- Grande dépression (1873-1896)
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Grande dépression (1873-1896)
La Grande Dépression de 1873 (1873-1896) est une crise économique mondiale de grande ampleur qui marqua la fin du XIXe siècle. Le terme Grande Dépression devient après la crise de 1929 ambigu, et on se réfère depuis à la première crise sous le terme de Longue Dépression. Toutefois, le terme est impropre : il s'agissait plutôt d'un ralentissement économique ou d'une stagnation économique, et non d'une dépression : le PNB a continué à croître sur la période.
Sommaire
Contexte
En Europe, dans les empires austro-hongrois, prusse et français, les empereurs appuient la création d'« une série de nouvelles institutions qui se sont mises à émettre des prêts hypothécaires dans les domaines de la construction municipale et résidentielle »[1]. Le secteur immobilier explose à Paris, Vienne et Berlin, et les financiers n'hésitent pas à s'endetter pour investir dans la construction, se basant sur l'envolée des prix immobiliers pour rentabiliser leurs investissements.[2]
En 1871, la guerre franco-prussienne se termine par le traité de Francfort qui contraint la France à payer de lourdes indemnités de guerre à l'Allemagne et restreint les possibilités des financiers français.
La course au rail américain contraint les compagnies ferroviaires à prendre de gros risques financiers pour construire peu cher tout en assurant des profits constants aux actionnaires. Des produits financiers assurant un rendement constants aux actionnaires apparaissent, crées notamment par le Crédit mobilier.
La seconde révolution industrielle et ses innovations technologiques permettent aussi aux États-Unis de produire du blé en grandes quantités et à moindre coût. Et en 1871, l'Angleterre, qui à l'époque était le plus gros importateur de blé, décide de ne plus s'approvisionner en Europe centrale et en Russie mais outre-atlantique, ce qui provoque la panique sur les marchés européens.[2]
Déroulement
En février 1873, le congrès américain prend la décision de démonétariser l'argent, ne basant plus sa monnaie que sur l'or. Cette décision affaiblit les compagnies minières américaines et entraîne une baisse significative des cours mondiaux de l'argent, et ce alors que les États européens employaient encore ce métal comme étalon, affaiblissant encore les économies européennes.
La Grande Dépression débute le vendredi 9 mai 1873 à Vienne où la Bourse s’effondre sous le poids de la spéculation, provoquant la faillite de plusieurs banques viennoises, sous le poids des emprunts hypothécaires. La récession est rapide : les banques européennes manquent de liquidités et ne se font plus confiance, rendant les prêts interbancaires extrêmement coûteux.
Le krach affecte peu de temps ensuite la Bourse de New York : la spéculation ferroviaire affaiblit le marché, et en automne, le financier Jay Cooke dont la banque d'affaire est un composant majeur de l'économie américaine, annonce qu'il n'est plus en mesure de supporter la Northern Pacific Railway. Cette compagnie fait faillite le 18 septembre, ainsi que la Jay Cooke & Company, bientôt suivi par l'Union Pacific. Wall Street est contrainte de fermer 10 jours à partir du 20 septembre.
La période de crise rompt avec le développement relativement continu de l’activité économique depuis le début du XIXe siècle en remettant en cause les mécanismes du marché. Ceux ci étaient rendus possibles jusqu’alors par la multitude des structures de petites et moyennes tailles et l’absence d’organisation salariales. La naissance des syndicats et le développement des très grandes firmes ont compromis cet équilibre en rigidifiant les variables du marché : les prix et les salaires. Les grandes banques d’affaire venaient de connaître un développement sans antécédent, leur inexpérience contribuant à l’irrationalité financière et à l’apparition de bulles spéculatives est à l’origine des krachs. Quelques années plus tôt certains établissements bancaires importants avaient déjà fait faillite comme le Crédit mobilier des frères Pereire en France en 1867, tandis qu’un premier black Friday (11 mai 1866) avait secoué la Bourse de Londres.
La crise affecte en particulier le secteur sidérurgique en Europe et les chemins de fer aux États-Unis, où plusieurs grandes compagnies comme la Northern Pacific font faillite : au final, 89 compagnies de chemin de fer américaines sur 364 firent faillite. La crise se renforce ensuite au début des années 1880. La spéculation sur les chemins de fer en France et aux États-Unis provoque des krachs, respectivement en 1882 et 1884, entraînant de nouveau la disparition de certaines banques d’affaires. Enfin en 1890, une des plus célèbres banques britanniques, la Barings (qui ne disparaît pas pour autant), dépose le bilan du fait de mauvaises spéculations à l’étranger.
