- Théorie du complot sioniste
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La théorie du complot sioniste est une théorie du complot qui interprètent le mouvement sioniste et l'État d'Israël comme une conspiration visant à dominer le monde. Cette interprétation complotiste des événements concernant l'histoire du sionisme et de la politique israélienne consiste généralement à considérer que les événements ayant précédé et ayant mené, directement ou non, à la création de l'État d'Israël ont été voulus et orchestrés par un groupe d'individus tirant aujourd'hui des bénéfices de l'existence d'Israël : riches familles juives liées aux banques américaines, sociétés secrètes occidentales, familles américaines influentes... Si l'antisionisme est loin de se réduire à cette théorie du complot, certains antisionistes peuvent parfois l'utiliser à des fins de propagande.
Il existe deux grandes théories du complot sioniste, qui diffèrent quant au groupe identifié comme comploteur. Le première version considère que ce sont les Juifs en tant que tels ; à ce titre, des penseurs comme Pierre André Taguieff ou Jacques Tarnero estiment que cette version n'est que l’avatar moderne de la théorie du complot mondial juif, dont elle reprend les mêmes poncifs antisémites. D'après la seconde version, les Juifs en tant que tels ne seraient pas le cerveau de la conspiration, et Israël et le sionisme seraient instrumentalisés par des sociétés secrètes ou des groupes d'intérêts impliquant de grandes familles américaines. Cette seconde théorie, qui mêle antisionisme et antiaméricanisme en postulant une collaboration secrète des sionistes et des États-Unis avec les nazis dans le processus de la Shoah (afin de fournir une légitimité au sionisme et à toutes les politiques du futur État d'Israël), est parfois dite « théorie de l'axe américano-sioniste ».
Certains antisionistes tels Christian Cotten ou Dieudonné refusent d'être qualifiés d'antisémites et réfutent toute animosité à l'égard de la religion juive. Guillaume Weill-Raynal estime que ramener l'antisionisme à l'antisémitisme disqualifierait d'emblée toute critique de l'État d'Israël[1].
Sommaire
Première théorie : les Juifs comme sionistes par essence
Après le programme d'extermination hitlérien, tout discours ouvertement antisémite semble impossible. C’est donc de l’attaque anti-israélienne, plus acceptable, que va renaître ce thème du complot : dans un premier temps, le sionisme et Israël passent pour une création artificielle de l'Occident liée à sa « culpabilité » et à sa « mauvaise conscience »[réf. souhaitée], tout en niant la réalité historique de la présence juive en Palestine et les liens affectifs qui unissent les juifs à cette terre, ou bien, de manière plus acceptable, en revendiquant un attachement cultuel et culturel tout aussi important pour les musulmans et les chrétiens face à ce qu'ils dénoncent comme "l'exclusivité israélienne" rompant avec l'équilibre des communautés en Terre Sainte de la seconde moitié du 19e siècle. C'est le cas des premiers négationnistes français Paul Rassinier (Le drame des Juifs européens, 1964) et Maurice Bardèche (qui se revendiquait ouvertement du fascisme).
Puis, secondement, dans un contexte de décolonisation et d’anti-impérialisme, Israël va progressivement être identifiée par certains militants radicaux au colonialisme (à partir de 1956[réf. nécessaire]) puis au racisme, en s'appuyant sur les condamnations d'Israël par l’ONU). Une poignée de militants anti-impérialistes et anticolonialistes radicaux comme Serge Thion, écrivain et éditeur, ou encore Israël Shamir[5], "héros de militants pro-palestiniens et des « antisionistes »", vont alors établir deux postulats : tout juif = sioniste et la légitimité d’Israël réside entièrement et exclusivement dans la Shoah.
