Dol par réticence

Dol par réticence

Réticence dolosive en droit civil français

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La réticence dolosive ou dol par réticence est l'omission volontaire par une personne d'un fait qu'elle a obligation de révéler. Parfois assimilée à un dol civil, c'est une cause de nullité du contrat [1].

La réticence dolosive est considérée, depuis les années 1970 en droit français, comme un vice du consentement.

Sommaire

Une notion prétorienne

La notion de réticence dolosive n'est pas définie dans le code civil français : elle a été dégagée par la jurisprudence. En effet, l'article 1116 du code civil fait à l'origine référence à des « manœuvres », ce qui traduit une action volontaire et matérielle. La question se pose alors de savoir si l'abstention volontaire de donner des informations utiles au cocontractant peut être conçue comme une de ces manœuvres, puisqu'un silence n'est pas matériel. Il est nécessairement ambigu, et doit être interprété pour que l'on puisse dire qu'il est volontaire : la réticence n'est donc pas a priori une notion objective. C'est pourquoi la sanction d'un dol par réticence est d'abord morale. Ce n'est qu'à partir de 1958, que la jurisprudence française reconnait de façon constante la réticence comme un moyen de réaliser un dol.

D'une sanction morale...

Réticence et droit romain

À l'origine, depuis Cicéron jusqu'à Pothier au XVIIIe siècle, la sanction de la réticence est d'abord morale. Ces jurisconsultes souhaitent en effet distinguer, de façon constante, « ceux qui ont employé le langage du mensonge, la vanité des discours »[2], à ceux qui sont réticents à donner des informations, simplement considérés comme « habiles »

Cicéron raconte ainsi dans son De officiis le cas du marchand qui amène d'Alexandrie à Rhodes une grande quantité de blé, au moment où, chez les Rhodaniens, la disette a porté les cours à un niveau extrême du fait de la rareté des denrées. Doit-il révéler qu'il a vu, sur la mer, d'autres navires débordant de froment, ou se taire et vendre son blé le plus cher possible ? Cicéron blâmera le négociant, c'est-à-dire qu'il ne le sanctionnera que sur un plan moral, et non juridique.

C'est Aquilius qui créé l'action de dol, ce qui est le moyen d'opposer plus nettement encore la morale du droit. C'est en ces termes, en effet, que le problème fut souvent posé par la doctrine : « ce que l'on devait faire, en l'absence d'obligation juridique préexistante, ne regarde que la morale et le droit ne s'attache qu'aux actes ». Or, dans la définition de Marcus Labeon, les termes employés « impliquent une action positive par leur étymologie même ».

Au XVIIIe siècle, lorsqu'il envisage l'hypothèse, Robert-Joseph Pothier, qui aura à cœur d'étudier le droit romain, après qu'il eut fait référence à la morale chrétienne, reconnaitra que cette réticence n'est blâmable qu'au for interne[3], et qu'il n'appartiendrait donc pas au droit de sanctionner la réticence.

La difficile émergence de la réticence en droit moderne

La première page du code civil des Français en 1804

Un peu plus tard, les rédacteurs du code civil retiennent la notion de « manœuvre » : Le problème moral essentiel du conflit entre le for externe et le for interne, qu'avaient abordé Cicéron et Pothier, « se réduisit ainsi à un problème de pure qualification »[4].

La réticence semble alors toujours permise, en tant que variante du dolus bonus[5]. Les auteurs du XIXe siècle continuent dans ce courant de pensée, et à la veille du XXe siècle, Baudry-Lacantinerie et Barde écrivent qu'« en règle très générale, les réticences ne sauraient constituer le dol »[6].

La jurisprudence d'alors suit la doctrine, et elle n'admet pas la simple réticence comme dol. De tels arrêts restent isolés. Au silence, nécessairement ambigu et difficile à interpréter de façon objective par le juge, s'ajoute un « artifice coupable »[7]. La nullité du contrat fut toutefois prononcée lorsque en réalité, la réticence avait porté sur une qualité substantielle de la chose. Ce n'est alors pas à proprement parler une consécration de la réticence, mais plutôt une simple reconnaissance de l'erreur provoquée par le silence du cocontractant.

