Critique de la Raison pure

Critique de la Raison pure

Critique de la raison pure

Première de couverture de la Kritik der reinen Vernunft
Critique de la Raison pure
Auteur Emmanuel Kant
Genre philosophie
Pays d'origine Flag of Germany.svg Allemagne
Lieu de parution Riga
Éditeur J. F. Hartknoch
Date de parution 1781

La Critique de la Raison pure (Kritik der reinen Vernunft) est une œuvre de Kant publiée en 1781 et en 1787 (seconde édition remaniée). Elle est considerée comme son œuvre majeure. Cette œuvre est aussi la plus lue, commentée, étudiée et influente des œuvres de Kant.

Sommaire

Plan

Introduction
Théorie transcendantale des éléments

  • Première partie : Esthétique transcendantale
    • Première section : De l'espace
    • Deuxième section : Du temps
    • Conclusion de l'Esthétique transcendantale
  • Deuxième partie : Logique transcendantale
    • Introduction
    • Première division : Analytique transcendantale
      • Livre premier : Analytique des concepts
        • Chapitre premier : Du fil conducteur permettant de découvrir tous les concepts purs de l'entendement
        • Chapitre II : De la déduction des concepts purs de l'entendement
      • Livre deuxième : Analytique des principes
        • Introduction
        • Chapitre premier: Du schématisme des concepts purs de l'entendement
        • Chapitre II : Système de tous les principes de l'entendement pur
          • première analogie: principe de permanence
          • deuxième analogie: principe de production
          • troisième analogie: principe de communaute
        • Chapitre III : Du principe de la distinction de tous les objets en général en phénomènes et noumènes
        • Appendice
    • Deuxième division : Dialectique transcendantale
      • Introduction
      • Chapitre premier : Des paralogismes de la raison pure
      • Chapitre II : L'antinomie de la raison pure
      • Chapitre III : L'idéal de la raison pure
      • Appendice

Théorie transcendantale de la méthode

  • Chapitre premier : La discipline de la raison pure
  • Chapitre II : La canon de la raison pure
  • Chapitre III : L'architectonique de la raison pure
  • Chapitre IV : Histoire de la raison pure

Les Préfaces (1781 et 1787)

Kant a écrit deux préfaces à la Critique de la Raison pure (1781 et 1787) dans lesquelles il explique son projet général (permettre à la métaphysique de ne plus être un champ de bataille entre philosophes et écoles opposés les uns aux autres) ainsi que le renversement qu’il veut introduire dans notre conception du savoir (c’est la célèbre révolution copernicienne). Ces préfaces sont donc essentielles pour l’intelligence du texte car elles fournissent deux des clés pour comprendre la Critique de la raison pure.

La révolution copernicienne est un renversement de notre conception habituelle de la nature du savoir. Pour expliquer cette révolution, Kant va se fonder aussi bien sur l’exemple de Thalès que de Galilée. Thalès est le premier qui a vu que les mathématiques existent grâce à des principes a priori et qu’elles sont le résultat de l’activité cognitive du sujet. Thalès a donc compris selon Kant que les objets mathématiques sont constitués par le mathématicien. Quant à Galilée, il n’a pas fondé sa recherche sur la simple observation des phénomènes naturels, mais, par des questions qu’il a établies lui-même a priori, il a cherché à comprendre les lois naturelles. Il a interrogé la nature afin de pouvoir la comprendre. C’est en d’autres termes par la mise en place d’un dispositif expérimental que la physique moderne a pu apparaître.

Or, Thalès et Galilée incarnent de façon paradigmatique la révolution nécessaire pour permettre à un certain type de connaissance de devenir scientifique. Toute discipline voulant devenir scientifique devra donc elle-même apprendre que c’est le sujet qui est le fondement de la connaissance et que toute connaissance est en partie indépendante de l’expérience.

Mais la métaphysique n’ayant pas encore atteint ce statut de science, il faudra qu’elle apprenne à renverser ses perspectives. Kant indique cependant très clairement les conséquences de la révolution copernicienne pour la Métaphysique. En effet même si le sujet est le fondement de la connaissance ou plutôt son centre comme le veut le principe de la révolution copernicienne, l’expérience est l’autre élément à toute connaissance scientifique. Galilée n’établit pas simplement des hypothèses a priori: sa démarche est inséparable de l’expérimentation.

Le traitement de la Métaphysique dans toute la Critique de la raison pure apparaît donc ici : Kant veut en faire une science au même titre que les mathématiques ou la physique. Mais cela est impossible : si on veut mettre fin aux querelles de la philosophie, il faudra alors chercher une autre voie pour la Métaphysique (entendue comme connaissance de l’âme, de la liberté et de Dieu) que de vouloir en faire une science.

Pour cela, il est possible et même nécessaire d’introduire les trois concepts principaux de la métaphysique (Dieu, l’âme et la liberté) dans le champ de la morale. Il faudra même apprendre à ne pas les utiliser en-dehors de la morale. Ces trois concepts sont utiles pour guider mon action mais n’ont aucune utilité dans le domaine scientifique. Quand Kant écrit : « J’ai supprimé le savoir pour faire place à la foi », il entend par là qu’il a supprimé un pseudo-savoir (la métaphysique) pour en faire un simple article de foi auquel la science ne nous oblige pas à croire mais qui est néanmoins le fondement de la morale.

