Fonction de Green

Fonction de Green

On appelle fonction de Green en physique ce que les mathématiciens appellent solution élémentaire ou fondamentale d'une équation différentielle linéaire à coefficients constants, ou d'une équation aux dérivées partielles linéaire à coefficients constants.

Ces « fonctions » de Green, qui se trouvent être le plus souvent des distributions, ont été introduites par George Green en 1828 pour les besoins de l'électromagnétisme. L'essai de Green restera confidentiel jusqu'à sa republication en trois parties, à partir de 1850[1]. Les fonctions de Green, qui seront dénommées ainsi par Riemann en 1869, seront alors abondamment utilisées, notamment par Neumann en 1877 pour sa théorie du potentiel Newtonien dans un espace à deux dimensions, puis en 1882 par Kirchhoff pour l'équation de propagation des ondes dans un espace à trois dimensions, et enfin par Helmholtz en acoustique.

Elles sont devenues un outil essentiel en théorie quantique des champs après que Feynman les a popularisées en 1948 sous le nom de propagateur dans sa formulation en intégrale de chemin de l'électrodynamique quantique.

Sommaire

Introduction

Position du problème

Soit x = (x1,...,xn) un point de  \mathbb{R}^n, et \mathfrak{D} un opérateur différentiel linéaire. On cherche la solution φ(x) de l'équation aux dérivées partielles linéaire :

 \mathfrak{D} \ \varphi(x) \ = \ j(x)

j(x) est une fonction donnée, appelée source du champ φ(x) inconnu.

Distribution de Dirac

On note δ(x) la distribution de Dirac. Cette distribution vérifie la propriété fondamentale que, pour toute fonction \varphi (x) lisse à support compact :

 \int \varphi (x) \ \delta( x - x_0 ) \ \mathrm dx \ = \ \varphi ( x_0 )

Définition de la fonction de Green

Définition

On appelle fonction de Green G(x) toute solution de l'équation aux dérivées partielles linéaire :

 \mathfrak{D}\ G(x) \ = \ \delta(x)

Unicité ?

Il existe en général plusieurs fonctions de Green associées à la même équation. Ces fonctions diffèrent entre elles par leurs conditions aux limites. C'est pourquoi il est très important de spécifier deux choses pour définir de façon unique une fonction de Green précise :

  • l'équation aux dérivées partielles linéaire.
  • les conditions aux limites.

Le problème de l'unicité sera précisé plus loin en relation avec la transformée de Fourier.

Intérêt de la fonction de Green

Si la fonction de Green G(x) est connue, alors la solution φ(x) de l'équation :

 \mathfrak{D} \ \varphi(x) \ = \ j(x)

s'écrit simplement sous la forme d'un produit de convolution :

 \varphi(x) \ = \ (G * j)(x) \ = \ \int G( x - y ) \ j(y) \ \mathrm dy

En effet, l'opérateur \mathfrak{D} agissant sur la variable x, il vient en permutant dérivation et intégration, et en utilisant la définition de G(x) :

 \mathfrak{D} \ \varphi(x) \ = \ \int \left[ \, \mathfrak{D} \ G( x - y ) \, \right] \ j(y) \ \mathrm dy \ = \ \int \delta ( x - y ) \ j(y) \ \mathrm dy \ = \ j(x)

Cette équation peut s'interpréter comme la superposition de solutions élémentaires, chaque terme sous l'intégrale représentant la contribution de j(x) entre x et x + dx (on parle encore, en physique, d'interaction à deux corps).

Transformée de Fourier

On utilise ci-dessous les notations introduites dans l'article opérateur différentiel.

Opérateur différentiel linéaire à coefficients constants

Rappelons qu'un opérateur différentiel linéaire à coefficients constants d'ordre m s'écrit :

 \mathfrak{D} \ = \ \sum_{|\alpha| = 0}^m \ a_{\alpha} \ \mathrm D^{\alpha}

où les aα sont les coefficents de l'opérateur \mathfrak{D}. Dans toute la suite, on ne considèrera que des opérateurs à coefficients constants : les aα seront indépendants de x.

