Érection des nouveaux diocèses aux Pays-Bas

Érection des nouveaux diocèses aux Pays-Bas

L'érection des nouveaux diocèses aux Pays-Bas est l'étape principale dans la réorganisation religieuse des Pays-Bas espagnols de Philippe II dans l'esprit de la Contre-Réforme. Établie par des bulles pontificales entre 1559 et 1561, cette nouvelle organisation ecclésiastique est à la fois territoriale, hiérarchique et financière. En plus de raisons religieuses pour approfondir la foi catholique des habitants des Pays-Bas, l'érection de ces nouveaux diocèses est également motivée politiquement : sauvegarder une homogénéité religieuse des Pays-Bas espagnols et avoir des évêchés qui ne soient plus soumis à des puissances étrangères en raison de leur siège en dehors du territoire Belgique.

Pour la réorganisation territoriale des diocèses, Philippe II tient compte des frontières extérieures mais aussi des limites des anciens évêchés, des provinces et de la frontière linguistique. Trois sièges archi-épiscopaux au lieu de un et quinze évêchés suffrageants au lieu de cinq vont dès lors couvrir tout le territoire des Dix-Sept Provinces, où les précédentes juridictions des provinces ecclésiastiques ignoraient les frontières politiques au détriment d'une gouvernance effective.

Sommaire

Contexte

À l'époque de Philippe II d'Espagne, l'idée de remanier l'organisation diocésaine des Pays-Bas n'est pas nouvelle : les diocèses sont restés presque intacts depuis l'époque mérovingienne[1]. Le territoire des Dix-sept Provinces est sous l'autorité de six évêchés différents qui ne correspond en rien à ces terres : seulement quatre évêchés leur sont propres : Cambrai, Tournai, Arras et Utrecht[2],[3]. Non seulement la plus grande partie des XVII Provinces est soumise à deux évêchés étrangers, mais les quatre évêchés propres aux Pays-Bas relèvent eux-mêmes de deux métropoles étrangères : les uns de l'archidiocèse de Cologne et les autres de celui de Reims. L'autorité spirituelle du Duché de Brabant est partagée par les évêques de Liège et de Cambrai. La situation est pire dans le Duché de Luxembourg qui se trouve soumis à six prélats différents[4]. Cette situation a des retombées négatives à la fois politiques et religieuses :

« On a dit, avec raison, que les inconvénients de cet ordre de choses étaient très-graves ; les évêques étrangers et leurs officiers se permettaient souvent des abus de pouvoir, au préjudice des droits des citoyens et des libertés nationales, même au détriment des prérogatives et de la dignité du souverain. D'autre part les intéressés, dans les causes ecclésiastiques, devaient se pourvoir en appel devant des tribunaux éloignés et situés hors du pays, recours difficile, et même périlleux, en temps de guerre. Mais cet état de choses était plus préjudiciable encore aux intérêts de la religion. L'étendue des diocèses (dans celui d'Utrecht on comptait près de 1,100 églises et plus de 200 villes fermées) empêchait les évêques de diriger et de surveiller convenablement leur clergé. Il en résultait que les ecclésiastiques s'acquittaient de leurs devoirs avec négligence, que le relâchement s'était introduit parmi eux, et que ce désordre favorisait les partisans des innovations religieuses[4]. »

Durant la guerre contre le roi de France Philippe le Bel, le Comte de Flandre a tenté d'obtenir du Pape un évêché distinct et indépendant de Tournai, le siège de l'évêché étant alors en terre française[5],[6]. Dès le XIIIe siècle, les Ducs de Brabant font des tentatives infructueuses de soustraire le Brabant de l'autorité spirituelle du Prince-évêque de Liège[7],[8],[9]. Ces tentatives sont reprises par les Ducs de Bourgogne, Charles le Téméraire puis Maximilien essayent d'installer de nouveaux sièges épiscopaux à Maestricht, Namur et Louvain[10].

