Survivre avec les loups

Survivre avec les loups

Survivre avec les loups (roman)

Page d'aide sur l'homonymie Cet article concerne le roman. Pour l'adaptation cinématographique, voir Survivre avec les loups (film).

Survivre avec les loups (titre original : Misha: A Mémoire of the Holocaust Years) est un récit de Misha Defonseca, écrit en collaboration avec Vera Lee[1], qui a mis en forme et rédigé le livre. Il est paru en France en 1997 aux Éditions Robert Laffont, après avoir été publié aux États-Unis, à Boston, par les éditions Mt. Ivy Press. Il raconte lhistoire dune petite fille pendant la Seconde Guerre mondiale. Il a été traduit en 18 langues et adapté au cinéma en 2007 par Véra Belmont, dans un film également intitulé Survivre avec les loups. Il a été vendu à plus de 200 000 exemplaires dans sa version française[2],[3]. En février 2008, à la suite dune polémique relayée par Internet et la presse belge, lauteure a été obligée de reconnaître que son récit nétait pas autobiographique comme elle lavait longtemps prétendu mais était une histoire inventée.

Un loup

Sommaire

Le livre

Lhistoire

Lédition utilisée pour analyser lintrigue de Survivre avec les loups est lédition Pocket de 2005.

Le livre commence par la quête infructueuse de la narratrice, Mishke, pour retrouver à Bruxelles les traces de sa petite enfance. Elle se rappelle ensuite cette époque elle vivait quasi cloîtrée dans un appartement sauf pour aller à lécole. Un jour, son père ne vient pas la chercher à la sortie des cours. Elle est emmenée dans une famille daccueil sans tendresse. Rapidement, une véritable complicité sinstalle entre elle et Ernest, le grand-père chez qui elle va régulièrement chercher des provisions. Il lui apprend que ses parents ont été arrêtés et déportés à lEst par les Allemands.

Quand Mishke apprend à lautomne 1941 quelle ne peut plus se rendre à la ferme du grand-père, elle décide de partir chercher ses parents à lEst. Elle senfuit, avec comme seul guide, une boussole qu'Ernest lui a offert. Elle vole dans les fermes pour se nourrir, mange des vers de terre, des baies, de lherbe, des carcasses danimaux morts. Elle traverse ainsi l'Allemagne finit par arriver en Pologne. Alors quelle vole de la nourriture dans une ferme, elle est blessée par le fermier et sévanouit dans la forêt. Quand elle se réveille elle se retrouve face à un loup[4] ou plutôt une louve.

Reste du mur du ghetto de Varsovie

Lanimal et la petite fille sadoptent mutuellement mais la louve et son compagnon sont tués par un chasseur. Après avoir assisté au meurtre par « jeu » d'un juif par les Nazis, Mishke multiplie les rencontres, des partisans polonais, une colonne juive avec qui elle entre dans ghetto de Varsovie toujours à la recherche de ses parents. Terrorisée par la violence des Allemands et révoltée par lindifférence des habitants[5] du ghetto devant le sort des enfants faméliques et des morts, elle senfuit du ghetto en passant par dessus le mur. Poursuivant sa route vers lest, elle trouve un soir refuge dans une caverne avec des louveteaux. Elle parvient à se faire adopter par la meute. Elle se nourrit des restes de loups. Mishke se décide enfin à continuer sa route vers lEst avec deux des petits, devenus adultes. Un jour, elle assiste au viol et à lassassinat dune jeune Russe par un soldat allemand[6]. Terrifiée, elle le tue à coups de couteau[7]. Elle est ensuite le témoin impuissant et révolté du massacre par les nazis d'un convoi d'enfants.

Mishke, à nouveau seule, entame le chemin du retour elle ne rencontre que des charniers, des villages brûlés et abandonnés. Elle traverse la Moldavie, la Roumanie. En train puis à pied elle traverse plaines et montagnes d'Europe centrale jusqu'au littoral yougoslave. Elle sévanouit et se réveille dans un bateau qui transporte des réfugiés vers lItalie. Le pays a été libéré. Recueillie par la police belge, elle est reconnue par le grand-père en tant que Monique Valle. Elle est confiée à deux vieilles filles enseignantes qui prennent en charge son éducation.

