Séquelle de guerre

Séquelle de guerre
Francisco de Goya, Desastre de la Guerra

L'expression « séquelles de guerre » désigne les impacts différés, aux échelles locales ou globales, dans l'espace ou dans le temps des actions de guerre. Cette notion diffère de celle de dommages de guerre qui ne couvre et concerne qu'une partie de ces séquelles.

Ces séquelles sont de natures variées mais on peut distinguer quatre grandes catégories.

Sommaire

Séquelles économiques

Un aspect de Stalingrad après la bataille.

Elles ont été parmi les premières à faire l'objet d'évaluations, notamment après l'invention du PIB, mais sont en réalité difficiles à quantifier.
Les guerres semblent doper les économies mais si elles enrichissent les secteurs de l'armement et de la production utile aux armées, elles ruinent d'autres secteurs, accélèrent le recours aux ressources non renouvelables, et endettent durablement les États.
Les industries stratégiques, l'accès aux ressources énergétiques et les infrastructures font par ailleurs, quand elles ne peuvent être récupérées à l'ennemi, l'objet de destructions systématiques, souvent coûteuses et polluantes dont les coûts sociaux-environnementaux sont d'évaluation délicate et récente, sous l'impulsion de l'ONU et d'ONG notamment.

Séquelles médicales et sociopsychologiques

Génocides et guerres civiles causent des traumatismes extrêmes et indicibles, rendant l'apaisement (résilience) particulièrement difficile.

On peut distinguer des séquelles de court terme avec les effets de choc et divers troubles comportementaux de guerre observés par exemple dans les cuisines de 14-18 ou après la guerre de l'Afganistan, des effets de moyen et court termes avec les séquelles médicales ou les traumatismes sociopsychologiques qui peuvent persister sur plusieurs générations, notamment après les vols, la chirurgie, les opérations et autres formes d'avancement technologique, les déplacements de soldats et d'esclaves.

Depuis quelques décennies on évoque les intoxications à long ou très long terme, dues par exemple aux actions du plomb ou du mercure sur le cerveau (cf. par exemple guerre 14-18, avec La zone rouge et en particulier les secteurs de la Meuse et de Verdun), ou encore aux effets délétères et mutagènes de l'ypérite ou encore des dioxines (cf. Usage de défoliants et de Napalm au Viêt Nam) ou de radionucléides (depuis la bombe atomique et l'usage d'uranium appauvri).

Les vrais coûts en termes de santé d'une guerre comme celle de 14-18 n'ont jamais été chiffrés ni estimés, et du point de vue du risque environnemental et sanitaire, les toxines non bio-dégradables ou très lentement dégradables (molécules organiques des armes chimiques) rejetés dans l'environnement l'ont été en telle quantité, que certains ont pu dire que la guerre 14-18 n'est pas finie.

Article connexe : Amnésie sélective de guerre.

Séquelles culturelles

Les guerres sont souvent accompagnées de volonté de destruction ou appropriation de monuments, de bibliothèques, et de lieux d'archives, de symboles culturels et religieux, cimetières, etc. Ces pertes sont souvent irrémédiables du point de vue de la culture écrite et de la mémoire collective d'une population.

Les déplacements de populations ou de phénomènes dits d'épuration ethnique, voire comme dans le cas de génocides (ou de l'holocauste) d'un objectif de disparition d'une population entière. Parmi les belligérants, les vainqueurs cherchent souvent à réécrire l'histoire à leur avantage. Dans ces cas des patrimoines culturels, historiques, linguistiques et de savoir et savoir-faire importants peuvent être annihilés.

Séquelles environnementales

Exemple de séquelle environnementale : des milliards de billes de plomb (polluant), neurotoxique, ont été dispersées sur les 750 km de front de la Première Guerre mondiale. La bille de droite, qui se délite, a été trouvée à 60 cm de profondeur près de Verdun en 2004.
Le village belge de Passchendaele : champs et jardins ont été rasés et durablement pollués par les métaux lourds et certains composants des gaz de combat (arsenic par exemple, composant des arsines) (1917).
De nombreuses îles géostratégiquement bien positionnées ont conservé d'importantes séquelles environnementales des deux dernières guerres mondiales (ici, île de Namur, dans les îles Gilberts et Marshalls). Le déminage y a été moins poussé que dans les zones habitées et cultivées des pays en conflit.

Ce sont principalement les impacts plus ou moins durables, directs (actes de guerre) et indirects (accidents induits, non fonctionnement des systèmes d'épuration, de contrôle des pollutions, etc.), sur l'eau, l'air, les sols, les écosystèmes.