Introduction de la transformée de Fourier

Définition

On définit ici la transformée de Fourier de la fonction f(x) de n variables xk,(k = 1,...,n) par :

 \hat{f}(\xi) \ = \ \int  \ e^{- \, i \, \xi \, x} \ f(x) \mathrm dx

La formule de transformation inverse s'écrit alors :

 f(x)  \ = \ \int  \ e^{+ \, i \, \xi \, x} \ \hat{f}(\xi)\frac{\mathrm d \xi}{(2\pi)^n}

Application aux opérateurs différentiels linéaires à coefficients constants

On obtient la relation :

(\mathfrak{D} \,f)(x)  \ = \ \int  \ e^{+ \, i \, \xi \, x} \ \sum_{|\alpha| = 0}^m \ a_{\alpha} \ \xi^{\alpha} \ \hat{f}(\xi)\frac{\mathrm d \xi}{(2\pi)^n}

soit encore :

(\widehat{\mathfrak{D} \, f})(\xi) \ = \ \sum_{|\alpha| = 0}^m \ a_{\alpha} \ \xi^{\alpha} \ \hat{f}(\xi)

Symbole d'un opérateur différentiel linéaire à coefficients constants

On appelle symbole de l'opérateur différentiel  \mathfrak{D} d'ordre m la fonction σ(ξ) des n variables ξ polynomiale en ξ de degré m :

\sigma (\xi) = \sum_{|\alpha| = 0}^m \ a_{\alpha} \ \xi^{\alpha}

de telle sorte que :

(\mathfrak{D} \,f)(x)  \ = \ \int  \ e^{+ \, i \, \xi \, x} \ \sigma (\xi) \ \hat{f}(\xi) \frac{\mathrm d \xi}{(2\pi)^n}

Application aux fonctions de Green

Introduction

Notons \widehat{G}(\xi) la transformée de Fourier de la fonction de Green G(x). L'équation aux dérivées partielles linéaire à coefficients constants définissant les fonctions de Green :

 \mathfrak{D} \ G(x) \ = \ \delta (x)

devient, après transformation de Fourier, une équation algébrique[2] :

 \sigma (\xi) \ \widehat{G}(\xi) \ = \ 1

dont la solution est triviale :

 \widehat{G}(\xi) \ = \ \frac{1}{\sigma (\xi)}

Pour obtenir la fonction de Green originale, il « suffit » alors de calculer la transformée de Fourier inverse :

G(x)  \ = \ \int  \ e^{+ \, i \, \xi \, x} \ 
\widehat{G}(\xi) \frac{\mathrm d \xi}{(2\pi)^n}

soit explicitement :

G(x)  \ = \ \frac{1}{(2\pi)^n} \ \int   
\frac{e^{+ \, i \, \xi \, x}}{\sigma (\xi)}\mathrm d \xi \

Cette écriture est symbolique, car le symbole σ(ξ) de l'opérateur différentiel \mathfrak{D} d'ordre m étant une fonction polynomiale en ξ de degré m, le théorème fondamental de l'algèbre nous dit que ce polynôme possède m racines complexes, donc que l'intégrande possède à priori m pôles.

Conditions aux limites

Dans les situations physiquement intéressantes, il arrive fréquemment que certains de ces pôles soient situés sur l'axe réel. La transformée de Fourier inverse :

G(x)  \ = \ \frac{1}{(2\pi)^n} \ \int  \  
\frac{e^{+ \, i \, \xi \, x}}{\sigma (\xi)} \mathrm d \xi

se calcule alors par le théorème des résidus, et le choix du contour fermé et de la prescription de contour des pôles dépend de façon essentielle des conditions aux limites désirées. Il existera donc en général plusieurs fonctions de Green associées à la même équation, qui diffèrent entre-elle par leurs conditions aux limites.

