- Complexe d'oedipe
-
Complexe d'Œdipe
Pour les articles homonymes, voir Œdipe (homonymie).
Le complexe d'Œdipe, thème central de la première topique de Sigmund Freud, et l'une des découvertes principales de la psychanalyse, se définit comme le désir inconscient d'entretenir un rapport sexuel avec le parent de sexe opposé et celui d'éliminer le parent rival du même sexe.« En fait, le complexe d'Œdipe n'est ni un “processus” et encore moins un “état”, mais un schéma dramatique[1]. »Sommaire
Découverte et description du complexe
Freud découvre le complexe au cours de son autoanalyse, en la rapprochant de l'histoire du héros grec Œdipe, telle qu'elle est narrée par Sophocle[2]. Dans ses premiers écrits, Freud parle aussi de « complexe nucléaire » ou « complexe maternel ». Ce n'est qu'en 1910, dans son texte intitulé Contribution à la psychologie de la vie amoureuse qu'apparaît le terme « complexe d'Œdipe ».
Selon Freud, l'élaboration d'un complexe d'Œdipe constitue une étape constitutive du développement psychique des enfants. Le désir envers la mère trouve son origine dès les premiers jours de la vie. Elle est, d'une part, la « nourricière », et, d'autre part, celle qui procure du plaisir sensuel, contact avec le sein et à travers les soins corporels. L'enfant - fille et garçon - en fait donc le premier objet d'amour qui restera déterminant pour toute la vie amoureuse. Cet amour d'objet se déploie en trois phases libidinales[3] :
- La "phase" orale
- Freud infère que le premier lien se fait à travers un lien vital la nourriture qui passe par la bouche. Le plaisir sensuel (lèvres, etc.) s'étaye sur ce lien vital puis s'en éloigne, par exemple lors des préliminaires sexuels des adultes. On différencie la phase orale de succion de la phase orale de morsure qui inaugure une manifestation d'agressivité reposant sur l'ambivalence inhérente à la relation d'objet. Pour les kleiniens, le complexe d'Œdipe se manifeste déjà à cette phase orale et son déclin intervient lors de l'avènement de la position dépressive.
- La "phase" sadique-anale
- La "phase" phallique
- La "phase" de latence
- Correspond au déclin du complexe d'Œdipe par le refoulement des pulsions sexuelles qui sont mises au service de la connaissance (épistémophilie) qui dure jusqu'à l'adolescence. Là encore, il faut considérer que ce déclin, cette "latence" est toute relative et peut varier selon les individus, les circonstances et les moments du développement.
- La "phase" génitale
- correspond à la reconnaissance de la double différence, des sexes et des générations.
La notion de "phase" n'est pas à prendre au sens littéral. Elle signale la primauté d'une zone érogène particulière mais n'implique pas que le processus se déroule de manière mécanique et linéaire. Tout au plus peut-on admettre qu'une phase succède à l'autre dans l'ordre décrit. Le complexe d'Œdipe se déploie donc à travers ces phases et fonction de leur propriété propre qui s'enchevêtrent pour constituer ce fameux "complexe" d'Œdipe qui, pour les freudiens, trouverait son apogée vers cinq ans (Cf. Le Petit Hans)[4].
- La forme positive du complexe d'Œdipe.
- La forme négative du complexe d'Œdipe
Difficulté de la généralisation de la théorie œdipienne
Freud était conscient que ce modèle était difficile à transposer complètement pour le développement des petites filles. Il a essayé de pallier cette difficulté en aménageant le concept de l'Œdipe pour la fille, théorisant ce que Carl Gustav Jung appellera le « complexe d’Électre ».
