- Construction du mythe d'Alexandre le Grand
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Dès le règne d'Alexandre le Grand se construit un mythe d'Alexandre qui le présente comme un héros divinisé, héritier de Zeus Ammon et d'Héraclès, émule de Dionysos. À sa mort les compagnons et historiens contemporains de la conquête présente de concert une vision apologétique du héros conquérant. Le mythe d'Alexandre dépasse les frontières du monde grec pour prendre place parmi les écrits religieux monothéistes.
Sommaire
Sous le règne d'Alexandre
Une légende, connue dès le règne d'Alexandre, dit qu’Olympias n’aurait pas conçu Alexandre avec Philippe II mais avec Zeus. Alexandre se sert de ces contes populaires à des fins politiques, faisant référence au dieu plutôt qu’à Philippe quand il évoque son père. Par son père, Alexandre prétend descendre de Téménos d’Argos, lui-même descendant d’Héraclès, fils de Zeus. Par sa mère, de la dynastie des Éacides, Alexandre affirme descendre de Néoptolème, fils d’Achille[1]. Philippe et Olympias aurait rêvé de la future naissance ; le devin Aristandre de Telmessos détermine que Olympias est enceinte et que l’enfant aurait le caractère d’un lion.
Selon la légende, Alexandre aurait en -333 tranché le Nœud gordien lui promettant l'empire de l'Asie. Par la suite, Alexandre se fait proclamer pharaon à Memphis en -331. Il se rend ensuite dans l’oasis de Siwa où il rencontre l’oracle de Zeus Ammon qui le confirme comme descendant direct du dieu Amon. Cette divinisation est très largement exploitée par la propagande du Conquérant et sert la construction du mythe.
À travers les historiens contemporains d'Alexandre
Article détaillé : Vulgate d'Alexandre le Grand.Onésicrite et Callisthène, qui ont accompagné la conquête, sont par leurs récits (aujourd'hui très parcellaires) à la source de quelques légendes dont les historiens antiques plus tardifs se font l'écho. Mais il faut surtout retenir Clitarque d'Alexandrie qui au IVe siècle av. J.‑C. écrit une Histoire d'Alexandre contenant des affabulations et éléments surnaturels. Son histoire, qu'on ne serait pour autant dévaluer, est à l'origine de la Vulgate d'Alexandre le Grand, une tradition mêlant faits tangibles et légendes qui présente une vision apologétique du règne d'Alexandre. Il s'agit probablement du premier ouvrage à construire le mythe du roi Conquérant.
En Égypte et à Alexandrie
C'est en Égypte ptolémaïque que se forme la plus grande part du mythe. Pour légitimer leur dynastie, les Ptlolémées inventent un Alexandre égyptien de caractère divin par une assimilation à des dieux ou à des héros comme Héraclès. Le roi et son favori, Héphaistion, sont l'objet d'un culte héroïque à Alexandrie. L'admiration pour le conquérant gagne aussi progressivement la République romaine. Pendant la deuxième guerre punique, Plaute y voit le modèle parfait du héros.
Alexandrie reste à la source de la légende tout au long de l'Antiquité. Une Histoire d'Alexandre le Grand, écrite par un pseudo-Callisthène au IIIe siècle, fait le récit légendaire de la conquête. Le pseudo-Callisthène raconte notamment qu'Alexandre n'est pas le fils de Philippe mais celui du dernier pharaon d'Égypte de la XXXe dynastie, Nectanébo II, parti se réfugier à Pella pour fuir l'armée perse. Le héros parcourt tout l'univers connu et mythique, agrémentant ses déplacements d'aventures merveilleuses dont certaines appartenaient déjà à l'Épopée de Gilgamesh. De cette version du Pseudo-Callisthène dérivent la plupart des Légendes, Vies, Romans, Histoires ou Exploits d'Alexandre qui se multiplient à partir du Ve siècle. Ce récit est repris et enjolivé dans des versions postérieures ; une des dernières version du Roman est écrite en France au XIIe siècle.
Chez les Perses, Juifs et chrétiens d'Orient
- Les Perses : l'histoire d'Alexandre (« Iskandar » en persan) est abondamment reprise dans le Shâh Nâmâ de Ferdowsi, qui s'est très largement inspiré de l'Iskandar Nâmâ du pseudo-Callisthène. C'est un passage très développé, qui présente peu de points communs avec l'histoire réelle. Alexandre est présenté comme un sage, qui a notamment dépassé le bout du monde, conversé avec l'arbre waq-waq.
- Les Juifs :
- Le pseudo-Callisthène leur a déjà ouvert la voie, narrant une rencontre entre Alexandre et le grand prêtre de Jérusalem. Le Talmud reprenant cette tradition, fait d'Alexandre un héros sémitique, défenseur et propagateur de la religion du Dieu unique.
