Zolkiewski

Zolkiewski

Stanisław Żółkiewski

Lesseur-Hetman Żółkiewski.jpg

Stanisław Żółkiewski (15471620), hetman ou général en chef des armées polonaises sous Sigismond III, fut élève de Zamoyski et l'un des premiers lieutenants de ce grand capitaine. Il naquit en 1547 dans la Russie rouge, d'une famille ancienne, illustrée par ses exploits militaires et par les dignités dont elle avait été de tout temps revêtue.

Son père, nommé aussi Stanislas, était palatin de la Russie rouge, c'est-à-dire qu'il occupait dans cette contrée la première charge civile et militaire. Le fils, en qui la nature avait réuni tous ses dons, fut élevé avec le plus grand soin, et dès sa plus tendre jeunesse il possédait très bien les anciens historiens et les auteurs classiques. Confié de bonne heure au grand Zamoyski, il le suivit dans ses expéditions militaires, et pendant la paix il en reçut des leçons de gouvernement et de politique. Le roi Etienne Battori, l'ayant bientôt distingué, lui accorda un avancement rapide et lui confia tous ses plans pour la guerre de Russie. Après la mort de ce monarque (1586), l'archiduc Maximilien entra en Pologne pour disputer la couronne à Sigismond III ; Zamoyski, marchant contre le prince autrichien, confia l'aile droite de l'armée royale à Zolkiewski. Le général tomba sur les Impériaux avec une telle impétuosité, qu'il les culbuta entièrement sous les murs de Witzen et les poursuivit jusqu'aux portes de la ville, quoiqu'il eût été grièvement blessé dès le premier choc.

Sigismond lui accorda en récompense le bâton de Hetman Polny, ce qui répond à la dignité de major général, ou de premier lieutenant du général en chef. Après avoir chassé les Tartares de la Russie rouge, Zamoyski donna ordre à Zolkiewski de marcher vers l'Ukraine et de faire rentrer dans l'obéissance les Cosaques, qui, devenus auxiliaires de l'empereur Rodolphe II, se servaient des armes et des munitions que leur avait envoyées ce prince pour ravager la Hongrie et la Russie rouge. Zolkiewski les entoura et s'empara de leur camp (1596), où il saisit la correspondance que la cour d'Autriche entretenait avec eux, ainsi que les canons et les drapeaux qu'elle leur avait envoyés. Quatre de leurs chefs qui avaient exercé des cruautés contre des soldats polonais furent mis à mort.

Un peu plus tard, les Suédois étant entrés en Livonie, et la Pologne leur ayant déclaré la guerre, Zamoyski, malgré son grand âge et ses infirmités, prit le commandement de l'armée, et emmena encore avec lui Zolkiewski, auquel il confia un corps d'élite chargé de marcher à l'ennemi pour le combattre. L'attaque fut vive et la bataille sanglante. Le chef des Suédois, Arnep, resta sur le champ de bataille, et Zolkiewski s'empara de son artillerie, de ses munitions et de la place de Weissenstein. Zamoyski, qui mourut peu de temps après (3 juin) donna à son digne élève un grand témoignage d'estime en le nommant tuteur de son fils unique ; mais il lui adjoignit pour collègue dans cette honorable fonction l'un des plus puissants magnats du royaume, le palatin Zebrzydowski, homme vain et ambitieux, qui ne tarda pas à se mettre à la tête d'une conjuration contre Sigismond.

Lubicz

Zolkiewski, resté fidèle à ce prince, fut chargé du commandement de l'aile gauche de l'armée royale à la bataille de Guzow (6 juillet 1607) où Sigismond obtint sur les révoltés une victoire complète. Les événements qui se développaient à la cour de Moscou appelèrent bientôt Zolkiewski sur un plus grand théâtre. Après la mort d'Ivan III, plusieurs aventuriers s'étant successivement emparés du trône des czars et en ayant été ensuite expulsés par des soulèvements, Sigismond III crut devoir profiter de ces circonstances, et proposa à la diète rassemblée à Varsovie de déclarer la guerre à la Russie, ce qui fut accepté.

Alors le monarque nomma Zolkiewski grand chancelier, lui donna le bâton de hetman et le chargea de diriger les opérations militaires. S'étant aussitôt mis en campagne avec une armée de 29 000 hommes, celui-ci voulait aller droit à Moscou, effrayer le nouveau tsar, Vassili V, mal affermi sur son trône, prendre sa capitale et réunir à la Pologne les provinces occidentales de la Russie ; mais, en exécutant un tel plan, il aurait pu acquérir plus de gloire qu'il ne convenait aux desseins de la reine Constance, seconde épouse de Sigismond.

