Vulgate d'Alexandre le Grand

Vulgate d'Alexandre le Grand
Véronèse, La Famille de Darius devant Alexandre (1565-1570). Alexandre montre Héphaistion à Sisygambis : « Lui aussi est Alexandre », la plus célèbre des citations de la Vulgate d'Alexandre.

La Vulgate d’Alexandre le Grand (du latin vulgata, « vulgaire » dans le sens « commun ») est l'expression qualifiant depuis le XIXe siècle une tradition historique qui présente une vision apologétique du règne d'Alexandre le Grand[1]. Cette tradition qui mèle faits tangibles et légendes, est issue de Clitarque, contemporain de la conquête de l'Asie, dont l'Histoire d'Alexandre est la source commune des historiographes antiques, Diodore de Sicile, Trogue-Pompée et Quinte-Curce. On distingue, mais sans l'opposer complétement, la tradition de la Vulgate à celle issue d'Arrien et de Plutarque qui s'inspirent eux des Mémoires d'Aristobule et de Ptolémée.

Sommaire

Les sources de la Vulgate

La Vulgate d'Alexandre est issue en droite ligne de l'œuvre, désormais perdue, de Clitarque d'Alexandrie[2]. Dès le règne d'Alexandre, Clitarque commence à collecter de nombreux témoignages en Grèce où il réside jusqu'en 308 av. J.-C. Le long séjour qu'il entreprend en Égypte, où la popularité d'Alexandre est savamment entretenue par Ptolémée, conforte définitivement une représentation panégyrique de la conquête. Clitarque nourrit son récit d'une tradition orale et populaire, mais aussi de documents officiels et de rapports (plus ou moins objectifs) des contemporains de la conquête. Il consulte notamment, pour la dernière partie de son œuvre, les écrits d'Onésicrite, de Néarque et d'Aristobule. Cette tradition orale, qui ne saurait être dévaluée, fait par exemple défaut à Arrien dans l’Anabase, dont l'exposé s'intéresse davantage au fait militaire.

L'Histoire d'Alexandre de Clitarque a inspiré (directement ou indirectement via un éventuel, mais peu probable, abréviateur) Diodore de Sicile, Trogue-Pompée et Quinte-Curce qui reprennent à leur compte quelques-unes des fables et anecdotes qui forgent encore de nos jours une part du mythe d'Alexandre[3]. Ainsi, Diodore de Sicile fait d’Alexandre tout au long du livre XVII le représentant du souverain idéal, mais il faut bien observer que Diodore s’appuie sur ses propres critères moraux et que la figure d'Alexandre est fort populaire du temps de la République romaine. Trogue-Pompée représente également Alexandre en héros, mais peu à peu perverti par la conquête et la fascination de l’Orient[4]. Quant à Quinte-Curce, il s'appuie sur Clitarque dans nombre de ses passages élogieux envers Alexandre.

La Vulgate se démarque, sans toutefois la contredire sur les faits essentiels, de la tradition historique issue d'Arrien et de Plutarque[5] qui puisent eux leurs sources dans les Mémoires d'Aristobule et Ptolémée, jugés depuis l'Antiquité comme étant plus fiables que l'œuvre de Clitarque. Les historiens modernes ont néanmoins tenté de prouver que ces deux traditions se rapprochent. On contaste en effet de nombreux croisements entre les sources de la Vulgate et celles d'Arrien ; il faut également souligner le manque d'impartialité dans les récits d'Aristobule et de Ptolémée, à qui on ne peut donc pas accorder une totale confiance. Au final, il ne faudrait pas considérer les divergences entre les deux traditions comme la preuve systématique d'une affabulation de Clitarque.

Les mythes de la Vulgate

La tradition panégyrique née de Clitarque inspire encore aujourd’hui une part du mythe d'Alexandre via les récits de Diodore de Sicile, Trogue-Pompée (résumé par Justin) et Quinte-Curce ou les quelques rares fragments de l'Histoire d'Alexandre. On peut offrir une liste non exhaustive de quelques-unes de ces légendes, la plupart du temps identifiées comme telles par Arrien et Plutarque[6] :

