MHD dans la plupart des pays industrialisés dès le début des années 1960, pratiquement toutes les nations impliquées ont rapidement abandonné ces recherches au début des années 1970, face à des obstacles techniques apparemment insurmontables, à l'exception des États-Unis[3] et de la Russie qui ont maintenu une veille technologique. La Russie est d'ailleurs le seul pays qui dispose aujourd'hui (depuis 1971) d'une centrale MHD fonctionnelle, délivrant par ce moyen 25 MW.

  • Une bonne interaction MHD requiert de puissants champs magnétiques (plusieurs teslas) qui sont idéalement produits par des électroaimants supraconducteurs.
  • La conductivité électrique d'un gaz est faible. Il faut donc y effectuer un "ensemencement" d'espèces alcalines (césium par exemple) favorisant la présence d'électrons libres, mais certains de ces produits sont potentiellement polluants et réagissent violemment avec l'eau. Une autre solution est de travailler à très haute température (plusieurs milliers de degrés) ce qui nécessite des matériaux résistants à la chaleur et supportant de très grandes densités de courant, la plupart du temps des céramiques composées d'oxyde d'yttrium ou de dioxyde de zirconium, ou du tungstène. Le générateur MHD russe U-25 utilise ainsi des parois en céramique et des électrodes en chromite de lanthane, avec un plasma composé à 40 % d'oxygène et à 60 % de gaz naturel, chauffé à 2000 degrés et enrichi par un mélange ionisant à base de potassium ou de césium et de mercure.
  • Les gaz ionisés bitempératures, en régime hors d'équilibre, soumis à des champs magnétiques intenses donnant un paramètre de Hall élevé, sont sujet à l'instabilité électrothermique. C'est le principal obstacle à la réalisation industrielle de centrales électriques à conversion MHD, qui a conduit à l'arrêt de ces recherches dans le monde au début des années 1970. Voir Gaz bitempérature plus loin.

Cycle ouvert ou fermé

Les années 1960 voient la définition de deux classes principales de fonctionnement :

  • Les générateurs à cycle ouvert[4] utilisent directement les produits de la combustion d'une source d'énergie fossile. Ce type de générateur fut le plus étudié, avec un prototype à alcool générant 32 MW qui fonctionna en continu durant 3 minutes en 1965 aux États-Unis, et en URSS en 1971 avec la centrale pilote fonctionnelle à gaz naturel "U-25" de 75 MW (50 MW thermiques + 25 MW MHD).
  • Les générateurs à cycle fermé[5] sont envisagés pour fonctionner indirectement grâce à la chaleur émise par un réacteur à fission nucléaire voire par un combustible. Le fluide de travail est alors un gaz rare (qui nécessite dans ce cas un fonctionnement "bitempérature" hors d'équilibre, voir Gaz bitempérature plus loin) ou un métal liquide (approche développée par l'Argonne National Laboratory aux États-Unis).

Tuyères

Sans pièce mécanique mobile, un générateur MHD peut prendre diverses formes géométriques. La contrainte est d'avoir une composante de la vitesse d'écoulement v du fluide qui n'est pas parallèle au champ magnétique B, de telle sorte qu'un champ électrique de Faraday v x B puisse être créé. Ce champ va alors induire des champs et des courants électriques dans le plan normal au champ magnétique. Pour les convertisseurs à courant continu, une seconde contrainte est la présence d'électrodes plongées dans le fluide et reliées à une charge, qui collectent le courant électrique généré. Les géométries les plus étudiées utilisent un écoulement linéaire (avec plusieurs variations), en vortex, ou radial (tuyère discoïdale).

