- Ur-Kassdim
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Ur (Mésopotamie)
Pour les articles homonymes, voir Ur.Ur (Our, en akkadien Uri(m)), actuellement Tell al-Muqayyar, est l'une des plus anciennes villes de Mésopotamie, sur le fleuve Euphrate dans l'Antiquité, et proche du golfe Persique. Elle est située dans l'actuel Iraq. Elle était une ville sumérienne, très puissante au IIIe millénaire av. J.-C. Dans l'Ancien Testament, « Ur en Chaldée » (Ur-Kasdim) est la ville d'origine du patriarche Abraham.
Tell Muqayyar est sondé pour la première fois en 1854 par le consul britannique de Bassora, J. E. Taylor, qui travaillait pour le British Museum. C'est Henry Rawlinson qui a reconnu en ce site la cité antique d'Ur de Chaldée. Malgré la venue de quelques archéologues américains après cela, le site ne fut pas fouillé avant les années 1920. C'est l'archéologue britannique Leonard Woolley, arrivé sur le site en 1919, et assisté par son compatriote Max Mallowan de 1925 à 1931, qui fit le plus gros des fouilles d'Ur pour le compte du British Museum et de l'Université de Pennsylvanie. Entre 1919 et 1934, il dirigea plusieurs missions archéologiques sur Tell Muqqayar, sa plus grande découverte étant le cimetière royal, mis au jour en 1922. Les résultats des fouilles mirent une trentaine d'années avant d'être tous publiés, dans les séries Ur Excavations (sur les fouilles archéologiques) et Ur Excavations Texts (tablettes exhumées sur le site). Bien après son départ, les autorités iraqiennes ont entrepris la restauration de la grande ziggurat.
Sommaire
Périodes archaïques
Les premiers temps d’Ur
Les sondages réalisés sur le site de Tell Muqqayar révèlent qu’il est habité depuis la période d'Obeïd (qui tire son nom d’une cité située à 6 km à l’ouest, qui est un faubourg d’Ur aux époques historiques), et d'Uruk/Djemdet Nasr, mais rien de plus ne nous est connu de ces périodes à Ur. Pour la période suivante, celle des Dynasties archaïques (DA), les archéologues ont effectué la découverte la plus fameuse réalisée sur le site, celle des tombes royales des souverains Meskalamdug et Akalamdug, qui ont sans doute régné vers 2600. Ces derniers ne sont pas mentionnés dans la Liste royale sumérienne, texte largement postérieur aux périodes archaïques, qui rapporte les noms de souverains que la tradition sumérienne a conservé. Ce document mentionne deux dynasties ayant dominé la basse Mésopotamie depuis Ur : la première, fondée par Mesannepada, serait à situer vers le XXVe siècle. Le souverain fondateur est attesté par des inscriptions à Mari, qui font de lui le fils de Meskalamdug. Il porte le titre de « roi de Kish », ce qui indique qu'il exerce l'hégémonie sur la basse Mésopotamie. Aennepada, son fils et successeur, est attesté par une inscription mentionnant la construction d’un temple de Ninhursag à el Obeïd sous son règne[1]. La deuxième dynastie d’Ur, qui compte quatre rois, daterait du siècle suivant, mais ces souverains ne sont pas attestés autrement que par la Liste royale. Les premiers temps du site d’Ur ne sont en fait essentiellement connus par des documents de l’époque provenant du site que grâce à deux découvertes : celle de tablettes administratives de l’époque du Dynastique archaïque I ou II (2900-2750 et 2750-2600), et celle des tombes royales. Les fouilles ont également révélé l'existence d'un temple sur plate-forme bâti dès l'époque d'Uruk au futur emplacement de la ziggurat (voir plus bas). Elle a été reconstruite à deux reprises au DA.