Un des problèmes moins connus, mais graves car souvent décalés dans le temps, est celui de la pollution induite par les munitions (munitions « conventionnelles » ou « chimiques » non-explosées, perdues, stockées ou immergées).
Il est permis de penser que la dispersion en 1914-1918 dans l'environnement et notamment dans l'atmosphère de gigantesques quantités de plomb, mercure, arsenic et gaz de combat, associée aux difficiles conditions de vie, d'hygiène et d'alimentation ait aussi pu contribuer à une diminution de l'immunité et indirectement aux épidémies de tuberculose, choléra et grippe espagnole qui ont fait encore plus de morts que les combats eux-mêmes[réf. nécessaire]. Le plomb est aussi connu pour développer l'agressivité et affecter la fonction cognitive chez les victimes d'intoxication saturnine aiguë. Il semble que le mercure et d'autres métaux lourds puissent aussi développer des effets de ce type ou affecter certaines fonctions locomotrices et de l'attention ou de la mémoire. Ce phénomène pourrait-il rétrospectivement expliquer une part des syndromes développés par de nombreux soldats (parfois fusillés ou punis à tort pour des simulations qui n'en étaient peut-être pas) de la confusion et de la violence des guerres et crises qui ont agité l'Europe et le monde à cette époque ? Il ne semble pas y avoir de rendu public d'études faites sur ces thèmes.

Autre exemple de séquelle presque oubliée : le 9 mai 1918, dans la gare d’Attre (Belgique), une explosion a détruit une partie de 365 wagons chargés de munitions. 2/3 de ces munitions étaient des obus chimiques, ayant été projetés tout autour du lieu de l'explosion. Il a fallu 8 mois, et jusqu’à 800 hommes, pour nettoyer le site. On sait par les archives que 114 870 munitions et environ 14 000 fusées ont été ainsi récupérées et enfouies en six lieux différents (Schoen 1936). Ces munitions ont ensuite été éliminées par les services de déminage de 1950 à 1954 et en 2006[1], mais il ne semble pas y avoir eu d'études visant à vérifier l'absence de séquelles de pollution sur les anciens sites d’enfouissement.

Chacun de ces types de séquelles prend une importance croissante depuis la Première Guerre mondiale, avec le développement technologique et des capacités d'intervention militaire et notamment avec l'invention des armes chimiques, des armes bactériologiques ou de la bombe atomique ou encore par exemple avec l'usage de munitions à uranium appauvri.

Au Vietnam (de 1962 à 1970) 70 millions de litres de défoliant (agent orange) ont détruit la forêt et sont soupçonnés d'encore causer de nombreux cancers et de malformations congénitales[2].

Au Kosovo, en 1999, environ 550 sites industriels bombardés par l’Otan ont perdu dans l'environnement une grande quantité de produits chimiques et 80 000 tonnes de pétrole.

Les armes à uranium appauvri utilisées en Irak ou Europe de l'Est ont depuis 15 ans irradié de vastes territoires et un grand nombre de civils et militaires.

En 23 ans de guerre en Afghanistan, environ 95% des forêts ont été détruites, et dans ce pays comme en Afrique, les conflits ont fortement augmenté la pression de chasse de survie (viande de brousse en Afrique), de cultures illicites (drogue dont la vente à l'étranger finance les conflits), toujours au détriment de l'environnement et des populations locales. L'assistance humanitaire elle-même induit parfois des dégâts environnementaux, ainsi que les camps de réfugiés notait en 2008 Silja Halle, chargée de communication du service « Gestion post-conflit et désastre » créé par le PNUE en 1999. Par exemple, en six mois, ce sont 300 kilomètres carrés (km²) de forêt du parc national de Virunga qui ont été fortement dégradés par les soldats hutus et les réfugiés rwandais des camps autour de la ville de Goma (RDC)[3].

L'instabilité politique est mise à profit par certains pour surexploiter certaines ressources de pays en guerre, ou par exemple les utiliser comme dépotoirs. Claude-Marie Vadrot cite par exemple la Somalie où « les côtes et les terres sont devenues le dépotoir mondial de déchets toxiques, ce qui permet à des navires affrétés par des sociétés écran de balancer des conteneurs sur les côtes »[4].

Les mines et sous-munitions et munitions non explosées continuent à tuer la faune sauvage et à empêcher la remise en culture des terres agricoles, par exemple au sud du Liban, reportant la pression agricole vers les milieux naturels épargnés qui sont alors défrichés ou surexploités.