Introduction

L’introduction est avec les deux préfaces (surtout celle de 1786) le passage le plus important pour comprendre le projet général de Kant dans la Critique de la raison pure. En outre, c’est dans l’introduction que sont exposés et définis pour la première fois deux couples conceptuels fondamentaux (et les plus connus de la pensée kantienne) : jugement analytique et jugement synthétique d’une part et les concepts "a priori" et "a posteriori" d’autre part.

L’importance de l’introduction tient au fait que Kant y expose pour la première fois la problématique de la Critique de la raison pure. Mais avant cela il doit d’abord expliquer le concept fondamental de jugement synthétique a priori.

Pour cela, il distingue d’abord les jugements analytiques des jugements synthétiques. Un jugement analytique est une proposition dans laquelle on lie deux concepts (par exemple x est la cause y ou bien x a la qualité y etc.) mais simplement en analysant c’est-à-dire explicitant un des deux concepts. Par exemple si je dis « les célibataires ne sont pas mariés », je lie deux concepts (célibataires et pas mariés) mais le prédicat « pas mariés » est déjà contenu dans le sujet de la phrase « célibataire ». Le jugement « les célibataires ne sont pas mariés » n’est donc pas une connaissance au sens étroit du terme : il ne nous apprend rien sur le monde, il est juste une tautologie.

Il existe un deuxième type de jugement selon Kant : ce sont les jugements synthétiques. Ils lient eux aussi deux concepts mais à la différence des jugements analytiques ils ne sont pas de simples tautologies. Les axiomes et théorèmes de la géométrie (euclidienne), les lois de la physique (newtonienne) ou même les pseudo-connaissances de la métaphysique sont tous des jugements synthétiques.

Enfin, Kant distingue l’a priori de l’a posteriori. Sous ces deux termes apparemment complexes il entend quelque chose de très simple. Une connaissance est a posteriori quand elle est le résultat de l’expérience et plus particulièrement de l’induction. La plupart des connaissances en physique sont a posteriori par exemple. Mais aussi bien les connaissances en mathématiques, qu’en physique ou que la métaphysique sont au moins en partie « a priori ». Cela signifie que certaines connaissances en physique, en mathématiques ou en métaphysique ne sont pas nées de l’expérience. Que tout changement dans la nature ait une cause n’est pas un jugement provenant de l’expérience selon Kant pour prendre un exemple provenant de la physique. L’affirmation que font les métaphysiciens que l’âme est immortelle est elle aussi indépendante de l’expérience.

Grâce à ces longues explications Kant peut poser clairement le problème fondamental de la Critique de la raison pure : comment est-ce que les jugements synthétiques a priori sont possibles ? Comment est-il possible de lier deux concepts (sans qu’il s’agisse d’une proposition tautologique) sans qu’on se base sur l’expérience ? Comment est-ce que je peux affirmer « que tout changement dans la nature ait une cause » si je ne m’appuie pas sur l’expérience ? Comment affirmer que la distance la plus courte entre deux points est la ligne droite (pour reprendre un exemple venant de la mathématique euclidienne), si ce n’est pas l’expérience qui me l’enseigne ? On a donc selon Kant d’une part des jugements incontestablement vrais (comme les deux exemples que nous venons de citer) mais dont l’origine et le fondement restent incompréhensibles. La tâche de Kant sera donc d’une part d’expliquer comment est-ce que les mathématiques et la physique (dans la mesure où elle repose sur des jugements synthétiques a priori) sont possibles. Voici donc les deux premières questions de la « critique de la raison pure » que Kant résoudra dans l’esthétique transcendantale et dans l’analytique transcendantale.

Esthétique transcendantale

Le terme d'esthétique vient du grec aesthesis qui signifiait théorie du sensible. Kant va donc dans cette partie faire l'étude de la sensibilité, qu'il définit comme la faculté de recevoir des représentations des objets matériels qui nous affectent. L'entendement se définit par contraste comme la faculté des concepts qui nous permet de penser ces objets; son étude consistera non pas dans une esthétique mais dans une logique (voir logique transcendantale). L'esthétique sera dite transcendantale parce qu'elle prétend ne faire l'étude que des principes a priori de la sensibilité. La thèse de Kant est en effet qu'il existe un cadre a priori dans lequel les objets nous sont originairement donnés et qui permet leur représentation. C'est ce que Kant nomme l'intuition pure (c'est-à-dire a priori et non mêlée d'expérience). Selon lui, même si on enlève à un objet toutes ses caractéristiques extérieures (sa couleur, sa dureté, sa divisibilité), il en reste toujours quelque chose : l'étendue et la figure, qui constituent la pure forme d'un objet, indépendante de toute expérience, de toute sensation. Kant va dès lors tenter de montrer qu'il existe un cadre a priori de l'intuition, ce qu'il nomme les formes a priori de la sensibilité, l'espace et le temps. L'existence de ces formes pures de l'intuition serait une condition nécessaire, pour Kant, à la possibilité de constitution de connaissances synthétiques a priori par le sujet.

Kant va ensuite affirmer que l'espace et le temps sont bien des formes a priori qui tiennent "à la constitution subjective de notre esprit" et non pas des "êtres réels" autonomes et hétérogènes à l'activité de connaissance humaine. Il postule par là-même l'idéalité transcendantale de l'espace et du temps : ceux-ci ne sont que de pures formes qui conditionnent néanmoins l'empiricité des objets.