Les tablettes archaïques et les sceaux de cités
Dans un secteur situé à proximité de l’Ehursag ont été mis au jour un ensemble de près de 400 tablettes datant de la fin du DA I ou du début du DA II (autour de 2800-2700)[2]. On y a retrouvé de nombreuses empreintes de sceaux-cylindres, ce qui fait que les niveaux comprenant ces documents ont été baptisés Seals Impressions Strata (SIS). Ces tablettes ont manifestement été mises au rebus, et ont donc été trouvées hors contexte. Il s’agit des archives du temple du dieu-lune Nanna (ÈŠ.NANNA), divinité tutélaire de la cité, mentionnant des domaines agricoles en sa possession, et des listes de travailleurs (jardiniers, vignerons, brasseurs, forgerons, etc.). Ces textes nous informent également sur les autorités administratives de la ville et du pays de Sumer : ce sont les premiers à mentionner des personnages comme le LUGAL ( généralement le « roi »), l’ENSÍ (« vicaire », autre personne exerçant un pouvoir royal), le SANGA (un prêtre) ou l'UKKIN.GAL (« grand de l'assemblée »). Mais si on connaît les titres, on ne sait rien de la fonction exacte de ces personnages.
D’autres documents importants datant de cette période sont les sceaux au nom des cités de Sumer, retrouvés sur des morceaux d’argile ayant servi à sceller des jarres ou des portes[3]. Des empreintes de même type ont été retrouvées pour l’époque précédente sur le site de Djemdet Nasr. Ces sceaux représentent plusieurs villes de basse Mésopotamie, dans un ordre parfois prédéfini, qui à Jemdat Nasr placent Ur en première position (devant Nippur, Larsa et Uruk), montrant peut-être qu’elle exerce une sorte de prééminence. Il s’agit manifestement de preuves d’une association de ces cités, même si on ignore sa finalité exacte : à l’exemple de ce qui se passe sous la Troisième dynastie d'Ur avec le système du BALA, on a supposé qu’il s’agissait d’une sorte d’amphictyonie, visant à ce que chacune des cités participe (peut-être à tour de rôle) au culte de certaines divinités (Inanna d’Uruk étant la meilleure candidate), en envoyant notamment des denrées alimentaires en sacrifice[4].
Les tombes royales
La découverte par Leonard Woolley du cimetière royal d'Ur reste l’une des principales trouvailles de l’archéologie de la Mésopotamie antique[5]. Bien qu’on qualifie cet ensemble de sépultures de « royal », il s’agit en fait de plus de 1 800 sépultures, retrouvées dans un périmètre de 50 x 70 mètres, concernant tout le spectre social de la ville d’Ur entre le XXVIe et le XXIIIe siècles (les tombes les plus récentes datent de la période d'Akkad). Beaucoup sont des inhumations simples, mais il existe des tombes collectives. La plupart n’ont livré qu’un matériel rudimentaire (céramiques), certaines des objets en métal plus ou moins précieux, montrant qu’on est en présence de personnes plus importantes, sans doute impliquées dans l’administration du temple ou du palais. Une vingtaine de sépultures se place au-dessus du lot par sa richesse, et y reposent sans doute de hauts dignitaires du royaume.
Mais le gros morceau reste l’ensemble des 5 tombes les plus prestigieuses, qui au regard du matériel livré semblent êtres celles de roi, même si on n’a pas de certitudes pour toutes, puisque seules celles des rois Meskalamdug et Akalamdug, et de la reine Pu-abi ont pu être identifiées grâce à des inscriptions. La première (PG 755) est une tombe en fosse classique, mais qui renfermait un matériel archéologique très riche, notamment une coiffe d’apparat en or. Les autres tombes sont voûtées, et accessibles par un couloir. Le plus frappant, en dehors de la richesse des tombes non pillées dans l’Antiquité, est le fait que les souverains sont enterrés avec certains de leur serviteurs, sacrifiés à l’occasion, fait unique dans l’histoire mésopotamienne. On en trouve 78 dans la « tombe du roi » (RT 789), avec 5 bœufs tirant deux chariots, une quarantaine dans celle d’Akalamdug (RT 1080), 17 (plus 2 bœufs) dans celle de Pu-abi (RT 800), et 74 dans le « puits de la mort » (RT 1237). Les défunts sont richement vêtus, les soldats sont en tenue de combat, et les musiciennes sont enterrées avec leurs instruments. Ces personnes sont apparemment mortes de façon volontaire, la disposition des corps ne montrant aucun désordre.