  • Alexandre est présenté comme l'émule de Dionysos et l'héritier d'Héraclès ;
  • Sisygambis, la mère de Darius III confond Héphaistion avec Alexandre qui rétorque : « Lui aussi est Alexandre »[7] ;
  • Alexandre déclare à un Compagnon que « Cratère, certes, aimait son roi, mais qu'Héphaistion aimait Alexandre »[8] ;
  • Clitarque adopte une version mythologique de la visite à l’oracle d'Ammon à Siwa, au détriment des pèlerinages à Delphes et à Gordion qu'il néglige ostensiblement ;
  • Alexandre a rencontré la reine des Amazones lors des campagnes contre les Scythes[9] ;
  • D'après Clitarque, Ptolémée aurait sauvé la vie d'Alexandre lors de l'assaut d'une forteresse dans le Penjab. Ptolémée rétablit la vérité dans ses Mémoires en concédant qu'il se trouvait ailleurs en opération[10] ;
  • Clitarque se fait l'écho d'une rumeur propagée par Olympias qui accuse les fils d'Antipater, Iolas et Cassandre, d'avoir empoisonné Alexandre[11] ;
  • Alexandre, mourant, confie l’anneau royal à Perdiccas[12].

Notes

  1. Cette notion de Vulgate d'Alexandre est fondée sur le travail primordial de l'historien C. Raun dans De Clitarcho Diodori, Curtii, Justini auctore (1868), étoffée ensuite par Ed. Schwartz, « Curtius », RE, 4-5 (1901-1903) et F. Jaboby, « Kleitarch », RE, 11, (1931).
  2. Il n'en reste que quelques rares fragments compilés par Felix Jaboy, Fragmente der griechischen Historiker, 137 (1923-1930) et plus récemment par Janick Auberger, Historiens d'Alexandre, Les Belles Lettres, Paris, 2001.
  3. Diodore de Sicile, Bibliothèque historique [détail des éditions] [lire en ligne], XVII, Justin, Abrégé des Histoires philippiques de Trogue Pompée [détail des éditions] [lire en ligne], Quinte-Curce, Histoire d'Alexandre.
  4. Justin, Abrégée des Histoires Philippiques : Trogue-Pompée condamne en effet, selon sa propre éthique, le goût d’Alexandre pour le faste oriental (XI, 10, 2 ; XII, 3, 8-12), son prétention à se faire adorer comme un dieu (XI, 11, 6 ; XII, 7, 1) et son homoséxualité (XII, 12, 11).
  5. Arrien, Anabase ; Plutarque, Vies parallèles [détail des éditions] [lire en ligne], Alexandre.
  6. Sont présentées ici les principales anecdotes, citations ou fables issues de la Vulgate ; il serait fastidieux d'exposer les très nombreuses variantes entre la Vulgate et les récits d'Arrien ou de Plutarque.
  7. Diodore de Sicile, XVII, 37, 6 ; 114, 2 ; Plutarque, 21, 1-3 ; Quinte-Curce, III, 12, 15-17.
  8. Diodore de Sicile, XVII, 114, 2
  9. Diodore de Sicile, XVII, 77, 1-3 ; Quinte-Curce, VI, 5, 24-34 ; Justin, 12, 3.
  10. Pour Quinte-Curce (IX, 5, 21), qui sait parfois manier la critique, cette prétendue présence de Ptolémée est un exemple de la crédulité de Clitarque.
  11. Diodore de Sicile, XVII, 118, 1-2 ; Quinte-Curce, X, 10, 14-18 ; Justin, XII, 13. Les auteurs de la Vulgate font part de cette rumeur sans véritablement la cautionner.
  12. Diodore de Sicile, XVII, 117, 3 ; Quinte-Curce, X, 6, 16 ; et aussi Cornélius Népos, Eumène, 2, 2.

Bibliographie

  • Janick Auberger, Historiens d'Alexandre, Les Belles Lettres, Paris, 2001 (traduction des fragments avec texte bilingue) ;
  • (en) Brian Bosworth, « Arrian and the Alexander Vulgate », dans Alexandre le Grand : Image et réalité, Entretiens sur l'Antiquité classique, XXII, Genève, 1976, p.1-46 ;
  • Paul Goukowsky :
    • Notice à Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, XVII, Les Belles Lettres, 1976, p.9-31 ; notes complémentaires, p. 165-277, passim ;
    • Essai sur les origines du mythe d’Alexandre, Université de Nancy, 1978 ;
  • (en) Nicholas G.L. Hammond, Three Historians of Alexander the Great : the so-called Vulgate Authors, Diodorus, Justin and Curtius, Cambridge University Press, 1985 ;
  • Claude Mossé, Alexandre, la destinée d'un mythe, Payot, 2001 ;
  • (en) Lionel Pearson, The Lost Histories of Alexander the Great, American Philological Association, 1960, p.212-242.
  • J. Thérasse, « Vulgate d'Alexandre », L'Antiquité classique, no 37 (1968), p. 551 et p. 85-88.

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