Kant établit une distinction majeure entre l'espace et le temps :

  • l'espace conditionne selon lui notre représentation des objets extérieurs, placés "hors de nous". Il constitue donc le sens externe.
  • le temps quant à lui est le moyen par lequel l'esprit s'intuitionne lui-même. Il constitue le sens interne.


Première section: de l'espace

Exposition métaphysique du concept de l'espace

Par exposition (du latin expositio), Kant dit entendre "la représentation claire (...) de ce qui appartient à un concept". L'exposition sera dite métaphysique dès lors qu'elle ne tente de représenter que ce qui est donné a priori dans le concept. Cette exposition se déroule en cinq points:

  • 1) L'espace n'est pas pour Kant un concept tiré de l'expérience. Il est toujours déjà là, et constitue le fondement de toute expérience extérieure possible. Il serait impossible autrement de se représenter un objet hors de nous (par exemple, en marchant, la rue que l'on vient de quitter) ou de différencier un objet d'un autre (sans l'espace, les objets ne pourraient être situés).
  • 2) L'espace est donc une "représentation nécessaire a priori qui sert de fondement à toutes les intuitions extérieures". On peut imaginer un espace vide, dépourvu d'objets. Mais on ne peut pas ne pas se représenter l'espace. C'est pourquoi, explique Kant, il n'y a pas de dépendance de l'espace par rapport aux objets, mais bien plutôt dépendance des objets par rapport à l'espace qui constitue leur fondement et conditionne leur possibilité.
  • 3) (ce point a été supprimé dans la version de 1787) C'est en raison, poursuit Kant, du caractère nécessaire et a priori de l'espace que les principes a priori de la géométrie sont vrais de façon apodictique (c'est-à-dire à la fois universelle et nécessaire) et peuvent être construits a priori. Si l'espace n'avait pas ce statut de représentation nécessaire a priori, alors tous ces principes, comme celui qui veut que par deux points ne puisse passer qu'une seule droite, ne seraient plus universels et nécessaires mais auraient au contraire la relativité de l'induction et la "contingence de la perception". Que l'espace n'ait que trois dimensions ne serait plus un principe apodictique de la géométrie selon Kant, et l'on devrait se contenter de dire "qu'on a pas trouvé d'espace qui eût plus de trois dimensions".
  • 4) L'espace est une pure intuition, pas un concept développé au moyen d'un discours. La preuve en est, pour Kant, qu'il est impossible de se représenter l'espace autrement que comme unique. On peut certes séparer l'espace en différentes parties, mais celles-ci ne sauraient être pensées qu'en lui. De la même façon, les principes géométriques ne sont pas déduits de concepts généraux comme celui de droite, mais uniquement de l'intuition.
  • 5) L'espace est une grandeur infinie. L'espace, parce qu'il est capable de contenir une quantité infinie de représentation, est bien une intuition et non un concept.

Exposition transcendantale du concept de l'espace

L'exposition métaphysique tentait de représenter ce qui est contenu a priori dans un concept. L'exposition transcendantale, elle, tente d'expliquer ce qui dans un concept donné (ici l'espace) rend possible des connaissances synthétiques a priori.

Kant va partir d'un constat, celui de l'existence de la géométrie comme science permettant des connaissances synthétiques a priori, pour tenter de définir l'espace. Pour lui, l'espace doit être une intuition parce que les propositions de la géométrie euclidienne sont apodictiques. Il raisonne pour ainsi dire ‘‘ab actu ad posse’’ : si cela existe, cela doit être intelligible. Parce que des jugements synthétiques a priori sont possibles, l'espace est une intuition (et non, à nouveau, un concept, car on ne peut tirer d'un concept aucune proposition qui le dépasse, aucun jugement synthétique). En outre, cette intuition doit se trouver en nous de façon a priori. Il s'agit donc d'une intuition originaire, en nous avant toute perception d'un objet, quel qu'il soit. Elle a donc son siège dans le sujet lui-même: elle est, dit Kant, "la propriété formelle qu'a le sujet d'être affecté par des objets". Contrairement à l'entendement, l'espace n'est pas un élément de l'esprit qu'il applique à l'expérience, mais bien plutôt la forme selon laquelle il est originairement ouvert à l'expérience sensible. L'espace n'est pas un concept, une construction de l'esprit, mais le mode même selon lequel les objets nous apparaissent: une pure intuition présente en nous originairement.

Conséquences des concepts précédents

Kant va ici donner quelques précisions sur la nature de l'espace. Il n'a de sens réel, selon lui, "qu'au point de vue de l'homme", c'est-à-dire comme la condition subjective de nos intuitions; sans cela, poursuit-il, il ne signifie rien. L'espace contient bien les choses, mais uniquement en tant qu'elles peuvent nous apparaître; en aucun cas il ne contient les choses en soi. L'espace, parce qu'il est la "condition" de toute expérience externe, a bien une réalité empirique; mais parce qu'il ne constitue pas le "fondement" des objets intuitionnés, c'est un idéal transcendantal.

Deuxième section: du temps

Exposition métaphysique du concept du temps

L'exposition métaphysique du temps, comme celle de l'espace, se déroule en cinq points, qui décrivent chacun une propriété du temps.