Les tombes royales d'Ur ont livré des objets de très belle facture, témoignant de la grande maîtrise des artisans sumériens de l’époque, notamment en ce qui concerne l’orfèvrerie et la métallurgie[6]. On y a retrouvé de la vaisselle de luxe, des armes finement réalisées (des poignards en or notamment), un char de trait que l'on a pu remonter, des statuettes, sceaux-cylindres, etc. Parmi les œuvres les plus fameuses, on peut mentionner une lyre de bois, décorée d'une tête de taureau ; une sculpture représentant un bouquetin agrippé à un buisson dont il semble se nourrir des feuilles, mesurant 42 cm, réalisée en bois plaqué d'or, de lapis-lazuli, d'argent, nacre et d'autres matières. L'étendard d'Ur est une œuvre de 20 cm de haut et 47 de long, retrouvée dans la tombe PG 779. Elle est réalisée en nacre, avec du lapis-lazuli. La parure de la reine Pu-abi est également impressionnante : diadème, constitué de feuilles d'or, divers en or, lapis-lazuli, cornaline, ainsi que d'autres pierres précieuses.
Fin du Dynastique archaïque et période d’Akkad
L’histoire de la ville d'Ur au DA III (2600-2340) nous est à peine mieux connue que celle des époques précédentes. Il est possible que le souverain Enshakushana d'Uruk, qui semble dominer le sud Mésopotamien après sa victoire contre le roi Enbi-Ishtar de Kish, soit un descendant des rois d’Ur, installé dans la ville voisine. Ur et Uruk semblent en effet faire partie d’un même ensemble politique au DA III. De fait, on ne trouve de mention que de rois d’Uruk dans les inscriptions datant de cette période, retrouvées notamment à Girsu, dans l’État de Lagash. Uruk tombe finalement sous la coupe de Lugal-zagesi, originaire d'Umma, qui domine toute la basse Mésopotamie un cours laps de temps, avant d’être défait par Sargon d'Akkad vers 2340. Seules des sépultures et quelques inscriptions témoignent de la situation d’Ur à la période d'Akkad (jusqu’au XXIIe siècle).
Ur sous la Troisième dynastie
Après la chute de la dynastie d'Akkad, la basse Mésopotamie est apparemment soumise un temps à des rois Gutis, avant que des souverains d’extraction locale reprennent les choses en main. C’est le cas d’Utu-hegal d’Uruk, qui est peut-être le frère d’Ur-Nammu, personnage qui monte sur le trône d'Ur après l’avoir vaincu, et règne de 2112 à 2095. Celui-ci est considéré par la tradition mésopotamienne comme le fondateur de la Troisième dynastie d'Ur (abrégé en Ur III). Lui et son fils et successeur Shulgi (2094-2047) fondent un puissant Empire qui domine toute la Mésopotamie jusqu’à la fin du XXIe siècle[7].
Ur devient donc la capitale d’un puissant royaume durant tout le XXIe siècle. Il semble que tous les rois d’Ur n’y aient pas forcément résidé : ils ont pu lui préférer Nippur ou la ville voisine de Puzrish-Dagan. Mais il n’empêche qu’ils effectuent de grands aménagements dans ce qui reste l’une des principales cités du sud mésopotamien, qui connaît alors un apogée. Cette dynastie est documentée par un très grand nombre de documents cunéiformes, provenant en majorité d’Umma et de Puzrish-Dagan. Ur elle-même a livré environ 4 000 textes administratifs de cette période, montrant les activités du temple de Nanna (agriculture, commerce, artisanat)[8].
Plan et extension de la cité
Ur était protégée par une enceinte qui délimitait un espace de 63 hectares. Les murs étaient construites sur un talus en briques crues, qui est large de 25 à 35 mètres, et s’élevait sur environ 8 mètres. La muraille proprement dite était en briques cuites, mais il n’en reste plus rien aujourd’hui. Par endroits, des édifices sont incorporés dans les remparts, notamment des temples.
L’enceinte était bordée par des cours d’eau : l’Euphrate à l’ouest, et un canal artificiel à l’est. Ils conduisaient à deux ports : le « port nord » et le « port ouest ». Ce dernier avait un bassin de 105 x 155 mètres, et était fermé par des jetées laissant une ouverture de 9 mètres ; des installations de stockage ont été dégagées sur ses quais. Ur était un port fluvial très dynamique, ouvrant sur le Golfe persique. Ses marchands allaient faire de fructueuses affaires à Dilmun (Bahreïn) et Magan (Oman)[9].