Le dernier chapitre raconte brièvement la vie dadulte de la narratrice: un mariage sans amour avec un Juif séfarade qui lui laisse un fils, un second mariage heureux avec Maurice et le retour au judaïsme aux États-Unis

Les personnages

Conquêtes allemandes (bleu) pendant la Seconde Guerre mondiale.
  • La narratrice Mischke se décrit dans le premier chapitre comme un « loup égaré dans la ville »[8], une adolescente de 17 ans, blonde, « couverte de plaies et de croûtes », une sauvage rétive aux règles de vie quon veut lui imposer. Elle revient ensuite sur son enfance. En 1941, cest une petite fille de 7 ans, pleine de vie et dimagination. Après larrestation de ses parents, elle devient Monique Valle, 4 ans. Elle explique quelle peut passer pour une fillette de 4 ans parce quelle est de petite taille[9] mais solide[10] et intrépide. Dès le premières semaines de son périple, elle acquiert une grande insensibilité à la douleur[11] et fait preuve dune résistance physique hors norme. Peu à peu son apparence se transforme. Elle est tellement sale quelle finit par avoir une odeur plus animale quhumaine. Cest du moins comme cela quelle explique le peu de méfiance d'une louve à son égard[12]. Lorsquelle est le témoin de lexécution sommaire denfants par les nazis, elle prend conscience des dangers quelle court et du côté chimérique de son entreprise. De retour en Belgique, elle a le plus grand mal à sadapter à la vie sociale.
  • La mère, Gerusha, est une Juive russe. Cest une belle femme brune, aux yeux sombres, qui a gardé un fort accent russe. Elle est arrêtée en 1941 par les Allemands. Elle est pour la narratrice limage même de lamour et de la douceur. Cest elle qui manque le plus à Mishke et que la petite fille veut retrouver.


  • La mère daccueil en 1941, Marguerite : la narratrice la surnomme la « virago » et souligne son âpreté au gain. Cest une femme sèche aux cheveux gris mauve, une bourgeoise catholique. Elle confie un jour à une parente : « si elle [Mishke] sen va, ça mest égal, mais si Janine [la bonne] devait me quitter, jen pleurerais des larmes de sang » »[13]. Elle humilie sans cesse la petite fille. Cest avec elle que Mishke fait lapprentissage de la haine.
  • Le grand père, Ernest : cest en fait loncle du père. Il a une ferme qui permet à la famille de salimenter sans restriction. Lui et sa femme Marthe sont les seuls à être gentils avec Mishke. Il dit à la petite fille : « Les bêtes, cest mieux que les hommes. Les bêtes ne te veulent pas de mal, elles sont reconnaissantesUn animal ne tue que pour manger. Lhumain tue pour nimporte quoi. »[14]. La narratrice explique que le grand-père lui a transmis cette « philosophie de vie ».

Analyse

Bernard Fixot, léditeur français, Vera Belmont et Gérard Mordillat qui ont adapté Survivre avec les loups pour le cinéma soulignent quil sagit dune belle histoire, une histoire de quête et de survie dans le chaos de la Seconde Guerre mondiale et de la Shoah.

Une boussole, objet vénéré par Mishke.

Plusieurs thèmes ressortent de ce récit. La quête de la mère traverse tout le roman. La beauté et la douceur de la mère sont idéalisés. La narratrice va même jusquà identifier la louve quelle rencontre en Pologne, « sa maman Rita »[15], à sa mère. La fourrure de la bête lui rappelle la chaleur de la chevelure maternelle. Lors de sa deuxième rencontre avec une meute de loups, elle est tellement heureuse de faire partie de la meute quelle arrête de rechercher ses parents. Chez les partisans russes, Malka, une autre figure maternelle, lui fait prendre son premier bain depuis son départ.