Sous Charles Quint, les propositions de nouveaux évêchés ne sont plus restreintes : convaincu dès les premières années de son règne de la nécessité d'une réorganisation ecclésiastique complète, ce dernier s'est efforcé d'ouvrir des négociations à Rome pour cet objet dès que l'entente entre le Saint-Siège et lui était bonne[11]. Une de ses tentatives les plus proches d'aboutir sont les discussions commencées en 1522 avec son ancien tuteur Adrien Florent devenu le pape Adrien VI par l'intermédiaire du Vice-roi de Naples Charles de Lannoy et de son ambassadeur à Rome Luis Fernández de Córdoba, duc de Sessa, mais la mort prématurée d'Adrien VI et les graves différents entre l'empereur et le successeur Clément VII font échouer la manœuvre[12]. C'est de cette époque que date le grand plan de réorganisation mis sur pied le 31 octobre 1524 par la gouvernante des Pays-Bas Marguerite d'Autriche[13]. Les négociations ne reprennent qu'après la réconciliation des deux hommes en 1529. L'objet des discussions est la création de nouveaux sièges épiscopaux à Leyde, à Middelbourg, à Bruxelles, à Gand, à Ypres et à Bruges; le duché de Gueldre et le Comté de Zutphen ne faisant pas encore partie de ses États[12], contrairement à Tournai et Utrecht où Charles Quint a retiré les pouvoirs temporels de leur évêque respectivement en 1521 et 1528[14]. Les négociations sont de nouveau closes, les raisons de ce nouvel échec seraient selon Théodore Juste les nouvelles guerres auxquelles doit faire face l'empereur mais également son souci de ne pas diminuer, par l'établissement de nouveaux évêchés, la puissance et l'autorité de son oncle le prince-évêque Georges d'Autriche. Néanmoins, Charles Quint recommande à son fils Philippe II en 1556 de prendre à cœur cette ambition de réorganisation religieuse comme l'un des principaux conseils pour son futur règne[12],[13].

En pleine lutte contre le protestantisme, Charles Quint et Philippe II se rendent compte que l'organisation territoriale n'est pas le seul problème mais que la hiérarchie ecclésiastique doit également être assainie, situation dans laquelle les souverains ont leur part de responsabilité :

« En se répandant si rapidement, malgré l'oppression, la Réforme témoigne du mal dont est alors atteinte l'Église romaine. Celle-ci est devenue un instrument aux mains des souverains et autres puissants qui l'utilisent pour des objectifs peu religieux. C'est ainsi que Granvelle est nommé évêque d'Arras à l'âge de vingt et un ans, en récompense des services de son père, l'un des serviteurs les plus dévoués de Charles-Quint. Les bénéfices des évêchés et chapitres les plus riches ne servent pas seulement de dotation aux cadets de la noblesse ou, dans le meilleur des cas, aux savants comme Érasme. Dans les environs de Louvain et dans une grande partie du Brabant, un véritable désert pastoral naît du détournement des masses financières prévues pour le soin des âmes, qui servent à payer des professeurs d'université[15]. »

Selon Henri Pirenne, la démarche du successeur de Charles Quint est avant tout motivée par des nécessités religieuses, même s'il y a d'indéniables avantages politiques dans le succès d'une telle entreprise :

« Et sans doute, en demandant au pape le remaniement complet des circonscriptions diocésaines des Pays-Bas, Philippe II ne fut point sans se préoccuper de l'avantage de l'État, mais, bien différent de ses prédécesseurs, il eut en vue avant tous les nécessités religieuses. Il voulut, par l'augmentation du nombre des évêques et par la diminution du territoire confié à chacun d'eux, les mettre à même d'agir plus efficacement sur les fidèles, de mieux veiller au maintien rigoureux de l'orthodoxie et de seconder ainsi sa campagne contre le protestantisme[16]. »

Le 12 mai 1559 après des années de jeux d'influence, Philippe II obtient du pape Paul IV dans sa bulle Super universas l'autorisation de créer quatorze nouveaux évêchés dans les Pays-Bas, une réorganisation considérée par des historiens comme Ernst Marx comme la plus grande œuvre en faveur du catholicisme depuis un demi-siècle[17]. Le roi reçoit également le droit de nommer des évêques, à la condition qu'ils soient docteurs en théologie ou licencié en droit canon[15].