La cité s’étendait bien au-delà de l’enceinte. On estime que cette dernière ne comportait qu’un quart à un sixième de l’agglomération. Des prospections ont montré que de nombreuses habitations se trouvaient à proximité de la ville. Il faut également prendre en compte le voisinage de villes anciennes et relativement importantes, comme Eridu et el Obeïd, dont les rois d’Ur III restaurent les sanctuaires principaux.
Le sanctuaire de Nanna
La zone officielle d’Ur se trouvait à mi-chemin entre les deux ports, dans la partie nord-ouest. Elle gravitait autour du sanctuaire du dieu Nanna/Sîn, l’É.KIŠ.NU.GAL (« Maison de la grande lumière »). On y trouvait sans doute un temple sur terrasse dès la période d'Uruk. Ur-Nammu procéda à de grands réaménagements qui modifièrent sa physionomie[10].
La partie sacrée se trouvait protégée par un mur intérieur, et organisée autour de deux cours bâties sur une terrasse artificielle. Dans la cour occidentale, mesurant 140 mètres sur 135, se trouvait l’édifice principal, la ziggurat, nommée É.TEMEN.NI.GUR (« Maison au fondement imposant »). Sa base est un rectangle de 62,50 x 43 mètres. Elle est construite en briques crues à l’intérieur, le revêtement extérieur étant fait en briques cuites. Le premier étage s’élève à 11 mètres, et a été conservé, avec la base du deuxième, qui mesure 36 mètres de long pour 26 de large, et devait s’élever à 6 mètres environ. Un troisième étage aujourd’hui disparu portait le temple édifié au sommet de la ziggurat. La cour comprenant la ziggurat était ouverte par une entrée monumentale, É.DUB.LA.MAH, « Maison pivot de la porte exaltée », par où passaient le roi et la grande prêtresse de Sîn lors des principales cérémonies religieuses. Ce lieu est également un dépôt d’archives, et un endroit où l’on rendait la justice. La cour située à l’est est appelée « cour de Nanna ». Elle mesure 65,7 x 43,6 mètres, et est entourée par un mur double comprenant plusieurs chambres.
Au sud de la cour de la ziggurat, contigu à l’enclos sacré, on avait édifié l’É.GI.PAR.KU/Giparu(m), mesurant 79 x 76,50 mètres[11]. Ce bâtiment était divisé en deux parties, séparées par un corridor. Au sud, l’É.NUN était un temple dédié à la déesse Ningal, parèdre de Sîn. Une porte monumentale ouvrait cet édifice ; deux anti-chambres ouvraient sur une petite cour, d’où on accédait à la cour principale, ouvrant vers la cella, de forme barlongue. Cette partie de l’édifice comprenait des cuisines, sans doute dédiées à la préparation des mets pour le culte de la déesse. On y a trouvé des foyers de cuisson, ainsi que des fourneaux. La partie nord était la résidence de la grande prêtresse du dieu Nanna, qui était l’épouse terrestre de celui-ci. On y trouve plusieurs cours, organisant l’édifice entre une partie publique et une partie privée, comme pour les maisons de particuliers. Les anciennes prêtresses étaient enterrées sous le bâtiment, dans des tombes voûtées.
Un dernier édifice cultuel, le GA.NUN.MAH, se trouvait au sud-est de la cour orientale. De forme carrée, ayant une base de 57 mètres de côté, il servait sans doute d’entrepôts pour le service des dieux.
L’Ehursag et le mausolée royal
Le seul édifice fouillé qui s’approche d’un palais royal est l’É.HUR.SAG (« Maison-montagne »), bâtiment carré d’une base de 55 mètres de côté, localisé au sud-est du sanctuaire de Nanna, dans la partie centrale de la cité, vers l’emplacement des anciennes tombes royales. Le plan de l’édifice semble s’organiser autour de deux ensembles : un privé, et un public, ayant chacun ses propres pièces. Une grande cour ouvre sur une salle allongée qui semble être une salle du trône. Les inscriptions de fondation retrouvées dans l’édifice semblent pourtant indiquer une fonction cultuelle. On peut supposer que ce palais a servi de résidence à Ur-Nammu et Shulgi, avant de prendre une fonction de sanctuaire quand ceux-ci ont été divinisés. Certains hymnes confèrent à l’édifice une fonction de lieu de culte des rois d’Ur.