  • Tuyère linéaire de Faraday : la géométrie la plus simple pour un générateur MHD. Le fluide ionisé est en mouvement uniforme dans un conduit de section carrée ou rectangulaire. Le champ magnétique B forme un angle droit avec le sens d'écoulement v, ce qui induit un courant de Faraday I, les trois composantes formant un trièdre. Ce courant électrique I est recueilli aux bornes d'électrodes. Selon leur disposition et leur nombre, on a une tuyère linéaire de Faraday :
  • à électrodes continues : deux électrodes longues de chaque côté de la tuyère, connectées à une charge.
  • à électrodes segmentées : de multiples paires d'électrodes courtes, chacune reliée à une charge. Cette configuration permet de limiter le courant de Hall (qui est créé en plus du courant de Faraday transversalement à celui-ci) issu du champ de Hall créé le long de l'axe du mouvement du fluide, à cause du champ magnétique (effet Hall).
  • Tuyère linéaire de Hall : à l'inverse, on peut utiliser ce courant de Hall axial, longitudinal, comme courant principal si celui-ci est suffisamment élevé, en court-circuitant les électrodes intermédiaires (donc le courant de Faraday transverse) et en commutant deux électrodes en bouts de chaîne.
  • Tuyère à commutation diagonale (Diagonal conducting wall) : La disposition des électrodes dans les géométries linéaires de Faraday et de Hall (afin d'utiliser respectivement les composantes du courant induites transversalement ou longitudinalement) ne sont en réalité que deux cas particuliers d'une seule et même classe de générateur MHD où le électrodes forment un angle α avec le plan (y,z) de la tuyère. Ainsi, cet angle α est de π/2 dans le générateur de Faraday, et de 0 dans le générateur de Hall. Il existe entre ces deux configurations limites un panel d'angles possibles. Citons la Tuyère linéaire de Montardy, à électrodes segmentées et inclinées à 45° en diagonales, connectées en série, où le courant de Faraday affecté par l'effet Hall est exploité. Elle combine les avantages des tuyères linéaires de Faraday et de Hall.
  • Électrodes linéaires pariétales : régime linéaire où la tuyère de Faraday (écoulement interne) est remplacée par une surface (écoulement externe) sur laquelle est disposée une multitude d'électrodes longues parallèles, très proches les unes des autres (distance inter-électrode de l'ordre du centimètre) à polarité régulièrement alternée. Le sens du champ magnétique est également inversé à chaque espace inter-électrode successif. L'interaction MHD reste concentrée dans l'écoulement au voisinage immédiat de la paroi, mais peut être réalisée sur de grandes distances. Ce générateur MHD particulier n'est pas envisagé en tant que source d'énergie pour une centrale électrique classique, mais comme système de ralentissement du fluide et de génération d'électricité dans les futures applications aéronautiques utilisant la magnétoaérodynamique (pontage MHD pour les avions hypersoniques et tuiles actives pour les navettes spatiales).
  • Tuyère vortex : deux cylindres courts coaxiaux. Le gaz est introduit tangentiellement à la paroi interne du cylindre périphérique, et tourne en spiralant jusqu'à la sortie ménagée dans la paroi du cylindre intérieur. Le champ magnétique est dans l'axe des cylindres, et les deux cylindres constituent les deux électrodes, le système étant analogue à une tuyère linéaire de Faraday qui serait "repliée sur elle-même". Sans commutation de charge, l'écoulement fluide est un vortex typique, avec une vitesse tangentielle inversement proportionnelle à la position radiale (plus élevée vers le centre du système). Une fois les charges commutées, la vitesse tangentielle du fluide est par contre pratiquement constante radialement (Le fluide est d'autant plus ralenti vers le centre du système que la densité de courant y est croissante). Lorsque le cylindre intérieur est beaucoup plus petit que le cylindre périphérique, le gaz effectue plusieurs révolutions dans le générateur : cela permet une plus grande longueur d'interaction magnétique. Dans le générateur vortex, le courant de Hall circule selon la direction tangentielle. Pour empêcher la réduction de la conductivité électrique à cause de l'effet Hall, la pression du gaz doit être suffisante.
  • Tuyère annulaire de Hall : Le fluide ionisé passe axialement dans l'interstice formé entre les parois interne d'un cylindre long et externe d'un cylindre de plus petit rayon situé en son centre. Les électrodes sont circulaires, tangentielles, et le champ magnétique est radial. Le courant induit de Faraday est circulaire en boucles refermées sur elles-mêmes (sans nécessité de segmenter les électrodes) et le courant de Hall est longitudinal. La difficulté de ce type de générateur consiste à produire un champ magnétique assez puissant ayant des lignes de champ radiales.
  • Tuyère disque de Hall : cette fois le gaz ionisé est éjecté radialement depuis le centre d'une "tuyère-disque", vers sa périphérie. Le courant de Faraday circule tangentiellement, et le courant de Hall radialement. Le courant de Hall interagit avec le champ magnétique en faisant spiraler l'écoulement en sortie. Le générateur à écoulement radial centrifuge est la variation discoïdale du générateur de Hall.
  • Générateur à induction : ce générateur MHD fonctionne sans électrode, avec des champs magnétiques variables. Classiquement une "onde magnétique" se déplace dans le fluide, émise par des courants électriques alternatifs circulant dans plusieurs électroaimants successifs, avec la même amplitude mais en déphasage. La variation du champ magnétique génère des courants induits dans le gaz, qui eux-mêmes génèrent des champs magnétiques induits dont les lignes de champ coupent les enroulements en spires des bobines. Si la vitesse du gaz est supérieure à la vitesse de déplacement de l'onde magnétique, les courants induits seront tels que les forces de Lorentz générées auront tendance à ralentir l'écoulement, et à générer par induction un courant dans les bobinages.

