Encre de Chine

Encre de Chine


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L'encre de Chine 墨 est un type d'encre principalement utilisé pour l'écriture orientale, le dessin et la peinture. Elle jouit d'un prestige exceptionnel auprès de nombreuses personnes, qui mettent en avant son caractère indélébile et définitif, et une réputation de produit mystérieux, issu de secrets de fabrication ancestraux, etc. La réalité est plus nuancée.

Par sa grande densité, qui lui vaut auprès du grand public une réputation (fausse) d'« encre indélébile », elle est autant utilisée pour le trait et pour le remplissage que pour le lavis, par mélange avec une plus ou moins grande quantité d'eau selon l'intensité recherchée.

Sommaire

Histoire de l'encre de Chine

De la « Pierre Noire » au « Noir de Fumée »

Le caractère chinois de l'encre, ou Mo (Me) est une combinaison de deux caractères, 黑 hei ou « noir » et 土 “t’u” qui signifie « terre » (me= tou+he). On retrouve des objets peints à l'encre de Chine 4000 ou 5000 av.J-C [1].

  • La «  Pierre noire » : Les Chinois font remonter l'invention de l'encre à Tien-Chen sous le règne de Houang-ti (2697 avant J.-C.) : c'était alors une sorte de laque qu'on déposait sur de la soie avec un bâton de bambou puis la laque fut remplacée par une pierre noire qu'on trempait dans l'eau. Le Kian-King-Yuan-Cheng-Ki donne le nom de cette encre : Heï-tan-che-nié.Cette pierre Me selon les auteur exprimait une liqueur noire, après avoir été mouillée ou bien un suc noir, ou bien on la calcinait en poudre, et on en faisait une encre liquide de cette poudre. L'Empereur Vouvang (1120 avant J-C.) aurait eu comme dicton : « Comme la pierre «me», dont on se sert pour noircir les Lettres gravées, ne peut jamais devenir blanche; de même un cœur noirci d'impudicité retiendra toujours sa noirceur. »[2]
  • Le Mo Ch’ing est un livre chinois signifiant Livre sur Encre écrit par Tchao Kouan-tche au XIIe siècle [3]. Le Mo pu fu shu ou « Livre de la fabrication de l'Encre » fut écrit par Li Hsia-su de la dynastie Sung. Il y a encore bien d'autres livres écrits sur ce sujet comme les Mo-p'ou fa-che, 1095 « Le manuel de l'encre avec recettes et échantillons » de Li Hiao-mei vers 1100, Fang shih mo p’u, Ch’eng shih mo yuan et Mo fu chi yao. Le Yen lin ou Forêt des pierres à encre de Yu Huai, fut écrit en 1600 puis le Pao yen t’ang yen pien ou Discussion sur les pierres d'encre de Ho Chu’an-yao et Tuan his yen shih sur les Pierres de Tuan Hi’s par Wu Lan-hsui, publiés en 1830[4].
  • En 260 avant J.-C. on commença à faire de l'encre noir de fumée par combustion de laque avec du charbon de bois de sapin, qui se présentait sous la forme d'une grosse boule et fut préférée à l'autre, la meilleure provenant des sapins de collines de Lou-Chan province de Xiang-Xi, qui avait le privilège de la fabrication de l'encre.
  • En 620, le roi de Corée, dans ses présents annuels qu'il faisait à l'empereur de Chine, avait mis plusieurs morceaux et tablettes d'une encre magnifique composée de noir de fumée et de gélatine de corne de cerf. Cette encre était si éclatante qu'elle ressemblait à un vernis : ceci suscita l'émulation des Chinois, qui se mirent à en étudier la composition, parvinrent à imiter l'encre coréenne : ce serait l'encre de Chine.