- Selon le Talmud, Alexandre vit en rêve chaque veille de bataille le visage du grand prêtre Juif, après chaque « rencontre » il savait comment gagner la bataille, ou s'il n'allait pas gagner la bataille. Lors de son arrivée aux portes de Jérusalem, il vit le grand prêtre, reconnaissant sa grandeur, il s'agenouilla devant lui, le grand prêtre fit de même et naquit ainsi une amitié entre le peuple Juif et Alexandre.
- Alexandre est aussi présent dans la Haggadah.
- Les chrétiens d'Orient :
Alexandre dans le Coran
On identifie communément à Alexandre la personnalité de Dhû-l-Qarnayn (« le Bicornu ») cité dans le Coran :
« Ils t'interrogent au sujet de Dhû-l-Qarnayn. Dis : « Je vais vous raconter une histoire qui le concerne. » Nous avions affermi sa puissance sur la terre et nous l'avions comblé de toutes sortes de biens. »[2]
La sourate de la caverne mentionne aussi Dhû-l-Qarnayn et raconte la construction du mur d'airain :
« Ce peuple lui dit : O Dhû-l-Qarnayn ! voici que Iadjoudj et Madjouj[3] commettent des désordres sur la terre. Pouvons-nous te demander, moyennant une récompense, d’élever une barrière entre eux et nous ?
— La puissance que m’accorde mon Seigneur, répondit-il, est pour moi une récompense plus considérable. Aidez-moi seulement avec zèle, et j’élèverai une barrière entre eux et vous.
Apportez-moi de grandes pièces de fer, autant qu’il en faudra pour combler l’intervalle entre les deux montagnes. Il dit aux travailleurs : Soufflez le feu jusqu’à ce que le fer devienne rouge comme le feu. Puis il dit : Apportez-moi de l’airain fondu, afin que je le jette dessus. Iadjoudj et Madjoudj ne purent ni escalader le mur ni le percer. »[4]Tabari a tenté une explication sur l'origine de la relation aux cornes. Cette thèse n'est cependant appuyée par aucune preuve concrète :
« Alexandre est appelé Dhû-l-Qarnayn pour cette raison qu'il alla d'un bout à l'autre du monde. Le mot “qarn” veut dire une corne, et on appelle les extrémités du monde “cornes”. Lui, étant allé aux deux extrémités du monde, tant à l'orient qu'à l'occident, on l'appelle Dhû-l-Qarnayn[5] ».
On retrouve enfin cet Al-Iskandar Dhû-l-Qarnayn dans des passages des Mille et une nuits.
On considère généralement que le nom de Dhû-l-Qarnayn donné à Alexandre a une explication plus simple. En effet, on peut voir Alexandre, portant les cornes du dieu Ammon, sur le tétradrachme frappé à son effigie. Cette pièce a circulé dans tout l'Orient et a servi de modèle aux monnaies arabes (le mot dirham vient du grec drachme, δραχμη / drakhmê). Toutefois, plusieurs théologiens et historiens musulmans — dont As-Suhayliy (XIIIe siècle), Ibn Taymiyyah (XIVe siècle) et Al-Maqrîziy (XVe siècle) — réfutent l'idée selon laquelle Dhû'l-Qarnâ' serait Alexandre, et font remonter le personnage coranique à l'époque d'Ibrahim (Abraham). Des érudits islamiques contemporains penchent pour l'identifier avec d'autres personnages comme Cyrus le Grand.
On retrouve enfin cet Al-Iskandar Dhû-l-Qarnayn dans des passages des Mille et une nuits.
Notes
- Plutarque, Vies parallèles [détail des éditions] [lire en ligne], Alexandre, 2, 1.
- XVIII, 83 Le Coran,
- Jacqueline Chabbi, Le Coran décrypté, Fayard : « Gog et Magog sont donnés comme deux peuples distincts et non comme un roi et son peuple ».
- XVIII, La caverne, 92-95. Le Coran,
- Tabari, La Chronique (De Salomon à la chute des Sassanides), Actes Sud, (ISBN 2-7427-3317-5), p. 78 Dans
Bibliographie
- Paul Goukowsky, Essai sur les origines du mythe d'Alexandre, Nancy, Université de Nancy, 1978 ;
- Jacques Lacarrière, La légende d'Alexandre, Paris, Folio n°3654, 2000, (ISBN 978-2070-417216) ;
- Paul-André Claudel, Alexandrie. Histoire d'un mythe, Paris, Ellipses, 2011, p. 11-60 (ISBN ISBN : 978-2729-866303) ;
- Andrew Michael Chugg, Alexandre le grand. Le tombeau perdu, Paris, Richmond Editions, 2005, p. 1-97.
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