Le second moteur est la résistance à toute épreuve de Mishke et sa haine des hommes: haine de Marguerite sa mère daccueil, haine du soldat allemand qui tue le couple de loups avec qui elle vit en arrivant en Pologne, haine des Allemands encore qui tuent un déporté juif pour « samuser »[16]. Elle préfère la compagnie des animaux. La violence est un compagnon de voyage de la petite fille ; que ce soit sa propre violence, elle casse les jambes de lAllemand qui a tué maman Rita, elle tue un soldat allemand qui a violé une jeune russe ; la violence des adultes, elle voit quotidiennement des exécutions le peu de temps quelle passe avec les partisans polonais, des exécutions sommaires dans le ghetto de Varsovie[17].

À partir du moment la narratrice rencontre la louve grise, le récit sattache à évoquer ladaptation de la petite fille aux mœurs des loups. Elle se plaque à terre quand la louve retrousse ses babines, en signe de soumission. Elle se couche sur le dos quand le nouveau compagnon de sa protectrice la menace[18]. La narratrice prête aussi des sentiments et des pensées humaines aux loups. Lorsquelle joue avec les louveteaux quelle vient de rencontrer, elle pense que lattitude de la vieille louve signifie : « Ça va, je ne suis pas inquiète, vous pouvez jouer, je surveille.[19] » Elle pense quelle est adoptée par la meute de loups parce quelle na pas peur deux et quelle éprouve pour eux un amour absolu. La mère devient à son tour une mère de substitution. Le mythe de la louve nourricière, qui remonte à Romulus et Rémus, a été repris par Kipling est encore une fois utilisé[20].

Une synagogue américaine

Critiques et ventes

  • « Dans un livre bouleversant, Misha Defonseca livre le secret dune vie hors du commun. » Elle[21]
  • « Une fabuleuse histoire damour et de haine, mais aussi une immense leçon de courage. », Catherine Louquet, France-soir[22]


En 2005, le livre sest classé en 18e position des meilleures ventes dessais et documents. Lors de la révélation de la supercherie, il figurait à la 25e place des meilleures ventes dessais et documents, tandis que son édition de poche était 6e du palmarès des poches[23]. Bernard Fixot, va envoyer aux libraires deux textes à glisser dans les exemplaires en circulation. Le premier de Misha Defonseca pour reconnaître son mensonge, le second, rédigé par léditeur, explique sa position. Ces deux textes seront intégrés à une réimpression du livre. Lindication « document-histoire vraie » sera remplacée par la mention « roman »[24].

Limposture littéraire

La révélation de limposture

Misha Defonseca a affirmé pendant longtemps quil sagissait de sa véritable histoire. Cette affirmation na guère été remise en cause publiquement jusquen août 2007, date à laquelle son éditrice, avec qui l'auteure était en conflit financier et judiciaire, commence à publier un blog[25] remettant en question la véracité du récit. La polémique fait surtout rage depuis la sortie du film de Vera Belmont. Serge Aroles, chirurgien et spécialiste des enfants-loups, publie le 8 janvier 2008[26] un article soulignant labsurdité du comportement de Misha au sein de la meute de loups[27],[28]. Maxime Steinberg, historien de la déportation des Juifs de Belgique, intervient dans le débat et précise que la déportation des Juifs vers les camps dextermination na débuté que le 4 août 1942, et non en 1941 comme lécrit Misha Defonseca dans son récit. Ces propos sont repris par Regards[29], la revue du Centre communautaire laïc juif de Belgique. Les historiens pensent que Misha Defonseca sappelle en fait Monique De Wael, née en 1937, et quelle était élève dans une école de Schaerbeek, à Bruxelles. De plus, elle ne serait pas juive. Ses parents, des résistants, ont été arrêtés le 23 septembre 1941 à leur domicile et déportés à Sonnenburg, à la frontière germano-polonaise. Son père est mort en 1944, sa mère en 1945[30].

