Histoire du jeu d'échecs

Histoire du jeu d'échecs

De nombreux mythes et théories existent sur l'origine du jeu d'échecs.

Sommaire

Les légendes

Le mythe du brahmane Sissa

La légende la plus célèbre sur l'origine du jeu d'échecs[1] raconte l'histoire du roi Belkib (Indes, 3000 ans avant notre ère) qui cherchait à tout prix à tromper son ennui. Il promit donc une récompense exceptionnelle à qui lui proposerait une distraction qui le satisferait. Lorsque le sage Sissa, fils du Brahmine Dahir, lui présenta le jeu d'échecs, le souverain, enthousiaste, demanda à Sissa ce que celui-ci souhaitait en échange de ce cadeau extraordinaire. Humblement, Sissa demanda au prince de déposer un grain de blé sur la première case, deux sur la deuxième, quatre sur la troisième, et ainsi de suite pour remplir l'échiquier en doublant la quantité de grain à chaque case. Le prince accorda immédiatement cette récompense en apparence modeste, mais son conseiller lui expliqua qu'il venait de signer la mort du royaume car les récoltes de l'année ne suffiraient à s'acquitter du prix du jeu. En effet, sur la dernière case de l'échiquier, il faudrait déposer 263 graines, soit plus de neuf milliards de milliards de grains (9 223 372 036 854 775 808 grains précisément), et y ajouter le total des grains déposés sur les cases précédentes, ce qui fait un total de 18 446 744 073 709 551 615 grains (la formule de calcul est alors 264-1) !

Légende grecque

Une autre légende place l'invention du jeu durant la Guerre de Troie. Palamède, l'un des héros grecs, aurait inventé le jeu pour remonter le moral des troupes durant le siège de Troie, ainsi que d'autres jeux : « Les Grecs lui attribuaient [à Palamède] l'invention de plusieurs lettres de leur alphabet, de la monnaie, des dés, des osselets et du jeu d'échecs »[2],[3]. C'est l'origine du nom de la première revue échiquéenne, Le Palamède. Cette légende est née d'une traduction erronée du mot grec πεττεια (petteia), un terme désignant un jeu de plateau différent des échecs[4] parfois traduit, à tort, par « dames »[5] ou « échecs »[6].

Origines orientales

Les recherches historiques

Jeune Persan jouant aux échecs avec deux prétendants Illustration tirée de Haft Awrang de Jami, dans l'histoire « Un père avise son fils à propos de l'amour »

L’origine du jeu d’échecs reste un sujet controversé. En effet, comme l'écrit Richard Eales dans son livre CHESS, The history of a game[7], la recherche des origines des échecs est similaire à la recherche du « chaînon manquant » dans l'évolution humaine.

On admet généralement que son ancêtre connu le plus ancien est un jeu indien, le chaturanga. « Le mot signifie quatre parties, c'est l'ancêtre des échecs. Il se jouait à quatre sur un échiquier carré de 8 cases sur 8 avec 8 pièces : Roi, éléphant, cheval, chariot, et 4 soldats. On avançait les pièces selon les points obtenus en lançant les dés. Ce jeu connut plusieurs variantes dont le Dashapada qui se jouait sur un échiquier de 10 cases sur 10. Dans le sud de l'Inde, il se jouait sur un échiquier de 9 cases sur 9 et était appelé Saturankam ou Ashtapada. Ce jeu était imité de l'organisation ancienne de l'armée indienne composée de quatre corps (Chaturanga balakâya)[8]. » Ses traces les plus anciennes se repèrent entre les Ve et VIIe siècles. Deux passages de textes sanskrits mentionnent l'existence du jeu sans donner d'autres informations. Il s'agit de Vasavadatta, écrit en 600 par Subandhu qui évoque des joueurs d'échecs, et surtout de Harshascharita, écrit par Bana vers 625. Il décrit The Aashtapada, un échiquier de 81 cases, qui permet d'apprendre le Chaturanga, le nom sanskrit des échecs.

Ces livres, suivis de deux autres ouvrages écrits en 850 par Ratnakara et Rudrata à la fin du neuvième siècle, permettent de prendre connaissance des pièces du jeu qui sont celles d'une armée : fantassins, cavaliers, chars et éléphants.

L'origine de ces deux auteurs dans le Nord-Ouest du royaume du Cachemire suggère ainsi une transmission possible du bassin central du Gange vers l'Iran (la Perse).

Au-delà de cette époque, certains supposent que le jeu a évolué à partir de jeux de parcours indiens, d’autres lui prêtent un ancêtre extérieur en Chine ou en Asie centrale. Un jeu très similaire est également connu dans la civilisation chinoise, le xiangqi, dont les plus anciennes traces remonteraient à 569 (il y a une controverse à ce sujet) ; son existence est attestée en 800[9].