Au contraire, la Cour de cassation, la majorité des juges du fond et de la doctrine restaient sur le principe de l'indifférence de la simple omission. Les décisions qui ont pu reconnaitre le fondement de la réticence dolosive étaient l'objet, de la part de la Cour régulatrice, de régulières substitutions de motifs, après avoir vérifié que des manœuvres matérielles, connexes ou aggravantes. Lorsque ce n'était pas le cas, l'arrêt de la Cour d'appel encourait la cassation[8]. Seules des obligations légales d'information, très ponctuelles et rares en cette époque, étaient sanctionnées.

Le principe avait été affirmé dans l'affaire Hilairet : lors d'un règlement transactionnel entre deux anciens époux, à l'occasion de la liquidation de la communauté, le mari, qui s'était fait attribuer des immeubles situés à Hanoï, avait dissimulé à son ex-épouse qu'il entendait revendre lesdits immeubles et escomptait, en raison des différences de change, réaliser un bénéfice énorme. La Cour de cassation estimera que ce seul fait « ne (suffisait) pas, sans autre circonstance, à établir (à sa charge) une manœuvre illicite constitutive de dol »[9].

... À une sanction juridique

La grand'chambre de la Cour de cassation

Ce n'est qu'en 1958 que la Cour de cassation admettra de façon incontestable que l'existence d'un dol peut être « déduit(e) du silence volontairement gardé » par un contractant[10].

Depuis lors, la jurisprudence allait être amenée à faire une application constante de cette idée.

Il fut précisé dans un arrêt de la 1re Chambre civile de la Cour de cassation[11], rendu le 13 février 1967, qu'il importait peu que l'erreur produite portât sur la substance de la chose :

« Le dol peut résulter du silence d'une partie [...] l'erreur, provoquée par le dol, peut être prise en considération, même lorsqu'elle ne porte pas sur la substance de la chose, dès lors qu'elle a déterminée le consentement du cocontractant. »

Cependant, l'acheteur qui, devant les juges du second degré a soutenu la nullité du contrat pour erreur substantielle est irrecevable à invoquer, devant la Cour de cassation, le moyen selon lequel l'erreur provoquée par une réticence dolosive est une cause de nullité, même quand elle ne porte pas sur la substance de la chose[12].

En revanche, et la précision est importante, quoique le pouvoir d'appréciation des juges du fond soit souverain, il peut leur être reproché, en l'absence de manœuvre proprement dite, de ne pas avoir recherché si le demandeur n'avait pas été victime d'une réticence[13]. C'est alors la consécration du dol par réticence : les juridictions du fond devant vérifier l'existence d'une réticence, elle est dès lors intégrée dans le corpus juridique. La réticence dolosive fait alors partie du droit positif.

Le fondement de la sanction de la réticence

L'objet de la réticence

Réticence dolosive et droit spécial de la consommation

Articles détaillés : Droit de la consommation et Obligation précontractuelle d'information.

Depuis les années 1970, et d'ailleurs sous l'impulsion du droit communautaire[14], le législateur intervient dans le sens de la jurisprudence, en protégeant les consommateurs. Ce droit fait aujourd'hui l'objet de son propre code, le code de la consommation. C'est un droit spécial, c'est-à-dire qu'il s'intéresse spécifiquement aux rapports juridiques entre professionnels et consommateurs, alors que le droit commun des contrats pose des principes pour l'ensemble des individus.

L'une des interventions du législateur a notamment été de multiplier les obligations d'informations ou de renseignement. Le professionnel, celui qui sait, est alors obligé par la loi à donner les informations utiles pour éclairer le consentement de son client.