Régime de fonctionnement

Écoulement continu

La plupart des générateurs MHD industriels doivent fonctionner en régime continu, ils sont en cela analogues à une dynamo : ils génèrent un courant continu qui doit être converti en courant alternatif avant d'être transmis sur le réseau de distribution public. Les générateurs MHD à induction produisent par contre nativement un courant alternatif, analogues aux alternateurs.

Rafale impulsionnelle

La tenue délicate des matériaux face aux très hautes températures du gaz, requises pour un fonctionnement MHD optimal, a souvent restreint l'étude de ces dispositifs sur de courtes durées de fonctionnement. On distingue plusieurs régimes impulsionnels :

  • Générateurs MHD impulsionnels à rafales ultracourtes : c'est un simulateur de générateur MHD, appelé tube à choc (shock tube) développé à la fin des années 1960 aux États-Unis par Bert Zauderer, et reproduit à la même époque en France à l'IMFM (Institut de Mécanique des Fluides de Marseille) par Georges Inglesakis. Le tube à choc est une sorte de "canon à gaz" de 6 mètres de long, qui à l'aide d'un explosif crache un gaz rare pur ultra chaud (généralement de l'argon) à travers une tuyère de Faraday à électrodes segmentées très compacte (section carrée 5 x 5 cm sur une longueur de 10 cm). Le champ magnétique est généré par une batterie de condensateurs débitant dans une paire de solénoïdes durant 2 millisecondes. La rafale de gaz, à la pression atmosphérique de 1 bar, est très rapide (2 700 m/s) et ne dure que 200 microsecondes. En contrepartie, le gaz est porté à des températures de 10 000 degrés, ce qui le rend très conducteur, générant directement des dizaines de milliers d'ampères et des mégawatts électriques dans un champ magnétique pulsé de seulement 2 teslas.
    Cette rapidité de fonctionnement n'entraîne aucune contrainte mécanique ou thermique, et permet l'utilisation de matériaux simples tels que le Plexiglas pour la tuyère ou encore du cuivre rouge pour les électrodes. Les évolutions de ces générateurs MHD impulsionnels eurent une grande importance dans les années 1980, comme systèmes d'alimentation des armes spatiales à énergie dirigée (canons laser et à plasma) du programme militaire américain Initiative de défense stratégique (connu via les médias sous le nom de programme StarWars) initié par le président Reagan. En Russie, ce type de générateur a également été développé dans le programme équivalent mené au centre Arzamas-16 par les physiciens Evgeny Velikhov et Andreï Sakharov en donnant les générateurs MHD à moteur-fusée, aux côtés des générateurs magnétocumulatifs inventés par ce dernier.
  • Générateurs MHD impulsionnels à rafales longues : stade de recherches plus avancé, où le gaz chaud est craché à travers la tuyère durant plusieurs secondes. Quelques exemples :
  • Typhée : en France dans les années 1960, le CEA construisit directement un tel générateur MHD à Fontenay-aux-Roses. Le prototype Typhée, de type tuyère de Faraday à électrodes segmentées, utilisait de l'hélium ensemencé au césium chauffé à travers un échangeur à barres de tungstène à 3 000 degrés, avec des durées de fonctionnement d'une douzaine de secondes.
  • Pamir : En Russie, l'IVTAN (Institut des hautes températures de Moscou) conçoit depuis les années 1960 des générateurs MHD impulsionnels à moteur-fusée crachant un gaz à travers des tuyères de Faraday et débitant des millions d'ampères, tels que le modèle PAMIR-3U[6] sous la direction du Pr. Victor A. Novikov[7]. Les "machines Pamir" connues également sous le nom de "générateurs MHD de Pavlowsky" sont par ailleurs capables de déclencher des séismes[8].

