Période des Rishonim

Période des Rishonim

La période des Rishonim (hébreu: תקופת הראשונים Teqoufat HaRishonim) est la huitième dans le développement de la Torah orale, sur laquelle se base l'historiographie juive traditionnelle[1].

Elle s'étend sur environ quatre siècles, au cours desquels se développe une intense activité littéraire, à la base de la majeure partie de la littérature rabbinique.

Sommaire

Repères chronologiques

La période des Rishonim fait suite à celle des Gueonim, directeurs des grandes académies talmudiques de Babylonie et de la terre d'Israël. Le passage entre les ères est assez flou ; il est souvent considéré que Nissim Gaon, son collègue Rabbenou Hananel et Samuel ibn Nagrela sont les premiers Rishonim, étant donné qu'ils sont les premières autorités rabbiniques relativement indépendantes du centre babylonien en matière de Loi juive et ont assuré la transmission de ses enseignements après la mort de Haï Gaon, en 1038[2]. En Allemagne, le premier Rishon connu est Rabbenou Guershom, contemporain plus âgé de Nissim Gaon et Rabbenou Hananel.

La fin de la période est plus nette : elle est fixée par la composition du Choulhan Aroukh de Maran Yossef Karo. Ce code de loi juive, imprimé pour la première fois en 1565, est accepté comme faisant autorité par l'ensemble des communautés juives, après les amendements qu'y apporte Moïse Isserlès. Il établit une distinction nette entre les autorités antérieures, et désormais dénommées les Rishonim (les « Premiers »), et les autorités postérieures à sa rédaction, les Aharonim (les « Derniers ») : l'opinion d'un Rishon est incontestable par un Aharaon, à moins que celui-ci ne trouve une opinion semblable à la sienne émise par un autre Rishon.

Le judaïsme au temps des Rishonim

La période des Rishonim se caractérise par un déplacement des centres juifs vers l'Europe, au détriment de l'Orient. Dans l'Europe du Moyen Âge, et ses guerres de religion entre chrétiens et musulmans, deux foyers majeurs du judaïsme se démarquent : le judaïsme ashkénaze, d'origine italienne (donc sous influence des académies de la terre d'Israël) qui se constitue en Rhénanie et dans le nord de la France, et le judaïsme séfarade, centré sur la péninsule ibérique, héritier du judaïsme babylonien.

Le judaïsme séfarade

Le judaïsme séfarade bénéficie, par l'entregent de Hasdaï ibn Shaprut, médecin et conseiller personnel d'Abd-ar-Rahman III, calife de Cordoue, et de la rivalité de celui-ci avec le califat de Bagdad (sous l'autorité duquel se trouvent les académies talmudiques de Babylonie), d'un fort essor culturel à partir de 912. La poésie, la philologie et la philosophie juives sont poussées à des degrés de perfectionnement qu'elles n'ont plus atteint par la suite.

La condition des Juifs décroît cependant à mesure de la progression de la Reconquista, du fait des conquérants almoravides et almohades d'abord (XIIe siècle), des autorités catholiques ensuite. Les disputations en vue de gagner les Juifs au christianisme se font de plus en plus fréquentes (1293, 1414, etc.), avant les campagnes de conversion forcée (1391) et l'Inquisition, chargée d'empêcher le retour des Juifs convertis au christianisme.

Les Juifs sont expulsés d'Espagne en 1492, après une présence multi-séculaire. Ils essaiment pour la plupart dans le bassin méditerranéen ; d'autres préfèrent demeurer en Espagne, pratiquant secrètement leur judaïsme derrière une conversion de façade au catholicisme.

Le judaïsme ashkénaze

Le judaïsme ashkénaze, qui se trouve entièrement et dès ses débuts, en terre chrétienne, connaît une histoire plus agitée.

Selon la tradition ashkénaze, la famille Kalonymos, originaire de Lucques, s'installe à Magenza (Mayence) et à Spire, sur invitation de Charlemagne ou d'Othon II. De nombreux Juifs d'Italie méridionale rejoignent les petites communautés d'Allemagne, composées de Juifs originaires de Gaule, de la terre d'Israël et de prosélytes. Des communautés sont ensuite fondées outre-Rhin, dans le nord de la France. Les Juifs, passeurs entre l'Orient et l'Occident, à l'image d'Isaac le Juif et des marchands radhanites assurent une certaine prospérité à l'empire franc.

Cependant, la période des Rishonim voit l'Église naissante multiplier les mesures pour limiter l'influence des Juifs sur leurs voisins chrétiens, préparant le terrain à des exactions contre les Juifs, plus ou moins perçus comme alliés des musulmans, et tenus pour responsables des défaites des armées chrétiennes face à ceux-ci.

