- Conte russe
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Les contes russes représentent une importante tradition littéraire de la culture russe.
Pour consulter un article plus général, voir : Littérature russe.Sommaire
La tradition orale russe
L’accentuation très forte de la langue russe lui donne un aspect incantatoire qui facilite la mémorisation : la poésie est, par exemple, encore déclamée de nos jours. C'est une langue où la voix des poètes a souvent résonné comme celle de prophètes.
- Populaire : chants, chansons accompagnant les travaux des champs, mariages, chants funèbres, ou tout simplement, pour le plaisir (sans aspect religieux).
- Pas de peinture. Mais des dessins primitifs et des Loubok (лубок), dessins dans un style naïf très audacieux au niveau du message, incluant un côté satirique, voire des attaques contre les autorités ecclésiastique et étatique. Il y a donc une distance ironique par rapport à toute forme d’autorité.
- Proverbes, dictons populaires, qui en Russie foisonnent.
- Les contes sont fréquemment basés sur les mythes slaves et au fond sur tous les rites païens qui font – encore aujourd’hui – partie de la vie quotidienne. Certains croient encore aux esprits et dieux slaves.
L’inventivité populaire, d’une richesse incroyable, reste inconnue des élites et autorités, soulignant ainsi le cloisonnement entre les deux catégories. Les autorités s’opposent à ce type de création :
- Pour le pouvoir ecclésiastique, il y a trop de paganisme.
- Pour le l’autorité étatique, les attaques directes contre le pouvoir nuisent.
- Car si le peuple craint le tsar, ce n’est que dans une certaine mesure. L’élite est alors dans une position inconfortable entre pouvoir religieux et étatique. Il faudrait « apporter la lumière au peuple », qui est méfiant. Les intellectuels comme le tsar redoutent son éventuelle violence.
« Dieu nous préserve du soulèvement populaire », dit Alexandre Pouchkine.
Il y a donc en Russie, des deux côtés, une production artistique et intellectuelle.
La tradition orale est fondamentale pour comprendre les enjeux socio-culturels russes. D’un point de vue technique, on observe le rythme comme une caractéristique première de cette tradition orale : assonances, rimes qui ne s’affichent pas en poésie, éléments toujours semblables… En russe, le rythme est basé sur l’accent tonique. La mélodie est basée sur le rythme. L’accent tonique peut varier en fonction des cas, confirmant son statut d’élément majeur.
Chaque genre est caractérisé par un registre, des règles (non écrites) qui lui sont propres : ce n’est pas figé, le rythme est particulier (les poètes du XIXe et du début XXe l’utilisèrent encore : rythme, mélodie…), le registre sémantique ainsi que le rôle du fantastique.
Les principales catégories de contes traditionnels russes
On distingue généralement les catégories suivantes :
- les contes d'animaux. Ils font intervenir des animaux archétypiques, tels que le loup, le renard, l'ours, le lièvre, le coq, le chat, la chèvre... Certains d'entre eux se rapprochent des récits du Roman de Renart par exemple.
- les contes pour enfants, comme Roule-Galette (Колобок, « Kolobok » ; voir Le Petit Bonhomme de pain d'épice sur le même thème)
- les contes satiriques
- les contes héroïques, proches des bylines
- les contes merveilleux (volchebnye skazki) et effrayants (strachnye skazki)
- les « anecdotes » (histoires drôles).
- les contes érotiques : souvent très crus, ceux-ci n'hésitent pas à faire intervenir par exemple la femme et les filles du pope, ou du barine, dans des situations très scabreuses[1].
Les caractéristiques du conte merveilleux russe
Parmi les traditions orales, le conte merveilleux est resté particulièrement vivant. Raconté de génération en génération par des nourrices et des grand-mères, il a nourri les Russes de sa langue et de ses riches représentations. Les contes sont rassurants et on ne doit pas changer leur tradition. Certains d'entre eux toutefois, adaptés en vers (par Pouchkine ou Erchov notamment), sont devenues des œuvres littéraires célèbres à part entière.
Afanassiev, qui s'intéressait à la mythologie slave et au paganisme, voyait dans le conte un mythe dégénéré.
Les personnages
Personnages humains
- le Tsar (Царь) : il a trois fils. Le chiffre trois est celui de l’accomplissement. La troisième fois est la bonne.