Diffusion

Le jeu se propage jusqu’en Perse aux alentours de l’an 600 où il devient le chatrang. Lorsque les Arabes envahissent la Perse, ils l’adoptent sous le nom de shatranj. Les échecs connaissent alors un développement remarquable. C’est au cours des IXe et Xe siècles qu’apparaissent les premiers champions et les premiers traités. Les pièces sont stylisées en raison de l’interdiction de représenter des êtres animés[10]. On retrouve alors :

  • le roi (Shâh, c'est lui qui donne son nom au jeu) se déplace d’un pas dans toutes les directions ;
  • le conseiller (Farzin ou Vizir) dont le mouvement est limité à une seule case en diagonale ;
  • l’éléphant (Fil, cf. sanskrit pīlu) avec un déplacement correspondant à un saut de deux cases en diagonale ;
  • le cheval (Faras), identique au cavalier moderne ;
  • le (Roukh), semblable à la tour actuelle.
  • le soldat (Baidaq, cf. sanskrit padāti : piéton, fantassin), l’équivalent du pion, mais dépourvu du double pas initial.

(Le Roukh était parfois représenté comme un char de guerre. Les Arabes y voyaient un général commandant l’armée. Mais son sens littéral reste obscur. Il semble que pour les Arabes, ce mot n’avait pas d’autre sens que celui de désigner cette pièce au Shatranj, un peu comme le mot rook pour les anglophones aujourd’hui. Le lien étymologique avec le sanskrit ratha : char est peu évident).

Enluminure, Liber de Moribus, vers 1300.

Arrivée en Europe et évolution

Manuscrit (c.1320)

L’arrivée des échecs en Europe se fait sans doute par l’Espagne musulmane aux alentours de l'an mille, ou par l’Italie du sud (Sicile)[11]. Une légende a longtemps attribué un jeu d'échecs à Charlemagne qui l'aurait reçu de la part du calife Haroun al-Rachid, on pense aujourd'hui qu'il fut fabriqué postérieurement près Salerne à la fin du XIe siècle[12]. En 1010[13], sa première mention écrite en Occident a été trouvée dans un testament du comte d'Urgel, en Catalogne.

Dès son arrivée dans la Chrétienté, l’échiquier et les pièces s'occidentalisent :

  • le plateau devient bicolore avec les cases rouges et noires (qui deviendront plus tard blanches et noires);
  • le vizir devient fierge (ou vierge), puis reine et/ou dame (il est difficile de déterminer lequel des deux termes prévalait — sans doutes étaient-ils utilisés indifféremment) ;
  • l'éléphant (al fil en arabe, qui reste alfil en espagnol aujourd'hui) devient aufin, puis fou (bishop : "évêque" en anglais;
  • le roukh arabe devient roc (ce nom donnera rook en anglais, le verbe « roquer » en français et désignera la tour d'échecs en héraldique), puis tour vers la fin du XVIIe siècle (les tours de guet étant souvent placées en hauteur)[14].

Dans certaines régions d'Europe, le double pas initial du pion est pratiqué. Enfin, des règles permettent au roi ou à la reine/dame d'effectuer un saut à deux cases (sans prise) à leur premier mouvement. Ce dernier point est la différence principale avec les règles du Shatranj des pays musulmans[15].

Mais l’évolution la plus importante a lieu à la fin du Moyen Âge, vers 1475 en Espagne lorsque les mouvements limités de la reine/dame et du fou sont remplacés par ceux que nous connaissons actuellement[15]. La paternité de ces innovations est généralement attribuée à Francesc Vicent.

Les joueurs de cette époque nomment ces nouvelles règles : « eschés de la dame » ou « jeu de la dame enragée »[16].

Pour parer aux effets dévastateurs de ces pièces aux pouvoirs renforcés, le roque est inventé vers 1560 et, progressivement, il remplace le saut initial du roi ou de la reine/dame qui deviennent obsolètes[15]. Vers 1650, on peut considérer que les règles du jeu moderne sont à peu près établies. Si les premiers livres traitant des échecs remontent à l'époque arabe (dans le Kitab-al-Fihrist d'Ibn al-Nadim), la stabilisation des règles en Europe donne naissance à une littérature théorique très riche et on observe notamment l'élaboration des premiers systèmes d'ouverture.

L'époque moderne

Pièces de type « Staunton »
Le jeu d'échecs, par Charles Bargue

L’aspect physique des pièces le plus courant aujourd’hui, le style « Staunton », date de 1850[17]. C’est également durant la seconde moitié du XIXe siècle qu’émergent les échecs modernes. Les premières compétitions internationales ont lieu, les progrès théoriques de l’art de la défense mettent un terme à l’ère romantique[réf. nécessaire].