Premier postulat
Le premier postulat pose une essence raciste du sionisme et du juif. Deux journalistes de Marianne décrivent et racontent ce qu’elles ont vu et entendu lors de l'exposition provisoire de l’Union générale des Étudiants tunisiens (UGET) organisée du 25 au 27 mars 2003, dans le hall d’entrée de l’université Paris VIII (Seine-SaintDenis), pour la célébration de la nationale-palestinienne « journée de la Terre » (30 mars) :
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- « Des corps mutilés, des crânes explosés, et des explications “historiques ” sur la naissance de l’État d’Israël, construit sur les ruines des villes palestiniennes. Des pancartes résument : “sionisme = impérialisme = fascisme ”. [...] Un étudiant juif tente — en vain — d’expliquer la définition du sionisme à un public plus que réfractaire. Le ton est donné. Pendant ce temps, un “étudiant” (d’une bonne quarantaine d’années) crie dans un micro : “Tout le monde sait qu’Israël est derrière la guerre en Irak.” L’auditoire applaudit. Les propos sont sans appel : “Sionistes et Juifs, ça revient au même.”[2]
Second postulat
Le second postulat implique que « pour délégitimer Israël, il faut abattre la Shoah », selon les mots de Taguieff[3]. La critique d'Israël et le refus de son droit à l'existence passerait donc nécessairement par le « négationnisme » (ou « révisionnisme ») de la Shoah. Dans cette optique, Robert Faurisson déclare que :
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- "Les prétendues « chambres à gaz » et le prétendu « génocide » sont un seul et même mensonge. [...] Ce mensonge, qui est d'origine essentiellement sioniste, a permis une gigantesque escroquerie politico-financière dont l'État d'Israël est le principal bénéficiaire. [...] 5. Les principales victimes de ce mensonge et de cette escroquerie sont le peuple allemand et le peuple palestinien. -- 6. La force colossale des moyens d'information officiels a, jusqu'ici, assuré le succès du mensonge et censuré la liberté d'expression de ceux qui dénonçaient ce mensonge".
Selon Faurisson, la Shoah ne serait qu’un mensonge du « complot sioniste » pour créer Israël[4] et en faire payer le coût aux Allemands, et le fait que la négation de la Shoah (c'est-à-dire, selon Faurisson, la révélation du mensonge) soit condamnée par la loi relève de ce complot (la loi Gayssot aurait été voulue par le "lobby sioniste" [5]). Faurisson est suivi par d’autres personnes, comme Roger Garaudy, qui ravivent ainsi les formes les plus éculées de l’antisémitisme et le thème du "complot juif mondial".
Cette présentation de la Shoah comme une mystification est notamment vulgarisée via des livres techniques s'appuyant sur des recensements officiels, comme celui du sociologue et démographe Frank H. Hankins[6], recensements qui sont d’ailleurs interprétés par les négationnistes à des fins opposées et paradoxales : pour "prévenir" Israël de son illégitimité et éviter sa "radicalisation" dans le conflit, d'une part, pour revaloriser le nazisme et donner cours à l'antisémitisme d'autre part. L'insinuation de l'idée d'un gonflement important du nombre officiel des victimes de la Shoah, dont parle notamment Mahmoud Ahmadinejad, conforte l'idée d'une manipulation sioniste propre à imposer sa légitimité dans l'édification d'Israël et de sa protection, et ses pouvoirs qualifiés unilatéraux qui en découleraient en cas de conflit.
Seconde théorie : les Juifs comme victimes
Pour une autre partie considérant un « complot sioniste », les Juifs seraient les victimes précarisées (martyrisées) puis manipulées par un cercle d'individus puissants se manifestant autour de grandes familles dirigeantes, dont la famille Bush[6] et en lien avec le sionisme chrétien, les familles Rockefeller, Rothschild et un ensemble de sociétés secrètes universitaires comme les Skull and Bones ou les Scroll and Key issues de pratiques universitaires allemandes et installées aux États-Unis[7]. La Franc maçonnerie n'y serait pas ou peu engagée selon sa vocation, ces sociétés universitaires étant par essence des ordres paramaçonniques dont les fondements entrent souvent en opposition avec celle-là (ex : lutte contre la ségrégation et l'esclavage, laïcité du Grand Orient...). Les tenants de cette théorie dressent un portrait de l'ennemi : l’axe « américano-sioniste » et ses nombreux relais "sionistes" dans les médias et les radios. Certains identifient et listent les Juifs présents dans l'entourage du président Bush, ou exhibent de fausses citations d'Ariel Sharon se vantant de contrôler le gouvernement des États-Unis (« nous, le peuple juif, contrôlons l’Amérique, et les Américains le savent. ») [8].