La crise économique touche particulièrement l'agriculture, les industries du lin et du bois et les industries alimentaires. Dans l'agriculture les prix chutent fortement. Pourtant la crise est d'une ampleur limitée. En Grande-Bretagne, le revenu par tête continue de croitre pendant cette période, plus rapidement que durant la première moitié du siècle, grâce a la diminution des prix des produits importés. L'industrie connait d'abord de sérieuses difficultés, mais les années 1880 sont globalement une phase d'expansion.
Les politiques de lutte contre la crise
La dépression des années 1880 se déroule dans un contexte de libéralisme économique, mais pas de libre-échange, du fait de la forte concurrence exercée par les pays neufs sur les marchés mondiaux. Les producteurs agricoles européens ne sont pas assez compétitifs pour faire face à la concurrence des fermiers canadiens et américains et aux importations de viande en provenance d'Australie et de Nouvelle-Zélande. L'Allemagne adopte un tarif douanier très élevé, le tarif Bismark en 1879, qui impose des droits de douane sur les produits agricoles et industriels : l'Allemagne refuse de sacrifier son agriculture pour favoriser le développement de son industrie, comme l'a fait la Grande-Bretagne. Cette dernière reste fidèle à sa tradition libre échangiste et conserve des droits de douanes nuls.
La Grande Dépression n'est pas à l'origine d'une intervention plus marquée de l'État. La lutte contre la crise reste limitée à l'adoption de législations en faveur de la réglementation bancaire et de la préservation de la concurrence. Ainsi aux États-Unis, l'Interstate Commerce Act (1887) interdit aux entreprises de chemins de fer de pratiquer le dumping et le partage des marchés. En France est lancé le Plan Freycinet à partir de 1879, plan qui prévoit le développement des transport dans toute la France. Ce plan distribue des crédits aux compagnies privées de chemin de fer et incite à la création de nouvelles lignes.
Conséquences
La dépression économique durera jusqu’au milieu des années 1890 : 1893 ou 1896 selon les références. Cette longue stagnation — il ne s’agit pas ici d’une chute de la production comme dans les années 1930, mais d’un marasme économique — s’accompagne de crises plus brèves liées en partie aux détournements des banques vers les placements de court terme. Face à la crise, les grandes entreprises se concentrent afin de maintenir leurs profits, formant des cartels en Allemagne, des trusts aux États-Unis. Cette stratégie est fortement encouragée en Allemagne, pays connaissant une certaine prospérité et comblant son retard, dépassant la France et rattrapant le Royaume-Uni au plan industriel. Aux États-Unis la constitution de ces trusts sera combattue dès la fin de la crise par la législation du Sherman Anti-trust Act (1890).
À part la concentration, l’autre conséquence majeure de la crise est l’arrêt soudain de la première expérience de libéralisation des échanges internationaux. Depuis le traité de libre-échange de 1860 entre le Royaume-Uni et la France, les pays industrialisés d’Europe occidentale multipliaient les traités de libre-échange bilatéraux, tout en s’accordant la clause de la nation la plus favorisée (qui rendait finalement les traités multilatéraux). Pour protéger leurs entreprises dans un contexte de crise, les États relèvent leurs tarifs douaniers : les tarifs Méline en France calment les agriculteurs ; le tarif MacKinley élève les tarifs américains à 49% en 1890 (57% en 1897). Seul le Royaume-Uni, terre promise du libéralisme, conserve unilatéralement le libre-échange. Pour trouver de nouveaux débouchés, les nations européennes se lancent dans une nouvelle vague de colonisation. Jules Ferry l’explique à la Chambre des députés, « la politique coloniale est fille de la politique industrielle ».
La crise de 1873-1896 s’inscrit dans le mouvement des cycles économiques longs décrits par Kondratiev et expliqués par Joseph Schumpeter en 1911 dans sa Théorie de l’évolution économique. Cette période correspondrait selon cette théorie à la phase B d'un cycle long : les innovations de la précédente période de croissance, dans la métallurgie, les chemins de fer ou la chimie, ne suffisent plus à assurer les profits des entrepreneurs. Toutefois de nombreuses inventions sont porteuses d’espoir d’innovation pour une future période de croissance : électricité, automobile, pétrole, premiers essais de l’aviation. Ces nouvelles activités prendront leur essor lors de la seconde révolution industrielle.
Références
- ↑ The Real Great Depression, Scott Reynolds Nelson, The Chronicle of Higher Education
- ↑ a et b Pas 1929, 1873!, Antoine Robitaille, 9 octobre 2008, ledevoir.com
Liens internes
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