Exemples

Oscillateur harmonique

Considérons l'équation différentielle ordinaire de la fonction de Green de l'oscillateur harmonique à un degré de liberté de pulsation ω0 :

 \left( \, \frac{\mathrm d^2 ~~}{\mathrm dt^2} \ + \ \omega_0^2 \, \right) \,  G(t) \ = \ \delta(t)

Après transformation de Fourier, cette équation différentielle temporelle devient une équation algébrique pour la pulsation ω, variable conjuguée au temps t :

 \left( \, - \ \omega^2 \ + \ \omega_0^2 \, \right) \, \widehat{G}(\omega ) \ = \ 1

dont la solution est triviale :

 \widehat{G}(\omega ) \ = \ - \ \frac{1}{\omega^2 \ - \ \omega_0^2} \ = \ - \ \frac{1}{(\omega - \omega_0) \, (\omega + \omega_0)}

Pour obtenir la fonction de Green temporelle, on doit calculer la transformée de Fourier inverse :

G(t)  \ = \ - \ \frac{1}{2\pi} \ \int  \ \frac{e^{+ \, i \, \omega \, t}}{(\omega - \omega_0) \, (\omega + \omega_0)}\mathrm d \omega

L'intégrande possède deux pôles simples réels, situés respectivement en ω = + ω0 et ω = − ω0 ; on interprète alors l'intégrale comme une intégrale curviligne dans le plan complexe :

G(t)  \ = \ - \ \frac{1}{2\pi} \ \oint_{\Gamma}  \ \frac{e^{+ \, i \, \omega \, t}}{(\omega - \omega_0) \, (\omega + \omega_0)}\mathrm d \omega

pour laquelle il convient d'abord de fermer le contour Γ. On complète ici l'axe des réels par un demi-cercle centré à l'origine et de rayon R (on prendra la limite  R \to \ + \infty à la fin). Il restera encore à choisir dans quel demi-espace du plan complexe situer ce demi-cercle, et enfin à donner une prescription de contour des pôles afin de pouvoir terminer le calcul grâce au théorème des résidus.

Propagateur retardé

L'hypothèse classique de causalité consiste à postuler a priori que la réponse du système physique suit son excitation, c’est-à-dire ici que le propagateur ne peut être non nul que pour les temps  t \ge 0 ultérieurs à l'application de l'impulsion de Dirac à l'instant t = 0, soit :

\forall \ t \ < \ 0, \quad G_{ret}(t) \ = \ 0

Pour voir dans quel demi-espace du plan complexe il faut situer le demi-cercle, écrivons que :

\omega \ = \ R \ e^{i \, \theta} \ = \ R \ \left( \, \cos \theta \, + i \, \sin \theta \, \right)

On a alors :

e^{+ \, i \, \omega \, t} \ = \ \exp \, \left[ \, i \, R  \, t \, \left( \, \cos \theta \, + i \, \sin \theta \, \right) \, \right] \ = \ e^{i \, R  \, t \, \cos \theta} \ \times \ e^{- \, R \, t \, \sin \theta}

Pour que l'intégrale converge lorsque  R \to + \infty quel que soit t < 0, il faut que l'exponentielle réelle tende vers zéro dans cette limite :

\forall \ t \ < \ 0, \qquad \lim_{R \to  + \infty} \ e^{- \ R \ t \ \sin \theta} \ = \ 0

Il faut donc que : sin θ < 0, soit : − π / 2 < θ < 0 : le contour doit être refermé dans le demi-plan complexe inférieur lorsque t < 0.

La fonction de Green devant être identiquement nulle dans ce cas, les deux pôles doivent alors se trouver à l'extérieur de ce contour fermé, c’est-à-dire que les pôles doivent être compris comme : \omega =  \omega_0  +  i  \epsilon et : \omega = - \omega_0 + i \epsilon à la limite où : \epsilon \to 0^+.

Pour t > 0, le contour doit être refermé dans le demi-plan complexe supérieur.