  • 1) Comme l'espace, le temps "n'est pas un concept empirique qui dérive d'une expérience". Il est toujours déjà là, en amont de l'expérience.
  • 2) Le temps, s'il est à l'instar de l'espace une représentation nécessaire, sert lui "de fondement à toutes les intuitions" (pas seulement aux intuitions intérieures, donc). "En lui seul", insiste Kant, "est possible toute réalité des phénomènes". Le temps est donc la condition de toute intuition, même spatiale. Cette prédominance du temps sur l'espace est essentielle.
  • 3) En tant qu'il est une représentation nécessaire a priori, le temps rend possible les principes universellement et nécessairement vrais de la géométrie.
  • 4) Le temps est une "forme pure de l'intuition", pas un " concept discursif". Autrement, aucune connaissance synthétique a priori (Kant prend ici l'exemple de l'impossibilité que des temps différents soient simultanés) ne serait possible.
  • 5) "Toute grandeur déterminée du temps n'est possible que par les limitations d'un temps unique qui lui sert de fondement". Parler de parties du temps n'est possible qu'en limitant un temps unique, infini à l'origine.

Exposition transcendantale du concept du temps

Exposition transcendantale

Kant entreprend de montrer que les sciences (mathématique et physique) seraient impossibles si l’espace et le temps, comme formes a priori, n’en étaient pas les fondements transcendantaux. « Prenez, par exemple, cette proposition : Deux lignes droites ne peuvent renfermer aucun espace ni, par conséquent, former de figure ; et cherchez à dériver cette proposition du concept de ligne droite et de celui du nombre deux ». Seul l’espace, en tant que forme pure a priori de la sensibilité, rend possible un tel jugement synthétique, qui sera par conséquent a priori. Si la géométrie ne se servait pas de cette intuition pure a priori, elle serait empirique, ce serait une science expérimentale. La géométrie ne procède pas par mesures mais par démonstrations. Kant fait reposer sa démonstration de l’apriorité de l’espace sur la réussite exemplaire de la géométrie. Si on attaque son argument, on remettrait alors en cause l’universalité de la géométrie. D’autre part, le temps sera l’intuition pure a priori qui rendra possible les mathématiques. Le temps n’est pas non plus un concept, sinon il obéirait aux exigences de la logique formelle (donc au principe de non-contradiction). Or, le temps permet de déroger au principe de non-contradiction : en effet, il est possible de dire que A et non-A se trouvent en un même lieu si on les considère en des temps différents. Le temps et l’espace ne peuvent donc être considéré comme des êtres existants en soi. Ce sont les formes a priori de l’intuition sensible. Rien ne se rencontre jamais en une expérience qui ne soit inscriptible dans un temps et dans un lieu, car contrairement à l'opinion commune et notamment celle que Fichte soutiendra plus tard, le relativisme de ce concept d'expérience qui peut se dégager n'à pas de valeur objective non plus. ON parlera alors, comme Schopenhauer d'objectivité de la raison. En fin de ce chapitre on trouve un avertissement de Kant le dégageant de tout idéalisme subjectif  : « Quand je dis que, dans l’espace et le temps, aussi bien l’intuition des objets extérieurs que l’intuition de l’esprit par lui-même représentent chacune leur objet comme il affecte nos sens, c’est-à-dire comme il nous apparaît, je ne veux pas dire que ces objets soient une simple apparence ». Kant ne fait que distinguer le phénomène de l’objet. Il ne déclare pas que rien n’existe en dehors de lui-même ou de sa propre conscience, loin de là. Il en fait par ailleurs une réfutation explicite dans la section : paralogisme de l’idéalité du rapport extérieur. Pour se distinguer de cet idéalisme subjectif, niant l’existence du monde extérieur, il définit sa position comme un idéalisme transcendantal* accordé avec un réalisme empirique : « Nos explications nous apprennent donc la réalité (c’est-à-dire la valeur objective) de l’espace [et du temps] [...] et en même temps l’idéalité de l’espace [et du temps] par rapport aux choses, quand elles sont considérées en elles-mêmes [...] Nous affirmons donc la réalité empirique de l’espace, quoique nous en affirmions en même temps l’idéalité transcendantale ».

Analytique transcendantale

L'analytique transcendantale est le deuxième grand moment de la théorie des éléments. Elle est fondamentale car elle contient d’une part la célèbre déduction transcendantale des catégories et en outre la solution à la question qui sous-tend toute la Critique: "comment sont possibles les jugements synthétiques a priori"?

Tout comme l’esthétique transcendantale elle contient une exposition métaphysique ainsi qu’une déduction transcendantale.

Livre I : Analytique des concepts

Exposition des concepts purs de l'entendement

L'analytique des concepts dresse d’abord le tableau des catégories ou concepts de l'entendement pur. Il s’agit pour Kant des douze concepts a priori qui sont le fondement de toute connaissance scientifique. Cette liste est en outre, aux yeux de Kant, exhaustive.

Mais pour obtenir ce tableau, dit Kant, il faut avoir un fil directeur. C'est dans le tableau des jugements qu'il le trouve :

Table des jugements
Quantité Qualité Relation Modalité
Universels Affirmatifs Catégoriques Problématiques
Particuliers Négatifs Hypothétiques Assertoriques
Singuliers Infinis Disjonctifs Apodictiques
Table des catégories de l'entendement
Quantité Qualité Relation Modalité
Unité Réalité Substance - accident Possibilité - impossibilité
Pluralité Négation Cause - effet Existence - non-existence
Totalité Limitation Réciprocité Nécessité - contingence

Déduction des concepts purs de l'entendement

Mais Kant veut en outre montrer que ces différentes catégories sont le fondement transcendantal de toute connaissance.