Article détaillé : Complexe d’Électre.Cette substitution n'a cependant jamais été totalement satisfaisante et aujourd'hui rares sont les analystes qui utilisent ce terme. Ils lui préfèrent l'acception élargie d'un complexe d'Œdipe relatif aux deux sexes avec insistance sur le reconnaissance de la double différence (sexes et générations) qui les concerne tous. Mélanie Klein et d'autres analystes femmes ont elles insisté sur le fait que le garçon "envie" le pouvoir des femmes de donner la vie autant que la fille pourrait "envier" le phallus. Il faut encore mentionner que les conséquences du déclin du complexe d'Œdipe sont différentes d'un sexe à l'autre : d'abord il s'agit du renoncement au premier objet d'amour dans les deux sexes[5]. Le garçon se détournera de sa mère pour d'autres femmes mais la fille va elle s'orienter vers un objet d'amour hétérosexuel (le père duquel elle devra aussi se détourner pour d'autres hommes). Dans ce strict cadre intrapsychique, on peut considérer que l'homosexualité est un avatar du complexe d'Œdipe. Le garçon se fixe au père, la fille à la mère par impossibilité d'intégrer l'angoisse de castration ou, sa conséquence, l'intégration de la double différence. En psychanalyse le "choix d'objet" est inconscient et il n'a rien à voir avec ce qu'on pourrait entendre par un choix d'orientation sexuelle qui serait lui conscient ou même délibéré. La confusion entre ces deux champs a impliqué nombre de débats stériles et reposant sur une incompréhension totale.
En 1953, Jacques Lacan tentera lui aussi de dépasser le déséquilibre de la théorie œdipienne concernant les filles en interprétant l'œdipe comme fonction : le père intervient en tant que loi venant rompre la fusion entre la mère et son enfant, fille ou garçon.
Examen critique du complexe d'Œdipe
Freud considérait le complexe d'Œdipe comme central. Néanmoins, depuis les débuts de la psychanalyse aux développements actuels, toujours le complexe d'Œdipe a été critiqué, contourné, minimisé, etc. Otto Rank l'a rangé derrière le Traumatisme de la naissance, C. G. Jung l'a quasiment éliminé, d'autres l'ont ramenés à un principe moral limité à la "bonne société" viennoise, etc. Heinz Kohut l'a minimisé en fonction de ses théories sur le narcissisme. Il reste avec l'inconscient, les théories sur la sexualité infantile une des pierres d'achoppement entre psychanalystes et entre ces derniers et leurs plus ou moins farouches opposants.
Débat sur l’universalité de l’œdipe
Sans remettre en cause la vérité de l’œdipe, des critiques ont été très tôt mises en avant par l'ethnologie quant à l'universalité de ce complexe par-delà les différences culturelles. Le premier à émettre de telles critiques fut Bronislaw Malinowski, à partir d’un programme d'étude mené[6] après la Première Guerre mondiale sur les mœurs sexuelles en Mélanésie (La sexualité et sa répression dans les sociétés primitives, 1921).
Son observation de populations des Iles Trobriand révéla en effet une configuration socio-culturelle qui, fondée sur un mode de parenté matrilinéaire, n’avait rien à voir avec celle du monde européen. Or, puisque le complexe d'Œdipe tel que décrit par Freud suppose une identité entre le père biologique (avec lequel la mère échange un amour que l'enfant jalouse) et la figure autoritaire (qui s'interpose entre l'enfant et la mère), la notion de complexe d'Œdipe semble indissociable d'une forme familiale précise, dite "nucléaire", où le père, la mère et les enfants vivent sous le même toit et où le père biologique exerce l'autorité sur l'enfant. Aussi cette forme d'organisation familiale n'a-t-elle rien d'universel – les travaux de Malinowski en sont un exemple – : dans de nombreuses cultures, le dépositaire de l'autorité vis-à-vis de l'enfant n'est pas le père (c'est par exemple l'oncle maternel dans les îles Trobriand). De là découle une fragilisation de l'édifice freudien, où il apparaît comme une hérésie de dissocier le partenaire sexuel de la mère de la figure exerçant l'autorité sur l'enfant.
Les travaux de Malinowski furent contestés par Géza Róheim, qui entama en 1928 un voyage de quatre ans en Somalie et en Australie, à l'issue duquel il conclut à l’universalité du complexe d’Œdipe[7] (Psychanalyse des cultures primitives, 1932). Cependant, la façon dont Róheim avait procédé fut fortement critiquée par Wilhelm Reich[8], dans un article publié deux ans plus tard en appendice de L'Irruption de la morale sexuelle. Non seulement de lui reprocher son manque de rigueur ethnographique, et d’avoir inféré gratuitement certaines conclusions à partir de l’étude de rêves d’autochtones peu coopératifs, Reich reprocha à Róheim le caractère prédéterminé de son projet : c’est cette ambition de prouver l’universalité de l'œdipe qui lui en a fait voir les manifestations partout. Ces reproches furent aussi appliqués à Ernest Jones, qui tenta de défendre le point de vue de Róheim mais de manière maladroite et sans (pouvoir ?) intégrer convenablement, lui non plus, les données ethnographiques.