Gaz bitempérature

Chauffé en dessous de 1 500 °C, un gaz peut être utilisé en continu dans une tuyère, mais sa conductivité électrique et le rendement MHD restent faibles. Au-dessus de 5 000 °C, le gaz est cette fois correctement ionisé mais ne peut parcourir la tuyère plus de quelques secondes sous peine de détruire les électrodes.

Afin d'utiliser ces générateurs sur de longues durées, tout en accroissant leurs performances on peut tenter de baisser la température du plasma tout en conservant une conductivité électrique élevée. C’est envisageable en visant une ionisation d'origine thermique, en travaillant sur des plasmas « bitempératures », en état d’ionisation hors d’équilibre, une idée avancée pour la première fois par l'américain Jack L. Kerrebrock[9] et le russe A. E. Sheindlin[10]. Dans ce cas, seul le gaz d'électrons est chauffé à 3000°C (température électronique) température suffisante pour que le césium, semence du fluide caloporteur, enrichisse suffisamment le gaz en électrons libres. En maintenant la température à ce niveau, on s’efforce d’abaisser alors au maximum la température du gaz caloporteur, pour que celle-ci devienne compatible avec la température maximale que puissent encaisser les éléments de la boucle fermée. Il était exclu de tenter d’utiliser cette méthode avec des boucles ouvertes, des fluides issus de la combustion d’hydrocarbures. Ceux-ci auraient été en effet obligatoirement riches en CO2, qui interdit toute mise hors d’équilibre, vis-à-vis de cet accroissement non-thermique de la température électronique. En effet la section efficace de collision des électrons avec les molécules de CO2 est importante, des collisions qui, via tous les modes d’excitation de cette molécule : vibration, rotation, suivis d’une désexcitation radiative, jouent un rôle efficace de pompe à chaleur, vis-à-vis du gaz d’électrons. Seule filière envisageable : utiliser comme fluide caloporteur des gaz rares, qui ne possèdent que des états d’excitation électronique, représentant des niveaux d’énergie plus grands, gaz toujours enrichis en semence césium. Parmi les gaz rares, l’hélium était le meilleur candidat, du fait de sa forte conductivité thermique. En cas de succès, ceci aurait été couplé à des projets de réacteurs nucléaires haute température (HTR), dont on estimait à l’époque que les composants pourraient résister à une température de 1500°C. Le but était ainsi de réussir à fonctionner avec une température électronique en gros double de celle du gaz caloporteur. Cette situation aurait été analogue à celle qu’on crée dans la vapeur de mercure contenue dans un tube fluorescent.

Hélas, le régime bitempérature s'accommode très mal d'un paramètre de Hall élevé (lorsque le champ magnétique est relativement grand). Or, dilemme : dans un gaz pénétrant à vitesse V dans une tuyère MHD ou règle un champ B, celui-ci est soumis à un champ électrique électromoteur V B. Plus le champ B est élevé, plus ce champ électromoteur est intense, et plus importante sera la fraction de l’énergie qu’on pourra extraire sous forme électrique. Mais plus ce champ B est élevé et plus de plasma devient instable. Le paramètre de Hall est :

Hall parameter.JPG

Au dénominateur, à côté de la masse de l'électron figure la fréquence de collision électron-gaz. . Pour des conditions d’expérimentation données, on peut calculer la valeur critique de ce paramètre, au delà de laquelle cette instabilité, dite aussi l'instabilité électrothermique, ou instabilité d'ionisation, découverte en 1962 par le Russe Evgeny Velikhov va se développer très rapidement (en un temps qui est de l’ordre du temps d’établissement de l’ionisation dans le milieu).

À cause de cette instabilité, le générateur MHD Typhée du CEA ne fonctionna pas (il fut conçu d'emblée dans l'optique d'un fonctionnement bitempérature). Mais cette instabilité a pu être maitrisée :