Les fabricants d'encre de Chine

  • C'est donc sous la dynastie des Tang (618-904) qu'on commença à faire du noir de fumée qui était dur comme la pierre. Le Li-ché (Si) était le fonctionnaire chargé de la fabrication des encres dans les fabriques, il devait envoyer chaque année un tribut de bâtons d'encre de Chine à la cour. Cette charge était héréditaire. Sous les Tang, les bâtons d'encre portaient une inscription mentionnant le fabriquant. Sous cette dynastie des Tong, l'empereur Hiaun-Tsong envoyait chaque année 336 boules d'encre Chang-kou aux deux collèges qu'il avait fondé. Les bâtons de King-huan portaient d'un côté les caractères Siang-Pi (jade parfumé) et Fou-mo-tze de l'autre. Tchou-feu fabriqua alors dans « l'atelier où brûle le sapin » de l'encre très estimée portant la devise Hsiuan- tchong-tze ou Cho-chiang-tze.
  • Li-Tchao (李超, Xi-Tchao, Xi-Zhao) et son fils s'établirent alors à Choo-tcheou et y établit une fabrique d'encre près d'une forêt de sapins. Son fils Li-ting-Koueï (李廷珪) devint expert pour fabriquer les encres, présentée en forme de gâteau rond ou en forme d'épée ( Kien-ki). Son encre était célèbre pour rester intacte, six mois après immersion dans de l'eau. Il avait quatre qualités d'encre : première qualité (koueï), seconde qualité (koueï), troisième qualité (koueï), quatrième qualité (Chi-Ting-koueï). Jao-li-tching-Koueï accompagnait sa signature avec une petite phrase publicitaire « Après cent ans je suis dure comme pierre et mes traits ressemblent à la laque. » L'encre de la famille Xi plut à l'empereur Tang Li Houzhu, qui donna à Xi Zhao le nom impérial « Li » à toute sa famille[5].
  • Tchang-yu en était le fabriquant le plus célèbre. Les bâtons Long-chiang-ki ou encres parfumées au dragon étaient destinées au palais impérial. Il fabriquait aussi des boules d'encre ornées de dragons enroulés et de l'encre parfumée au musc (Tchan-yu-tchou-chiang-moo). Pang-kou et Tchaï-Sin furent encore deux fabriquants célèbres.
Collectant le noir de fumée de pin - Song Ying xing 1587-1666
  • Bâtons d'encre : Anhui, province chinoise, est la meilleure du monde pour produire l'encre dite Hui Ink ou Encre Hui. Li, Tinggui Mu (Li Ting-kuei), fut le fabriquant le plus connu historiquement de Huizhou (Huichou) province de Anhui (Anwei) et le premier à fabriquer des bâtons d'encre (stick) Hui-mo qui succèdent aux Yumi-mo de la période Han[6]. Ouverte en 1792, pendant le règne de l'empereur Qianlong de la dynastie Qing, Hu Kaiwen, un des quatre grands fabriquants d'encre de sa région, avec Shugong Cao, Jishen Wang, Jieang Wang, ouvrit une manufacture d'encre, la plus ancienne et la meilleure pour fabriquer l'Encre Hui en Chine, et elle est encore en activité de nos jours et se visite. En 1915, à l'occasion de l'Exposition universelle de San Francisco, le premier prix avait été été décerné à l'Industrie chinoise d'Encre de Hu Kaiwen, pour son encre solide Le Globe de la terre. (Voir vidéo).
  • La pâte était mise en moules en bois formée d'un côté de caractères chinois et de l'autre de dessins, d'homme, de plantes, fleurs, arbrisseaux, dragons... L'encre la plus estimée venait de Nankin. L'encre était renfermée dans des sachets en peau de léopard, pour la préserver de l'humidité et dans des coffres vernis hermétiquement fermés pour lui donner plus d'éclat. On la plaçait aussi entre des couches de feuilles d'armoise remplacées en hiver par la chaux et la cendre.
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  • La peinture à l’encre, en Chine a donc au moins une existence de 2 500 ans et servit pendant de siècles et encore aujourd'hui aux calligraphes et aux peintres pour peindre des shui-mo hua (水墨畫), des peintures à l'encre de chine  (en) : animaux, oiseaux, hommes, dragons, végétaux, paysages sur de la soie. Jean de la Pagode, poète et sinophile, écrivit des textes consacrés à la peinture chinoise comme « Le Nécessaire à peinture chinoise » et « L'Art de bien tenir son pinceau ».