Au XXe siècle, l’URSS, sous l'impulsion de Nikolai Krylenko, en assure une promotion très active, le considérant comme un excellent outil de formation intellectuelle. C’est, en outre, une vitrine de la formation intellectuelle soviétique qui leur permet de dominer largement une discipline prestigieuse.

Durant la guerre froide, l'émergence de Bobby Fischer, le premier Occidental à défier les Soviétiques au plus haut niveau puis de Viktor Kortchnoï, dissident Soviétique qui parvint deux fois en finale du championnat du monde, donnent à cette compétition une véritable dimension politique. Plus tard, les tensions entre conservateurs russes et partisans de la perestroïka se sont cristallisées autour de l’affrontement entre Anatoli Karpov et Garry Kasparov.

À la fin du XXe siècle, la confusion concernant le titre de champion du monde (voir plus bas) amène l’attention médiatique à se concentrer sur l’opposition entre l’humain et la machine, comme en témoigne le retentissement médiatique des matchs entre Kasparov et Deep Blue. Les femmes font également leur apparition au plus haut niveau dans un domaine longtemps réservé de fait aux hommes. Ainsi, depuis avril 2003, Judit Polgár figure-t-elle régulièrement parmi les dix meilleurs joueurs mondiaux du classement de la Fédération internationale des échecs.

Depuis janvier 2000, les échecs sont devenus, en France, un sport reconnu par le Ministère de la Jeunesse et des Sports[18]. De nombreuses compétitions sportives sont organisées dans le monde entier. Depuis le début de l'année 2008, l’entrée de ce sport aux Jeux olympiques est discutée[19].

L’actuel champion du monde est l’Indien Viswanathan Anand qui a succédé au Russe Vladimir Kramnik en 2007.

Notes

  1. rapportée par le docteur Forbes dans The History of Chess, Londres, 1860.
  2. Larousse encyclopédique en 10 volumes, Paris, 1984, vol.VIII,p. 7747 (ISBN 203102308X)
  3. Robert Graves, « Les Mythes grecs », édition Fayard, Paris, 1967, traduit de l'anglais par Mounir Hafez, p. 497-517 édition originale : Greek myths, Cassell & c° LTD, Londres 1958
  4. (en) Roland G. Austin, « Greek board games », dans Antiquity, 14 septembre 1940, p. 257-271 [texte intégral (page consultée le 14 janvier 2010)] 
  5. Euripide (trad. François Jouan), Iphigénie à Aulis, Paris, Belle-Lettres, 2002, 2e éd. (ISBN 978-2-251-00127-2), p. 67, vers 194-198 
  6. Gorgias de Leontinoï (trad. Jean-Paul Dumont), Eloge de Palamède, La Pléiade, coll. « Les Présocratiques », 2008 (ISBN 978-2-07-011139-8), p. 1043, paragraphe 30 
  7. London, 1985.
  8. Louis Frédéric, « Dictionnaire de la civilisation indienne », Robert Laffont, collection Bouquins, Paris, 1987, p. 278 (ISBN 2221012585) extrait de Jeanine Auboyer, La vie publique et privée dans l'Inde ancienne, chap.VI : Jeux et jouets, publications du Musée Guimet, Paris, 1953
  9. Pour plus d'information, le groupe Königstein regroupe différentes hypothèses sur les origines du jeu d'échecs
  10. Un interdit de la représentation sur la BNF S'appuyant sur un verset du Coran rejetant les statues des idoles et sur un hadîth accusant les faiseurs d'images de vouloir rivaliser avec Dieu, seul créateur et insuffleur de vie, certains théologiens musulmans ont condamné formellement la représentation des êtres animés.
  11. Référence, Jean-Louis Cazaux, "Petite histoire des échecs", éditions POLE, 2009
  12. Dossiers pédagogiques de la Bibliothèque nationale de France.
  13. De nombreuses pièces d'échecs ont été retrouvées lors de fouilles sur le site des chevaliers-paysans du lac de Paladru (Isère), site qui a été abandonné au plus tard en 1040
  14. Dossiers pédagogiques de la bibliothèque nationale de France.
  15. a, b et c Référence, Jean-Louis Cazaux, "L'Odyssée des jeux d'échecs", Praxéo, 2010
  16. Anthologie sur le jeu d'échecs sur le site de la BNF
  17. [1]
  18. Arrêté du 19 janvier 2000 du ministre chargé des Sports (Bulletin officiel du ministère de la jeunesse et des sports du 29 février 2000)
  19. Olympic Programme Commission au paragraphe 2.5 "Mind Sports"

Liens externes


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