Lhôtel de ville de Schaerbeek

La polémique est dautant plus gênante quun des objectifs de la réalisatrice, Véra Belmont, était de parler de la Shoah aux enfants à partir dune histoire vraie. Mais la polémique a pris fin avec les aveux de Misha Defonseca dans le quotidien belge Le Soir, le 28 février 2008. Elle y reconnaît en effet ne pas être juive, et avoir tout inventé car elle détestait sa vie[31]. Elle admet avoir « raconté une autre vie ». « Ce livre, cette histoire, cest la mienne. Elle nest pas la réalité réelle, mais elle a été ma réalité, ma manière de survivre » »[32]. Elle explique : « On mappelait « la fille du traître » parce que mon père était soupçonné davoir parlé sous la torture à la prison de Saint-Gilles. À part mon grand-père, jai détesté ceux qui mavaient accueillie. Ils me traitaient malCest vrai que, depuis toujours, je me suis sentie juive et plus tard, dans ma vie, jai pu me réconcilier avec moi-même en étant accueillie par cette communauté.[31] » De fait, la vérité se révèle encore plus cruelle. Robert De Wael, son père, aurait accepté, après son arrestation, le marché proposé par les nazis : la possibilité de voir sa fille Monique sil livrait les noms des membres de son groupe. Il aurait même participé aux interrogatoires de ses compagnons darmes et aidé ainsi au démantèlement de son réseau de résistants. Il est ensuite emprisonné dans différents endroits avant dêtre transféré à Sonnenburg à la frontière germano-polonaise, il meurt dépuisement en 1944. Joséphine Donvil, son épouse, passe elle aussi de prison en prison avant dêtre déportée à Ravensbruck, elle meurt en février 1945[33]. À la libération, le nom de Robert De Wael est effacé de la plaque de pierre apposée sur les murs de la mairie de Schaerbeek en lhonneur des fonctionnaires locaux victimes des nazis[33].

Certains craignent que cette histoire de faux récit ne verse de leau au moulin des négationnistes et des antisémites, comme semblent lindiquer certains des sites ou des articles de forum qui abordent le sujet[34],[20]. Ce nest pas le premier cas de mystification dans la littérature de la Shoah. Binjamin Wilkomirski, dans son livre Fragments dune enfance, 1939-1948, rapporte le traumatisme psychologique connu par un adulte qui a été déporté enfant dans un camp de la mort et recouvre une partie de sa mémoire par bribes. Ce récit était en fait un faux, lui aussi.

Comprendre la mystification

Le rôle des éditeurs

La révélation de la mystification pose plusieurs questions, tout dabord celle de la mythomanie de Misha Defonseca[35] puis, en second lieu, celle de la crédulité des médias, entraînant celle du public. Aux États-Unis, le livre a été publié en premier, le débat sur la véracité du récit est resté peu médiatique, vu le peu de succès du livre (5 000 exemplaires vendus). Lhistorienne Deborah Dwork, auteure dun livre sur les enfants juifs dans lEurope nazie[36], et Lawrence L. Langer, historien spécialiste de lholocauste[37], avaient émis des doutes sur la réalité de lhistoire racontée quand léditrice leur avait confié le manuscrit pour leur demander leur avis. Mais Jane Daniel ne tint aucun compte de leurs remarques[38]. Elie Wiesel et la Fondation nord-américaine pour les loups accordèrent au livre leur parrainage[39]. Vera Lee, qui a co-écrit le livre raconte dans un article publié en 2001 dans le Boston Globe, quen rédigeant lhistoire de Misha Defoncica, elle avait eu des doutes sur sa véracité. Elle contacta même une organisation américaine spécialiste de la transmission de la mémoire de la Shoah qui lui aurait confirmé que lhistoire était impossible. Vera Lee affirme que léditrice lui aurait dit de ne pas sinquiéter, quil sagissait des mémoires dune enfant[40]. Jane Daniel, léditrice, certifia à Bernard Fixot, qui dirigeait à lépoque les Éditions Robert Laffont, que lhistoire était authentique[41]. Après la révélation de limposture de Binjamin Wilkomirsk en 1999, Jane Daniel commença à sinquiéter. Elle déclara sentir un changement dans la profession car jusquà présent on avait jamais demander à un éditeur de vérifier la véracité des récits autobiographique quil publiait[40]. Elle publia alors un mémo sur le site Internet des éditions Mt. Ivy dans lequel elle citait les raisons qui permettaient de croire que le récit de Misha était vrai. Elle concluait en disant que la question se poserait de toute façon toujours. Après la révélation de limposture, léditrice américaine a déclaré ne pas avoir pu faire des recherches sur le récit de Misha Defonseca. Selon elle, la faute en incombe à Misha qui na fourni aucun renseignement sur le nom de ses parents, son âge et son lieu de naissance[42]. En fait, léditrice américaine ne sacharna à prouver les mensonges de Misha Defonseca quaprès avoir été ruinée par cette dernière. En 2005, elle a été condamnée à payer 22,5 millions de dollars de dommages et intérêts à Misha Defonseca et à Vera Lee. Un des attendus du jugement spécifiait que « Mt. Ivy[43] et Mme Daniel ont intentionnellement causé des préjudices sur le plan émotionnel et psychologique à Mme Defonseca »[44]. Lavocat de lauteure précisait même : « Après que Mt. Ivy la pressée décrire le livre et de se replonger dans ses douloureux souvenirs, Mme Defonseca a souffert de voir lhistoire de sa vie mal utilisée, mal représentée et détournée par Mt. Ivy ». On peut donc en déduire que le revirement de Jane Daniel est essentiellement à la perte ruineuse de ce procès. Léditrice a dailleurs annoncé son intention dintenter une action pour faire annuler le jugement[42].