Composition

La Rivière jaune, Ma Yüan (c. 1160–1225)

C'est sous la dynastie des Song (960-1278) qu'on commença à la faire avec du camphre et du musc.

Le noir de fumée : Chaque région et chaque fabriquant eut, au fil des époques, ses secrets pour fabriquer le noir de fumée : poudre de riz parfumée infusée dans une décoction de l' hibiscus mutabilis, huile de pétrole de lampe, écorce de grenadier délayée dans du vinaigre, graines de chou et de haricot, huile de vernicia montana, de bignonia tomentosa (Huile de Tong) de Jesamum orientale et selon une légende, de la corne de rhinocéros ; le bois de sapin était la manière la plus répandue de préparer le « noir de fumée », avec la base du tronc de pin (pinus sylvestris) mêlé au suc de l'écorce de l'arbre Kin, et de la colle animale pour la lier, fut remplacé ensuite par les graines de chanvre et les huiles de dryandra cordata et Gleditsia sinensis. L'encre Impériale dite Yu me était faite d'un noir de fumée très raffiné, fait de fumée d'huiles, et parfumée ensuite au musc. Jean-Baptiste Du Halde donne une recette de l'encre de chine avec « des plantes Hu hlang et Kan sung, des gousses appelées Tchu-ya-tsuo-ko, et du suc de gingembre », de la colle de bœuf (Nieou Kiao)[7]. Les recettes étaient gardées secrètes. On pouvait tremper la mèche de a lampe dans le suc de la plante thsetsao (Cersis siliquostrum) et cela donnait un beau reflet rouge à l'encre exposée au soleil sur du papier.

Recettes du Ki-kong-mo-fa et de Du Halde :

« On prend: du noir de fumée de sapin, 76 grammes;on y ajoute une petite quantité de clous de girofle, de musc et de vernis de laque sec. On forme ensuite un bâton, à l'aide de la colle, qu'on expose à un feu bien vif pour la sécher. Un mois après, l'encre peut être employée. Si on introduit dans le noir de fumée une petite quantité de langue de bœuf séchée, on donne à l'encre une couleur violette; l'écorce de du poivrier lui donne une teinte bleue. »

«  1 °. dix onces de noir de fumée, ou de fuye tirée des pins. Des plantes Ho hiang, et Kan Jung. On y joint du suc de gingembre. Des gousses ousiliques, nommées Tchu hia tfao kp. On fait d'abord bouillir dans de l'eau ces quatre derniers ingrédients ; lorsque par la cuisson la vertu des végétaux en aura été tirée, on jette le marc. Cette liqueur déjà épaissie, étant rassise et clarifiée, se remet sur le feu pour lui donner la consistance d'une pâte, sur le poids de dix onces de cette mixtion, on dissout quatre onces de la colle nommée O kiao, où l'on aura incorpore trois feuilles d'or et deux d'argent. Quand tout est ainsi préparé, on y mêle les dix onces de noir de fumée, afin d'en former un corps. Cette composition doit être longtemps battue' avec l'espatule. Enfin, on la jette dans des moules, pour en former des tablettes. Peu après il faut enterrer l'encre dans un long espace plein de cendres froides où elle restera ensevelie cinq jours durant le printemps ; trois jours, si c'est en été ; sept jours en automne ; dix en hiver ; c'est la dernière façon qu'on lui donne.  »

Hu Kaiwen en Tunxi


Si l'encre de Chine est très vraisemblablement originaire de ce pays, et bien que son principe de fabrication soit à peu près stable, il a existé une variété infinie d'« encres de Chine » différentes selon les lieux et les époques. Selon certains[8], ce type d'encre serait apparu en Inde avant d'avoir été repris par les Chinois. Il n'existe pas d'« encre de Chine » unique et de formule fixe, et toutes les encres noires ne sont pas « de Chine », d'autant que la composition des encres n'est jamais indiquée sur les emballages. Pour les anglophones l'encre de Chine est l'« encre indienne » : India Ink, et en néerlandais l'« encre indienne orientale » : Oost-Indische Inkt. On ne connaît pas avec une grande précision les dates d'apparition des divers types d'encre.