- Ivan-Tsarévitch (Иван Царевич) : il est le plus jeune fils du tsar, le plus malheureux, mais sur le chemin qui est le sien il sait se faire des amis car il est généreux. Vieillards, sorcières, animaux, tous l’aident et il finit par arriver au but de ses voyages et à bout de ses problèmes.
- la princesse : Vassilissa (Василиса ; la très-belle : Prekrasnaïa, ou la très-sage : Premoudraïa), ou Hélène, est malmenée par une mauvaise mère ou un mauvais père qu’elle doit tuer pour être libérée.
- le marchand, le pope, le couple de paysans (le vieux et la vieille), le jeune gars (le vaillant gaillard, « molodets » ou bogatyr)...
Souvent un personnage humain se transforme, volontairement ou contre son gré, en un animal : ainsi Finist Fier-Faucon (Финист Ясный-Сокол), mi-prince, mi-faucon, ou la Princesse Grenouille (Царевна-лягушка).
Personnages animaux
- le loup gris. Contrairement aux contes européens, le loup aide les bons, il ne manifeste aucune agressivité.
- l'ours
- le lièvre borgne
- le brochet...
Tous les animaux de la terre russe, lorsqu’ils sont épargnés par quelqu’un, rendent plus tard bien des services…
Personnages mythologiques
- le lechiï (Леший) : Génie des bois, le « sylvain ». Un lechiï qui vous veut du mal dans la forêt vous court autour de façon à vous donner le vertige pour vous rendre fou. Il existe une manière de le contrecarrer : il faut mettre ses habits à l’envers.
- le vodianoï (Водяной) : il vit dans l’eau près des moulins et capte l’âme des noyés qui ne trouvent jamais le repos. Il attire les hommes dans son royaume grâce aux roussalki (руссалки, pluriel de руссалка), créatures féminines à la voix extraordinaire. Les femmes connaissent un sort différent : les roussalki les chatouillent à mort.
- le domovoï (Домовой) : Génie de la maison. Il peut être bon comme mauvais. Quand un objet disparaît à la maison, c’est l’esprit du malin qui l’a pris, et il n’y a aucune chance de le retrouver… Sauf si l’esprit du bien le fait miraculeusement réapparaître.
- la kikimora (Кики́мора), esprit féminin de la maison, mais aussi des marais.
- Baba Yaga (Баба-Яга) : La sorcière qui habite une maison sur des pattes de poule (избушка на курьих ножках) dans la forêt profonde, et voyage dans un mortier. Elle fait peur, mais pour devenir vraiment indépendant et trouver son chemin il faut passer chez elle et elle peut devenir une alliée.
- Kochtcheï (Коще́й) l’immortel : il est maléfique, retient ses victimes prisonnières sous une forme qui n’est pas la leur, en particulier la princesse.
- l'Oiseau de feu (Жар-птица).
- le dragon, Tchoudo-youdo (Чудо-юдо)[2] ou Zmeï Gorynytch (Змей Горыныч)
- Kot Baïoun (Кот Баюн), énorme chat maléfique qui berce et endort les voyageurs avec ses contes avant de les tuer impitoyablement
- (Odnoglazoe) Likho, personnification de la Mauvaise Chance borgne.
- le Brigand-Rossignol (Соловей-разбойник), personnage fabuleux mi-homme mi-oiseau, dont le nid est bâti sur douze chênes, et qui renverse les gens à terre par son sifflement.
Les thèmes
- Symbolique
- On ne parle pas, ou rarement, de mariage, mais de couronne, d’anneau
- Quelque chose de concret définit quelque chose d’abstrait
- Beaucoup d’adresses à la nature, on lui parle
Les lieux magiques
- la rivière de lait (молочная река) aux berges de kissel (кисельные берега)
- le pont d'obier sur la rivière de feu (ou de cassis), symbole de la limite entre deux mondes
- le croisement fatidique. Une inscription y dit : « Qui ira tout droit, aura froid et faim ; qui prendra à droite, restera sain et sauf, mais perdra son cheval ; qui ira à gauche sera tué, mais son cheval vivra » (il existe des variantes).