La théorie s'appuie dans un premier temps sur la réalité de l'implication de personnalités comme Prescott Bush et George Walker[9] dans l'armement illégal de l'Allemagne nazie de 1928 à 1942 (jusqu'à leur mise en cause et l'arrêt forcé de leurs affaires) ainsi que la présence de leurs entreprises sur Auschwitz[10], et ce malgré le traité de Versailles, le trading with the enemy act et l'engagement des États-Unis dans le conflit contre l'Axe après l'attaque de Pearl Harbor. Elle repose dans un second temps sur un lien entre le sionisme chrétien et le "lobby George Bush"[11] qui en retirerait de puissants intérêts (direction de l'armement israélien, politique extérieure au Moyen-Orient, rôle du peuple juif dans l'eschatologie évoquée par le sionisme chrétien, discours relevant du millénarisme et de la conversion finale des juifs). Ainsi le sionisme, perçu comme conditionné, provoqué et finalement dirigé par des non-juifs, porterait un projet malveillant à l'égard des juifs, depuis la Shoah jusqu'aux guerres en Irak.
Controverses
Selon l'analyse de Pierre André Taguieff, la rhétorique des dénonciateurs du « complot sioniste » reposerait ainsi en grande partie sur des poncifs antisémites : juifs cosmopolites, banquiers ou hommes d'affaires internationaux apatrides, s’insinuant dans les milieux d’affaires ou politiques.
Cette vision aurait pour conséquence, selon Guillaume Weill-Raynal, un usage abusif du pouvoir disqualifiant de l'accusation d'antisémitisme. Elle laisserait ainsi très peu de place à l'expression alternative et à l'évocation, dans un contexte plus global, de l'État d'Israël et de sa critique.
Paradoxalement, ce problème soulevé par Weill-Raynal est vécu lui aussi par les conspirationnistes comme faisant partie d'une manipulation sioniste visant disqualifier, diffamer et empêcher toute critique d'Israël et du sionisme.
Articles connexes
- Sionisme | Lobby pro-israélien
- Antisionisme
- Antisémitisme | Négationnisme | « Lobby juif »
- Théorie du complot juif | Complot judéo-maçonnique | Protocoles des Sages de Sion
Références
- Une haine imaginaire. Contre-enquête sur le nouvel antisémitisme - Guillaume Weill-Raynal - Paris, Armand Colin, coll. « Intervention », 2005, 237 p.
- Marianne, n° 310, 31 mars - 6 avril 2003. ; Cité par Taguieff dans « Entre la « guerre juive » et le « complot américano-sioniste » », L'Arche, n° 543, mai 2003, [lire en ligne] Natacha Polony et Sarah Weisz, « Manifs des jeunes. Chansons pacifiques contre appels à la haine »,
- [1]) Entre la « guerre juive » et le « complot américano-sioniste »Pierre-André Taguieff, L'Arche, n° 543, mai 2003 ; reproduction en ligne
- Centre de documentation juive contemporaine 1999 ; reproduit en ligne Négationnisme et antisionisme : récurrences et convergences des discours du rejet , in Revue d'histoire de la Shoah n° 166, mai-août 1999,
- [2]
- Le monde selon Bush, le cartel des Bush...
- Nouvel ordre mondial : Les sociétés secrètes
- publication d'extrême droite Cette prétendue citation de Sharon n'a jamais eu d'existence autre que dans une
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- http://www.lemonde.fr/cgi-bin/ACHATS/acheter.cgi?offre=ARCHIVES&type_item=ART_ARCH_30J&objet_id=873106&clef=ARC-TRK-D_01
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