Dès 1966 le physicien Jean-Pierre Petit mit en œuvre une première méthode, qu’il avait imaginée. Elle fut testée avec succès dans un générateur MHD impulsionnel alimenté par un générateur de gaz chaud, à onde de choc (soufflerie à onde de choc appelée, plus communément tube à choc, « shock tube »). Le tube à choc crée une rafale de gaz à très haute température (couramment 10 000°C pour une rafale de gaz rare, comme l’argon, la pression étant de l’ordre de l’atmosphère et la vitesse de 2700 m/s). Ces rafales sont de courte durée (50 microsecondes) mais cependant suffisamment longues pour que les tests effectués puissent être considérés comme significatifs, vis-à-vis des phénomènes étudiés. Dans ces conditions expérimentales, l’instabilité se développe très rapidement, en quelques microsecondes. Jean-Pierre Petit a été un de ceux qui ont contribué à mieux cerner les conditions de développement de l’instabilité électrothermique. Pour des conditions gazodynamiques données, on peut calculer la valeur critique du paramètre de Hall au delà de laquelle l’instabilité se développera. Quand le plasma est dit « coulombien » (Coulomb dominated plasma), c'est-à-dire lorsque la fréquence de collision électron-gaz est dominée par celles des collisions électron-ions, cette valeur critique est voisine de 2. Dans les expériences menées par Jean-Pierre Petit, compte tenu de la valeur du champ magnétique, de 2 teslas, le plasma en entrée de tuyère était a priori très instable (la valeur du paramètre de Hall était largement supérieure à sa valeur critique). Mais, comme il l’avait conjecturé, il s’avéra que la vitesse de développement de l’ionisation pouvait être suffisamment rapide pour que le plasma, passant en régime coulombien, voie sa fréquence de collision électron-gaz croître très vite, et par delà la valeur locale du paramètre de Hall descendre en dessous de la valeur critique. La croissance de cette fréquence de collision est liée aux fortes valeurs des sections efficaces de collision électron ion, qui sont de trois à quatre ordres de grandeur supérieures à celles liées aux collisions entre électrons et espèces neutres. Ainsi put-on réussir à faire fonctionner, en 1966, à l’Institut de Mécanique des Fluides de Marseille, un générateur MHD bitempérature, stable, avec un plasma homogène dans la tuyère MHD. Les premiers essais donnèrent une température électronique de 10 000°C pour une température de gaz de 6000°C, avec une puissance électrique de 2 mégawatts.
Jean-Pierre Petit démontra immédiatement l’authenticité de cet état hors d’équilibre en adjoignant au gaz d’essai 2 % de gaz carbonique. La section efficace de collision, liée au phénomène d’excitation de ces molécules par les électrons étant élevée, ce phénomène absorbait très efficacement tout excès d’énergie détenu par le gaz d’électrons, ramenant la température de celui-ci à une voisine proche de celle du gaz. Ainsi cette situation hors d’équilibre se trouvait-elle annihilée par ces collisions entre électrons et CO2.

Cette expérience réussie fut ignorée pendant de longues années. Cette méthode est actuellement « redécouverte » (2003), comme cela arrive souvent, aux USA, aux Indes[11] et au Japon.

Cet aspect permet de comprendre immédiatement pourquoi cet état hors d’équilibre ne peut être envisagé que pour des cycles fermés utilisant des gaz rares, ou des mélanges de gaz rares ensemencés par un alcalin, comme fluides caloporteurs. Dans les « cycles ouverts », fondés sur la combustion d’hydrocarbures, le gaz carbonique sera toujours présent, qui s’opposera immédiatement toute tentative d’établissement d’une situation bitempérature, celui-ci jouant le rôle de puits de chaleur, ramenant la température du gaz d’électrons à une valeur proche de celle des espèces lourdes.

Des essais ultérieurs, dans les jours qui suivirent, permirent d’abaisser la température du gaz à 4000°C. Ces résultats furent présenté au colloque international de Varsovie de 1966[12],[13],[14].

Mais il s’avéra impossible de descendre en dessous de cette valeur, qui restait bien au delà des possibilités technologiques, car la vitesse de développement de l’ionisation, ayant un rôle stabilisateur, n’était alors pas assez grande, et l’instabilité l’ionisation prenait le dessus. Cette contrainte limita la portée de cette expérience.

Jean-Pierre Petit mit alors en œuvre au début des années 1980, dans un laboratoire de fortune installé dans une des caves de l’observatoire de Marseille une seconde méthode beaucoup plus prometteuse. Pour bien la comprendre il est nécessaire d’écrire l’expression (matricielle) de la conductivité électrique, avec effet Hall :

Conductivite electrique effet hall.jpg

Quand le paramètre de Hall est élevé, cette conductivité est proche de :

Conductivite electrique effet hall eleve.jpg

On comprend au passage l’aspect géométrique de l’effet Hall, lorsque ce paramètre est élevé. Soumettons le plasma à un champ électromoteur E. Le vecteur densité de courant J fera avec ce vecteur champ E un angle théta, correspondant aux expressions et à la figure ci-après :

