Affaire Karachi

Affaire Karachi

Affaire DCN

L'affaire DCN concerne la mise en cause des pratiques de corruption, d'atteintes à la vie privée et d'espionnage, de déstabilisation de ses concurrents mis en place par cette entreprise (possédée à 75 pour cent par l'État) pour obtenir des marchés à l'extérieur[1]. Les procédures judiciaires menées dans ce dossier ont apporté des éléments sur la vente de sous-marins Agosta au Pakistan, les commissions occultes versés à l'occasion de cette vente[2], et la polémique née des déclarations qu'auraient faites les magistrats anti-terroristes Trevidic sur les liens entre l'attentat du 8 mai 2002 à Karachi (qui a fait 14 victimes, dont 11 français travaillant pour la DCN) et l'arrêt du paiement des commissions par le gouvernement de Jacques Chirac[3]. L'affaire concerne également les représailles évoquées par plusieurs articles de presse menées par la DGSE contre des militaires pakistanais[4].

Sommaire

La vente des sous-marins Agosta

En septembre 1994, La France et le Pakistan signent un contrat pour la fabrication et la livraison de trois sous-marins Agosta 90B. Le montant de la transaction est de 950 millions de dollars. Selon plusieurs médias la clause 47 du contrat évoquerait la question de la corruption et le paiement de commissions : « corrupt gifts and payment of commission ». Un journaliste du Nouvel Observateur estime cependant qu'il s'agit d'un contresens[5].Le versement de commissions occultes pour rémunérer des intermédiaires facilitant l'obtention de contrats était une pratique courante dans les contrats de vente d'armes françaises jusqu'à la mise en œuvre de la convention de l'OCDE contre la corruption[réf. nécessaire].

Selon Olivier Toscer, journaliste au Nouvel Observateur, la Cour des comptes a relevé dans un rapport de 2001 que cette vente était dès le départ prévu à pertes et qu'elle avait inclus une « assistance technique illicite », c'est-à-dire selon le journaliste, des dessous de table. Il indique « Avant même la signature du contrat avec les pakistanais, deux notes internes de la DCN datée du 24 juin et 3 août 1994 estimaient qu'il allait se traduire par des pertes évaluées entre 47 et 99 millions d'euros. Le contrat lésant les intérêts financiers français sera pourtant signé le 21 septembre 1994 par François Léotard, alors ministre de la Défense et éminent balladurien. Une troisième note interne, datée de décembre 1994 faisait encore état d'une perte prévisionnelle de 88,88 millions d'euros. » Le journaliste indique que ces éléments sont issus d'un jugement de la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF), une émanation de la Cour des Comptes, daté du 28 octobre 2005[6].

À cette date, deux ans avant la fin du contrat qui s'est terminé en 2007, la Cour des Comptes évaluait, elle la perte à 76 millions d'euros[7].

L'enquête du pôle financier du Parquet de Paris

DCN fait l'objet depuis 2008 d'une enquête sur du pôle économique et financier du Parquet de Paris[8]. Cette enquête est menée par les juges Françoise Desset et Jean-Christophe Hullin. Elle porte « sur les manœuvres illicites de la Direction des chantiers navals (DCN, rebaptisée DCNS en 2007 suite au rapprochement avec Thales) pour contrer la concurrence et surveiller ses partenaires »[8].

Jean-Claude Marin, procureur de la République de Paris, dans une note du 22 décembre 2007 adressée à sa hiérarchie à propos de cette enquête, note consultée par plusieurs médias dont Reuters, a indiqué que la DCN avait mis en place deux sociétés Heine et Eurolux au Luxembourg utilisées pour faire parvenir à leurs destinataires les commissions liées aux contrats d'armement . Dans sa note, le procureur relève que dans une note non signée et non datée des documents saisis à la DCN mentionne l'aval du directeur de cabinet du Premier ministre[9] et celui du ministre du Budget[10] et laisse supposer des relations ambiguës avec les autorités politiques en faisant référence au financement de la campagne électorale de M. Balladur pour la présidentielle de 1995[11],[12].

L'attentat du 8 mai 2002 à Karachi

Onze employés de la Direction des constructions navales ont trouvé la mort à Karachi dans un attentat. Le bus qui les transportait a été pulvérisé devant l'hôtel Sheraton de Karachi par un kamikaze au volant d'un faux taxi. L'attentat, attribué tout d'abord à des terroristes islamistes[13], est depuis juin 2009 relié à la vente par la France de sous-marins Agosta et aux commissions et rétrocommissions qui y seraient liées[14].