En continuant vers le sud-est, on trouve les mausolées où étaient enterrés deux rois de la Troisième dynastie. Shulgi fit apparemment édifier une première partie pour être son propre tombeau : un bâtiment sert à son culte, tandis qu’une tombe voûtée est destinée à accueillir sa dépouille. Amar-Sîn fit par la suite édifier de nouveaux tombeaux.
La chute d’Ur
Le royaume d’Ur s’affaiblit au cours des dernières décennies du XXIe siècle. Sous le règne du roi Ibbi-Sîn, une grande partie du royaume est perdue, et des cités commencent à faire sécession à l’intérieur même du pays de Sumer. La région connaît alors une crise grave, quand Isin se sépare d’Ur sous la direction d’Ishbi-Erra, dont le règne est tenu pour commencer en 2017. Dans ce contexte difficile, marqué notamment par des incursions de nomades amorrites, ce sont les Élamites qui envahissent le pays de Sumer en 2007 une première fois, puis en 2004, date à laquelle ils réussissent à prendre Ur, déposant Ibbi-Sîn, qui est amené en Élam.
Cet événement dramatique a apparemment marqué les consciences en basse Mésopotamie, et la période de la chute de la Troisième dynastie d'Ur a fait l’objet de cinq textes appelés par les chercheurs modernes « lamentations ». On compte parmi eux une Lamentation sur la destruction d’Ur, et une Lamentation sur la destruction de Sumer et d’Ur[12]. Ces récits comprennent des descriptions des malheurs qu’a subi cette ville durant ces temps difficiles, en leur donnant une tournure catastrophique, présentant la destruction comme un retour à l’état sauvage là où auparavant une brillante civilisation s’était épanouie. Ils restent néanmoins très vagues sur les événements mêmes. Il s’agit en fait de textes produits quelques décennies après les faits à l’initiative des souverains d’Isin, cherchant à justifier la chute des rois d’Ur à cause de la perte de l’appui divin dont ils disposaient précédemment, et à légitimer leur propre domination sur le pays de Sumer.
Période paléo-babylonienne
Ur à l’époque des rois amorrites
Après la chute de la IIIe dynastie sous les coups des Élamites, la Mésopotamie éclate en plusieurs royaumes, dominés par des dynasties d’origine amorrite. Ur est d’abord incluse dans le royaume d’Isin, puis vers 1925 elle est prise par le roi Gungunnum de Larsa. Elle est reprise un temps par le Bur-Sîn d’Isin, au début du XIXe siècle, mais repasse vite sous la coupe de Larsa. Les nouveaux maîtres de la cité ne la délaissent pas, puisqu’ils restaurent le sanctuaire de Sîn, sans remanier les plans des édifices existants à la période précédente, et construisent même de nouveaux temples. Les murailles sont également relevées par les rois de Larsa Sîn-iddinam puis Warad-Sîn.
La cité d'Ur garde une grande importance en tant que centre religieux majeur de l'ancien pays de Sumer. Le sanctuaire de Sîn reste encore l'un des principaux de la région, comme le montrent les restaurations qui y sont effectuées ainsi que la documentation écrite. On apprend notamment dans les tablettes provenant du site que les rois de Larsa et également de Babylone s'y rendent pour accomplir des rituels dans le temple de Sîn, reprenant sans doute une tradition déjà en cours au temps de la Troisième dynastie d'Ur.
En 1763, Ur passe sous le contrôle du roi Hammurabi de Babylone (1792-1750) quand celui-ci s’empare du royaume de Larsa. Sous le début du règne de son successeur Samsu-iluna (1749-1712), les villes du sud de la Mésopotamie se révoltent contre le pouvoir babylonien. Les rebelles furent vaincus, Ur est prise, et sa muraille est à nouveau abattue.