Annexes

Bibliographie

  • Michiel Leopold Dierickx, L'érection des nouveaux diocèses aux Pays-Bas 1599-1570., Bruxelles, La Renaissance du Livre, coll. « Notre Passé », 1966, 148 p. 
  • Michiel Leopold Dierickx, Documents inédits sur l'érection des nouveaux diocèses aux Pays-Bas (1521-1570), 3 tomes, Éd. M. Dierickx, Bruxelles, 1960-1962.
  • (nl) Michiel Leopold Dierickx, De oprichting der nieuwe bisdommen in de Nederlanden onder Filips II. 1559-1570., Anvers, N.V. Standaard-Boekhandel, 1950, 347 p. 
  • (nl) Folkert Postma, Nieuwe licht op een oude zaak : de oprichting van de nieuwe bisdommen in 1559 in Tijdschrift voor Geschiedenis no 103, Éd. Royal Van Gorcum, Utrecht, 1990, p. 10-27.
  • Édouard de Moreau, Histoire de l'Eglise en Belgique, vol. V : L'église des Pays-Bas 1559-1633, Bruxelles, L'Edition universelle, 1952, 594 p. 
  • Théodore Juste, Histoire de la révolution des Pays Bas sous Philippe II, t. I, Éd. Alex Jamar, Bruxelles, 1860 [lire en ligne]

Notes et références

  1. Henri Pirenne, Histoire de la Belgique, vol. III, Bruxelles, Max Lambertin, 1907 (réimpr. 1912, 1923), 511 p., p. 411 
  2. Henri Pirenne, Histoire de la Belgique, vol. IV, Bruxelles, Max Lambertin, 1911 (réimpr. 1917, 1927), 497 p., p. 349 
  3. Théodore Juste n'en compte que trois : «Les Pays-Bas ne possédaient jusqu'alors que trois évêchés : Tournai, Arras et Utrecht. Dans la plus grande partie du pays, la juridiction ecclésiastique était exercée par des évêques étrangers.» Théodore Juste, Histoire de la révolution des Pays Bas sous Philippe II, vol. I, Bruxelles, Alex Jamar, p. 164 
  4. a et b Théodore Juste, op. cit., p. 165
  5. Kervyn de Lottenhove, « Recherches sur la part que l'ordre de Citeaux et le Comte de Flandre prirent à la lutte de Boniface VIII et de Philippe le Bel », dans Mémoires de l'Académie Royale de Belgique, vol. XXVIII, 1853, p. 91 
  6. Édouard de Moreau, Histoire de l'Eglise en Belgique, vol. III : L'Église féodale : 1122-1378, Bruxelles, L'Edition universelle, 1945, 745 p., p. 275-277 
  7. Henri Pirenne, Histoire de la Belgique, vol. I, Bruxelles, Max Lambertin, 1900 (réimpr. 1902, 1909, 1917, 1928), 472 p. [lire en ligne], p. 231-232 
  8. Émile Fairon, « Un projet de démembrement du diocèse de Liège proposé par les Brabançons en 1332 et 1336 », dans Bulletin de la Commission Royale d'Histoire, vol. LXXVIII, 1909, p. 122 et suiv. 
  9. (nl) Michiel Leopold Dierickx, De oprichting der nieuwe bisdommen in de Nederlanden onder Filips II. 1559-1570., Anvers, N.V. Standaard-Boekhandel, 1950, 347 p., p. 26-28 
  10. Henri Pirenne, Histoire de la Belgique, vol. III, Bruxelles, Max Lambertin, 1907 (réimpr. 1912, 1923), 511 p., p. 412 
  11. (nl) M. L. Dierickx, op. cit., p. 32-43.
  12. a, b et c Théodore Juste, op. cit., p. 166
  13. a et b Édouard de Moreau, Histoire de l'Eglise en Belgique, vol. V : L'église des Pays-Bas 1559-1633, Bruxelles, L'Edition universelle, 1952, 594 p., p. 15 
  14. (en) Wim Pieter Blockmans, « The Formation of a Political Union, 1300-1588 », dans History of the Low Countries, Berghahn Books, 2006, 516 p. (ISBN 9781845452728), p. 116 
  15. a et b Lode Wils (trad. Chantal Kesteloot), Histoire des nations belges, [«Garant uitgevers»], Labor, 2e éd. (1re éd., Quorum, 1996), Bruxelles, 2005, 380p. (ISBN 2804021165), p. 73.
  16. Henri Pirenne, op. cit., t. III, pp. 412-413.
  17. (de) Ernst Marx, Studien zur Geschichte des niederländischen Aufstandes, Leipzig, Leipziger Studien aus dem Gebiet der Geschichte, 1902, p. 102 ; cité par Henri Pirenne, op. cit., p. 349.

Voir aussi

Liens internes


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