- Controverse quant à la réalité de l’œdipe
Dans "Mythe et tragédie en Grèce ancienne" (La Découverte), Jean-Pierre Vernant a dénoncé les contresens et l'anachronisme de l'interprétation psychanalytique du mythe grec. Dans L'Anti-Œdipe[9], le philosophe Gilles Deleuze et le psychanalyste Félix Guattari définissent le désir comme une puissance d'invention[10], et la psychanalyse comme étant, malgré elle, une entreprise de répression des forces créatives de l'inconscient et de celles potentiellement révolutionnaires du désir, et comme œuvrant par là à la conservation de l'ordre politique et social. Le complexe d'Œdipe n'est pas, pour Deleuze et Guattari, la forme inconsciente véritable du désir, mais la forme que l'institution psychanalytique impose, via la cure, au désir de ses patients. Ils expliquent en quoi le complexe d'Œdipe, loin pour eux de constituer une vérité sur le désir, est un moyen pour les psychanalystes de modeler et de contenir ce dernier, en le réduisant à la structure familiale, pour l'empêcher de se répandre dans le champ social et d'y mettre en œuvre sa puissance révolutionnaire.
Claude Lévi-Strauss, pour sa part, trouvait pour le moins abusif que Freud fondât l'essentiel de la psychologie humaine sur une « pièce de théâtre de Sophocle », pièce n'ayant pas par ailleurs le côté de mythe fondateur de l'esprit européen (l'individu s'opposant à la Cité), qu'est sa tragédie Antigone. Dans La Potière jalouse (1985), il rédigea donc une « contre-explication » parodique où il faisait dériver toute cette psychologie d'une pièce d'Eugène Labiche, Un chapeau de paille d'Italie. Cet essai qualifié de « plaisant, mais rigoureux » (« On y voyait entre autres l'oncle Vézinet, frappé de surdité, faire écho par-delà les siècles à l'aveugle Tirésias, non seulement par leur infirmité partagée mais également en ce qu'ils détiennent la clef de l'intrigue sans pour autant la pouvoir dénouer ») a été mentionné par plusieurs auteurs, dont Michel Serres.
Dans Folies à Plusieurs[11], l'historien des psychothérapies et polémiste Mikkel Borch-Jacobsen souligne que Freud affirme sa théorie œdipienne de façon parfaitement arbitraire, en dehors de tout matériel clinique (si ce n'est celui, particulièrement suspect, fourni par sa prétendue « autoanalyse »), afin de trouver une explication ad hoc aux constants récits de séduction paternelle de ses patients. Selon l'analyse de Borch-Jacobsen, ces récits n'étaient pas dus à un quelconque œdipe décelé chez les sujets analysés, mais bien plutôt aux suggestions induites par les croyances de Freud lui-même à propos de l'étiologie sexuelle des névroses et des psychoses.
- Pertinence de la théorie œdipienne dans l’Occident du XXIe siècle
La question de la validité du complexe d'Œdipe continue de nourrir un vif débat dans le contexte social actuel, qui voit se développer en Occident des formes nouvelles de la famille (en particulier la monoparentalité, la famille adoptive, la famille recomposée, l'homoparentalité). Aujourd'hui, de nombreux psychanalystes tentent d'aménager de manière ad hoc la notion théorique de complexe d'Œdipe aux cas de figure où l'autorité paternelle s'avère absente, intermittente, ou partagée entre plusieurs pères.
Notes et références
- ↑ Georges Politzer, Critique des fondements de la psychologie, Ed.: PUF-Quadrige, ISBN 2130535488
- ↑ Une lettre à Wilhelm Fliess du 21 septembre 1897 (L'abandon de la Neurotica) in Lettres à Wilhelm Fliess 1887-1904, PUF, 2006 (ISBN 2130549950)
- ↑ Freud, Trois essais sur la théorie sexuelle (1905), Gallimard, collection Folio, 1989 (ISBN 2070325393)
- ↑ Freud: Analyse d'une phobie d'un petit garçon de cinq ans : Le Petit Hans (1909), PUF, 2006 (ISBN 2130516874)
- ↑ Robert Stoller: Faits et hypothèses : un examen du concept freudien de bisexualité in collectif avec Jean-Bertrand Pontalis; Pierre Fédida; Wilhelm Fliess; André Green, Joyce McDougall; Masud R Khan: "Bisexualité et différence des sexes" , Ed.: Gallimard-folio, N°359, 2000, ISBN 2070411869
- ↑ La sexualité et sa répression dans les sociétés primitives, 1921 Ed: Payot, 2001, ISBN 2-228-89373-0 PDF de la trad. fr. (1932)
- ↑ Dans son article Psychanalyse des cultures primitives, repris en 1950 dans Psychanalyse et anthropologie
- ↑ dans un appendice qu’il ajouta en 1934 à son livre L'Irruption de la morale sexuelle
- ↑ paru en 1972 aux éditions de Minuit
- ↑ Conception deleuzienne du désir : idée, reprise de Spinoza, que le désir, loin d'être suscité par son objet, est premier par rapport à lui et le créé.