Quant à Bernard Fixot, il justifie ainsi son choix de lépoque : « Notre métier nest pas de découvrir la vérité à tout prix. Mon premier critère, cest lexemplarité du document, une histoire qui aide les gens à fonctionner, comme celle de cette petite fille plus forte que la barbarie »[41]. Mais un document nest pas exemplaire sil est faux. Le livre connut un fort engouement en Europe. On peut se demander si le succès aurait été le même si Survivre avec les loups avait été présenté comme une fiction et non pas comme une histoire vraie « exemplaire ». Karin Bernfeld écrit que le label histoire vraie a fait vendre ce livre et ce film mais parce que lhistoire était très romanesque. Elle souligne que Robert Antelme et Primo Levi avaient très peu vendu de leurs histoires vraies quand leurs livres étaient sortis[20].

Crédulité et empathie

Camp de concentration dAuschwitz

Au sujet de la crédulité des gens, il est intéressant de relever la réponse de Véra Belmont à la question posée par Tidhar Wald dans un entretien publié par le quotidien israélien Haaretz[45]. À la question sur les doutes concernant la véracité du récit de Misha, la réalisatrice répond : « Cest la même chose que pour les gens qui nient lexistence des camps de concentration. Cest une histoire vraie. Tout ce qui sest passé pendant lholocauste est incroyable et difficile à comprendre. Cest pour cela que les gens ont du mal à croire cette histoire. » Largumentation est donc la suivante : cest vrai parce que cela parait incroyable, comme la Shoah. Mais le fait que lextermination des Juifs ait été inimaginable pour les contemporains et les ait plongés dans un état de sidération et daccablement quand elle a été connue, nimplique pas labandon de tout esprit critique au sujet dun « témoignage » écrit plus de cinquante ans après les faits par une personne qui avait sept ans au moment du récit quelle livre. Pour Survivre avec les loups, lémotion et lempathie lont visiblement emporté sur la raison. La voix de la victime prévaut sur lanalyse politique ou historique. Elle est quasiment sacralisée. Karin Bernfeld relève que Serge Aroles avaient dénoncé la supercherie depuis plusieurs années sans être entendu. Elle pense que cest parce quil touchait au sacré, et que par conséquence, on le suspectait immédiatement dêtre « antisémite »[20]. Le lecteur et la réalisatrice sidentifient à la petite fille du livre. Cest dautant plus facile que Véra Belmont est juive, née en Belgique de parents russes, comme la petite Misha, et que sa sœur a vécu cachée pendant loccupation nazie. Dailleurs, jusquau bout, la réalisatrice a témoigné de sa confiance envers la véracité du récit de Misha.

Après les aveux de Misha Defonseca, Véra Belmont revient en partie sur son opinion : « Cest difficile dêtre juif, alors pas une seconde je nai pensé que quelquun endosse ce vêtementLe reste, il y a des choses qui me paraissaient comme chez les enfants, comme dans ma propre mémoire, avec des choses vraies et dautres au sujet desquelles je suis sûre davoir affabulé »[46]. La position de Véra Belmont est délicate. Il lui faut continuer à défendre son film, son engagement vis-à-vis de lauteure, tout en rationalisant son aveuglement.