- l'île Bouïane
- les trois royaumes (d'or, d'argent et de cuivre), situés, soit au-dessous du monde réel (on y accède par un trou), soit sur une montagne
- la montagne d'or
Les caractéristiques stylistiques
- Simplicité de la syntaxe : peu de subordonnées, ce qui rend le conte plus facile à retenir
- Répétition ternaire : tout fonctionne par trois. Par exemple, dans un conte, le troisième épisode est pertinent (rien ne réussit la première ni la seconde fois) ; il y a toujours 3 fils, 3 épreuves, ce qui renvoie aux profondeurs de l’inconscient humain, les chiffres 3 et 7 notamment étant perçus comme « magiques ». On retrouve le rythme ternaire dans la littérature en prose, la poésie, les chants épiques…
- Emploi très fréquent des diminutifs : руки (les mains) devient ручки, et les mains de la princesse sont aussi « blanches » (белые) ;
- Bonhomie, ironie.
Les formules et expressions récurrentes
- Formules initiales
- « Жил был… » (Il était une fois…, littéralement « vivait-était »)
- « En un certain royaume, en un certain État... » (« В некотором царстве, в некотором государстве... »), ou « Dans le trois fois neuvième royaume, dans le trois fois dixième État » (« В тридевятом царцве, в тридесятом государстве »), expression signifiant « dans un pays très éloigné, aux confins de la terre »)
- « Ce n'est pas encore le conte, mais seulement le début » (« То [Это] еще не сказка, а присказка » ; pour clore une introduction parfois sans rapport direct apparent avec la suite)
- Formules finales
- Le conteur crédibilise son récit en terminant par « J’y étais et j’y ai bu de la bière et de l’hydromel, ça m’a coulé sur les moustaches » (côté convivial : j’y étais pour quoi ? Pour boire…)
- À la formule finale « Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants » correspond la formule russe plus prosaïque « И стали они жить-поживать, добра наживать ! » (« et ils se mirent à bien vivre et à amasser du bien ! »)
- Épithètes conventionnelles
- La mer est toujours bleu marine (синее море)[3]
- la large plaine (широкое поле)
- la sombre forêt (тёмный лес), équivalente aux enfers : c’est un lieu d’initiation, d’épreuve.
- la lune claire (ясный месяц).
- le loup gris (серый волк), sauf chez Pouchkine, brun : бурый волк.
- Phrases et expressions rituelles
- La bouche ne peut le dire, la plume ne peut l'écrire (« Ни в сказке сказать, ни пером написать ») (en parlant de quelque chose de magnifique)
- (Chemina-t-il) longtemps ou non, (était-ce) près, (était-ce) loin... (« Долго ли, коротко ли, близко ли, далеко ли... »)
- Le conte est bientôt conté, mais l'affaire ne se fait pas aussi vite (« Скоро сказка сказывается да не скоро дело делается »).
- L'épreuve, tu la cherches ou tu la fuis ? (« Дела пытаешь, аль от дела лытаешь? » (formule rituelle de provocation du héros à affronter l'épreuve)
L'arrivée du héros chez Baba Yaga (ou plutôt chez une baba yaga, car il y en a plusieurs) respecte un rite bien défini :
- le héros ordonne à la maisonnette sur pattes de poule de se tourner « dos à la forêt, face à lui » (« Избушка, избушка : встань к лесу задом, ко мне передом ! »)
- la baba yaga remarque que « ça sent la chair russe par ici » (« Здесь русский дух, здесь руссью пахнет! ») et menace de tuer le héros
- celui-ci la remet à sa place et lui rappelle qu'il lui faut d'abord se conformer aux lois de l'hospitalité
- une fois lavé, nourri, le héros explique le but de sa quête et la baba yaga, devenue son alliée, lui fournit un sésame (conseil, objet magique...) qui l'aidera.
Notes et références
- ISBN 2-84261-339-2) A.N. Afanassiev, Contes érotiques russes, Le Serpent à plumes, 2002 (
- baleine fantastique (Tchoudo-youdo ryba-kit) dans le conte de Erchov, Le Petit Cheval bossu. Tchoudo-youdo est aussi le nom d'une
- море (morié) ne renverrait pas systématiquement à la mer, que nombre de paysans n'auraient jamais vue de leur vie, mais plutôt d'une façon générale à l'« onde » (vaste étendue d'eau non précisée). Selon Lise Gruel-Apert, le terme
Voir aussi
Bibliographie
- Alexandre Afanassiev, Contes populaires russes, choix, traduction et notes de Lise Gruel-Apert, Imago ; 3 tomes, 2009-2010 : (ISBN 978-2-84952-071-0), (ISBN 978-2-84952-080-2), (ISBN 978-2-84952-093-2)
- Vladimir Propp, Morphologie du conte, Seuil (Points / Essais), 1970 (ISBN 978-2020005876)
Liens externes
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