- Défrichement
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Le défrichement consiste à mettre en culture des terres nouvelles, auparavant incultivables (forêts, landes, etc.).
Les premiers défrichements significatifs remontent, au moins en Europe, au milieu du Néolithique et ils pourraient être bien antérieurs dans certaines zones de Chine, Mésopotamie, Moyen-Orient.
Quand César envahit la Gaule, il y a un peu plus de 2000 ans, il n'est gêné par la forêt qu'en « Belgique » (zone qui correspondrait aujourd'hui aux Pays-Bas, à l'actuelle Belgique et au nord de la France).
Les grands défrichements du Moyen Âge central témoignent de l’augmentation des surfaces cultivées (ager) aux dépens des terres incultes (saltus), forêts, landes et marais ; le recul généralisé de la forêt en Occident atteint son apogée aux XIIIe et XIVe siècles. Mais les rythmes et les modalités de ces déboisements dépendent des diverses qualités pédologiques et des dynamiques sociales variées. La documentation est elle aussi très inégale.
Sommaire
Causes et chronologie
Quelles sont les traces des grands défrichements ?
- La toponymie a conservé le souvenir de ces grands déboisements : essarts (sens général), artigue (Sud-Ouest de la France), rupt[1],[2] (est de la France), villeneuve, sauveterre, santerre, bordes... haie
- Certains noms de villages se terminant par -dorf, -feld, -rode révèlent des actions de défrichements. Dans le sud de la France, les toponymes bastide, bastidons, bastidonne peuvent correspondre à des établissements fondés lors de défrichements.
- Pour les historiens, les sources les plus riches sont les textes (par exemple les chartes de défrichements), les apports de la paléobotanique, l'analyse des pollens et des charbons de bois.
Quand débutent les grands défrichements médiévaux ?
La réponse à cette question varie selon la région concernée, mais parfois les sources historiques précises manquent, ou plusieurs vagues de défrichement ont pu se succéder dans une même région, voire sur un même site (par exemple après une période de repousse de la forêt lors d'invasions ou lors des grandes épidémies de peste).
De grands défrichements sont attestés dès les années 950 en Flandre et en Normandie ; mais des études récentes montrent que dès l'époque de Charlemagne, la forêt a fortement reculé en Occident, tout particulièrement en Catalogne, là où elle n'avait pas déjà significativement régressé dès le Néolithique.
La forêt méditerranéenne, par ailleurs peut-être moins résiliente a été d'autre part fortement entamée dès l’Antiquité ; toutefois, de nombreux établissements sont datés de la fin du XIIe et du XIIIe siècle.
Il faut tenir compte du fait que l'ager, les terres cultivées, peut reculer rapidement en cas d'abandon (en l'espace d'une génération). En ce cas, l'avancée de la forêt ou son recul dépendent généralement de la pression démographique elle-même liée au contexte de guerre, de famines et d'épidémies qui se sont succédé ou surajoutées au Moyen Âge.
Quand s'achèvent les grands défrichements médiévaux ?
Là encore, cela dépend des aires géographiques : les déboisements semblent se ralentir dès le milieu du XIIe siècle en Normandie et dans le Haut-Poitou. Mais ce ralentissement est plus tardif dans le Bassin parisien (1230-1250) et les plaines germaniques (vers 1340).
Pourquoi les Hommes du Moyen Âge ont-il défriché ?
Les principales causes des défrichements sont la forte croissance démographique des XIe, XIIe et XIIIe siècles et les progrès techniques (utilisation croissante du fer). La population européenne serait passée de 38 millions au début du Xe siècle à plus de 75 millions au début du XIVe siècle. Également, lorsque les défrichements battent leur plein, c'est-à-dire vers l'an mille, ils s'inscrivent dans une période où les invasions sur le territoire franc ont cessé et où les conditions climatiques se sont améliorées. Ces différents facteurs donnent aux hommes une certaine confiance en l'avenir et leurs permettent ainsi d'envisager de grandes entreprises de défrichement. Cette vision d'un futur plus propice peut être, dans une certaine mesure, à l'origine de la croissance démographique ou, du moins, en être un stimulateur.
Les types de défrichement
Élargissement de terroirs existants
Ce type de défrichement est le fait d'ermites, de charbonniers et de paysans qui agissent de manière spontanée et isolée. Ce phénomène est très difficile à décrire faute de sources suffisantes. Il se pratique par grignotement progressif et régulier de la forêt, à la marge des terres cultivées. On estime cependant qu'il contribue pour une part importante aux grands défrichements.
Création de terroirs neufs
- À l'initiative des seigneurs et des villes (en Italie par exemple), de nouvelles terres agricoles sont mises en valeur : il faut alors couper et brûler la forêt qui souvent entoure le village. Le seigneur laïc ou ecclésiastique pourra ainsi prélever de nouvelles redevances sur les nouvelles terres. Parfois, un seigneur laïc s'associe avec un seigneur ecclésiastique (abbé, évêque) pour créer de nouveaux terroirs : ils signent un contrat de pariage ou de paréage ;
- Les moines, à la recherche de lieux en marge du monde « civilisé » ont été à l'origine de nombreux défrichements durant tout le Moyen Âge : dès le IXe siècle, en Auvergne, la fondation de l'abbaye de la Chaise-Dieu fait reculer la forêt avec la création de clairières. Les Cisterciens, en particulier, défrichent de nombreuses terres : les « granges » sont des systèmes d'exploitation agricole confiés au travail des frères convers, qui ne sont pas astreints aux obligations spirituelles des autres moines.