Dans une interview accordée aux chaînes publiques françaises[47], Misha Defonseca explique quétant donné la méchanceté des hommes, elle était attirée par lanimalité. Peut-être doit-on y voir une seconde raison à lacceptation de linvraisemblable : la croyance en une plus grande « humanité » des animaux par rapport aux hommes, même si celle-ci na jamais pu être démontrée. Dans cette Europe en guerre les nazis se sont comportés comme les pires prédateurs de lespèce humaine, les loups, animaux symboliques des peurs humaines, se montrent plus protecteurs que les hommes. Cest une belle parabole mais cela reste une fable.

Il reste aussi à évoquer le lecteur ou le spectateur. Philippe Di Folco, auteur de lessai Les Grandes Impostures littéraires[48] déclare : « Un succès de librairie qui assène des inepties sur tel ou tel sujet ne peut exister quavec la complicité dun public disposé à gober une illusion de savoirConvenons-en, nous, lectrices et lecteurs, aimons parfois nous laisser berner »[49]. le public aime certes les destins extraordinaires et il est prêt à croire aux miracles. Cela explique pourquoi les destins hors du commun font souvent des succès littéraires. À ce sujet, il convient de noter que les témoignages des derniers survivants de la Shoah qui sont actuellement publiés, se vendent rarement à plus de 1000 exemplaires[50]. Rappelons que l'histoire de Misha Defonseca s'est vendu à plus de 200 000 exemplaires. Mais la crédulité du public ne justifie pas quon le mystifie.

Lauteure a menti. Les différents éditeurs nont pas cherché à vérifier la fiabilité du récit. Bien plus, dès le début Jane Daniel savait quil y avait de grandes chances que lhistoire de Misha Defonsica soit un faux. Les journalistes européens ont acclamé le merveilleux témoignage et ne se sont fait que tardivement le relais des voix qui dénonçaient limposture. À ce sujet, on peut noter une différence de comportement entre les journalistes américains et les journalistes européens. Les Américains mettent laccent sur la responsabilité de Jane Daniel, léditrice ; les journalistes belges et français pointent du doigt lauteure. La réalisatrice, tout en ayant des doutes, les a fait taire et a même cherché à faire de son film un témoignage sur la Shoah. Le livre a été objet détude dans les collèges et les lycées. Les sites internet qui mentionnent létude de louvrage ne font preuve daucun esprit critique[51],[52],[53] de la part des enseignants pour un livre dont les qualités littéraires ne sont pas avérées. Finalement, il est possible de penser que, dans cette affaire, le plus gênant ne serait pas la mythomanie de Misha Defonseca mais lexploitation qui en a été faite.