Selon Maître Olivier Morice, avocat des victimes françaises de l'attentat depuis octobre 2008[réf. nécessaire], les magistrats chargés du dossier sont venus à Cherbourg le 18 juin 2009 expliquer aux familles des victimes qu'ils avaient abandonné la piste d'un attentat terroriste islamiste. Toujours selon l'avocat, les deux juges d'instruction chargés du dossier, Marc Trévidic et Yves Jannier, auraient expliqué que la piste la plus probable leur paraissait être un attentat lié au non-versement de commissions dues par les Français à des militaires pakistanais[15].

Cette nouvelle orientation de l'enquête a été également confirmée par des sources proches du dossier. Cependant les magistrats enquêteurs n'ont aucune preuve formelle du lien avec l'arrêt du versement de commissions[16].

Réactions politiques

Nicolas Sarkozy a qualifié de ridicule la thèse des représailles contre la DCN dans l'affaire de l'attentat du 8 mai 2002 à Karachi[17],[18].

Dominique de Villepin a indiqué le 21 juin ne pas être au courant d'éventuelles commissions sur la vente des sous-marins au Pakistan[19]. Le 26 il confirme que l'arrêt du versement de commissions pouvant donner lieu à des rétrocommissions était effectivement une décision de principe de Jacques Chirac.

Édouard Balladur, a déclaré sur France 3 avoir « entendu parler de cette histoire depuis des années» mais souligné que tout s'était déroulé de manière « parfaitement régulière »[20].

Suite à une demande des parlementaires de Cherbourg Bernard Cazeneuve et Jean-Pierre Godefroy[21], Jean-Marc Ayrault, président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale a demandé officiellement la mise en place d'une missions d'information parlementaire le 23 juin 2009[22].

Rachida Dati, ministre de la Justice, indique en réponse à une question du parlementaire Bernard Cazeneuve « tout sera mis en œuvre pour que la vérité soit enfin obtenue » sur l'attentat de Karachi[23].

Éléments de chronologie

  • 1994 : Signature du contrat de vente des sous-marins au Pakistan.
  • 1996 : Arrêt des versements des commissions sur décision de Jacques Chirac.
  • mai 2009 : Acquittement des Pakistanais condamnés en 2003 pour attentat.
  • juin 2009 : Demande d'ouverture d'une mission parlementaire d'enquête.
  • 23 juin 2009 : Charles Millon, reconnaît dans une interview à Paris Match qu'il a mis fin en 1995 à la demande de Jacques Chirac aux versements de commissions dans le cadre de contrats de ventes d'armes à l'étranger lorsqu'elles étaient susceptibles d'entraîner le versement de rétrocommissions[24].
  • 26 juin 2009 : Dominique de Villepin confirme l'arrêt du versement des commissions pouvant donner lieu à des rétrocommissions[25].
  • 26 juin 2009 : Mediapart indique qu'un ancien policier, réputé proche de Jacques Chirac, Frédéric Bauer, confirme avoir été mandaté en 1996 pour informer un des intermédiaires du contrat de ventes d'armes au Pakistan, que la France cessait le paiement des commissions[26],[27].
  • 30 juin 2009 : Une mission d'information parlementaire est confiée à la Commission de la défense de l'Assemblée nationale[28].

Principaux personnages mentionnés dans ce dossier

Abdul Rahman Al-Assir

Abdul Rahman Salaheddine Al-Assir, né le 26 avril 1950, est un homme d'affaire libanais qui a joué un rôle dans les liens avec les officiels pakistanais pour la vente des sous-marins Agosta. Selon Mediapart, c'est un proche de l'actuel président du Pakistan, Azi Ali Zardari. Il est l'époux de la fille d’un ambassadeur d’Espagne. Sa première épouse était la sœur de l’homme d’affaires saoudien Adnan Kashoggi[29].

Selon l'enquête de Mediapart[30] Abdulrahman El-Assi a été « l'un des principaux intermédiaires payés par la France dans le cadre de plusieurs grands contrats d'armement internationaux, dont le contrat avec le Pakistan susceptible d'être à l'origine de l'attentat de Karachi. Abdulrahman El-Assir est suspecté de longue date par les services secrets français de se livrer à des activités illégales (blanchiment, trafic de drogue et d'armes...), mais aussi d'entretenir des « relations financières » avec l'ancien premier ministre Édouard Balladur »[31].