La première croisade (1096) s'accompagne de la destruction de nombreuses communautés rhénanes et de suicides en masse afin d'éviter la conversion forcée. Les accusations antijuives s'ensuivent : meurtre rituel, profanation d'hosties, empoisonnement des puits, etc. ; chacune génère de nouveaux massacres.

Aux persécutions s'ajoutent souvent les expulsions, accompagnant les accès de fureur populaire au début, puis devenues dans les mains des puissants un système de pressure économique. En conséquence, le centre franco-allemand du judaïsme ashkénaze migre vers l'Europe de l'Est ou, moins souvent, vers l'Espagne (à l'image d'Asher ben Yehiel).

Autres centres

D'autres communautés européennes, moins importantes sur le plan numérique, participent également au développement du judaïsme.

La plus influente de celles-ci est celle de Provence (qui comprend aussi une partie du Languedoc). Relativement épargnée par les mesures frappant les Juifs de France, avec lesquels elle n'a pratiquement pas de contact, elle produit de nombreux intellectuels et savants, philosophes et kabbalistes. Le judaïsme italien joue lui aussi un rôle modeste mais significatif.

Les voyageurs juifs, comme Benjamin de Tudèle ou Petahia de Ratisbonne, décrivent ou mentionnent par ailleurs des communautés juives isolées de ces centres, comme les Romaniotes, descendants des Juifs hellénisés, habitant l'empire ottoman, qui seront rejoints puis assimilés par les Séfarades après 1492, les communautés de Przemyśl et Kiev fondées par les descendants des Khazars, qui seront rejoints puis assimilés par les Ashkénazes, les Karaïtes de Crimée, les Juifs des montagnes, de Chine, d'Inde, etc.

Par ailleurs, et bien qu'elles ne soient plus appelées à jouer un rôle aussi important que par le passé, les communautés d'Orient, principalement le Yémen, mais aussi l'Égypte ou l'Afrique du Nord, produisent encore des figures de quelque envergure.

La production littéraire de l'ère des Rishonim

La période des Rishonim est l'une des plus fécondes sur le plan littéraire. Stimulés par les écrits de Saadia Gaon et de ses successeurs, les savants séfarades et provençaux développent de nombreux domaines se développent, à l'intérieur et en dehors des champs du savoir juif traditionnel. Quant aux érudits ashkénazes, bien que ne disposant pas de tels précédents, ils n'en créent pas moins une riche littérature exégétique et midrashique.

Littérature halakhique

La période des Rishonim est consacrée, par définition, à extraire des discussions talmudiques les conclusions établissant la Halakha (Loi juive), outre une littérature profuse de responsa, qui perpétue la pratique des Gueonim.

Les grands-œuvres de la littérature halakhique ont été pour la plupart rédigés par des auteurs séfarades. Bénéficiant de structures centralisées, et suivant le modèle établi à Babylone à l'époque des Gueonim, les séfarades considèrent le Talmud de Babylone comme principale, voire seule autorité sur laquelle baser la Halakha, à partir de règles édictées par leurs prédécesseurs babyloniens.
À l'inverse, la littérature halakhique des Ashkénazes est fortement influencée par les coutumes propres à chaque communauté et les traditions des pères, suivant en cela le modèle en vigueur dans les académies de la terre d'Israël, parvenu dans les communautés italiennes puis allemandes avant le Talmud de Babylone[3].

Le premier code connu est le Sefer Hilkhot d'Isaac Alfassi, qui consiste pour l'essentiel à citer le Talmud en omettant les passages non pertinents pour la Halakha. Ce livre remplace rapidement le Talmud de Babylone comme source d'investigation primaire dans de nombreux centres d'études.
Environ un siècle plus tard, Moïse Maïmonide rédige le Mishneh Torah. Ce livre innove dans de nombreux domaines : il s'agit de la première présentation systématique de la Halakha dans son ensemble, et non pas d'un domaine particulier de la Loi juive, à l'instar de Saadia Gaon et Haï Gaon ; le livre discute aussi des lois qui ne sont pas d'application immédiate, comme le rituel des offrandes dans le Temple de Jérusalem ; il ne cite pas ses sources et ne livre que ses conclusions finales. Ce dernier point sera critiqué avec la plus grande véhémence par Abraham ben David de Posquières qui, sans remettre en doute les qualités de Maïmonide, lui conteste le droit à décider de l'attitude unique à suivre en tous lieux et en tous temps. Ses Hassagot (« Objections ») constituent la première pièce d'une riche littérature commentant le Mishneh Torah.
À ces travaux généraux succèdent des monographies, comme le Torat haadam de Moïse Nahmanide et le Torat Habayit de Salomon ben Adret.