La résilience

Après la fin des combats, sur les ruines et les sols bouleversés, « grâce » aux sols fragmentés et aux graines mises en lumière, les paysages reverdissent spontanément et rapidement. Ainsi, lors de la Première Guerre mondiale, dans le cas des zones agricoles et parfois urbaines, le « stade pionnier » était principalement caractérisé par trois plantes messicoles suivi d'une colonisation par des orties, ronces, buissons et arbres. Au stade « pionnier », dès les trois ou quatre mois suivant les combats, les sols se recouvraient de champs parfois immenses et denses de bleuets, matricaires et coquelicots, dont les couleurs (bleu, blanc, rouge) on impressionné car elles évoquaient le drapeau français rappelle le géographe J.-P. Amat qui a aussi montré que les « forêts de guerre » et le désobusage ont ensuite contribué (de manière variable selon la richesse des sols et la pression du lobby agricole) à la recomposition biogéographique et agricole de la zone rouge[5].
Les guerres modernes (nucléaires, biologique ou chimique notamment) peuvent générer des séquelles environnementales des guerres si graves et durables que certains proposent d'ajouter l’« écocide », en tant que « crime écologique » à la liste des crimes de guerre de la convention de Genève. Une résilience écologique complète - si elle est possible - peut en effet être délicate et longue pour l'écosystème, comme pour les individus et sociétés humaines.

Concernant la résilience sociopsychologique, le soutien psychologique aux victimes et l'aide à une justice qui fasse s'exprimer et se reconnaître les bourreaux et les victimes, par le biais de tribunaux internationaux éventuellement montrent une évolution dans la volonté et les moyens de trouver des résolutions non-violentes aux conflits (ex. : Afrique du Sud, Rwanda...). Les systèmes mafieux qui ont bénéficié d'un état de guerre, voire d'une reconstruction, parfois anarchique peuvent freiner le retour de la paix et de la justice[5].

Aspects éthiques et juridiques

Depuis la première guerre mondiale, les conflits militaires laissent souvent derrière eux des destructions matérielles massives, des pollutions et de lourdes séquelles sociopsychologiques. Et la reconstruction est rendue difficile et plus coûteuse par les munitions non explosées, mines, mines anti-char, pièges, munitions, dont munitions antipersonnel activées et autres matériels de guerre laissés par les belligérants. L'ONU a ainsi dans une résolution de 1981[6], déploré qu'aucune véritable mesure n'ait été prise pour résoudre le problème des restes matériels des guerres (war remnants). Elle a réaffirmé son soutien à la revendication des États subissant encore des préjudices découlant de la présence sur leur territoire de restes matériels des guerres qui demandent une indemnisation de la part des États responsables de ce fait).

Ceci pose des questions éthiques que l'ONU et différentes ONG œuvrant pour une paix mondiale moins militarisée cherchent à clarifier, pour instaurer des équilibres mondiaux plus justes et stables.
Ceci pose aussi des questions juridiques complexes, en particulier quand au déminage et au démantèlement des armes et munitions toxiques qu'on oublie souvent de chiffrer et d'inclure dans les dommages de guerre, traités de paix et procédures d'aides à la reconstruction[7] complexes se posent, en matière de responsabilité ou d'application du principe de précaution ou du principe pollueur-payeur par exemple.

Notes et références

  1. Hardesty J D, « Belgian EOD cleans up ammo site ». In : The Meteor-Heraut, 24-15, 2006, p. 1-3.
  2. «Guerre et environnement», organisé jeudi 6 mars par WWF et la sénatrice Verts du Nord, Marie-Christine Blandin.
  3. Source : Union mondiale pour la nature (UICN), lors du colloque «Guerre et environnement», du jeudi 6 mars au Sénat à Paris
  4. Claude-Marie Vadrot, GUERRE ET ENVIRONNEMENT - Panorama des paysages et des écosystèmes bouleversés, Delachaux et Niestlé
  5. a et b « Traces de la guerre sur les territoires » (émission Planète Terre, sur France-Culture, mercredi 11 novembre 2009 ; avec comme invités ; Bénédicte Tratnjek (doctorante en géographie ayant travaillé sur la recomposition spatiale des villes en temps de guerre (Blog « Géographie de la ville en guerre ») et Jean-Paul Amat (professeur de géographie - Université Paris-IV), à l'occasion de l'anniversaire de l'armistice, page consultée 2009/11/21 (Pour écouter l'émission)
  6. Résolution recommandée par la deuxième commission (économique et financière), adopté par 115 voix pour, avec 29 abstentions, aucune voix contre, le 17 décembre 1981, par l'Assemblée générale de l'ONU ; Chronique mensuelle de VO.N.U. mars 1982, p. 65 : résolution 36/188 : texte dans le Recueil des résolutions et décisions de l'AG, 1981, p. 358.
  7. Problèmes juridiques posés par les restes matériels de la seconde guerre mondiale en Libye ; Philippe Bretton ; Annuaire français de droit international ; année 1982 ; vol. 28 ; numéro 28 ; p. 233-247

Annexes

Articles connexes

Liens externes

Concernant les séquelles des guerres mondiales, par immersion de munitions chimiques et/ou conventionnelles en mer.



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