Le contour fermé contient alors les deux pôles, et le théorème des résidus donne :

G_{ret}(t)  \ = \ - \ \frac{1}{2\pi} \ \times \ 2 \pi i \ \times \ \lim_{\epsilon \to 0^+} \ \left[ \ \left. \frac{e^{+ \, i \, \omega \, t}}{(\omega + \omega_0)} \right|_{\omega =  \omega_0  +  i  \epsilon } \ +  \ \left.  \frac{e^{+ \, i \, \omega \, t}}{(\omega - \omega_0)} \right|_{\omega =  - \omega_0  +  i  \epsilon } \ \right]

soit :

G_{ret}(t)  \ = \ - \ i \ \times \ \left( \ \frac{e^{+ \, i \, \omega_0 \, t}}{2 \omega_0} \ +  \ \frac{e^{- \, i \, \omega_0 \, t}}{- 2\omega_0} \ \right) \ = \ \frac{1}{\omega_0} \  
\left( \ \frac{e^{+ \, i \, \omega_0 \, t} \ - \ e^{- \, i \, \omega_0 \, t} }{2 i} \ \right)

On obtient donc finalement :

G_{ret}(t)  \ = \ \theta(t) \ \frac{\sin ( \omega_0 t)}{\omega_0}

θ(t) est la distribution de Heaviside.

Propagateur avancé

Opérateur Laplacien

Opérateur d'Alembertien

Opérateur de Klein-Gordon

Applications au calcul numérique

Les opérateurs de Green permettent de représenter la solution exacte d'un problème physique (système d'équations aux dérivées partielles) sous forme de convolutions, et s'exprime naturellement dans l'espace de Fourier. Par exemple, en mécanique, les équations de Lippmann-Schwinger permettent d'exprimer le champ de déformation dans un matériau linéaire élastique homogène soumis à une précontrainte au moyen de l'opérateur de Green. Pour les problèmes de conductivité diélectrique, des formulations similaires existent. Ces équations ont non seulement un intérêt théorique mais également pratique.

Les calculs par opérateurs de Green ont de nombreuses applications dans le domaine de l'homogénéisation y compris non-linéaire[3]. Les champs de déformation et de contrainte (ou du champ électrique ou magnétique dans des problèmes de conductivité ou de magnétisme de milieux hétérogènes) sont obtenus numériquement par un algorithme de point de fixe. Les lois constitutives du milieu (traitées dans l'espace réel) et la représentation de la solution par opérateur de Green (traité dans l'espace de Fourier) sont itérés jusqu'à convergence des champs. La majorité du temps de calcul consiste à passer de l'espace réel au domaine de Fourier, à l'aide de transformées de Fourier rapides.

Notes et références

  1. George Green ; An essay on the application of mathematical analysis to the theory of electricity & magnetism, Journal für die reine und angewandte Mathematik (connu aussi sous le nom de « Journal de Crelle ») n° 39 (1850) 73-79 ; n°44 (1852) 356-374 ; n° 47 (1854) 161-221. L'essai original de 1828 en disponible en fac-similé au format pdf.
  2. Cette équation serait fausse si l'opérateur différentiel linéaire n'était pas à coefficients constants. La transformée de Fourier s'écrit en effet de façon plus compliquée dans ce cas ; lire le paragraphe 5 intitulé « cas général » de l'article opérateur différentiel.
  3. Suquet P., Moulinec H., A fast numerical method for computing the linear and nonlinear mechanical properties of composites, C. r. acad. sci., Sér. II Méc. phys. chim. astron., Série -11, pp. 1417-1423, 1994.

  • Freeman Dyson ; Georges Green and physics, Physics World (août 1993), 33-38.
  • Dean G. Duffy ; Green's Functions With Applications, CRC Press (2001), ISBN 1-58488-110-0. Ouvrage de mathématiques.
  • G F Roach ; Green's Functions, Cambridge University Press (1982), ISBN 0-521-28288-8. Ouvrage de mathématiques.
  • G. Barton ; Elements of Green's Functions and Propagation : Potentials, Diffusion, and Waves, Oxford University Press (1989), ISBN 0-19-851998-2. Un ouvrage pour physicien théoricien.

Liens


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