Kant se confronte ici à la question épineuse de la légitimité de l’usage des catégories. Le problème est le suivant : les catégories sont des concepts a priori - comment dans ce cas savoir si on a le droit de les appliquer aux phénomènes connus par l’expérience. Car, de prime abord, il semble bien qu’on puisse connaître les phénomènes empiriques sans faire usage de concepts indépendants de l’expérience. Apparemment, un physicien n’a pas besoin de disposer de concepts a priori pour connaître la nature.

Kant se donnera donc pour tâche, au cours de la déduction transcendantale des catégories, de déterminer si l’usage des catégories est légitime pour connaître les phénomènes connus par l’expérience et si oui dans quelle mesure.

Il évoque trois possibilités pour expliquer que des concepts puissent être appliqués à l’expérience :

  • Soit ces concepts dérivent de l’expérience ou plus exactement sont le résultat d’un processus d’induction. Or, ceci ne peut être vrai des catégories car elles sont a priori et donc indépendantes de l’expérience.
  • Ou bien alors les concepts a priori peuvent être appliqués aux phénomènes empiriques grâce à une harmonie préétablie comme chez Leibniz. Cette possibilité n’est pas non plus tenable aux yeux de Kant.
  • Ou bien il faut affirmer que les concepts a priori sont eux-mêmes le fondement de l’expérience. Cette solution a l’avantage de résoudre de façon indiscutable la question de la légitimité de l’application des catégories à l’expérience. C’est cette réponse que Kant va défendre.

Livre II : Analytique des principes

Kant élabore ici un système non plus des concepts mais des principes de l'entendement. Les principes sont des règles que l'entendement se donne à lui-même de façon a priori et qui régissent notre expérience des phénomènes. Il y a quatre types de principes, chacun entretenant un lien avec les quatre grandes catégories de l'entendement :

  • Principe des axiomes de l'intuition ; en relation avec le concept de quantité.
  • Principe des anticipations de la perception ; lié à la qualité.
  • Principe des analogies de l'expérience ; lié à la relation.
  • Postulats de la pensée empirique en général : liés à modalité.
Tableau récapitulatif du « système des principes »
Catégorie Titre du principe Formulation du principe
Quantité Axiomes de l'intuition « Toutes les intuitions sont des grandeurs extensives[1]. »
Qualité Anticipations de la perception « Dans tous les phénomènes, le réel, qui est un objet de la sensation, possède une grandeur intensive, c'est-à-dire un degré[2]. »
Relation Analogies de l'expérience « L'expérience n'est possible que par la représentation d'une liaison nécessaire des perceptions[3]. »
  1. « Principe de la permanence de la substance » : « Dans tout changement connu par les phénomènes, la substance persiste, et son quantum ne se trouve dans la nature ni augmenté ni diminué[4]. »
  2. « Principe de la succession chronologique suivant la loi de causalité » : « Tous les changements se produisent d'après la loi de liaison de la cause et de l'effet[5]. »
  3. « Principe de la simultanéité suivant la loi de l'action réciproque ou de la communauté » : « Toutes les substances, en tant qu'elles peuvent être perçues dans l'espace comme simultanées, entretiennent une relation d'action réciproque universelle[6]. »
Modalité Postulats de la pensée empirique en général
  1. « Ce qui s'accorde avec les conditions formelles de l'expérience (quant à l'intuition et aux concepts) est possible[7]. »
  2. « Ce qui est cohérent avec les conditions matérielles de l'expérience (de la sensation) est réel[8]. »
  3. « Ce dont la relation de cohérence qu'il entretient avec le réel est déterminé suivant les conditions générales de l'expérience est nécessaire (existe nécessairement[9]). »

Deuxième division: la dialectique transcendantale

La dialectique transcendantale est le troisième grand moment de la « critique de la raison pure » après l'esthétique et l’analytique transcendantales. Kant y étudie le fonctionnement illégitime de l'entendement ; il élabore une théorie des erreurs et des illusions de l'entendement. Il est nécessaire de bien distinguer entre la dialectique logique, qui s'intéresse aux erreurs de raisonnements dans leur caractère formel et fait abstraction de la connaissance elle-même, et la dialectique transcendantale, qui s'intéresse aux erreurs de la raison en tant qu'elle sort des limites de l'expérience. La dialectique transcendantale tente de distinguer entre ce qui relève du nouménal et du phénoménal, et en opérant cette division, elle guérit le mal qui ronge la raison en même temps qu'elle le découvre. En effet, distinguer entre nouménal et phénoménal empêche dans une certaine mesure de faire un exercice illégitime de la raison. Cependant ces illusions, parce qu'elles sont liées à la nature même de la raison humaine, reviennent constamment et sont impossibles à dissiper. Ces illusions de la raison pure sont les paralogismes, les antinomies et l’Idéal de la raison.

L’introduction

L’introduction a pour fonction d’expliquer la fonction de la raison ("Vernunft") pour la constitution des pseudo-connaissances métaphysiques: la dialectique transcendantale apporte donc la réponse à la question que Kant posait dans l’introduction: "comment est-ce que la métaphysique est possible comme tendance naturelle ?".