Par l'influence de cette princesse, autant que par les intrigues des courtisans, le roi décida que l'on commencerait par assiéger Smolensk, qui, selon lui, devait se rendre à la première sommation. Contre son attente, ayant trouvé la place en très bon état, il envoya ordre aux princes Sapieha et à quelques autres magnats qui s'étaient avancés jusqu'auprès de Moscou pour soutenir le faux Démétrius II de venir joindre l'armée polonaise sous les murs de Smolensk. Tout cela te faisait contre les avis de Zolkiewski, qui représenta en vain que c'était agir en faveur du tsar que l'on voulait combattre. Moscou n'ayant bientôt plus rien à craindre, le tsar Vassili réunit ses forces pour aller délivrer Smolensk.

Outre les troupes russes, il avait 6 000 Suédois sous les ordres du comte de la Gardie et d'Edouard de Horn, 1 000 Français commandés par Pierre de la Ville, et un corps de troupes allemandes. Cette armée, forte de 30 000 hommes, s'avançait sous les ordres du prince Démétrius Vassili, frère du tsar, pour débloquer Smolensk. Zolkiewski prend aussitôt la résolution de marcher contre elle ; et, ne pouvant supporter la pensée d'être attaqué dans ses lignes, il se met à la tête de 8 000 hommes d'élite, laisse le roi devant Smolensk avec le reste de l'armée, se dirige vers la route de Moscou et atteint l'ennemi près de Kluszin (8 juillet 1610). Il l'attaque avec cette poignée de braves, le met dans le plus grand désordre et se présente devant Moscou, qui lui ouvre ses portes.

Les habitants lui livrent le tsar Vassili, les princes Démétrius et Ivan ses frères, proclament le jeune prince Vladislas, fils aîné de Sigismond, et lui prêtent serment de fidélité entre les mains de Zolkiewski. On promit pour le jeune prince qu'il embrasserait la religion grecque, qu'il n'emmènerait avec lui qu'un nombre déterminé de troupes polonaises, et que ces troupes se tiendraient à une certaine distance de Moscou.

Le diplôme de l'élection fut remis à l'archevêque Philarète, métropolitain de Rostock, et au prince Vassili de Gallitzin, qui furent chargés de se rendre au camp devant Smolensk, près du roi, et de le prier de vouloir bien envoyer sans retard le prince Vladislas, pour occuper le trône des tsars. Sigismond, loin de montrer de la joie d'un si heureux événement, reçut les députés avec hauteur et donna même ordre de les jeter dans les fers. Dans cette occasion, le faible monarque n'agit évidemment que par l'influence de la reine Constance, qui, jalouse de Vladislas, fils d'Anne sa sœur[1], et voulant faire tomber la couronne de Russie sur la tête de son propre fils, pressait le vieux Sigismond de garder cette couronne pour lui-même et de ne point l'accorder à son fils aîné.

Zolkiewski, indigné, laissa son corps d'armée sous les ordres d'un de ses lieutenants, et, sous prétexte d'aller au-devant du jeune Vladislas, il se rendit à Varsovie, où il fut reçu en triomphe et avec une pompe dont on n'avait point d'exemple en Pologne. Monté sur un char richement orné de trophées, il précédait d'autres chars où étaient assis le tsar Vassili V, ses deux frères, Démétrius et Ivan, presque tous les membres du sénat russe, le patriarche de Moscou et un grand nombre de boyards. Le tsar et ses deux frères, vêtus de robes de pourpre, portaient les marques de leurs dignités. Il est impossible de se représenter l'ivresse des Polonais à l'aspect d'un cortège qui leur rappelait toute la gloire des anciens Romains.

Après avoir traversé la ville, le triomphateur entra dans la salle où la diète était assemblée. présenta au roi et à la nation polonaise le souverain russe et les autres personnages que le sort des armes avait remis entre ses mains, et il prit ensuite sa place comme grand chancelier. Semblant oublier ce qu'il avait fait, ne disant pas un mot de ses exploits, il déplora en termes affectueux et touchants le sort de ceux qui, par les événements de la guerre, étaient tombés de si haut. Après la séance, il entra chez le roi, et lui dit franchement que tous les efforts de la valeur et de la sagesse venant échouer contre les intrigues de sa cour, il avait résolu de ne plus prendre aucune part à la guerre de Russie.