- Les défrichements ont aussi accompagné les opérations de colonisation en Europe : la colonisation germanique vers l'est du continent a été assurée en partie grâce aux hôtes : ce sont des paysans qui s'implantent dans une nouvelle région, auxquels le seigneur donne une terre à défricher. Le seigneur promet des avantages aux nouveaux venus, comme des redevances limitées et l'exemption des corvées. Lors de la Reconquista (reconquête chrétienne sur l'Espagne musulmane), de grands défrichements eurent lieu pour installer la nouvelle population.
Conquête du littoral
Dès le Xe siècle, en Flandre et en Zélande, on assèche les marais afin de les transformer en terres arables. De grands travaux de polderisation continuent à partir du XIIe siècle, en France, en Flandre et en Angleterre.
Transformations du paysage occidental
L'incastellamento
Mis en évidence par Pierre Toubert, d’abord dans le Latium puis en Languedoc, il désigne l'habitat perché méditerranéen autour d'un château et d'une église. Les terres cultivées s'organisent en auréoles concentriques autour du village.
Genèse de l’openfield au nord-ouest de l'Europe
Elle a lieu à partir du XIe siècle, et prend la forme de champs ouverts au XIIIe siècle, disposés autour d'un village central. L'assolement triennal et un parcellaire particulier s'impose un peu partout dans cette région.
Le bocage
Dans des régions à sols pauvres (îles Britanniques, Massif Armoricain, Allemagne du nord) le bocage témoigne d'un certain individualisme agraire et d'un moyen de restaurer et conserver des sols initialement épuisés par les premiers labours sur de pauvres essarts. On y pratique notamment ou surtout l'élevage. La présence d'un bocage ne signifie pas que des forêts proches ne soient pas surexploitée voire pillée.
Nouveaux villages du Sud-Ouest français
De nombreux établissements sont datés du XIIIe siècle ; on les appelle : sauvetés, castelnaux, bastides
Disparition totale de la forêt au Moyen Âge ?
Il serait caricatural de dire que les grands défrichements des XI-XIIIe siècles ont fait complètement disparaître la forêt. En montagne, la forêt résiste mieux qu'ailleurs ; la forêt offre un complément important dans l'alimentation médiévale : on y emmène les porcs pour la glandée, on y récolte des baies, des champignons et du miel. Elles sont importantes pour le transfert de fertilité vers l'ager. Dès le XIIIe siècle, les seigneurs fonciers, souvent propriétaires de la forêt (réserve) réagissent et tentent de protéger la forêt. L'organisation et la réglementation des espaces forestiers se fait dès le XIIe siècle : droits de pacage, droits d’usages (ramassage du bois, chasse par exemple) sont fixés.
Les défrichements ralentissent ...
... Car la forêt apparait comme indispensable à la vie quotidienne et à l'industrie (forge, petite sidérurgie, verrerie notamment, qui sont très consommatrice de bois); on s'est rendu compte que le rendement des cultures faites sur certaines terres défrichées médiocres (sols autres que lœss) présentaient des rendements de plus en plus médiocres, ce qui a été source d'une invention agroécologique : le bocage de haies vives associant avec des paysans pratiquant une polyculture équilibrée par un élevage dont les déjections étaient utilisées comme engrais.
Avec les grandes crises du XIVe siècle (brutal et important déclin démographique provoqué par la Peste noire et la Guerre de Cent Ans), la forêt regagne du terrain, pour quelques décennies ou un peu plus d'une centaine d'années en Europe de l'Ouest et plus en Europe orientale. Les forêts royales et ecclésiastiques resteront en Occident relativement épargnées, même si elles ont souvent été surexploitées.
Les grands défrichements du Moyen Âge central restent un des symboles de l’expansion de l’Occident (colonisation germanique, Espagne).
Voir aussi
Liens externes
- (fr) François Seurot ; la croissance imperceptible en Europe du IXe au XIVe siècle : Approches qualitatives et repères quantitatifs (Université de Nancy II), document qui étudie les liens entre la croissance économique au Moyen Âge et les défrichements.
Bibliographie
- Jean-Jacques Dubois, 1989, Espaces et milieux forestiers dans le Nord de la France. Étude de biogéographie historique. Thèse d’État, Université Paris-I Panthéon-Sorbonne, 2 vol., 1 023 pages
Notes et références
- G.F Burguy, Grammaire de la langue d'oïl et Grammaire des dialectes français au XIIe et XIIIe siècles, vol. 3., Sneider, 1856
- Glossaire de la langue romane, rédigé d'après les manuscrits de la Bibliothèque Impériale, B.Warée, 1808
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