Les résidences paléo-babyloniennes
Les archéologues ont dégagé sur les niveaux des XIXe-XVIIIe siècles d’Ur un quartier d’habitations privées[13]. Ils sont définis par leurs coordonnées sur les plans du site : le quartier EM, situé au sud du quartier du sanctuaire de Sîn, où résidaient des prêtres et dépendants de ce temple ; AH, le plus vaste, encore plus au sud ; et CLW, le plus tardif, moins étendu, au nord-est. Les rues de ces quartiers ont été nommées par Woolley suivant les noms de rues d’Oxford (Quiet Street, Gay Street, Paternoster Row, Broad Street, etc.).
Les résidences sont séparées par des rues étroites, en terre battue, beaucoup se terminant en impasses. Elles sont de tailles et de formes diverses, et ont pu connaître des remaniements au grès d’héritages, ou d’achats. Une cour centrale, dallée dans les résidences les plus cossues, organise l’espace intérieur. Il semble que la plupart aient eu deux étages : le supérieur, jamais conservé, devait servir d’espace privé (avec les chambres). Au rez-de-chaussée, on trouve dans les résidences aisées une salle de réception, une cuisine, des espaces de stockage, et ce que Woolley a identifié comme des chapelles privées, comportant un autel et une petite niche servant peut-être à y brûler de l’encens. Des tombeaux voûtés avaient été creusés pour sous le sol de ces demeures, mais leur datation n’est pas certaine. Woolley a voulu reconnaître dans certaines bâtisses des petites chapelles publiques, situées au carrefour des rues ; et également divers espaces artisanaux ; mais cela reste débattu. L’identification n’est certaine que quand on a retrouvé des tablettes attestant clairement qui vivait dans la maison.
Société et économie
Les niveaux paléo-babyloniens d’Ur ont en effet livré un ensemble de tablettes privées permettant de reconstituer une partie de la vie sociale de la ville et de ses alentours aux XIXe-XVIIIe siècles[14]. Les lots sont de natures diverses. Dans le quartier EM, les résidences des personnes liées au sanctuaire de Sîn ont livré des tablettes nous permettant de mieux connaître l’organisation du culte à cette période[15]. On y voit ainsi que les membres du « clergé » (notion vague dans ce contexte, puisque de nombreuses personnes peuvent être impliquées dans l’exercice du culte) sont : soit des prêtres, permanents ; soit des prébendiers, qui ont à remplir un service cultuel (une prébende, par exemple de nature alimentaire, exercé par le « brasseur » au service de la divinité) une partie de l’année, d’autres prébendiers l’assurant à leur « tour » (BALA) le reste de l'année. Ils sont rémunérés par le temple par des rations d’entretien, souvent prélevées sur les offrandes octroyées au dieu. Les prêtres recevaient des champs de subsistance concédés par le temple sur ses domaines. L’étude du clergé de la ville a également mis en évidence le fait que les cultes de la cité d’Eridu, où se trouvait le sanctuaire du dieu Enki/Ea, avaient été transférés à Ur, probablement suite à l’abandon de cette cité.
Au moins une école a pu être identifiée : au n°7 Quiet Street, où réside au temps de la domination de Larsa Ku-Ningal, auquel succèdent ses fils, qui sont aussi prébendiers et šandabakkum (charge de trésorerie) du temple de Sîn. On a retrouvé des tablettes scolaires et littéraires dans d'autres résidences, comme le n°1 Broad Street, dont le propriétaire, Igmil-Sîn, est également prêtre. Mais là il s'agit de tablettes mise au rebus, à côté d'autres de nature comptable, ne témoignant pas d'une activité scolaire dans la maison. Toutes ces trouvailles ont permis de reconstituer le cursus scolaire des scribes depuis les niveaux élémentaires jusqu'à d'autres bien plus avancés[16].