Vecteur densite de courant.jpg

On voit tout de suite la difficulté qui se présente, si on veut créer un effet Hall important, c'est-à-dire une forte déviation du vecteur densité de courant J, vis-à-vis d’un champ électromoteur E , dans une situation bitempérature : l’instabilité d’ionisation, turbulence d’ionisation, contrariera ce projet aussitôt dès que la valeur du paramètre de Hall excédera la valeur critique[12]. Pour s’en convaincre, il suffit de jeter un œil à l’animation présente dans la page consacrée à l'instabilité électrothermique, construite à partir d’illustrations présentes dans la thèse de doctorat de J-P Petit[15] issues de résultats de calculs russes de 1968. Celle-ci montre comment les lignes de courant électrique se distordent et se resserrent selon des directions qui ne correspondent pas au schéma souhaité, qu’il s’agisse d’expérience de conversion MHD axées sur la production d’électricité ou d’accélération d’un plasma bitempérature. L’accroissement en ces régions de la densité de courant crée un feed back positif, c'est-à-dire un accroissement de la valeur locale de la conductivité électrique, phénomène de réponse très non-linéaire. Le courant tend à circuler dans ces strates plus ionisées, et non dans les directions souhaitées. Le plasma devient inhomogène et offre l’allure caractéristique d’un « mille-feuille ».

En revenant aux expressions ci-dessus, qui montrent que les deux conductivités, parallèle et transverse, se trouvent réduites quand la valeur locale du paramètre de Hall est élevée, Petit envisagea d’utiliser une distribution inhomogène de champ magnétique. Il conjectura que les régions à B fort se pourraient se comporter comme des sortes de gaines isolantes, en tendant à canaliser les streamers de courant dans des allées où le champ était plus faible, c'est-à-dire la conductivité électrique plus élevées. L’expérience confirma cette intuition. Par ailleurs, en concentrant le flux de courant dans ces allées, on obtenait un accroissement de la densité électronique et de la conductivité électrique dans ces régions, donc un accroissement de la fréquence de collision, par passage en régime coulombien et, in fine, une annihilation complète de l’instabilité de Vélikhov[16].

Cette méthode est actuellement la seule qui permette de s’affranchir des effets catastrophiques de l’instabilité de Velikhov dans tout montage MHD bitempérature.

Dans le cadre général des plasmas froids soumis à de forts champs magnétiques, cette problématique est également au cœur de l'essor ou de l'abandon à court terme des applications propulsives hypersoniques de la MHD, connues sous le nom de magnétoaérodynamique.

Notes et références

  • (fr) MHD : une technologie du futur mise au placard, Fusion, n° 52, pp. 54-64, septembre-octobre 1994
  • (fr) Les applications industrielles de la MHD, Fusion, n° 53, pp. 46-52, novembre-décembre 1994
  • (fr) MHD : un nouveau départ, Fusion, n° 54, pp. 51-60, janvier-février 1995
  • (fr) La saga de la MHD dans les gaz, Fusion, n° 56, pp. 38-43, mai-juin 1995
  • (fr) Magnétohydrodynamique, Roland Berton, Masson, 1991 (ISBN 2-225-81814-2)
  • (en) Engineering Magnetohydrodynamics, George W. Sutton & Arthur Sherman, McGraw-Hill Books Cie, NY, 1965 ; réédition Dover Publications, Inc., NY, 2006 (ISBN 0-486-45032-5)
  • (en) Non equilibrium plasma instabilities, J.P. Petit, J. Geffray, Acta Physica Polonica A Tome 115(6): pages 1170-1173, June 2009

  1. La Force de Laplace est le cas particulier de la Force de Lorentz en l'absence de champ électrostatique.
  2. (en) Arc tunnel for magnetohydrodynamic studies (R. Rosa), Research Note 132, AF-04(647)-278, Avco-Everett Research Laboratory, MA, États-Unis, 1er janvier 1959 (en) Physical principles of magnetohydrodynamic power generation (R. Rosa), Research Report 69, AFBMD-TR-60-36, Avco-Everett Research Lab, MA, États-Unis, 1er janvier 1960 (en) Experimental magnetohydrodynamic power generator (R. Rosa), AFBDM-TR--60-1, Avco-Everett Research Lab, MA, États-Unis, 1er janvier 1960
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