Voir aussi

Notes

  1. Écrit aussi avec la collaboration de Marie Thérèse Cuny pour la nouvelle édition (XO éditions en 2005
  2. « Survivre avec les loups » : léditeur présente ses excuses », Valérie Sasportas, Le Figaro, 29 février 2008
  3. La quatrième de couverture des éditions Pocket précise que le livre sest vendu à 430 000 exemplaires.
  4. p. 108
  5. p. 140-141
  6. p. 159
  7. p. 160
  8. Éditions Pocket 2005, p. 9
  9. p. 45
  10. p. 55
  11. p. 84
  12. p. 149
  13. p. 46
  14. p. 49
  15. p. 115
  16. p. 126-127
  17. p. 139
  18. p. 116
  19. p. 150
  20. a, b, c et d « Misha Defonseca et ses loups », par Karin Bernfeld, Le Monde, 15 mars 2008
  21. Survivre avec les loups - Fiche livre : Documents et essais
  22. vivelesanimaux.com
  23. LivresHebdo.fr
  24. François-Guillaume Lorrain, Le succès dune « histoire fausse », le point.fr
  25. Le blog de Jane Daniel
  26. Sur le site web Loup.org
  27. [1], puis, le 3 février 2008, il donne un argumentaire titré « Les archives de Belgique confirment que Survivre avec les loups est une escroquerie »
  28. [2], repris ensuite sur : [3]
  29. Site de la revue Regards
  30. Ses parents étaient des résistants, pas des juifs déportés : le vrai dossier de « Misha », Marc Metdepenningen, Le Soir, 23 février 2008
  31. a et b Les Aveux de Misha Defonseca, Marc Metdepenningen, Le Soir, 28 février 2008
  32. « Survivre avec les loups » : Misha Defonseca admet quil sagit dune fiction, Le Monde, 29 février 2008
  33. a et b Le Sombre Passé du père de Misha, Marc Metdepenningen, Le Soir, 2 mars 2008
  34. Dans l'article <news:MPG.2230c1f4218fd35989a54@news.club-internet.fr> de Quintal du 28 février 2008 intitulé « Doutes en Belgique sur la véracité du récit de "Survivre avec les loups" » publié dans le forum Usenet fr.soc.politique, on peut lire la remarque suivante : « encore une intox judéosioniste » ; même teneur sur le site lesogres.org ; le site toutsaufsarkozy.com écrit quant à lui : « Il sagit en fait dun nouvel exemple, énorme, de la mainmise du lobby holocaustique sur tous les grands médias français. Effrayant, une fois de plus. »
  35. « Survivre avec les loups : léditeur présente ses excuses », Valérie Sasportas, Le Figaro, 29 février 2008. Voir les deux derniers paragraphes : « Pour survivre à une situation traumatique, […], la fillette de 4 ans sest raconté une histoire héroïque. Devenue adulte, elle a raconté le souvenir de cette histoire, comme si elle lavait vécue pour de vrai. »
  36. Children with a Star: Jewish Youth in Nazi Europe, Yale University Press, 1993
  37. Auteur, notamment, de Holocaust Testimonies: The Ruins of Memory, Yale University Press, 1993
  38. (en)David Mehegan, Faked Holocaust memoir: Den of lies, Boston Globe, 1er mars 2008
  39. (en) Crying Wolf: Why did it take so long for a far-fetched Holocaust memoir to be debunked?, Blake Eskin, Slate.com, 29 février 2008
  40. a et b David Mehegan, Incredible journey, The Boston Globe, 31 octobre 2001
  41. a et b Bernard Fixot, éditeur de Survivre avec les loups, interview par Claire Thévenoux, Ouest France, 1er mars 2008
  42. a et b « Survivre avec les loups : Misha Defonseca avoue une supercherie » La presse canadienne, 29 février 2008
  43. Mt. Ivy Press, maison dédition ayant publié louvrage aux États-Unis.
  44. « Les dommages de la survivante de lholocauste Misha Defonseca sont triplés ; elle obtient un total de 22,5 millions de dollars »
  45. (en) Holocaust: A childrens version, Tidhar Wald, Haarezt.com
  46. Dépêche AFP du 29 février 2008, reprise sur Yahoo.fr
  47. Des extraits ont été rediffusés sur France 2 et France 3 le 29 février 2008.
  48. éd. Écriture, 2006 (essai)- (ISBN 978-2-909240-70-1)
  49. « Survivre avec les loups, dernière des grandes impostures littéraires », TV5.org, 29 février 2008
  50. Raphaëlle Rérolle, Nicolas Weill , La parole contre l'extermination, Le Monde, 23 mai 2005, disponible sur [4]
  51. « Survivre avec les loups - Misha Defonseca », travail délèves dun lycée de lacadémie de Rouen. À noter : à la question « Des déformations ? », il est répondu : « Il ny a aucune déformation. » Site consulté le 3 mars 2008
  52. « Interview fictive de Misha Defonseca, auteur de Survivre avec les loups », travail délèves dun collège de lacadémie de Toulouse. Lentretien imaginaire insiste sur laspect vrai de laventure de Misha. Site consulté le 3 mars 2008
  53. Les professeurs du CEPES à Jodoigne ont travaillé sur la Shoah à partir du livre Survivre avec les loups. actu24.be, 1er mars 2008

Bibliographie et documentation

  • Misha Defonseca, Survivre avec les loups, Robert Laffont, 1997
  • Jean-Pierre Stroobants, Doutes en Belgique sur la véracité du récit de « Survivre avec les loups », Le Monde, 28 février 2008

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Liens externes

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