Il faut d’abord différencier la raison de la faculté de juger ("Urteilskraft") qui permet de subsumer un objet particulier sous un prédicat. Un « objet » étant tout concept ou personne à laquelle on peut attribuer une qualité (ou prédicat). Si par exemple je dis : « Socrate est mortel » je subsume un concept (Socrate) sous un prédicat (« mortel »). La raison permet elle aussi de subsumer un concept sous un prédicat. Seulement elle le fait d'une autre façon que la faculté de juger. Si je dis par exemple :

  • « Socrate est un homme »
  • Or les hommes sont mortels »
  • Donc Socrate est mortel », je subsume un objet (Socrate) sous un prédicat (mortel). Mais cette prédication ne se fait pas directement : on subsume une première proposition (« Socrate est un homme ») sous une proposition plus générale (« les hommes sont mortels ») au moyen d’un troisième terme intermédiaire (ici : « homme »).

La raison n'est donc rien d’autre pour Kant que la faculté de subsumer une proposition particulière sous une proposition plus générale au travers d’un concept moyen. C’est d’ailleurs la grande différence entre la raison et la faculté de juger car la dernière subsume sans passer par un terme intermédiaire.

Kant tente de définir par là la fonction de la raison. Mais en quoi est-ce que la raison est la source de la métaphysique ? C'est que la raison tend à subsumer sans cesse les connaissances sous des règles générales (ou « principes » comme dit Kant) jusqu’à ce qu’elle arrive à un principe qui ne se laisse plus subsumer sous un principe plus général. En tentant d'unifier par des principes la connaissance conditionnée (par l'expérience) de l'entendement elle va opérer un mouvement partant de principes immanents pour aller vers des principes transcendants c’est-à-dire dépassant les limites de l'expérience. La raison par sa nature même tend vers une connaissance « inconditionnée », vers l’« inconditionné» (« das Unbedingte »). Or, elle quitte par là le domaine de l’expérience dont elle ne tient plus compte. Elle cherche dès lors un principe « absolu ».

Kant explique ensuite comment la raison arrive aux différents concepts métaphysiques. Pour simplifier on peut dire que la raison va chercher ces trois propositions inconditionnées suivantes:

  • une substance inconditionnée (ce sera l’âme : cf. critique de la psychologie rationnelle) ;
  • une suite inconditionnée (i.e. qui ne sera pas limitée) de conditions (ce sera entre autres la liberté : cf. la critique de la cosmologie rationnelle) ;
  • une entité possédant de manière inconditionnée (i.e. sans restriction) tous les prédicats possibles (ce sera Dieu : cf. théologie rationnelle).

Les paralogismes

Les paralogismes sont des raisonnements fallacieux de la psychologie rationnelle concernant la nature de l’âme.

La psychologie rationnelle est à la base une des trois branches de la métaphysique telle que l’avait définie Wolff dans son système philosophique. Il s’agit de la discipline qui analyse les propriétés de l’âme a priori c’est-à-dire sans recourir à l’expérience. Ceci est d’autant plus clair lorsqu’on se rappelle que le but fondamental de cette discipline est de prouver l’immortalité de l’âme, preuve qui ne peut être qu’a priori. On ne doit donc pas confondre la psychologie rationnelle avec la psychologie entendue comme étude empirique du psychisme humain.

L’importance de la critique de la psychologie rationnelle tient au fait qu’elle prétend connaître son objet (l’âme) par une intuition non sensible plus exactement par une simple introspection. Cette thèse est fondamentale car elle constitue un défi à la position kantienne selon laquelle une intuition ne peut être que sensible. C’est même sur cette idée que repose la résolution de la question « comment sont possibles les jugements synthétiques a priori » dans l’Analytique. La réfutation de la psychologie rationnelle est donc en quelque sorte une défense d’un des fondements de la pensée kantienne.

Les antinomies

Les antinomies se produisent lorsque la raison tombe dans des conflits insolubles et ne parvient pas à se déterminer en faveur d'une thèse particulière.

Enjeux

Ce passage de la Critique de la raison pure a une signification toute particulière car les contradictions internes et insolubles des deux premières antinomies constituent pour Kant la preuve de la validité de la révolution copernicienne tandis que la résolution de la question « comment sont possibles les jugements synthétiques a priori » en constitue la réponse positive.

Les Antinomies sont importantes pour une autre raison. Kant fait appel à un procédé de résolution des contradictions extrêmement original reposant sur la distinction entre phénomènes et noumènes et qui l’amène à dépasser certaines des querelles les plus anciennes de la métaphysique. Kant va tenter de résoudre les antinomies en procédant à un dépassement; il explique que chacune des thèses opposées sont vraies mais chaque fois selon des points de vue différents. Celles du dogmatisme métaphysique sont vrais du point de vue des noumènes, celles de l'empirisme le sont sur le plan des phénomènes. Kant tente ici de réaliser la paix entre l'empirisme et le dogmatisme.

Enfin la troisième antinomie revêt une signification essentielle car elle permettra le développement de la philosophie morale dans la Critique de la raison pratique.

Exposition des quatre antinomies

La première antinomie porte sur la finitude ou non du monde.

  • Le monde a un commencement dans le temps et est limité d’un point de vue spatial.
  • Le monde n’a pas de commencement et n’a de limites dans l’espace et il est infini aussi bien du point de vue du temps que de l’espace.

La deuxième porte sur l’existence ou non d’une entité simple indivisible.

  • Toute substance composée est constituée de parties simples et il n’existe nulle part quelque chose d’autre que le simple ou que ce qui en est composé.
  • Aucune chose composée dans le monde n'est constituée de parties simples et il n'existe nulle part rien de simple en lui.