Les premières encres, tant en Chine et en Orient en général, qu'au Proche et Moyen-Orient, puis en Europe, sont toutes à base de noir de fumée, lié par de la gomme laque. L'encre de Chine se distingue des encres au plomb ou à base d'oxydes métalliques couramment utilisées en Occident. L’encre au fer apparaît progressivement à partir du IXe siècle chez les Arabes, puis en Occident (avec ses trois ingrédients de base : noix de galle, sulfate de fer ou de cuivre, gomme laque) : ce sera la seule à permettre l'usage des plumes d'oiseau pour l'écriture, tandis qu'en Orient la tradition de l'encre au noir de fumée se perpétue avec l'usage du pinceau. L'évolution majeure réside dans l'emploi de colle, plutôt que de gomme.

L'encre de Chine peut se trouver sous forme liquide (en tube ou pots) ou solide (sous forme de bâton). L'encre de Chine se dilue encore dans l'eau après séchage et est légèrement bleutée. Les recharges pour stylo plume ou stylo à bille sont plutôt des encres de type ferrique. Celles pour stylo-pinceau, ou celles utilisées pour du dessin industriel (stylo à pointe tubulaire) contiennent des additifs pour les adapter à l'usage qui en est fait (fluidité/viscosité, séchage, opacité, tenue à la lumière, etc.).

L'encre de Chine a été utilisée en Occident principalement dans le domaine des arts, en particulier pour la qualité de ses noirs profonds et veloutés.

Le bâton d'encre

Le bâton d'encre est un des quatre trésors du lettré (avec le pinceau, le papier de riz et la pierre à encre), ustensiles traditionnels de la calligraphie et la peinture chinoise, coréenne et japonaise.

La préparation de l'encre, qui précède l'exécution d'une calligraphie ou d'une peinture de ce style, consiste à moudre le bâton d'encre dans la pierre à encre, avec de l'eau. La proportion d'encre et d'eau détermine l'intensité de l'encre, et permet d'aménager des contrastes ; notamment dans la peinture de paysages.

Ils sont décorés avec des caractères ou des figures de couleur rouge, bleu, vert ou or.

Autres utilisations

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Elle servit dans le domaine artistique pour toutes les peintures dites à l'encre de Chine, pour les dessins et lavis. Les Chinois l'utilisaient aussi pour ses vertus médicinales : elle soulageait la douleur des brûlures, elle est utilisée aussi contre les vomissements de sang.

L'encre de Chine est également utilisée notamment en bande dessinée dans la technique que l'on appelle l'encrage. Autrefois très utilisée en dessin technique elle est tombée en désuétude avec les stylos techniques à pointe tubulaire, puis la généralisation du dessin assisté par ordinateur (DAO).

Elle sert aussi en microbiologie pour colorer la capsule des bactéries, ou en histologie générale pour mettre en évidence les cellules du système phagocytaire.

Primordial Chaos by Zhu Derun.jpg

Notes et références

  1. Revue bibliographique de sinologie
  2. Du Halde
  3. Orthographié aussi Mo King,
  4. Source (en) ASIA ART CHINESE INK AND INKSTONE
  5. [1] Yin Yu Tang: the architecture and daily life of a Chinese house Nancy Zeng Berliner,Peabody Essex Museum
  6. Source et photographies
  7. [lire en ligne] Description géographique, historique, chronologique, politique et physique de l'Empire de la Chine et de la Tartarie chinoise. Tome 2 /... Par le P. J.-B. Du Halde,1735
  8. *Gottsegen, Mark E. (2006). The Painter's Handbook: A Complete Reference. New York: Watson-Guptill Publications. ISBN 0-8230-3496-8.

Voir aussi

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Bibliographie

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