L'auteur de la réticence

La sanction de la réticence

Références

  1. Association Henri Capitant, sous la direction de Gérard Cornu, Vocabulaire juridique , « Réticence », p. 812
  2. Ciceron, De officiis, Les Belles Lettres, Paris, 1970, III, 12, 50 et s., p. 96 et s..
  3. Pothier par Bugnet, Traité des obligations, 2e éd., 1861, no 30 ; comp. Pothier, Traité de la vente, IIe partie, chap. II
  4. P. Bonassies, Le dol dans la conclusion du contrat, thèse, Lille, 1955, p. 489
  5. Bon dol, c'est-à-dire le dol que l'on peut accepter, et qui ne trompe pas la personne raisonnable. Par exemple, un poissonnier qui crierait que son poisson est le plus frais est auteur d'un bon dol.
  6. Baudry-Lacantinerie et Barde, Traité théorique et pratique de droit civil, 3e éd., Les obligations., n° 102
  7. Patrick Chauvel, Dol, Répertoire de droit civil, Dalloz, Paris, juin 1999
  8. V. Cass. civ. 6 aout 1894, DP, 1895, 1, 389, : « Le cohéritier, cessionnaire de droits successifs, ne saurait être recevable à demander la nullité de la cession pour cause de dol en se fondant ... sur une dissimulation volontaire de la consistance véritable de la succession, cette réticence ne pouvant, à raison de son caractère passif, constituer une manœuvre dans le sens légal du mot. » ; Civ., 17 février 1874, D., 1874, 1, 193 : « Dans le cas de vente d'un cheval ayant des instincts dangereux, la simple réticence du vendeur serait insuffisante pour constituer un dol. » Contra, Req. 5 décembre 1838, S., 1838, 1, 951, : « Après avoir rappelé à la connaissance que H. B... avait du mauvais état des affaires de son frère, et des opérations ruineuses auxquelles il s'était livré, circonstances sur lesquelles il a gardé le silence, lorsqu'en sa présence, on annonçait à la veuve et aux héritiers que la succession offrait una actif important, la Cour royale a pu dire que le silence d'H. B... constituait un dol, au moins par réticence. »
  9. Cass. civ. 30 mai 1927, DH 1927. 416, S. 1928. 1. 105, note A. Breton, Gaz. Pal. 1927. 2. 338 ; V. égal. Cass. com. 1er avr. 1952, D. 1952. 685, note Copper-Royer
  10. Cass. 1re civ. 19 mai 1958, Bull. civ. I, n°251 ; V. déjà Cass. soc. 1er avr. 1954, motifs, JCP 1954. II. 8384, note Lacoste : « Le dol peut être constitué par le silence d'une partie dissimulant à son cocontractant un fait qui, s'il avait été connu de lui, l'aurait empêché de contracter ; mais le silence ainsi gardé doit être relatif à une circonstance ou à un fait que le cocontractant était excusable de ne pas connaitre. » ; comp. Cass. 1re civ. 6 févr. 1957, Bull. civ. I, n° 61 ; V. encore Cass. civ. 3e, 15 janvier 1971, Bull. civ. III n°38 P. 25, RTD civ. 1971. 839, obs. Loussouarn, fréquemment citée comme le point de départ de la reconnaissance de la réticence dolosive.
  11. Cass. 1re civ. 13 févr. 1967, Bull. civ. I, no 58, D. 1967. somm. 74 ; V. les observations critiques de J. Ghestin, chron. préc., spéc. no 12
  12. Cass. com. 13 oct. 1980, Bull. civ. IV, n° 329, D. 1981, IR 310, obs. J. Ghestin
  13. Cass. com. 15 juin 1973, Bull. civ. IV, n° 203 ; 8 juill. 1974, ibid. IV, n°217 ; 8 nov. 1983, ibid. IV, n°298 ; Cass. 1re civ. 19 juin 1985, ibid. I, n° 201, Defrénois 1986. 786, obs. J.-L. Aubert
  14. La Loi n°72-1137 du 22/12/1972 relative à la protection des consommateurs en matière de démarchage et de vente à domicile à un rôle de pionnier en droit interne français, mais il ne s'agissait alors que de la transposition d'une directive communautaire. L'effort en matière de droit de la consommation sera bien plus marqué par la loi Loi n°78-23 du 10/01/1978, dite « Scrivener », sur la protection et l'information des consommateurs de produits et de services.

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

Bibliographie

  • Jacques Ghestin, La réticence, le dol et l'erreur sur les qualités substantielles, D. 1971, chr. 248.
  • Loir Romain, Les fondements de l'exigence de bonne foi en droit français des contrats, DEA de droit des contrats, Université de Lille, dir. Pr. Jamin, 2002. [lire en ligne]
  • Ingrid Belleil, L'esprit du Code civil à travers le Livre III du Titre III, DEA de droit privé général, Université de Nantes, dir. Philippe Briand, 2003. [lire en ligne]
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