Notes et références

  1. Les eaux troubles de la construction navale, Le Monde, 10 septembre 2008 - repris sur ce site
  2. Affaire DCN. Des liens avec Édouard Balladur ?, Télégramme de Brest, 27 janvier 2009
  3. Casting prestigieux pour ventes d’armes opaques, Libération, 20 juin 2009 - voir aussi l'éditorial de Laurent Joffrin : Soupçons ; Attentat de Karachi : deux témoins sèment le trouble, Figaro, 20 juin 2009 , Pakistan, Chirac a bien bloqué les com’ des intermédiaires balladuriens, Bakchich.info, 20 juin 2009
  4. La vengeance clandestine de la DGSE, Libération, 20 juin 2009
  5. Karachi : les preuves de la corruption ?, Blog du journaliste Olivier Toscer, 25 juin 2009 - l'article donne le lien avec le rapport en question
  6. Karachi : une vente d'armes hors normes, Blog du journaliste Olivier Toscer, 23 juin 2009 - l'article donne le lien avec le rapport en question
  7. Karachi : une vente d'armes hors normes, Blog du journaliste Olivier Toscer, 23 juin 2009
  8. a  et b Ventes d'armes: la corruption au cœur de la République, Mediapart, 13 septembre 2008
  9. Édouard Balladur
  10. Nicolas Sarkozy
  11. Affaire DCN. Des liens avec Édouard Balladur ?, Télégramme de Brest, 28 janvier 2009 -
  12. La campagne d'Édouard Balladur au cœur de l'enquête sur Karachi, L'Express, 25 juin 2009
  13. Pakistan bombers sentenced to death, BBC, 30 juin 2003
  14. Attentat de Karachi : les magistrats évoquent une piste militaire pakistanaise, Le Monde, 20 juin 2009
  15. Le Monde, 20 juin 2009
  16. French Bombing Inquiry Takes a New Turn, Wall Street Journal, 20 juin 2009
  17. Sarkozy dément fermement que l'attentat de Karachi soit "une affaire d'Etat", Le Monde, 19 juin 2009
  18. Sarkozy plaisante sur Karachi, Arrêt sur images, 21 juin 2009
  19. Attentat de Karachi : Villepin dit ne pas avoir été au courant de commissions sur les sous-marins, Nouvel Observateur, 21 juin 2009
  20. L'attentat de Karachi cache un crime d'État, Charente Libre, 20 juin 2009
  21. Deux élus PS veulent des missions d'information parlementaires sur Karachi , Le Point, 19 juin 2009
  22. Le PS veut une mission d'information sur l'attentat de Karachi , Reuters, 23 juin 2009
  23. Rachida Dati veut rassurer sur l’attentat de Karachi, Libération, 24 juin 2009
  24. « Karachi : Millon a bloqué des commissions », Le Figaro, 23 juin. Extrait : « Jacques Chirac m'a demandé de passer en revue les différents contrats de ventes d'armes en cours et de stopper le versement des commissions pouvant donner lieu à des rétrocommissions. »
  25. « Karachi : Villepin n’avait "pas connaissance d’un risque" », Europe 1, 26 juin. Extrait : « Refuser le paiement de "toute commission pouvant donner lieu à rétrocommission" était une "décision de principe" prise par Jacques Chirac, alors président de la République, a affirmé vendredi Dominique de Villepin, l’ancien secrétaire général de l’Élysée, interrogé sur Europe 1 au sujet de la polémique sur les attentats de Karachi, en 2002. »
  26. « Sur fond de guerre Chirac/Balladur /Karachi : les révélations de l'homme qui a bloqué le versement des commissions », Mediapart, 26 juin. Extrait : « Le consultant en sécurité Frédéric Bauer, ancien policier réputé proche de Jacques Chirac, a déclaré à Mediapart avoir été officiellement missionné “par les plus hautes autorités de l'État” pour mettre un terme, en 1996, au versement d'une partie des commissions dues par la France dans le cadre du contrat d'armement avec le Pakistan. »
  27. « La piste des commissions se renforce sur l'attentat de Karachi », L'Express, 26 juin.
  28. « Une mission d'information sur l'attentat de Karachi », Le Nouvel Observateur, 30 juin.
  29. « Le roman d’espionnage qui éclabousse Sarkozy », Le Temps, 2 juillet 2009.Citation : «Il a fait le même métier, les armes, confie une connaissance, mais alors que Kashoggi a plongé, lui a continué. Il mène un très grand train de vie...» Ainsi, une société d’aviation bernoise, Skywork SA, lui a réclamé 759 500 francs de factures impayées pour des vols privés. Et l’un de ses chalets de Gstaad a été estimé à plus de 14 millions de francs.
  30. Enquête s'appuyant sur des notes de la Direction générale des services extérieurs (DGSE), un rapport secret d'un ancien agent de la Direction de la surveillance du territoire (DST), Claude Thévenet, et par le témoignage de l'ancien directeur financier de la Direction des constructions navales (DCN).
  31. « Affaire Karachi: Édouard Balladur est directement impliqué », Mediapart, 2 juillet 2009

Voir aussi

Articles connexes

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