Ea-nasir, l’honorable possesseur du n°1 Old Street, demeure cossue, est quant à lui un marchand qui effectue des affaires à Dilmun, où il réside une grande partie de l’année (époque de la domination de Larsa). Lui et ceux qui exercent la même activité sont d’ailleurs appelés ālik Dilmun, « (celui) qui va à Dilmun ». Le commerce maritime entre Ur et cette île du Golfe, l’actuel Bahreïn, est en effet très important, et ce n’est pas une nouveauté de la période, puisqu’il apparaît déjà dans les archives d’Ur à la période de la Troisième dynastie[17]. Les marchands mésopotamiens vont chercher le cuivre importé dans cette île depuis Oman (Magan), contre de l’argent ou bien des étoffes, de l’huile. Ils peuvent recourir à des associations pour financer les voyages, notamment la société-tappūtum, connue par des contrats, qui voit un bailleur de fonds fournit les capitaux à un mandataire, le profit étant ensuite partagé entre les deux parties. A leur retour à Ur, les marchands font souvent des offrandes à Sîn, en remerciement de l’aide qu’il leur a apporté dans leurs affaires et la réussite du voyage. Le temple de la déesse Ningal effectue même des prêts commerciaux.
L’abandon de la ville
En l’an 11 du règne de Samsu-iluna, la documentation écrite d’Ur s’arrête brutalement, comme dans les cités voisines Uruk et Larsa. La ville est apparemment abandonnée à partir de ce moment, et pour les plusieurs siècles. Ses habitants ont probablement migré vers le nord, comme l’on fait les habitants d’Uruk que l’on retrouve plus tard à Kish. Le contexte économique et social de l’extrême-sud mésopotamien est très difficile, ce qui pousse à cet exil qui semble massif.
Période kassite
Ur est réoccupée progressivement au début de la période de domination de la dynastie kassite de Babylone (1595-1155)[18]. Le temple de Sîn fonctionne à nouveau à partir du règne de Kurigalzu Ier. C'est probablement à ce dernier (et non à Kurigalzu II comme le pensait Woolley) que l'on doit la restauration de plusieurs des édifices sacrés de la cité. Un fragment de statue à son nom a été retrouvé, sur lequel une inscription le qualifie de « roi d'Ur », signe de l'importance des travaux qu'il a fait faire dans cette ville[19]. La muraille est relevée, et un fortin est construit sur celle-ci. Quelques habitations de cette période ont été dégagées, mais elles sont mal conservées. On a également retrouvé 70 tablettes de cette époque, émanant d'archives privées : des procès, actes de vente, distributions de rations, etc.[20] La vie économique de la ville reprend, mais semble bien loin du niveau des époques précédentes.
Ur au Ier millénaire
Après des temps difficiles aux XIe-IXe siècles, la Babylonie connaît une reprise, en dépit des conflits récurrents des entités politiques de la région contre la domination assyrienne qui s’impose progressivement aux VIIIe-VIIe siècles. Ur est dirigée par une dynastie locale, dont les chefs portent le titre de šakkanakku (ancien haut fonctionnaire du royaume d’Ur III), et ont pu bénéficier d’une relative indépendance, allant jusqu’à restaurer en leur nom les bâtiments du sanctuaire de Sîn. Mais ils restent inféodés aux Assyriens. Par la suite, la ville passe sous la coupe de la dynastie chaldéenne de Babylone[21]. Nabuchodonosor II (605-562) fait construire une enceinte autour du quartier sacré. Nabonide (556-539), le dernier représentant de cette dynastie, est un grand dévot du dieu Sîn, et est donc très intéressé par Ur, restaure son grand temple. Sa fille Ennigaldi-Nanna devient grande prêtresse du dieu. Sa grande résidence a été exhumée au nord du la cité, près du port. On y a retrouvé des objets de périodes précédentes de l’histoire de la cité, témoignant du goût des rois de la période pour les « antiquités ». Quelques résidences privées, de grande taille, ont également été dégagées près du quartier AH. Une soixantaine de tablettes datant de cette époque et de la suivante, celle de la domination achéménide, proviennent d’Ur[22]. Elles sont de nature privée. Pour les temps achéménides (539-330), un lot provient des archives de la famille du « Barbier » (Gallabu, du nom de l’ancêtre de la lignée), représentative des « firmes familiales » de notables très présentes dans l’activité économique de le Babylonie de l’époque (comme les Murashu à Nippur).
La ville d’Ur semble décliner après cette période. Le dernier texte exhumé dans ses ruines remonte au règne de Philippe III Arrhidée (323-316). Quelques tombes d’époque séleucide ont été retrouvées. Rien ne nous est parvenu des époques ultérieures, pour lesquelles ce site semble bel et bien abandonné.