- ↑ paru en 2002 aux éditions des Empêcheurs de penser en rond
Annexes
Articles connexes
- Œdipe (article général)
- Le complexe de castration
- Psychanalyse
- Sigmund Freud
- Le complexe d'Électre
Bibliographie en psychanalyse
- Sigmund Freud :
- Une lettre à Wilhelm Fliess du 21 septembre 1897 (L'abandon de la Neurotica) in Lettres à Wilhelm Fliess 1887-1904, PUF, 2006 (ISBN 2130549950)
- Trois essais sur la théorie sexuelle (1905), Gallimard, collection Folio, 1989 (ISBN 2070325393)
- Analyse d'une phobie d'un petit garçon de cinq ans : Le Petit Hans (1909), PUF, 2006 (ISBN 2130516874)
- Un type particulier de choix d'objet chez l'homme, 1910, in La vie sexuelle, Ed.: PUF, 2001, (ISBN 2130377270)
- Totem et tabou, 1913, Payot, 2004 (ISBN 2228894079)
- Melanie Klein,
- Les stades précoces du conflit œdipien, 1928, in Essais de psychanalyse, Payot 1968
- Le complexe d'Œdipe Ed.: Payot-Poche, 2006, (ISBN 2228900680)
- Ernest Jones, Hamlet et Œdipe avec la préface de Jean Starobinski "Hamlet et Freud", 1948, Gallimard 1967
- Claude Le Guen : L'Oedipe originaire, Payot SDH,1974, ISBN 2228216909
- Cléopâtre Athanassiou-Popesco, Un Étrange itinéraire psychanalytique : Œdipe roi, Hublot, 1999, (ISBN 2912186099)
- Collectif : La Censure de l'amante, et autres préludes à l'œuvre de Michel Fain', Delachaux & Niestle, 1999, (ISBN 2603011626)
- Moustapha Safouan, Études sur l'Œdipe, Paris, Seuil, 1974.
- L'Oedipe, un complexe universel Collectif (Freud, Anzieu, Jones, Malinowski, Reich, Deleuze, Guattari, Klein, etc.) Ed: Sand & Tchou, 2004, (ISBN 2710705885)
- Jean Cournut: "Épîtres aux œdipiens", PUF, 1997, (ISBN 2130487955) - EAN : 9782130487951
- Sous la dir.: de Guy Cabrol : Actualité de l'Oedipe, Monographie de la Revue française de psychanalyse, PUF, 2007, (ISBN 9782130564065]
Bibliographie critique et générale
- Jean-Pierre Vernant, Œdipe sans complexe, in Mythe et tragédie en Grèce ancienne, 1972
- Annick de Souzenelle, Œdipe intérieur, Albin Michel,1999
- Sacré Œdipe, Une lecture transgénérationnelle du mythe d'Œdipe, 2004, Thierry Gaillard, collection psukhe.info [1], Yvelinédition,[2], ISBN 978-2-84668-046-2
- Œdipe père, Symboliser les lois non écrites, 2006, Thierry Gaillard, collection psukhe.info [3], Editeur: Yvelinedition[4], ISBN 2-84668-107-4
- Dominique Giovannangeli, Métamorphoses d'Oedipe, un conflit d'interprétations, Bruxelles, De Boeck, 2002. ISBN 2-8041-3821-6.
Liens externes
- Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur Œdipe et son complexe… Sans jamais avoir osé le demander à la Sphinge ! (par Christophe Bormans).
- Portail de la psychologie
Catégories : Psychanalyse | Conflit | Inceste
Wikimedia Foundation. 2010.