En terre d'Ashkenaz, les premières pièces de littérature apparaissent plus tardivement. On compte parmi celles-ci les écrits de Meïr de Rothenburg, ceux de ses disciples Asher ben Yehiel et Mordekhaï ben Hillel, le Sefer yereïm d'Eliezer de Metz, l’Or zaroua d'Isaac de Vienne, et d'autres.

Le summum de la littérature halakhique paraît au XIVe siècle, lorsque Yaakov ben Asher, le fils d'Asher ben Yehiel, compose l’Arbaa Tourim. Ce livre, qui prend en compte les coutumes ashkénazes et séfarades, divise la Loi pratique en quatre domaines :

  • Orah Hayim : lois du quotidien, prières et bénédictions, chabbat et fêtes juives ;
  • Yore Dea : lois de permis et d'interdit ;
  • Even Haezer : lois du mariage et des rapports entre les sexes ;
  • Hochen Michpat : lois sur les possessions.

Cette structure sera reprise par Maran Yossef Karo, dont le Choulhan Aroukh est une version abrégée de son Beit Yossef, conçu comme un commentaire de l’Arbaa Tourim. Moïse Isserlès complète le Choulhan Aroukh avec les décisions et coutumes en vigueur chez les Ashkénazes, en se basant sur la littérature ashkénaze autour de l’Arbaa Tourim, dont les livres de Jacob Mölin, et le Teroumat Hadeshen d'Israël Isserlein.

Exégèse du Talmud

Parallèlement à cette littérature halakhique, des commentaires au Talmud sont rédigées. Les premières tentatives du genre datent de la période de transition entre Gueonim et Rishonim, avec les commentaires de Rabbenou Hananel et Nissim Gaon. Dans ce domaine, Séfarades et Ashkénazes suivent encore une fois deux voies divergentes :

  • pour les Séfarades, l'effort se focalise la synthèse et l'extraction des lois depuis le Talmud. À ce titre, les travaux d'Isaac Alfassi, et même ceux de Maïmonide, peuvent être considérés comme des commentaires talmudiques. D'autres commentaires du genre sont composés par Joseph ibn Migash et Isaac ibn Ghiyyat. Cette recherche de la concision et de l'aspect pratique des commentaires demeurent, même après que le modèle d'exégèse ashkénaze s'est imposé. Le commentaire de Nahmanide combine les deux approches, privilégiant par ailleurs les hiddoushim (« renouvellements » des enseignements du Talmud, par la recherche de gloses originales, d'applications inédites, etc.) ; cette voie est poursuivie par ses élèves, Salomon ben Adret et Aaron Halevi, ainsi que par leur disciple, Yom Tov Assevilli. Un autre élève de Nahmanide, Nissim Gerondi écrit quant à lui un commentaire sur les Hilkhot d'Isaac Alfassi.
  • les Ashkénazes, peut-être inspirés par les efforts en vue d'obtenir un texte fiable de la Vulgate, visent à établir le texte exact du Talmud auquel ils n'ont pas aussi facilement accès que leurs voisins d'outre-Pyrénées. Leur commentaire est donc plus explicatif et théorique. Le premier commentaire majeur du genre, rédigé par Rabbenou Guershom, est rapidement éclipsé malgré ses mérites par celui de Rachi, devenu depuis indissociable de l'étude de la Guemara, qu'il a même, selon Heinrich Graetz, sauvée de l'oubli.
    Le commentaire de Rachi devient à son tour l'objet de commentaires rédigés par les savants de France et d'Allemagne au cours des trois siècles suivants : les Tossefot (« Notes »), initiées par les gendres et petits-fils de Rachi, Rashbam, Rivam et Rabbenou Tam, et achevées avec Meïr de Rothenburg. Leurs commentaires prolongent souvent les débats du Talmud, et ont été surnommés le « Talmud de France. »

Les Juifs de Provence ont eux aussi développé une méthode d'exégèse propre, depuis Abraham ben David de Posquières et Zerakhia Halevi Gerondi à celle de Menahem Hameïri, qui recueille et synthétise l'ensemble des commentaires sur le Talmud jusqu'à son époque.

Exégèse de la Bible

Notes et références

  1. (he) Noah Aminoah, À propos des ères de développement de la Torah orale, in Bessade Hemed, Kislev 5739 (décembre 1979)
  2. Shlomo Katz, R' Nissim ben Yaakov z"l ("Rav Nissim Gaon"), in Hamaayan - Vayeitzei, xii:7, 1997
  3. (he) Israël M. Ta-Shma, Minhag Ashkenaz Hakadmon, juin 1992, ISBN: 965-223-787-6



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