Notes
- ↑ (en) R. Hall et L. Woolley, Al Ubaid, Ur Excavations I, Oxford, 1927
- ↑ (en) E. Burrows, Archaic Texts, Ur Excavation Texts II, Londres, 1935 ; (en) A. Alberti et F. Pomponio, Pre-Sargonic and Sargonic Texts from Ur edited in UET II, Supplements, Rome, 1986
- ↑ (en) R. Matthews, Cities, Seals and Writing, Archaic Seals Impressions from Jemdet Nasr and Ur, Berlin, 1993
- ↑ (en) P. Steinkeller, « Archaic City Seals and the Question of Early Babylonian Unity », dans T. Abusch (dir.), Riches Hidden in Secret Places, Ancient Near Eastern Studies in Memory of Thorkild Jacobsen, Winona Lake, 2002, p. 249-257
- ↑ (en) L. Woolley et al., The Royal Cemetery: A Report on the Predynastic and Sargonid Graves Excavated Between 1926 and 1931, Ur Excavations II, Londres, 1934
- ↑ (en) R. L. Zettler et L. Horne (éds.), Treasures from the Royal Tombs of Ur, Philadelphie, 1998
- ↑ (en) D. Frayne, The Royal inscriptions of Mesopotamia, Early periods, vol. 3/2, Ur III period (2112-2004 BC), Toronto, 1993 ; (de) W. Sallaberger et A. Westhenholz, Mesopotamien, Akkade-Zeit und Ur III-Zeit, Fribourg-Göttingen, 1999
- ↑ (en) D. Loding, Economic Texts from the Third Dynasty, Ur Excavations Texts IX, Philadelphie, 1976 ; (en) M. Widell, The Administrative and Economic Ur III Texts from the City of Ur, Piscataway, 2003
- ↑ (en) A. L. Oppenheim, « The Seafaring Merchants of Ur », dans Journal of the American Oriental Society 74/1, 1954, p. 6-17
- ↑ (en) L. Woolley, The Ziggurat and Its Surroundings, Ur Excavations V, Londres et Philadelphie, 1939
- ↑ (en) P. N. Weadock, « The Giparu at Ur », dans Iraq 37/2, 1975, p. 101-128
- ↑ (en) S. N. Kramer, Lamentation over the Destruction of Ur, Chicago, 1940 ; (en) P. Michalowski, The Lamentation over the Destruction of Sumer and Ur, Winona Lake, 1989 ; (de) W. H. P. Römer, Die Klage Über die Zerstörung von Ur, Münster, 2004. Transcriptions et traductions disponibles sur le site ETCSL [1]
- ↑ (en) L. Woolley et M. Mallowan, The Old Babylonian Period, Ur Excavations VII, Londres et Philadelphie, 1976
- ↑ Étude générale dans (en) M. Van de Mieroop, Society and Enterprise in Old Babylonian Ur, Berlin, 1992
- ↑ D. Charpin, Le clergé d’Ur au siècle d’Hammurabi, Genève et Paris, 1986
- ↑ (en) S. Tinney, « Texts, Tablets, and Teaching: Scribal Education in Nippur and Ur », dans Expedition 40/2, 1998, p.40-50
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- ↑ (en) O. R. Gurney, Middle Babylonian Legal Documents and Other Texts, Ur Excavations Texts VII, Londres, 1974 ; id, The Middle Babylonian Legal land Economic Texts from Ur, Oxford, 1983
- ↑ (en) L. Woolley et M. Mallowan, The Neo-babylonian and Persian Periods, Ur Excavations IX, Londres, 1962
- ↑ (en) H. H. Figulla, Business Documents of the Neo-Babylonian Period, Ur Excavations Texts IV, Londres, 1949
Bibliographie
- L. Woolley,
- Ur en Chaldée ou Sept années de fouilles, Paris, 1949 ;
- (en) Excavations at Ur: A Record of Twelve Year's Work, Londres et New York, 1963 ;
- F. Joannès (dir.), Dictionnaire de la civilisation mésopotamienne, Paris, 2001.
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