La résolution de la première et de la deuxième antinomie sont identiques. Dans les deux cas, Kant va montrer qu’elles sont contradictoires, c’est-à-dire qu’elles s’excluent mutuellement. Or, il va utiliser ce fait comme point de départ d’une preuve négative (ou plus exactement par l’absurde) de la validité de la révolution copernicienne. La première et la deuxième antinomie partent du principe que les choses sont connaissables en elles-mêmes et non pas seulement selon les cadres a priori de notre expérience (cf. Esthétique transcendantale). Mais cette thèse amène à des contradictions indépassables comme le montrent les deux premières antinomies. La thèse selon laquelle les objets peuvent être connus en eux-mêmes est donc intenable.

La troisième concerne l'existence ou non de la liberté.

  • La causalité d’après les lois de la nature n’est pas la seule forme de causalité à partir de laquelle on peut déduire l’ensemble des phénomènes du monde. Il est nécessaire de supposer en outre une causalité par la liberté pour expliquer les phénomènes.
  • Il n’existe pas de liberté : tout dans le monde a lieu d’après les lois de la nature.

La quatrième se rapporte à l'existence ou non de Dieu.

  • Un être nécessaire de manière inconditionné fait partie du monde que ce soit comme sa partie ou comme sa cause.
  • Il existe nulle part un être nécessaire de manière inconditionné que ce soit dans le monde ou en dehors du monde ou comme sa cause.

La résolution de la troisième et de la quatrième antinomie sont elles aussi identiques. Kant explique que la thèse et l’antithèse de ces deux antinomies sont contraires (et non contradictoires à la différence des deux premières antinomies). Il est possible selon Kant d’affirmer tout à la fois la thèse et l’antithèse. Seulement il faudra se placer dans une perspective différente. La thèse sera vraie d’un point de vue nouménal, c’est-à-dire si on considère les choses en elles-mêmes, en faisant abstraction des formes a priori de la sensibilité. Le concept de liberté et d’un être dont absolument nécessaire (Dieu en réalité) seront donc des concepts auxquels on ne peut attribuer aucune réalité empirique (Kant parle d’Idées pour désigner ce type de concept précis). On n’observe pas Dieu ou la liberté comme on observe un phénomène empirique. Il est évident que tels concepts seront sans utilité pour la connaissance scientifique. L’antithèse par contre sera vraie d’un point de vue phénoménal c’est-à-dire si on considère les objets tels qu’ils nous sont donnés dans l’expérience. L’antithèse sera vraie dans le cadre des sciences physiques.

L’Idéal de la raison pure

Un idéal est une idée représentée sous la forme d’une personne. Un Idéal est une personnification d’une Idée en d’autres termes. Dieu est la personnification du concept d’un être possédant toutes les qualités possibles. Un idéal est une idée que l'on considère à tort comme un objet réel alors qu'elle n'est que régulatrice.

Dans cette section, Kant réfute de façon systématique toutes les preuves possibles de l'existence de Dieu. Celles-ci, dit-il, peuvent être ramenées à trois :

  1. preuve ontologique ;
  2. preuve cosmologique ;
  3. preuve physico-théologique.

Les trois preuves de l'existence de Dieu

Preuve ontologique

La preuve ontologique s'appuie sur le seul concept de Dieu pour en déduire l'existence. L'argumentation est la suivante :

  1. quelque chose de nécessaire ne peut pas ne pas exister (sinon il serait contingent) ;
  2. or Dieu est un être nécessaire (c'est une propriété comprise dans son concept) ;
  3. donc Dieu existe.

Descartes présenta un argument de ce type dans les Méditations métaphysiques : l'homme étant mortel et capable de l'erreur, c'est un être fini imparfait. Or son esprit possède les idées d'infini et de perfection. C'est donc qu'il existe extérieurement à lui un être parfait et infini ayant placé ses idées en lui : Dieu.

Saint-Anselme lui parlait de Dieu comme "ce dont rien ne peut être pensé de plus grand"

Preuve cosmologique

La preuve cosmologique est celle qui s'appuie, non sur le seul concept de Dieu, mais sur l'existence du monde. On peut le formuler de la façon suivante :

  1. Tout ce qui est a une cause ;
  2. or il existe un monde, qui ne peut être cause de lui-même ;
  3. donc il doit avoir pour cause un être qui soit cause de lui-même (Dieu).

C'est l'argument a contingentia mundi (« s'appuyant sur la contingence du monde ») de Leibniz.

Preuve physico-théologique

La preuve physico-théologique repose sur l'observation des causes finales :

  1. tout ce qui contient des fins est l'œuvre d'une intelligence ;
  2. or le monde contient des fins : êtres organisés, beauté de la nature, fait que les produits de la nature soient destinés à l'homme ;
  3. donc il existe une intelligence supérieure à l'origine du monde.

Cet argument, populaire au XVIIIe siècle, fut introduit par Aristote et repris, entre autres, par Voltaire.

Réduction de toutes les preuves à l'argument ontologique

Kant expose ces trois arguments, et montre qu'ils se réduisent tous au premier (argument ontologique).

Après avoir observé la contingence du monde, l'argument cosmologique doit poser l'existence d'un être nécessaire ; il est alors obligé de recourir à l'argument ontologique, qui déduit du concept de Dieu qu'il existe.

Quant à l'argument physico-théologique, à partir de l'observation de fins dans la nature, en conclut qu'il a fallu un créateur pour que le monde existe (argument cosmologique), et que ce créateur doit exister nécessairement (argument ontologique).