Depuis que Zolkiewski avait quitté Moscou, la position du lieutenant qu'il y avait laissé était devenue extrêmement difficile. Les soldats, qui ne recevaient point de paye et qui avaient un service très difficile, faisaient entendre des murmures, et le mécontentement était encore beaucoup plus grand parmi les habitants. Ils ne parlaient qu'avec indignation du roi Sigismond, de sa hauteur et de sa politique, que rien ne pouvait expliquer. Des rassemblements secrets avaient lieu, et à un signal donné on avait sonné le tocsin, on avait pris les armes pour se jeter sur les Polonais. Le lieutenant, digne de son chef, sut ranimer le courage de sa faible garnison. Tombant sur les habitants, il les repoussa si vigoureusement qu'ijs laissèrent sur la place plus de 6 000 des leurs. La ville fut pillée, ainsi que le trésor des tsars, d'où les Polonais enlevèrent le sceptre, la couronne et les autres insignes de l'autorité souveraine.

Chargés de dépouilles, ces Polonais souillèrent leur gloire en mettant le feu à la ville de Moscou, qui, selon le témoignage des historiens, comptait alors cent quatre-vingt mille maisons, construites en bois. Tout devint la proie des flammes[2].

La garnison sortit en plein jour, en bon ordre, et ravagea les domaines royaux. Moscou choisit un nouveau tsar, Michel Fédor ou Théodore, fils de ce métropolitain que Sigismond avait jeté dans les fers. Enfin le monarque, ouvrant les yeux, envoya son fils Viadislas, avec le général Chodkiewicz, pour reconquérir une capitale que Zolkiewski avait inutilement offert de lui remettre. L'armée polonaise s'avança jusque sous les murs de Moscou, mais elle ne put s'en emparer.

Une paix honorable pour la Pologne fut conclue le 10 janvier 1619. Le principal article du traité portait que le jeune prince rendrait le diplôme de l'élection passé entre la nation russe et Zolkiewski. Vladislas, qui agissait avec franchise, fit en vain chercher cet acte dans les archives de la couronne. On croit que la reine Constance l'avait fait disparaître.

Pendant ce temps, les relations étroites de Sigismond avec la cour d'Autriche avaient inquiété la Porte ottomane. Bethléem Gabor, prince de Transylvanie, également mécontent du roi de Pologne, à qui il reprochait les secours donnés à l'Autriche et les obstacles apportés à son projet de s'emparer de la couronne de Hongrie, excitait les Turcs contre la Pologne. Gaspard Gratian, que la Porte avait nommé hospodar de la Moldavie, après les arrangements pris avec Zolkiewski, penchait intérieurement pour la Pologne. Il prévenait le roi des préparatifs que faisait la Turquie, et témoignait le désir sincère d'en secouer le joug et de remettre de nouveau la Moldavie entre les mains de ses anciens maîtres.

La Porte, instruite de cette intrigue, donna ordre à Skinder Bacha d'entrer en Moldavie et d'arrêter Gratian. À force de prières et de promesses, l'hospodar fit décider qu'on lui donnerait des secours ; et Zolkiewski reçut ordre d'entrer en Moldavie, Gratian l'assurant qu'il viendrait le joindre à la tête de ses troupes. Le général polonais passa les frontières (1620), à la tête de 8 000 hommes, se confiant à sa fortune, à la valeur de ses soldats et aux secours que l'hospodar lui annonçait ; mais celui-ci n'avait entrainé que 600 hommes de cavalerie, lorsque les Polonais virent fondre sur eux une nuée de Tartares et de Turcs. Zolkiewski fît tous ses efforts pour inspirer du courage à sa petite troupe, et elle repoussa vivement les premières attaques. Le lendemain, il fit venir tous les chefs de corps et leur annonça qu'il avait pris la résolution d'attaquer ; que, si l'issue de la bataille ne lui était point favorable, il ferait sa retraite pendant la nuit.

Kalinowski, le prince Korecki et Nicolas Strus, qui depuis longtemps portaient envie à la gloire de leur chef, dirent hautement que l'on n'était point en mesure de combattre ; et, pendant le reste de la nuit, ils allèrent de tente en tente pour gagner les autres chefs. Avant le point du jour ils abandonnèrent leur général et prirent la fuite. Le ciel ne laissa point cette lâcheté impunie. Kalinowski se noya en voulant passer le Pruth ; Gratian et plusieurs autres furent atteints et mis à mort par les Tartares. Zolkiewski, ainsi abandonné, ne perdit point courage ; et, depuis le 30 septembre [[|]]jusqu'en octobre, il exécuta sa retraite avec autant de bonheur que de présence d'esprit.

Malgré son grand âge, il était partout ; et sa petite troupe faisait toujours bonne contenance. Déjà l'on touchait aux frontières de la Pologne ; mais, dans la nuit du 6 octobre 1620, des lâches répandent l'alarme parmi les soldats, espérant s'enfuir plus facilement. Les Turcs et les Tartares, instruits. du désordre, eurent bientôt pris d'assaut le camp polonais. La nuit était obscure, tout fut massacré. Les deux fils de Zolkiewski, quoique blessés l'un et l'autre, se placèrent devant leur père ; et tous les trois périrent glorieusement, après avoir vendu chèrement leur vie. Quand le jour fut venu, et que l'on put reconnaître le corps du général en chef, les Turcs lui coupèrent la tête, qui, seion leur usage féroce, fut promenée dans leur camp, puis envoyée à Constantinople et portée en triomphe dans les rues.

C'est ainsi qu'à l'âge de 73 ans périt un général qui avait rendu de si grands services à sa patrie.

On trouve dans le recueil de Lubienski, évêque de Plock, p. 185, une lettre où ce grand homme a décrit les événements de cette dernière guerre jusqu'au moment de sa mort. En 1786, Constance Bembowska a composé, en polonais, une élégie touchante sur les exploits et la mort de Zolkiewski. Julien-Ursin Niemcewicz, président de la société royale des amis des sciences de Varsovie, a fait aussi une élégie sur Zolkiewski, qui est insérée dans le Spiewy historyczne z Muzykon i Rycinami, ou Chants historiques, etc., Varsovie, 1819, in--8 °. On y trouve une notice historique sur Zolkiewski, avec une gravure qui représente la séance où le général présenta au roi et à la diète le tsar moscovite.

Starowoiski, dans ses Sarmatice. Bellatores (Breslau, 1733, in-4°, p. 158). s'exprime ainsi :

« Ce général, si grand par son origine et par ses exploits, avait conservé les mœurs des anciens. II parlait peu et agissait beaucoup. Après avoir passé par tous les grades de la milice, il défit dans les plaines de Kluszin une armée innombrable il s'empara de la capitale des Moscovites, et conduisit en triomphe leur souverain. Enfin, il força la nation russe à jurer foi et hommage au prince Vladislas… Selon l'usage des Lacédémoniens, il ne demandait jamais combien d'hommes l'ennemi comptait dans ses rangs, mais où il était campé. Partout il a été grand : il me fut surtout lorsque, étant entré dans la Valachie pour s'emparer de cette province que Gaspard Gratian soumettait à la Pologne, il soutint, dans les plaines de Cecora, avec quelques cohortes décimées par l'indiscipline, les attaques réitérées des Turcs et des Tartares. Pressé par ces barbares, ayant à relever le courage de ses soldats, il veillait surtout à ce qu'ils observassent la discipline, et que dans leurs défaites ils ne ternissent point leur gloire. Pendant huit jours il s'était retiré en bon ordre, et il approchait du Dniester, lorsque, vers la seconde veille de la nuit, des lâches l'abandonnèrent afin de gagner plus promptement le fleuve. Les barbares, instruits du désordre, pénétrèrent dans le camp ; ceux qui entouraient le chef furent massacrés avec lui, et sa tête, placée au haut d'une pique, fut promenée dans tout le camp, puis envoyée a Constantinople et montrée en triomphe aux musulmans. Quelle honte pour nous ! ce n'est point l'ennemi, ce sont nos discordes qui ont triomphé de Zolkiewski. »

Son corps, rapporté à Zolkiew, fut placé dans le tombeau de ses ancêtres, à côté de celui de son épouse. Plus tard, ses amis et ses parents y réunirent sa tête, qu'ils achetèrent des barbares à prix d'or.

Notes

  1. Sigismond avait successivement épousé deux sœurs, archiduchesses d'Autriche
  2. Dans quatre cent trente ans, Moscou a été brûlé trois fois ; le 27 août 1382, par Toktamiscli ; en 1611, par les Polonais, et en 1812, par les Français.

Source

« Stanisław Żółkiewski », dans Louis-Gabriel Michaud, Biographie universelle ancienne et moderne : histoire par ordre alphabétique de la vie publique et privée de tous les hommes avec la collaboration de plus de 300 savants et littérateurs français ou étrangers, 2e édition, 1843-1865 [détail de l’édition]

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