Réfutation de l'argument ontologique

En réfutant l'argument ontologique, Kant entend donc réfuter toutes les preuves possibles de l'existence de Dieu. Son argumentation va donc consister à établir que l'existence de Dieu ne peut être déduite de son seul concept.

« Être n'est pas un prédicat réel », affirme Kant. Par prédicat réel, il faut entendre « prédicat de la chose » (res). L'existence n'est pas une propriété des choses mêmes, qui puisse appartenir ou non à leur concept, mais la modalité d'un jugement.

Kant donne l'exemple de 100 thalers. 100 thalers possibles ne valent pas plus que 100 thalers réels. Certes, on est plus riche si l'on a 100 thalers réels que 100 thalers possibles, mais c'est parce que, en réalité, on a 0 thaler, et que 0 est inférieur à 100. En eux-mêmes, 100 thalers possibles et 100 thalers réels ont exactement la même valeur.

Le fait que les 100 thalers réels existent n'ajoute rien à leur concept : leur concept ne reçoit pas une propriété supplémentaire ; l'existence n'est pas une propriété qui s'intègre au concept, c'est un certain rapport entre le jugement, le concept et le phénomène.

Par conséquent, on ne peut pas légitimement dire que l'existence appartienne au concept de Dieu : c'est confondre le contenu conceptuel et le prédicat existentiel d'une chose. L'argument ontologique est donc invalide ; et dans sa chute il entraîne tous les autres arguments, qui y sont réductibles en dernière instance.

Théorie transcendantale de la méthode

La méthodologie transcendantale, ou théorie transcendantale de la méthode, précise la méthode à laquelle la raison a recours lorsqu'elle entreprend de se critiquer.

Discipline de la raison pure

Kant précise ici que la raison pure a une double fonction. La première est négative, elle délimite le champ légitime de nos connaissances, et ne s'applique donc qu'au champ théorique. La deuxième est positive: elle concerne l'usage pratique de la raison et l'ouvre aux domaines de l'action libre et morale. La discipline de la raison pure, quant à elle, est critique de la raison pure par elle-même; la raison sert ici à limiter les prétentions de la raison.

Canon de la raison pure

Pour Kant, un canon est "l'ensemble des facultés a priori pour l'usage légitime" de la faculté de connaître. En ce sens il n'y a pas de canon de la raison pure théorique. Il ne peut y avoir de canon de la raison pure dans son usage spéculatif, seulement une discipline (cf supra). Le canon de la raison pure concerne donc la raison pure dans son usage pratique.

« L’opinion est une créance (Fürwahrhalten) consciente d’être insuffisante subjectivement tout autant qu’objectivement. Si la créance n’est suffisante que subjectivement et est en même temps tenue pour objectivement insuffisante, elle s’appelle croyance. Enfin, la créance qui est suffisante aussi bien subjectivement qu’objectivement s’appelle le savoir. La suffisance subjective s’appelle conviction (pour moi-même), la suffisance objective s’appelle certitude (pour chacun). Je ne m’arrêterai pas à clarifier des concepts aussi aisément compréhensibles. » Kant

L'architectonique de la raison pure

L'architectonique de la raison pure concerne la faculté de la raison pure de systématiser les connaissances scientifiques. Kant distingue entre autres deux branches au sein de l'architectonique de la raison pure: la métaphysique de la nature et la métaphysique de la liberté.

L'histoire de la raison pure

Kant affirme ici l'existence de trois âges de la raison pure. Le premier est celui du dogmatisme métaphysique; il correspond aux quatre thèses des antinomies. Il s'agit ici de l'enfance de la raison. Le deuxième est constitué par l'empirisme, et notamment par Hume et Locke. Il correspond aux quatre antithèses des antinomies. On entre avec eux dans l'adolescence de la raison, dans une période d'errance et de nomadisme, car il n'y a plus de connaissances qui soient assurées, définitives. Le troisième âge correspond au criticisme de Kant lui-même; c'est l'âge de la maturité de la raison. Le criticisme consiste historiquement dans une synthèse des deux âges précédents, il veut réaliser la paix perpétuelle entre ces deux courants, et par extension en philosophie.

Notes

  1. A 162/B 201.
  2. A 166/B 207.
  3. A 176/B 218.
  4. A 182/B 224.
  5. A 189/B 232.
  6. A 211/B 256.
  7. A 218/B 265.
  8. A 218/B 266.
  9. A 218/B 265.

Bibliographie

  • Chanoine Benoit Pacaud et A. Tremesaygues, Critique de la raison pure, tradu. avec annott., allemand/français, nouvelle édition, PUF, 1944.
  • Hermann Cohen, La Théorie kantienne de l'expérience, trad. fr. E. Dufour et J. Servois, Paris, Le Cerf, 2001.
  • Hermann Cohen, Commentaire de la "Critique de la raison pure" de Kant, trad. fr. E. Dufour, Paris, Le Cerf, 2000.
  • Eric Weil, Problèmes kantiens, Paris, J. Vrin, 1990(2e éd.).
  • Alexis Philonenko, L'œuvre de Kant, Tome 1, La philosophie pré-critique et la critique de la raison pure, Paris, J. Vrin, 1993(5e éd.).
  • Jean Grondin, Kant et le problème de la philosophie: l'a priori, Paris, J. Vrin, 1989.

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